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La Pastorale de Malandain : géométries charnelles du Monde

La Pastorale. Hugo Layer. Photographie Olivier Houeix.

La Pastorale, Thierry Malandain. Musiques Ludwig van Beethoven (Symphonie n°6 « Pastorale », Cantate op.112, extraits des Ruines d’Athènes). Chaillot, Théâtre National de la Danse. Vendredi 13 décembre 2019.

Préambule. Histoire personnelle…

La Pastorale de Beethoven – aux côtés de l’Hymne à la joie – est sans doute le premier contact que j’ai jamais eu avec la musique symphonique. Sur son vieux pick-up, pas même stéréo, ma sœur aînée le passait en boucle. La platine était en hauteur, il fallait grimper sur le bureau pour atteindre les étagères où elle était posée et, ce qui m’intéressait le plus alors, regarder le disque tourner ou, à l’occasion, jouer avec le bras – peu d’entre eux m’ont résisté [j’ai appris l’emploi du tournevis en démontant un mange-disque, encore une fois pour en voir le bras]. L’intégrale de Beethoven était posée juste à coté d’une des baffles. C’était l’une des multiples versions Karajan. Elle était conservée dans une boîte en maroquin bordeaux-brun imitant les livres sérieux de la bibliothèque, ceux qu’il faudrait avoir lu plus tard. À force de l’écouter, la Pastorale et plus largement Beethoven sont devenus part de mon univers musical. Et pourtant, lorsque j’eus découvert le ballet, à l’occasion d’un Lac des cygnes, et que, la musique classique s’emplit dans mon esprit de rêves de mouvements, les symphonies de Beethoven restèrent étrangement à l’extérieur de ce monde. À l’écoute de sa musique orchestrale, aucun rêve de danse ne jaillissait. Je ne voyais que des formes géométriques, des parallèles, des symétries, des carrés, des ronds ; la sévère succession des blanches, des noires et des croches que je ne savais pas déchiffrer sur la portée. Les images qu’elles m’inspiraient étaient plaquées. Et ce n’est pas la IXe de Béjart qui aurait pu me faire changer d’avis : « cast of thousands » et idéaux grandiloquents. Voilà l’une des rares productions dansée par le ballet de l’Opéra que je ne suis pas allé voir. Beethoven, pensais-je, n’est pas un compositeur qui se danse… Une brèche dans cet a priori aura été la découverte de la musique de chambre du compositeur : alors que les symphonies se rattachaient plutôt au XVIIIe siècle savant, les trios pour piano étaient résolument XIXe, semblant parfois avoir été composés après la mort même du compositeur tant ils paraissaient modernes.

Autant dire donc que j’étais curieux aussi bien qu’appréhensif de ce que Thierry Malandain allait tirer de cette fameuse Pastorale.

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2019/10/14 Générale costume " La Pastorale " GDM

La Pastorale. Mickaël Conte et Irma Hoffren. Photographie Olivier Houeix

Dans la première partie du ballet, sur des larges extraits des Ruines d’Athènes, l’espace scénique est justement occupé par une structure éminemment géométrique. Un ensemble de barres de danse (un thème cher à Thierry Malandain) soudées entre elles, délimite vingt cinq alvéoles carrées. Recroquevillé au sol, « IL », Hugo Layer, occupe le centre de cette composition. Assis-perchés sur deux barres voisines, « Eux-Les Autres », Irma Hoffren et Mickael Conte, l’observent. Le dispositif est volontairement abscons. Layer est-il la figure de l’homme solitaire ? Ses deux comparses sont-ils perchés comme des vautours ? Pourtant, ils ne dégagent aucune agressivité à son encontre, de même que Nuria López Cortés et Raphaël Canet, les autres « Eux », qui les rejoignent bientôt. Le dispositif des barres figure-t-il une prison ? Mais il y a dans la chorégraphie des grandes envolées d’aspirations. Elles sont rendues tangibles par l’utilisation de généreux grands développés en quatrième devant et d’arabesques haut placées (qui vont particulièrement bien à Hugo Layer, dont on avait déjà apprécié la belle ligne découpée au laser, dans le rôle de Persée pour Marie-Antoinette en mars dernier à Versailles) qui s’élèvent au dessus de la contingence des alvéoles géométriques du décor. Force est de reconnaître qu’Hugo Layer et ses compagnons,  entre acrobaties de barres parallèles évoquant des poses d’envols et esquives par le dessous, trouvent une voie dans cette « prison » qui offre une certaine porosité. La solitude du danseur principal, celle de l’homme tout court, serait-elle plus de son fait que celui des autres ? Ces quatre « autres » ne montrent-ils pas la porte de sortie ? Est-ce ainsi qu’on doit comprendre les très belles redingotes noires boutonnées dans le dos, très saint-simoniennes, imaginées par Jorge Gallardo ? À un moment, Nuria López Cortés aidée par Raphael Canet lévite sur les bords du carré en marchant sur les barres. Irma Hoffren et Mickaël Conte glissent sur ces mêmes barres tels des gastéropodes essayant d’échapper à la marmite de saumure. Ce n’est pas la seule fois que le monde animal s’invite dans cette première partie. À un moment, les danseurs pendus la tête en bas sur les barres, évoquent par leur mouvement de tête des chauves-souris. Lorsque le groupe entier apparaît la première fois sur une partie chorale, mené par les deux frères ennemis Frederick Deberdt et Arnaud Mahoui (déjà Caïn et Abel dans « Noé », ici les « Numineux ») c’est avec une marche animale faite de hochement de la colonne vertébrale et de piétinés pris du genou qui martèlent le sol. Dans les alvéoles, on assiste alors à de véritables transes, fibrillations du haut du corps suivies d’effondrements soudains en position de tailleur.

Toute cette agitation secoue le carcan du décor initial qui finit par s’envoler dans les airs. « Eux » dépouillent « Lui » de son costume sombre et le laissent couché au sol dans une tunique transparente et immaculée, très simple sur le devant avec et de multiples pinces dans le dos, sorte de costume antique revisité. Ce très beau costume sera adopté par l’ensemble de la troupe pour la deuxième partie sur la Symphonie Pastorale de Beethoven qui donne son nom au ballet.

La chorégraphie de Thierry Malandain apparaît à la fois très fluide et très architecturée. Le nombre trois semble dominer ; les danseurs marchent par trois et « Lui » est désormais accompagné de trois Grâces. Encore plus qu’à une scène champêtre dans le style antique, on est, comme souvent chez Malandain, invité à une histoire de la Danse : on pense à l’Apollon de Balanchine, bien sûr (la pose du quadrige est citée mais développée lorsque tous les danseurs s’y greffent créant une ample constellation en éventail) mais aussi, au Faune de Nijinsky : pendant la bacchanale, les interprètes ont des mouvements qui évoquent l’ingestion gourmande de la grappe de raisin. L’ensemble de la troupe se tient les mains à la manière des nymphes bidimensionnelles de la chorégraphie révolutionnaire de 1912. Ils ressemblent alors à des notes sur une portée, prises soudain de la fantaisie de dessiner un lacet ou des volutes de clé de sol. Le Faun de Robbins n’est jamais très loin non plus : les danseuses marchent parfois en faisant de hauts retirés avec un bras sur l’épaule.

Les ports de bras, très stylisés – projetés en arrière, coudes et poignets cassés -, donnent à l’ensemble un aspect statuaire ; on pense notamment aux bas-reliefs de Bourdelle sur la façade du Théâtre des Champs-Élysées (deux d’entre eux représentant Nijinsky et Isadora Duncan) ou à ses statues mythologiques du jardin des Tuileries. Mais cette massivité de la pierre est comme contredite par la dynamique toute aérienne des sauts : temps levés ou grands jetés. On y remarque tout particulièrement Patricia Velasquez, petit concentré d’énergie explosive et de poésie saltatoire.

2019/10/14 Générale costume " La Pastorale " GDM

La Pastorale. Photographie Olivier Houeix

« Lui » se couche toujours souvent au sol mais semble plus agir désormais comme pivot de la chorégraphie qu’il ne le faisait au début. Toujours accompagné des deux couples du début, il interagit même avec Mickaël Conte dans un très beau duo où il est manipulé presque tendrement, durant un jeu de « brouette-poussette », par son partenaire. Mickaël Conte est fort bien choisi pour ce passage tant sa danse exsude la bonté ; une qualité singulière déjà visible pour son Louis XVI dans Marie-Antoinette.

Ce moment d’harmonie est contrecarré par le retour du noir, Deberdt et Mahouy dans un jeu agonal d’imbrications, sur « la Tempête ». Il préfigure le retour du sévère quadrillage des barres. Conscient désormais de sa dimension carcérale, Hugo Layer se retrouve un moment de dos, péniblement juché sur sa cambrure de pieds, les bas tendus vers le ciel, dans une pose de supplication.

Ce retour des barres n’est que subreptice. Sur la Cantate Opus 112, les lacets humains reprennent bientôt dans une atmosphère sereine. Les rondes, et avec elles le cercle et la spirale, figures de perfection, qui ont infusé toute la chorégraphie – et aussi, inopinément et drolatiquement, la scénographie -, réapparaissent aussi. Le corps de ballet, couché au sol « accueille en amie la nuit étoilée » dans des tuniques chair scintillantes.

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Épilogue…

Alors, suis-je réconcilié avec le corpus symphonique de Beethoven après La Pastorale de de Thierry Malandain ?

Eh bien J’ai vu des « parallèles, des symétries, des carrés, des ronds… », «…des blanches et des noires… sur une portée que je ne sais – toujours pas – déchiffrer ». Mais les abstractions d’autrefois avaient pris le relief et la consistance de la vie. Pour Thierry Malandain, « la beauté du monde », son « harmonie », passe par l’histoire de l’humanité dansante. Je ne peux qu’approuver.

2019/10/14 Générale costume " La Pastorale " GDM

La Pastorale. Photographie Olivier Houeix

La Pastorale de Thierry Malandain, c’est encore cette semaine au théâtre de Chaillot, les mardi 17, mercredi 18 et vendredi 19 décembre. Courez y!

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Vieux pots, vieilles recettes (et parfois) bonne soupe

SSFB Etés Affichean Francisco Ballet aux Étés de la Danse. Théâtre du Châtelet. Soirée du 14 juillet : Maëlstrom (Morris/Beethoven), Agon (Balanchine/Igor Stravinsky), Within The Golden Hour (Wheeldon/Bosso/Vivaldi). Soirée du 16 juillet : Caprice (Tomasson/Saint Saëns), Hummingbird (Scarlett/Glass), Symphonic Dances (Liang/Rachmaninov)

Deux nouvelles représentations m’auront permis de continuer mon exploration de la compagnie et du répertoire du San Francisco Ballet. Et les fortunes auront été diverses.

Le 14 juillet, la soirée a commencé sur un mode plus que mineur avec «Maëlstrom» de Mark Morris (un chorégraphe encensé par la critique américaine depuis les années 90). Sur le très beau trio pour piano, violon et violoncelle n°5 de Beethoven, les danseurs habillés de tenues cardinalices égrènent une partition pauvrette qu’on pourrait apparenter à un opus de « La musique expliquée aux nuls ». Chez Morris chaque note est un pas. Y-a-t-il une répétition d’un thème, eh bien il y aura une répétition de la combinaison. Si d’aventure le pianiste exécute un glissando, on récolte des piétinés pour la ballerine. Au premier mouvement on retrouve ressassé le même petit enchaînement de pirouette sur le cou de pied exécutées presque à plat et s’achevant une jambe croisée repliée devant la jambe de terre, les bras placés en anse de panier.  Au deuxième, ce sont de petits ronds de jambe terminés en seconde pieds flexes. Au troisième ? Au troisième on ne regarde déjà plus et on n’écoute presque plus non plus. C’est fort dommage car ce trio de Beethoven, l’un de mes favoris,  est joué de façon exquise. Mais a-t-on envie de voir en surligné fluo les intentions supposées d’un compositeur ? On étouffe et on voudrait passer à autre chose.

Sofiane-Sylve-et-Anthony-Spaulding-Agon-c-Erik-Tomasson

Sofiane Sylve (ici avec Anthony-Spaulding) dans Agon de Balanchine -c-Erik-Tomasson

Fort heureusement, l’autre chose c’est «Agon» de George Balanchine. On reste fasciné par cette pièce dodécaphonique pour douze danseurs, ce ballet baroque cubiste qui retourne comme une peau aussi bien la musique ancienne que le ballet classique. Une fois encore, les excellents danseurs du San Francisco Ballet dansent ce ballet avec une crudité qui nous avait fort manqué lors de la reprise par l’Opéra de Paris en septembre 2012.

Dans le premier trio, Pascal Molat mélange l’élégance racée avec l’entrain plébéien, la précision des bras et la fantaisie des humeurs. Ses deux partenaires, Grace Shibley et Jennifer Stahl accomplissent une très jolie danse de cour avec claquement de main, suffisamment accentué mais sans maniérisme. Le second trio est dominé par Frances Chung avec ses impressionnantes arabesques au-dessus de la ligne du dos et son poids au sol dans la variation « castagnettes ». Les deux garçons, Jaime Garcia Castilla et Hansuke Yamamoto nous ont en revanche paru toujours un peu en-deçà de la musique. Cette – légère – déficience du timing rendait les quatuors masculins qui ouvrent et clôturent le ballet moins efficaces. Mais entre-temps, Sofiane Sylve et Luke Ingham répétaient leur impressionnant numéro mythologique du Gala.

Joan Boada et Maria Kochetkova - Within the Golden Hour (c) Erik Tomasson

Within the Golden Hour, Christopher Wheeldon. Maria Kochetkova (ici avec Joan Boada) (c) Erik Tomasson

Le «Within the Golden Hour» de Christopher Wheeldhon concluait cette soirée, non pas sur une note ascendante mais du moins sur un ton majeur. Avec Christopher Wheeldon, on est loin de la modernité sans concession, presque encore dérangeante, du Balanchine d’Agon. Son ballet dispose d’une jolie scénographie décorative (lumières chaudes, pièces de décor figurant des vagues stylisées dorées à la feuille), de costumes riches (les filles portent de curieux cache-cœur pailletés qui les font ressembler à des almées dans les tons bleu, vert amande et safrané) et d’une plaisante musique d’Ezio Bosso dans la veine « soft-répétitive ». Les passes chorégraphiques ne sont pas forcément surprenantes à l’œil pour qui a vu le travail des néo et post classiques de ces vingt dernières années mais l’ensemble fait mieux que fonctionner. C’est que Christopher Wheeldon sait parfaitement orchestrer la mobilité des groupes sur scène. L’œil peut circuler des solistes au corps de ballet et l’esprit doit opérer des choix. Wheeldon sait également varier les humeurs. Le premier pas de deux, pour Lorena Feijoo et Martin Cintas fonctionne sur un mode presque parodique. Les deux danseurs semblent apprendre une danse de salon (bras cassés et pieds flexes). Leur charmant Box Step se complexifie bien sûr et finit même par être imité par des membres du corps de ballet arrivant inopinément côté jardin. Le second pas de deux est d’humeur plus réflexive et abstraite. Luke Ingham semble jouer avec la matière –sa partenaire, la très longue et flexible Sarah van Patten. À un moment, le danseur assis tient la fille par sa jambe d’arabesque. Elle décale celle de terre de plus en plus jusqu’à presque toucher la tête au sol. Le dernier pas de deux, le seul sur la musique de Vivaldi, est un joli badinage classique à portés lyriques pour Maria Kochetkova et Victor Luiz. Mais entre les pas de deux des principaux, le chorégraphe sait également créer la surprise en créant de courts « intermèdes-gingembre » destinés à vous faire passer d’une humeur à l’autre. Le duo pyrotechnique de deux garçons, qui soulève littéralement la salle, sert aussi de transition entre l’humeur joueuse du premier tableau, dont il découle, et l’humeur sereine du second qu’il appelle. Un quatuor de filles exécutant des ports de bras décoratifs et presque orientalisants dure exactement le temps requis pour passer du deuxième au troisième pas de deux. Construction, transition et circulation : une jolie trinité chorégraphique…

Lorsque «Within the Golden Hour» s’est achevé, avec les danseurs par couple ondulant du torse et de leurs bras enlacés figurant l’éclat iridescent du soleil se couchant sur la mer, on avait vraiment le sentiment d’avoir conclu en feu d’artifice cette soirée de fête nationale. On s’est donc dispensé d’aller voir l’autre, sur les bords de Seine, en sortant du théâtre.

Le 16 juillet, on a été moins chanceux. La suite de nos rencontres avec le San Francisco Ballet nous a permis de vérifier la permanence d’une constatation que nous avions déjà faite lors de la première saison du festival. Mieux vaut éviter les soirées entièrement constituées de répertoire récent.

Le principal – et à vrai dire, l’unique – intérêt de la revoyure de «Caprice» de Tomasson était le changement de distribution. Mathilde Froustey dans le premier mouvement (aux côtés du très propre et efficace Victor Luis) offrait un autre éclairage que sa devancière, la gazouillante Maria Kochetkova. Une énergie plus incisive qui s’accordait bien avec le second mouvement, tiré vers une élégance plus aristocratique par Sarah Van Paten bien à l’unisson de son beau partenaire, Tiit Helimet. Le ballet restait néanmoins un long pastiche et un vrai pensum.

Du moins le croyait-on jusqu’au douloureusement long et vide Symphonic Dances. Edward Liang, est un autre ancien du New York City Ballet qui a mis un terme prématuré à sa carrière d’interprète pour s’adonner à la chorégraphie. Mais contrairement à Wheeldon qui semble avoir fini par devenir un chorégraphe et à Millepied, pour qui il y a encore de l’espoir, on reste dubitatif sur la pertinence de ce tournant de carrière. Pendant les quarante longues minutes que durent les Danses symphoniques opus 45 de Rachmaninov, l’aspirant chorégraphe a accumulé tous les poncifs de la danse post-néo-classique. Corps de ballet coquettement habillé de pourpre tandis que les trois couples de solistes sont en jaune – pour l’effet de contraste – et manipulations de danseuses à tout va définissent le ballet de Liang. Dès le premier pas de deux, Frances Chung, la tête en bas, tournoie et s’enroule autour de la taille de son partenaire pour finir parfaitement emboîtée sur sa jambe gauche. C’est impressionnant… Et après ? Quoi? Comment surenchérir et donner de la matière aux deux autres couples ?

On perd le fil; on attend la fin. Et c’est long à venir.

San Francisco Ballet - Hummingbird (c) Erik Tomasson

San Francisco Ballet – Hummingbird, Liam Scarlett. (c) Erik Tomasson

Pris en sandwich entre ces taxidermies du ballet, était «Hummingbird», du jeune Liam Scarlett sur une partition du maître de la musique répétitive, Philip Glass (veine « presque » romantique). À la base ? Les mêmes ingrédients que ceux qui nous ont accablés d’ennui chez d’autres… La scénographie a son petit côté précieux : la scène à un pan incliné dans ses fonds sur lequel les danseurs glissent ou courent en ellipse. Les dessus sont occupés par un velum translucide comme l’albâtre. La chorégraphie utilise des éléments vus ailleurs : le corps de ballet et les solistes usent du dos en ouvrant les bras et en cambrant ; les jambes des filles volent au dessus des têtes des garçons qui les rattrapent ensuite en arabesque penchées. Mais tout diffère en même temps. On regarde et on s’intéresse aux couples.

Dans le premier pas de deux, pour Frances Chung et Gennadi Nedvigin, le garçon est comme poursuivi par la fille exécutant des pirouettes et de grands développés à la seconde. Pour le deuxième pas de deux, Yuan Yuan Tan et son partenaire (Luke Ingham, encore lui) commencent dans la quasi-immobilité et en ombre chinoise. Leurs poses sont parfois accompagnées par les mouvements du corps de ballet. Là aussi, la danseuse s’enroulera ensuite autour du torse de son partenaire. Mais l’acrobatie reste étrangère à ces évolutions tant on reste intéressé par l’intimité qui découle de ces emboîtements. Et qu’importe si on est moins conquis par le troisième couple. L’ensemble du ballet sait être surprenant et roboratif.

Une fois encore : construction, transition et circulation : une jolie trinité chorégraphique… Un précepte qui semble bien étranger à l’école purement américaine du ballet qui, fascinée par sa grandeur passée, réduit son propre héritage (le néo-classique balanchinien et les avancées de la danse moderne) à des formules vides tandis que les Britanniques semblent capables de faire de la très bonne soupe dans de vieux pots.

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