Archives de Tag: Sae Eun Park

Soirées d’ouverture à l’Opéra : la saison des fleurs

Soirée d’ouverture. Ballet de l’Opéra de Paris. Grand défilé du corps de ballet / Requiem For a Rose – Junior Ballet / Giselle. Soirée du 30 septembre 2025.

Et voilà un nouveau début de saison au Ballet de l’Opéra ! Pour cette ouverture, une désormais traditionnelle soirée de Gala a été programmée, soirée à laquelle nous nous sommes bien gardés d’assister. Pourquoi payer un prix outrageusement gonflé pour 1 coupe de champagne et trois petits fours quand le même programme allait être réitéré deux fois dans le courant de la même semaine ?

Pour tout dire, il y a tout de même un prix à payer à assister à ce genre de pince-fesse chorégraphique. Lorsque la pièce de résistance n’est autre que Giselle, chef d’œuvre du ballet romantique, deux heures de beauté et une éternité d’émotion, tout préambule peut paraître superflu. Or, en ce 30 septembre 2025, il n’y en a pas un mais deux.

Le premier était le très couru Grand défilé du corps de Ballet, 25 à 30 minutes de célébration de la plus ancienne compagnie de Ballet du monde. Une page d’Histoire ? On pourrait ironiser. Le défilé, c’est un peu comme notre baguette nationale : comme elle, il ne s’est imposé qu’après la Deuxième Guerre mondiale. En 1946, le Ballet de l’Opéra était encore tout abasourdi d’avoir perdu ses deux têtes, Jacques Rouché, son directeur depuis septembre 1914, et Serge Lifar, maître des destinées chorégraphiques de la Grande boutique depuis 1930, accusés de fricotage imprudent avec l’occupant allemand. L’idée de ce défilé, célébrant l’excellence d’une troupe en très grande forme et redevenue centre de création, était celle de Lifar. Mais le maître étant encore persona non grata sur le plateau. Il revint à Albert Aveline, représentant de la tradition à l’Opéra, de régler le cérémonial. Avant lui, en 1926, Leo Staats, un autre grand représentant de l’école française dont l’Ecole de danse justement reprendra cette saison le très joli Soir de Fête, avait inventé un défilé posé sur un extrait du Tannhäuser du très germanique Richard Wagner. En 1946, Berlioz et ses Troyens ont donc remplacé très avantageusement Wagner, en délicatesse après 4 ans d’occupation allemande, comme l’a prouvé une curieuse tentative de reprise de cette bande-son originale, en 2015, sous l’ère Lissner-Millepied.

Un traditionnel relativement récent ce défilé ? La réponse est peut-être plus subtile. Au XVIIIe siècle, les danseurs et danseuses de la compagnie défilaient déjà pour saluer la loge royale, qu’elle soit occupée ou non.

Aujourd’hui, le Roi, c’est le public. Et ce dernier, qui est bien là, ne se ménage pas pour signifier son appréciation à la différence des salles d’Ancien régime. Ne dit-on pas  –mais est-ce vrai ?- qu’en son temps, la reine Marie-Antoinette créa le scandale en manifestant ouvertement son approbation par des applaudissements ?

Pour cette édition 2025, les motifs de satisfaction étaient réels. En effet, contrairement à la session 2024, qui ressemblait à un texte à trous, les rangs des étoiles étaient serrés lors du salut final. A l’émotion de voir défiler les petits, particulièrement bien rangés, au plaisir de saluer les jeunes du Junior Ballet, venus renforcer les rangs, s’ajoutait en effet le profond bouleversement de revoir enfin Mathias Heymann fouler de ses pas le plateau de Garnier.

Ajoutez à cela l’annonce de la complète restauration du Concours de promotion, d’abord amputé de la classe des sujets puis mis sur la sellette l’an dernier. L’attitude diplomatique d’Alexander Neff et de José Martinez serait-elle en train de porter ses fruits ? Devant le bouquet radieux du défilé, on n’est pas loin de voir poindre des lendemains qui chantent.  

*

 *                                                     *

Dans les projets d’amélioration du Directeur de la Danse se trouve la volonté de revivifier l’usage des pointes pour les nouvelles entrées au répertoire.

Requiem for a Rose. Junior Ballet.

Manifestation de cette volonté, Le Junior Ballet présentait justement une pièce néo-classique qui à défaut d’être très récente (elle date de 2009) avait l’avantage de mettre les danseuses sur pointe dans une mise en scène contemporaine. Requiem For a Rose répond au programme de José Martinez qui préfère inviter une première fois les chorégraphes avec une pièce préexistante pour que celle ou celui-ci apprenne à connaître la compagnie. Outre l’usage des pointes, Annabelle López Ochoa cite sans détour l’Histoire de la Danse. On est apparemment invité à une version 2.0 du Spectre de la Rose de Fokine.

Une nymphette en académique chair, pieds nus, les cheveux lâchés, tient une Rose entre ses dents à la manière de l’antique publicité pour une célèbre marque de dentifrice. La gestuelle est anguleuse. Les basculements brusques du bassin permettent à Shani Obadia de projeter son abondante chevelure dans tous les sens. Sur une bande son de battements de cœur accompagnés de pizzicati humides, arrivent des types en grande jupe pourpre cardinalice. Ils enserrent lentement la danseuse. Va-t-on assister à la vengeance impitoyable de la reine des fleurs, sacrifiée sur l’autel d’un bal ? Voilà qui serait intéressant.

Mais voilà que débute le célèbre adagio du Quintette en ut de Schubert et l’ambiance change du tout au tout. Une chorégraphie fluide, kylianesque en diable, à base de portés volants et tourbillonnants, de bras fluides qui se caressent et semblent toujours s’éviter. Les embrassements sont aussi doux que le parfum d’une rose ancienne. Les filles sur pointes sont habillées à l’unisson des garçons. Les multiples pirouettes demandées aux danseurs et danseuses sont magnifiées par les juponnages généreux des costumes.

Puis le ballet se termine comme il a commencé, sur « l’environnement sonore » d’Almar Kok, avec le retour de la porteuse de rose. Aucune connexion ne s’est établie entre les deux ambiances de la pièce, manquant l’effet éminemment romantique du retour à la réalité.

Inoffensif, Requiem for a Rose se laisse regarder mais s’oublie aussi vite qu’on l’a vu. La route qui conduit au renouvellement de l’usage des pointes paraissait bien longue et incertaine en 2009… Mais les choses ont elles changé ? Le programme Racines qui débute incessamment apportera peut-être des éléments de réponse.

Requiem for a Rose. Shani Obadia et le Junior Ballet.

*

 *                                                     *

La soirée semble déjà bien avancée. La fatigue commence à poindre et, pourtant, Giselle n’a pas encore commencé. Il faut se ressaisir.

Giselle. Décor de l’acte 2 (détail). Alexandre Benois.

Nous avions déjà vu le couple de cette soirée en mai 2024.

A l’acte 1, Sae Eun Park confirme la bonne impression qu’elle nous avait faite alors. Elle délivre une très jolie première scène voletante dans l’épisode de la marguerite. La scène du banc est personnelle. Au lieu d’étaler sa jupe sur l’ensemble de l’assise, elle s’assoit à son extrémité, soulignant ses velléités de fuite face à l’empressement de son partenaire. Dans la Grande valse avec les vendangeuses, ses piqués attitude sont suspendus. Ceux en arabesque, tenus sans raideur, expriment parfaitement l’exaltation amoureuse.

La scène avec Bathilde est charmante. Park s’agenouille avec grâce aux pieds de la traîne doublée d’opulente fourrure et la porte à sa joue avec une vraie simplicité. La diagonale sur pointes, qui suit ce moment pantomime, est aisée et sans technicité vide. Elle n’arrête pas l’action.

La Folie de Giselle-Sae Eun est douce et triste. On se prend à regarder Germain Louvet, prince charmant inconscient jusqu’à l’épisode de l’épée. Peut-être la violence de ce moment  particulier aurait dû davantage guider la Folie de la danseuse pour vraiment bouleverser.

A l’Acte 2, si Roxane Stojanov déçoit un peu avec sa Myrta un tantinet pesante, aux arabesques pas toujours assurées, Park et Louvet forment en revanche un couple bien assorti.

Les adages jouent sur le moelleux et le ralenti tandis que les variations réveillent l’ensemble par des détails très ciselés et mis en avant (les petits ronds de jambes sous le tutu ou les sauts italiens finis petite arabesque pour elle, les pirouettes attitude en dehors prises très rapidement et néanmoins parfaitement contrôlées pour lui).

On s’étonne, à la vue de tant de perfections déployées en compagnie d’un corps de ballet si bien réglé de n’être pas plus ému. Sans doute la longueur et l’éclectisme de cette soirée sous le signe des fleurs (un bouquet, des roses, des marguerites et des lys) y étaient pour quelque chose. On reste enthousiasmé par ce début de saison et curieux aussi de la nouvelle maturité d’interprétation de Sae Eun Park.

Commentaires fermés sur Soirées d’ouverture à l’Opéra : la saison des fleurs

Classé dans Hier pour aujourd'hui, Retours de la Grande boutique

Sylvia à l’Opéra : ce n’est qu’un au revoir?

Sylvia (Delibes, Legris d’après Darsonval-Aveline-Staats-Mérante). Opéra Garnier. Représentation du vendredi 24 mai 2025.

Sae-Eun Park et Pablo Legasa. Saluts.

À la revoyure, qualités et défauts se confirment dans la Sylvia de Manuel Legris. On apprécie toujours la maîtrise savante de la composition du chorégraphe et directeur de compagnie mais on reste nécessairement un peu extérieur à l’action. La faute en revient au livret original écrit à un moment où la danse masculine était au plus bas à l’Opéra. À l’origine, le héros Aminta était interprété par Louis Mérante, le maître de ballet lui-même. Il avait 48 ans. Le rôle d’Orion avait été attribué à un mime italien. Les librettistes ont ainsi confié le déroulement de l’action aux personnages féminins, Sylvia, incarné par la forte technicienne Rita Sangalli, et Eros, joué à l’époque par une femme : le sujet Marie Sanlaville. Dans Sylvia, Aminta, ressuscité par l’Amour, part à la recherche de la nymphe de Diane kidnappée par Orion à la fin de l’acte 1. Il n’arrivera jamais à destination. On le retrouve à l’acte 3 en train de se lamenter. Puis il danse un pas de deux avec l’héroïne qui s’est libérée presque toute seule (l’amour lui a juste prêté son véhicule) et se prend enfin une raclée par son rival Orion. C’est peu court pour un héros traditionnel. (Dans Raymonda, un ballet au livret bancal à l’origine, Jean de Brienne a au moins une scène du rêve pour briller et il gagne sa confrontation face à Abderam). Cela ne fait pas pour autant de Sylvia un ballet féministe puisque la fière héroïne finit quand même par succomber au charme de son tendron dispensable et fadasse.

Nine Seropian et Clara Mousseigne (deux chasseresses).

*

 *                                      *

La réussite ou non d’une soirée de Sylvia repose donc principalement sur le charme de ses interprètes ainsi que sur leur alchimie. C’est la seule manière de faire passer les inconsistances du livret d’origine si on renonce à la refondre.

Claire Teisseyre et Milo Avêque (Diane et Endymion).

Au soir du 24 avril, cela commence plutôt bien. Claire Teisseyre, à la fois élégante et autoritaire en Diane, jette à 180° et reste en suspension. On croit donc aisément à sa nature divine en dépit de son costume terne et de la peu compréhensible inversion hiérarchique impliquée par la mise en scène – Sylvia, une simple nymphe, apparait sur un praticable en hauteur tandis que Diane, la déesse, la contemple en contrebas sur la scène. Le couple qu’elle forme avec Milo Avêque en Endymion fonctionne bien. Les deux danseurs rendent palpable la prévention initiale de la déesse face aux attentions insistantes de son prétendant, puis le badinage amoureux et enfin la connexion charnelle du couple.

Sylvia. Chun-Wing Lam et Eléonore Guérineau (une faune et une Naïade)

Chun-Wing Lam  et Éléonore Guérineau sont très bien en meneurs des esprits de la forêt. Lam est moins un satyre (qu’interprétait merveilleusement bien Francesco Mura lors de mes deux précédentes représentations) qu’un elfe bondissant. Mais son Puck facétieux contraste à merveille avec la naïade déjà bacchante de Guérineau, son ballon et sa sensualité déliée, très différents de l’interprétation cristalline d’Inès McIntosh.

En Orion, Jeremy-Loup Quer, à défaut de toujours rencontrer parfaitement les prérequis techniques de son rôle, dégage l’énergie farouche et concupiscente du chasseur noir. Lorsqu’il éveille Sylvia dans sa grotte à l’acte 2, on a même l’impression de voir une scène du réveil de La Belle au bois dormant du côté sombre.

Lorenzo Lelli est quant à lui Eros. Il mène plutôt bien sa scène d’Amour médecin et parvient à garder sa dignité intacte dans la croquignolette scène du « regardez mon speedo ! ». Néanmoins, pour s’extasier vraiment, il faudra attendre le feu d’artifice technique de l’acte 3.

Sylvia. Lorenzo Lelli (Eros).

Mais qu’en est-il du couple principal, ciment d’autant plus essentiel que cette histoire est mal fagotée ?

En Aminta, Pablo Legasa, qu’on a regretté de voir si peu distribué ces deux dernières saisons, est d’une grande beauté. Avec sa ligne très étirée et ses développés à la hauteur de celui des danseuses, il évoque l’idéal classique tout en sachant donner aussi des indications dramatiques fortes. Il parvient ainsi, pendant la confrontation avec Diane et les chasseresses, à suggérer qu’il a déjà noué avec Sylvia une relation sentimentale.

Pablo Legasa. Saluts.

Dans le rôle de la nymphe de Diane, Sae Eun Park domine sa partition et se montre musicale. Sa scène de l’escarpolette en compagnie des nymphes a beaucoup de grâce. On est loin de la bonne élève de jadis qui semblait se réciter intérieurement les indications de ses répétiteurs tout en dansant. À l’acte 2, dans la grotte d’Orion, mademoiselle Park fait même de très jolis effets de dos et de bras en bacchante improvisée.  Ce qui manque encore à cette élégante danseuse, c’est de la projection. Il y a par exemple de bonnes intentions dans la scène de l’élégie sur le corps supplicié d’Aminta mais l’interprétation ne passe pas toujours la rampe.

Sae Eun Park (Sylvia).

Ceci n’aide donc pas à se projeter sur le couple Aminta-Sylvia qui n’a que la très courte fenêtre de l’adage à l’acte 3 pour convaincre. Or, Legasa et Park délivrent dans ce passage une exécution immaculée mais sans vraie alchimie de couple.

On passe néanmoins un excellent moment. Le challenge technique de la bacchanale finale est aisément relevé. Sae Eun Park est impeccable dans sa variation ainsi que dans la série de pirouettes en attitude devant. Pablo Legasa et Lorenzo Lelli font assaut de virtuosité et on apprécie le contraste d’école qui les sépare. Lorenzo-Eros a des sauts explosifs et une batterie extrêmement croisée. Les impulsions se voient et font partie de la chorégraphie. Pablo-Aminta est lui un modèle de l’école française. Les impulsions sont gommées et l’élévation semble sortie de nulle part. Le danseur parvient même à exprimer l’invite à sa partenaire pendant les pirouettes développées arabesque de sa variation.

*

 *                                      *

On ressort satisfait de l’Opéra Garnier, avec en prime la vision du primesautier trio de paysans mené par Hortense Millet-Maurin qui était également une esclave nubienne serpentine à  l’acte 2 aux côtés d’Elizabeth Partington.

Au revoir donc Sylvia et à bientôt – on l’espère, en dépit de nos réserves – où à dans trente ans dans une version qui peut-être enfin sera définitive.

Sylvia, scène finale. Sae Eun Park, Pablo Legasa, Lorenzo Lelli

Commentaires fermés sur Sylvia à l’Opéra : ce n’est qu’un au revoir?

Classé dans Retours de la Grande boutique

La Belle au bois dormant à l’Opéra : l’aurore d’un prince

La Belle au bois dormant. Ballet de l’Opéra de Paris. Représentation du 11 avril 2025.

A la mi-temps de cette première série de Belle au bois dormant à l’Opéra, la fatigue commençait à se faire sentir. Au prologue, le concert des fées de ce 11 avril, qu’on avait beaucoup apprécié presque un mois auparavant, nous semblait un peu « fatigué ». Rien de bien grave : de petits tremblements sur pointe ou des tempi émoussés. Seule Célia Drouy en fée aux doigtés et Héloïse Bourdon en septième fée restaient au parfait. L’ensemble avait beau être réveillé par la Carabosse vindicative à souhait, à la bouche amère, de Sofia Rosolini face à la fée Lilas d’Emilie Hasboun et sa pantomime bien accentuée, on se demandait bien encore si la soirée n’allait pas être longuette.

La princesse d’Aurore du jour ne fait pas particulièrement partie de notre panthéon personnel. Sae Eun Park a su nous émouvoir l’an dernier en Giselle, mais le fait reste encore suffisamment exceptionnel pour que le doute demeure.

Mais à l’acte 1, la danseuse mérite amplement un accessit. Sae Eun Park effectue une entrée très légère. L’adage à la rose est confiant. Sans être affolants, les équilibres sont assurés. En revanche, la variation aux piqués arabesque nous a semblé manquer de relief : mademoiselle Park, toujours efficiente techniquement et dernièrement de plus en plus musicale, retombe parfois encore, pour ses soli, dans le mode automatique qui fut trop longtemps sa marque personnelle. Mais tout cela est rattrapé par la coda avant la piqûre traîtresse, interprétée avec du ballon, de jolis double ronds de jambe sur les temps levés et des renversés dynamiques.

Mais pour tout dire, on attendait impatiemment l’acte 2. Par le hasard des blessures, Paul Marque, que l’on apparie trop souvent avec Sae Eun Park alors que l’un comme l’autre ne s’apportent pas grand-chose, avait laissé la place à la sensation du moment, un jeune italien du nom de Lorenzo Lelli, récemment promu au grade de sujet.

Monsieur Lelli, brun, de taille moyenne, un sourire épinglé digne d’un emballage pour tube dentifrice, partage une caractéristique avec mes autres Désirés (messieurs Docquir et Diop) : celle de faire une entrée à la chasse complètement anodine. On n’est pas impressionné d’emblée.

Et puis Lorenzo Lelli commence à danser… Il est doté d’un très beau temps de saut, d’une arabesque qui s’élève sans effort au-dessus de la ligne du bas du dos. Mais d’autres sont doués de ces qualités plastiques enviables. Ce qui marque surtout, c’est son incroyable musicalité ; c’est le phrasé de sa danse. Lelli introduit en effet des variations de vitesse : les préparations de pirouettes par exemple sont calmes, leur exécution à proprement parler est preste et les fins se font comme au ralenti. Désiré-Lorenzo n’oublie pas l’histoire non plus, semblant revenir vers la porte où était apparue la fée Lilas comme pour y chercher une réponse. La variation lente, qu’on avait surtout trouvée longue lors des précédentes représentations, redevient le moment de poésie introspective conçu par Noureev et non un simple exercice de – grand – style.

Sae Eun Park (Aurore) et Lorenzo Lelli (Désiré)

Du coup, la scène des dryades commence plutôt bien avec une Aurore-Sae Eun, très sereine et royale. Le jeu de cache-cache au milieu des bosquets mouvants du corps de ballet féminin est à la fois allégorique et dramatique. La demoiselle retourne bien un tantinet en mode automatique au milieu de sa variation et le jeune homme pourra parfaire ses tours à la seconde mais, au final, on s’est reconnecté à l’histoire contée dans le ballet.

À l’acte 3, les qualités de Lorenzo Lelli s’appliquent à merveille au grand pas de deux d’Aurore et Désiré. Lelli est bon partenaire. Il regarde sa partenaire et lui donne confiance au moment des redoutables pirouettes-poissons pour un rendu impeccable. La pose finale de l’adage est finement amenée, conservant un élément de surprise bienvenu. Dans son solo, le danseur exécute sa batterie d’une manière aiguisée, domine parfaitement ses tours en l’air et, par ces variations de tempi dont il a le secret, sait mettre en exergue un épaulement ou une arabesque. Sae Eun Park joue en contraste avec la pyrotechnie de son partenaire en accentuant, l’air de rien, le crémeux de son écot.

Ajoutez à cela un quintette de pierres précieuses bien réglé – Keita Bellali montre ses belles qualités dans les pliés et les directions de l’Or et Alice Catonnet est très élégante en Argent. Le trio qui les entoure est bien assorti et scintille. Considérez une belle surprise dans l’Oiseau bleu : Rémi Singer-Gassner a une batterie limpide et du ballon à côté de la très délicate Luna Peigné. Terminez par un duo de Chat primesautier : Eléonore Guérineau, à la fois taquine et aguicheuse et Isaac Lopes Gomes en incarnation même de la dignité offusquée. Vous aurez alors le récit d’une soirée en forme de tourbillon ascensionnel.

Ce diaporama nécessite JavaScript.

Mais on ne se refait pas ; l’esprit inquiet et chagrin que je suis ne peut que s’inquiéter du fait que l’authentique sensation de la soirée soit un artiste qui est entré dans la compagnie par le concours externe. Il y a chez monsieur Lelli un flair et une liberté d’interprétation qu’on espère que l’Opéra, très obsédé par la correction philologique, ne cherchera pas trop à aplanir et à formater.

2 Commentaires

Classé dans Humeurs d'abonnés, Retours de la Grande boutique

Programme d’Ouverture du Ballet de l’Opéra : Soir de Fête ?

P1220695Le programme William Forsythe – Johan Inger ouvre la saison du ballet de l’Opéra. Il signe le retour du « Maître de Francfort » à la grande boutique, qu’il avait plutôt boudée depuis le départ fracassant de Benjamin Millepied, éphémère directeur de la Danse, en 2016. Il permet également l’intronisation d’un chorégraphe trop longtemps laissé en dehors du répertoire, Johan Inger, à qui José Martinez, alors directeur de la Compania Nacional de Danza, avait commandé une création réussie, Carmen, présentée au Théâtre Mogador en 2019. En cela, le directeur de la Danse répare donc une injustice.

Mais on doit également à José Martinez la correction d’une autre injustice, celle de la raréfaction de la présentation du Grand défilé du corps de ballet de l’Opéra au public « ordinaire » (entendez celui qui ne prend pas de place pour le très cher gala d’ouverture). Cette saison, le programme du Gala aura été répété deux fois, donnant plus d’occasions à la compagnie et au public de se rendre mutuellement hommage.

*

 *                                  *

Le défilé, un cérémonial propre au ballet de l’Opéra, a été créé une première fois par Léo Staats sur la marche de Tannhäuser de Wagner en 1926 avant d’être repris et pérennisé avec le concours d’Albert Aveline, cette fois-ci sur la marche des Troyens de Berlioz, en 1946.

Tout produit du XXe siècle qu’il soit, il est pourtant une réminiscence d’une tradition beaucoup plus ancienne. Aux XVIIe et XVIIIe siècles, les danseurs, alors masqués, venaient en effet en préambule d’une représentation se présenter au public en faisant trois fois le tour de la scène (les hommes les bras croisés et les femmes agitant leur éventail). Le défilé, avec sa descente hiérarchisée des danseuses puis des danseurs n’est pas sans évoquer également le ballet équestre, l’une des formes initiales du ballet royal. Cette référence, peut-être inconsciente, établit pourtant entre les us et coutumes du passé d’ancien régime et l’époque contemporaine, un rapport de continuité troublant.

Interrogée ce week-end à l’amphithéâtre Bastille lors d’une répétition publique sur Mayerling au sujet de la différence entre les danseurs anglais et les danseurs français, Dana Fouras, la coach du Royal Ballet, a diplomatiquement répondu : « Disons pour ce qui est de ma génération, nous étions souvent des aspirants acteurs qui se sont découverts danseurs alors qu’ici, nous avons avant tout des danseurs ». Et il est vrai que, comparé à d’autres compagnies, le ballet de l’Opéra du XXIe siècle présente encore en priorité de « la belle danse » avant de chercher à raconter une histoire. C’est cela, l’École française…

En termes de Belle danse, notons que pour le défilé du 9 octobre, plus pourvu en étoiles que le soir du Gala, l’École de danse de l’Opéra défile avec plus de rigueur que le Ballet lui-même où on a à déplorer quelques lignes par trop sinueuses notamment chez les dames… Autre constatation, quand on est placé un peu haut et un peu loin du proscenium et qu’on est équipé d’un appareil de moindre qualité, il y a les danseurs qu’on photographie et ceux qu’on rate. J’ai ma petite théorie que la difficulté d’obtenir la netteté  du cliché est inversement proportionnelle à la qualité du danseur ou de la danseuse… Dans le ballet, on n’est pas là pour poser mais pour présenter un flot ininterrompu de mouvements. Myriam Ould-Braham était ainsi quasiment impossible à photographier… Certains des clichés qui suivent ont demandé beaucoup de corrections; d’autres nettement moins… Je n’avouerai pas lesquels.

*

 *                                  *

Autre passage obligé de la soirée de gala, la pièce d’occasion, costumée depuis déjà quelques années par la maison Chanel.

P1220696

Word for Word. Jack Gasztowtt, Hannah O’Neill, Guillaume Diop, Valentine Colasante et Rubens Simon

Word for Word, du chorégraphe My’Kal Stromite n’est hélas qu’une pochade qui ne marquera pas l’Histoire de la Danse. Valentine Colasante et Guillaume Diop introduisent la pièce dans un langage néo-forsythien, avec force levés de jambes, décalés et poignet coquettement cassés sur fond de musique électronique à la Tom Willems qui évolue, à la mi-temps du ballet, vers de très traditionnels accords plaqués au piano. Les deux danseurs sont rejoints par Hannah O’Neill, Jack Gasztowtt et Rubens Simon qui égrènent la même gestuelle éculée tout en épaulements chics et ports de bras «  je parle à mes mains pour savoir laquelle des deux je préfère ». Une petite section « classe d’adage » après les acrobaties du mouvement d’ouverture et un final de dos en contre-jour du foyer de la Danse tout illuminé comme pendant le défilé viennent parachever l’œuvrette.

Les costumes de la maison Chanel ne feront pas date non plus. Ils montrent en négatif combien créer pour la mode est un métier différent de celui de créer pour le théâtre ; n’est pas Yves Saint Laurent ou Christian Lacroix qui veut. Il faut avoir une connaissance certaine du théâtre et de ses conventions. Gabrielle Chanel avait certes donné des costumes de sa collection de Bains 1924 pour le Train Bleu de Massine mais elle avait aussi affublé les danseurs d’Apollon musagète de Balanchine de bonnets de bains à fleur en 1928 ; pas nécessairement une réussite. Pour Word for Word, les danseuses portent de lourds tutus rose poudré qui, de loin, ont plutôt l’air vieux rose (une couleur qui ne va pas à tout le monde) et les danseurs ont des vestes sans manche qui évoquent celles des tailleur Chanel… C’est du vu et revu…

Les applaudissements sont polis…. On commence la soirée déjà passablement irrité…

[A SUIVRE]

1 commentaire

Classé dans Hier pour aujourd'hui, Humeurs d'abonnés, Retours de la Grande boutique

Les Balletos d’Or de la saison 2023-2024

Frémolle

Louis Frémolle par Gavarni. « Les petits mystères de l’Opéra ».

Il sont plus attendus, dans certains cercles nationaux comme internationaux, que les médailles d’or aux Jeux olympiques. Leur sélection est aussi secrète que celle des restaurants étoilés au guide Michelin. Et le sprint final aura été – presque – aussi tendu que les tractations en vue de la désignation d’une future tête de majorité parlementaire. Ce sont, ce sont – rrrrroulement de tambour – les Balletos d’Or de la saison 2023-2024!

*

 *                                      *

Ministère de la Création franche

Prix Création : le Boléro déstructuré d’Eyal Dadon (Hessisches Staatsballett. Le Temps d’Aimer la Danse).

Prix Recréation : Catarina ou la fille du bandit (Perrot/ Sergei Bobrov. Ballet de Varna)

Prix Navet : Marion Motin (The Last Call)

Prix Invention : Meryl Tankard (For Hedi, Ballet de Zurich)

Prix Jouissif : Les messieurs-majorettes de Queen A Man (Le Temps d’Aimer la Danse)

Prix Nécessaire : le Concours #4 des jeunes chorégraphes de Ballet (Biarritz)

Ministère de la Loge de Côté

Prix Je suis prête ! : Roxane Stojanov (Don Quichotte)

Prix Éternelle Oubliée : Héloïse Bourdon (au parfait dans Casse-Noisette, le Lac …)

Prix Intensité : Philippe Solano (le Chant de la Terre de Neumeier, Ballet du Capitole de Toulouse)

Prix J’ai du Style : Tiphaine Prevost (Suite en blanc, Ballet du Capitole de Toulouse)

Ministère de la Place sans visibilité

Prix de l’Inattendu : Marcelino Sambé et Francesca Hayward, Different Drummer (MacMillan, Royal Ballet)

Prix Ciselé : Chun-Wing Lam (La Pastorale de Casse-Noisette)

Prix Guirlande clignotante : Camille Bon (Off en Reine des Dryades / On en Reine des Willis)

Prix Voletant : Kayo Nakazato (La Sylphide, Ballet du Capitole de Toulouse)

Ministère de la Ménagerie de scène

Prix Biscottos : Mick Zeni (Zampano, La Strada, Sadler’s Wells)

Prix Félin élancé : Daniel Norgren-Jensen (Conrad, Ballet de Stockholm)

Prix Groucho bondissant : Arthus Raveau (Le Concert de Robbins)

Prix Souris de laboratoire : Léonore Baulac et ses poignants piétinements aux oreillers (Blaubart, Pina Bausch)

Prix Des Vacances : le petit âne (La Fille mal gardée) et la colombe (Les Forains), retirés des distributions à l’Opéra.

Ministère de la Natalité galopante

Prix Complicité : Inès McIntosh et Francesco Mura (Don Quichotte)

Prix Limpidité : Hohyun Kang et Pablo Legasa (Don Quichotte)

Prix Complémentarité : Bleuenn Battistoni et Marcelino Sambé font dialoguer deux écoles (La Fille mal gardée)

Prix Gémellité : Philippe Solano et Kleber Rebello (Le Chant de la Terre de Neumeier)

Prix Ça vibre et ça crépite : le couple Hannah O’Neill et Germain Louvet (ensemble de la saison)

Prix par Surprise : Sae Eun Park, émouvante aux bras de Germain Louvet (Giselle)

Ministère de la Collation d’Entracte

Prix Poivré : Bleuenn Battistoni et Thomas Docquir (In the Night de Robbins)

Prix Savoureux : Nancy Osbaldeston (La Ballerine dans le Concert de Robbins, Ballet du Capitole de Toulouse)

Prix Bourgeon : Hortense Millet-Maurin (Lise dans La Fille mal gardée)

Prix Fleur : Ines McIntosh (Clara dans Casse-Noisette)

Prix Fruit : Marine Ganio (Clara dans Casse-Noisette)

Prix – vé de dessert : Silvia Saint-Martin (Myrtha dans Giselle)

Ministère de la Couture et de l’Accessoire

Prix bariolé : la garde-robe dégenrée des gars de Car/Men (Chicos Mambo)

Prix poétique : Les Eléments et les Monstres de Yumé (Beaver Dam Company, Le Temps d’Aimer la Danse)

Prix Soulant Soulages : Yarin (Jon Maya et Andrés Marin, Le Temps d’Aimer la Danse)

Prix Ma Déco en Kit : Matali Crasset (Giselle, les décors et costumes. Ballet de l’Opéra national de Bordeaux)

Ministère de la Retraite qui sonne

Prix On aurait pu lui donner un Albrecht pour sa sortie : Audric Bezard

Prix « C’est qui ces gens bruyants de l’autre côté de la fosse ?» : Myriam Ould-Braham (les adieux).

Prix Musée d’Ontologie : L’exposition Noureev à la Bibliothèque Musée de l’Opéra

1 commentaire

Classé dans Blog-trotters (Ailleurs), Hier pour aujourd'hui, Humeurs d'abonnés, Retours de la Grande boutique

Le Lac des Cygnes à l’Opéra de Paris : princesses lointaines

P1220629En 1984, Rudolf Noureev a présenté sa version définitive du Lac des cygnes. Son premier essai, réussi, avait été créé à Vienne, en 1964 alors qu’il dansait lui-même le prince Siegfried aux côtés de sa partenaire de prédilection Margot Fonteyn. Sa version d’alors était très proche encore de la structure traditionnelle du ballet tel que représenté en Russie et, à l’époque, dans très peu de pays d’Europe de l’Ouest (le ballet de l’Opéra n’a eu sa première version du Lac qu’en 1960). Noureev y développait cependant le rôle du prince, en faisant un être aux prises avec les doutes. Il reprenait une variation qu’il avait déjà présentée à Londres avec le Royal Ballet et qui avait d’ailleurs été fort critiquée pour ses complications jugées maniérées. Pour l’acte trois, il créait un pas de deux hybride utilisant la musique de l’entrada, de la variation du cygne noir et la coda utilisées par Vladimir Bourmeister pour sa version du Lac mais gardait la musique traditionnelle pour la variation de Siegfried. A l’acte 4, il chorégraphiait un très bel ensemble choral pour les cygnes, un pas de deux d’adieux poignant pour Odette et Siegfried et rompait avec la tradition du dénouement heureux soviétique. La dernière image montrait Siegfried se noyant tandis que le cygne semblait flotter sur les eaux du lac en furie.

En 1984, Noureev poussait les états d’âmes du prince à un point sans doute jamais atteint alors pour une version classique. Selon le danseur et chorégraphe, Siegfried, à un moment charnière de sa vie, sommé de se marier par la reine sa mère, bascule lentement dans la folie. Dominé par Wolfgang, son précepteur, il le réincarne dans son esprit en oiseau maléfique, Rothbart, et s’invente une compagne aussi idéale qu’impossible, Odette, la reine des cygnes. Le ballet est traversé de références freudiennes à l’homosexualité. La palette des costumes des garçons des premier et troisième actes incluent le vieux rose et le parme. La danse des coupes, qui clôt l’acte 1 est uniquement dansée par des garçons. Le prince ne quitte jamais son palais minéral. Le lac est volontairement réduit à une pâle toile de fond. Noureev multiplie aussi les références aux conventions les plus éculées du théâtre comme pour mettre un peu plus en abyme l’histoire. L’envol de Rothbart et du cygne qui ouvre et conclut le ballet est directement inspiré des apothéoses baroques. Noureev, qui avait durant toute sa carrière à l’ouest combattu les conventions de la pantomime notamment dans le Lac des cygnes, décide de restaurer la pantomime originale de la première rencontre entre Odette et Siegfried comme pour créer une distance supplémentaire avec l’histoire. Cependant, on peut, à la différence d’un « Illusion comme le Lac des cygnes » de John Neumeier (1976), ignorer le sous-texte et regarder un Lac presque traditionnel.

Pourtant, lors de cette reprise 2024, jamais il ne m’a tant semblé que les cygnes étaient des visions nées de l’imagination enfiévrée du prince.

*

*                                    *

P1220511

Le Lac des cygnes. Valentine Colasante et Marc Moreau.

Au soir du 22 juin, Marc Moreau incarne véritablement son prince. Lui, si longtemps minéral, a travaillé sur le moelleux de la danse. Les pliés sont désormais profonds. Surtout, on admire ses bras et ses mains qui interrogent ou qui cherchent à atteindre. Cela fait merveille à l’acte deux avec le cygne noble, à la belle et longue ligne, de Valentine Colasante. Le dialogue par les mains de Siegfried dépasse la pantomime inscrite. Moreau reste en scène pendant toute la variation des envols contrariés d’Odette. Dans l’adage les deux danseurs semblent suspendre l’orchestre par leur danse réflexive.

A l’acte 3, la pantomime bien accentuée de Marc Moreau lui fait refuser les prétendantes avec énergie. Le pas de deux du cygne noir est bien enlevé. Valentine Colasante est sereine dans la puissance : dans l’adage, l’équilibre arabesque du cygne noir est véritablement suspendu et dans sa variation, elle exécute les tours attitudes de manière très rapide et les achève d’une manière très nette. Marc Moreau se laisse aller à sa tendance aux fins de variations démonstratives, un peu à la soviétique, mais comme il maîtrise parfaitement sa partition, on attribue cela à l’exaltation de Siegfried. Le tout est soutenu par la présence de Jack Gasztowtt, Wolfgang convaincant et Rothbart plein d’autorité même si on a toujours une petite pointe d’appréhension lorsqu’il exécute sa série de pirouettes en l’air. Le dénouement est très dramatique. Siegfried-Marc se parjure exactement sur le tutti de l’orchestre.

L’acte 4 est poignant. Le prince recherche fiévreusement son cygne au milieu des entrelacs élégiaques des cygnes agenouillés. L’adage des adieux est, avec ses oppositions de directions bien marquées et la suspension des deux partenaires, une vraie conversation dansée. Odette-Valentine y est à la fois noble et distante. Si bien que si l’on ressort très ému, c’est finalement plus par le destin brisé du prince que par la destinée tragique d’Odette.

*

*                                     *

P1220547

Le Lac des cygnes. Sae Eun Park (Odette/Odile) et Paul Marque (Siegfried).

Le 28 juin, on apprécie les beaux développés suspendus et des finis de pirouettes impeccables de Paul Marque à l’acte 1. Il dessine un prince très dubitatif face au Wolfgang marmoréen a force d’impassibilité de Pablo Legasa. Ce dernier parvient vraiment à imposer d’entrée une forme de présence menaçante. Lorsqu’il tourne autour de Siegfried, caressant de sa main le cou du prince à la fin de l’acte 1, on se demande vraiment s’il ne pense pas à l’égorger.

A l’acte 2, Sae Eun Park fait de jolies choses. La ligne est belle. Dans la variation des ailes coupées, le dernier posé piqué semble s’affoler ce qui donne du relief à l’ensemble de cette section. Elle ne regarde jamais vraiment son partenaire comme absorbée par son monologue intérieur.

Pour l’acte 3, Paul Marque est un Siegfried valeureux qui mange l’espace pendant la coda. Sae Eun Park présente un cygne noir plein d’autorité avec cependant un certain relâché bienvenu car inhabituel chez cette danseuse. Les tours fouettés de la coda sont très rapides et hypnotiques. Pablo Legasa est lui aussi dans l’extrême prestesse d’exécution. Cette forme d’urgence sied bien au quatrième acte et contraste heureusement avec l’ambiance brumeuse et tragique de l’acte 4.

Néanmoins, si l’adage final entre les deux étoiles est très harmonieux et poétique visuellement, l’Odette déjà absente de mademoiselle Park, pour conforme qu’elle soit à la vision de Noureev, nous émeut moins. En revanche, le combat final de Siegfried-Paul avec l’implacable Rothbart-Pablo, très « cravache », termine le ballet sur une note ascendante.

*

*                                    *

P1220588

Le Lac des cygnes. Thomas Docquir (Rothbart), Hannah O’Neill (Odette/Odile) et Germain Louvet (Siegfried).

Le 3 juillet, Germain Louvet est un prince à la ligne éminemment romantique. C’est un plaisir de voir tous ses atterrissages impeccables et les jambes qui continuent de s’étirer après l’arrivée en position. En Wolfgang, Thomas Docquir reste très impassible à l’acte 1. Il est difficile de déterminer si c’est un parti-pris dramatique ou le fait d’un manque d’expressivité.

A l’acte 2, Hannah O’Neill a de très belles lignes mais reste très lointaine, très « dans sa danse ». Les deux étoiles, dont l’accord des lignes nous avait déjà conquis lors de Don Quichotte en mars dernier, rendent la rencontre tangible lors d’un fort bel adage.

A l’acte trois, le pas de deux du cygne noir est bien mené même si l’entrada manque un tantinet d’abattage. Germain Louvet ne pique pas sur demi-pointe pour permettre une arabesque plus penchée à sa ballerine. C’est certes efficace, mais pourquoi danser la version Noureev si c’est pour servir la même cuisine vue ailleurs ? La salle nous semble un peu molle. C’est peu justifié au vu des variations : celle de Louvet est irréprochable et dans la sienne, O’Neill se montre très sûre dans ses tours attitude. Thomas Docquir, sans déployer le même charisme que Legasa, s’acquitte très bien de son très pyrotechnique solo. La coda, avec les fouettés du cygne noir et les tours à la seconde du prince, réveille néanmoins le public jusqu’ici atone.

A l’acte 4, Germain Louvet et Hannah O’Neill nous gratifient d’un bel adage réflexif. La ballerine, qu’on a trouvé jusqu’ici trop intériorisée, parvient même à être touchante lorsqu’elle mime « ici, je vais mourir ». On est néanmoins un peu triste de n’avoir pas plus adhéré au couple. On a l’étrange impression que Germain Louvet, faute d’avoir une Odette en face de lui, était le cygne ; une interprétation intellectuellement intéressante mais qui nous laisse émotionnellement sur le bord de la route.

*

*                                 *

P1220608

Le Lac des cygnes. Bleuenn Battistoni (Odette/Odile).

On attendait donc beaucoup de la soirée du 10 juillet. En effet, Hugo Marchand, qui devait initialement danser aux côtés de Dorothée Gilbert, était désormais distribué avec la toute nouvelle étoile Bleuenn Battistoni.

A l’acte 1, Marchand est un prince aux lignes parfaites, aux bras crémeux dans sa variation réflexive et aux entrelacés silencieux. Ce Siegfried n’est pas absent à la fête et interagit avec les courtisans. Ce pourrait être un parti pris intéressant si Florent Melac était plus ambivalent en Wolfgang. Dans le pas de deux qui clôt l’acte 1 et préfigure l’acte 4, Melac n’est rien de plus qu’un conseiller sérieux et écouté. A l’acte 2, Bleuenn Battistoni exprime tout par le corps et garde un visage assez impassible. Les arabesques sont étirées à l’infini, le buste semble flotter au-dessus de la corolle du tutu, le cou est mobile, les bras sont sobres mais d’une grande délicatesse. Tous les ingrédients sont là pour créer une grande Odette. L’adage avec Siegfried est un plaisir des yeux tant les longues lignes des deux danseurs s’accordent. De plus, Hugo Marchand est un prince qui réagit au récit d’Odette pendant toute sa variation plaintive. Pour le final, Marchand enserre délicatement le cou de sa partenaire comme si elle avait déjà repris sa condition animale.

A l’acte 3, pour le pas de deux du cygne noir, les critères techniques sont largement atteints. Battistoni, toujours dans la stratégie du less is more en termes d’interprétation, fait preuve d’une grande autorité technique. Sa variation avec double attitude est immaculée. Hugo Marchand a des grands jetés suspendus et des réceptions moelleuses. Florent Melac exécute une bonne variation de Rothbart même si son personnage manque toujours un peu de relief. On s’étonne cependant un peu de rester sur des considérations purement techniques. Adhère-t-on vraiment à l’histoire ?

A l’acte 4, on apprécie le bel adage des adieux entre Odette et Siegfried : les lignes sont parfaites et les décentrés suspendus. On reste néanmoins un peu à l’extérieur du drame. Mais juste avant la dernière confrontation entre Siegfried et Rothbart, Odette-Bleuenn a un éclair dans le regard quand elle tend désespérément son aile vers Siegfried. C’est sur ce genre de fulgurance que la jeune et talentueuse ballerine devra travailler lors de la prochaine reprise afin de se mettre au niveau d’interprétation d’un partenaire tel qu’Hugo Marchand.

*

*                                     *

On était un peu triste, au bout de quatre représentations, de ne pas avoir été emporté par un cygne. D’autant qu’il y a des motifs de réjouissance du côté des solistes et du corps de ballet. Ce dernier, malgré un temps relativement court de répétition, se montre presque au parfait. La grande valse du premier acte, avec ses redoutables départs de mouvement en canon, est tous les soirs tirée au cordeau. La polonaise des garçons est digne de la discipline d’un ballet féminin. Les danses de caractères de l’acte 3 sont fort bien réglées. Dans la napolitaine, on a un petit faible pour le couple que forment Nikolaus Tudorin et Pauline Verdusen (qui fait ses adieux sur cette série), très primesautier, mais Hortense Millet-Maurin (également tous les soirs dans un quatuor de petits cygnes extrêmement bien réglé) et Manuel Garrido ont le charme et la fraicheur de la jeunesse. On est également rassuré de voir balayer le souvenir mitigé des pas de trois de la dernière reprise qui s’étaient avérés souvent mal assortis et avaient mis en lumière une certaine faiblesse chez les garçons. Pour cette mouture 2024, on trouve le plus souvent sujet à réjouissance. Les 22 juin, Ines McIntosh est très légère et délicate dans la première variation. Silvia Saint Martin est tolérable et Nicola di Vico a de beaux doubles tours en l’air bien réceptionnés et un vrai parcours. Les 28 juin et 3 juillet, on assiste aussi à un pas de grande qualité avec un trio réunissant Andrea Sarri, condensé d’énergie et de ballon, Roxane Stojanov enjouée et légère et Héloïse Bourdon alliant moelleux et élégance. Le 10 juillet, Camille Bon se montre élégante et déliée et Hoyhun Kang très légère. Antonio Conforti, partenaire sûr comme à son habitude, délivre une variation irréprochable et d’un bel abattage. Il prend même le temps de saluer le prince tandis qu’il accomplit ses exercices pyrotechniques. Enfin, le 12 juillet, le trio réunissant Mathieu Contat, Bianca Scudamore et Clara Mousseigne ne manque pas de talent. Contat fait un beau manège de coupé jeté, Scudamore est d’une grande légèreté dans la seconde variation mais Mousseigne, toujours trop démonstrative, se met parfois hors de la musique pour montrer ses atouts techniques…

*

*                                        *

P1220639

Le Lac des cygnes. Héloïse Bourdon (Odette/Odile) et Jeremy-Loup Quer (Siegfried).

Le 12 juillet… Il aura fallu attendre le 12 juillet pour que je sois ému par une Odette. Enfin un cygne de cœur, de chair et de sang ! Héloïse Bourdon, désormais une habituée du rôle, vient magnifier de tout son métier la maîtrise souveraine de la technique noureevienne. Les ports de bras sont crémeux ; l’arabesque haute de même que les développés (la variation) ; les ralentis contrôlés. Mais surtout, mais enfin, il se dégage de cette Odette une humanité, une sensibilité qui passe par-delà la rampe. Cette Odette regarde son Siegfried de ses yeux mais aussi… de son dos (adage). Pour que le parti-pris du « rêve du Prince » développé par Noureev fonctionne, il faut que le mirage de la femme sensible et idéale soit plus vrai que nature et non désincarné. La quasi perfection des cygnes du corps de ballet, à la fois disciplinés et vibrants (on regrette un vilain décalage de lignes côté jardin sur le triangle saillant à l’acte 4) reçoit enfin le couple qu’il mérite. En Siegfried, Jeremy-Loup Quer présente une belle danse noble et musicale sans aucun accroc. Ses intentions sont bonnes (la façon dont il réalise que son arbalète effraie le cygne) même si sa projection est encore intermittente. On salue le progrès accompli par cet artiste. En Rothbart, Enzo Saugar doit en revanche trouver l’équilibre entre sa technique, qui est très impressionnante, et son interprétation, qui est assez pâle.

On se laisse porter, comme le reste de la salle, très enthousiaste de bout en bout, par le couple Bourdon-Quer. Le cygne noir de Bourdon est serein dans la puissance, et le prince de Quer exalté et bondissant. Les adieux à l’acte 4 sont déchirants.

Disparaissant dans l’océan de fumigènes tandis que Rothbart emporte la princesse définitivement métamorphosée, on est profondément ému par la façon dont la main du prince semble surnager avant de disparaître à nouveau comme engloutie par le Lac.

L’émotion, enfin !

P1220631

4 Commentaires

Classé dans Hier pour aujourd'hui, Retours de la Grande boutique

Giselle : les lys et les marguerites

P1200348

Giselle. Saluts

Lorsqu’on assiste à de multiples représentations d’un même ballet, il y a nécessairement des distributions qu’on attend plus que d’autres. La politique qu’avait annoncée José Martinez lors de son arrivée à la tête du ballet de l’Opéra d’annoncer très à l’avance les distributions des principaux a déjà fait long feu. Pour Giselle et pour Le Lac, on en est donc est revenu au bon vieux, « choisis tes dates au pif et allume un cierge sur l’autel de Terpsichore ». Pour éviter les doublons, j’ai opté pour la solution de prendre deux soirées de suite. Les seules dates a priori fixes de cette série étaient les adieux de Myriam Ould-Braham, le 18 mai et les soirées de l’invitée du Royal Ballet, Marianela Nuñez, les 25 et 27mai.

*

 *                                              *

La veille des Adieux, j’ai donc écopé d’une Giselle avec Sae Eun Park, l’une des danseuses que je prise le moins dans la compagnie. J’ai voué aux gémonies la muse à cothurne mais, comme j’ai pour principe de toujours laisser une chance aux artistes, je me suis rendu, la mort dans l’âme, à cette soirée du 17.

Et ce fut une excellente surprise. J’avais bien remarqué en début de saison une certaine fluidité et une légèreté lors des portés inhabituelles chez la danseuse sur les soirées Robbins mais j’ai néanmoins été vraiment pris au dépourvu d’assister et de vivre une authentique Giselle avec elle.

Sae Eun Park réussit parfaitement son premier acte. L’énergie est primesautière et tous les placements délicats. Elle incarne une Giselle enjoué que la maladie semble cueillir par surprise : joli détail du malaise, elle semble peiner à rejoindre le groupe des paysans dans la figure en étoile qui clôt le passage. Sa pantomime est limpide. Sa Giselle refuse l’amour d’Hilarion (Cyril Mitilian, très véhément) avec fermeté et simplicité. Cet Hilarion, un peu fruste dans sa sincérité, contraste bien avec l’Albrecht de Germain Louvet, très prince en goguette au début de l’acte.

On se laisse porter par la narration des deux artistes. Park et Louvet installent en effet une atmosphère d’aimable badinage, de joie sans partage, qui tirerait presque ce premier acte vers La Fille mal gardée. Le pas de deux des vendangeurs est bien défendu par Luna Peigné, précise et délicate, et par Aurélien Gay. Le danseur n’est pas ébouriffant de ligne (l’arabesque est courte et le cou encore un peu dans les épaules) mais comme il est agréable, par les temps qui courent, de ne pas avoir à retenir son souffle quand un danseur fait un double tour en l’air !

Sae Eun Park, qu’on trouve habituellement trop prosaïque dans les passages techniques, réalise une jolie diagonale sur pointe avec une légèreté d’exécution qui en fait un moment de bonheur sans nuage avant que l’orage n’éclate.

La scène de la folie n’en est que plus prenante dans son côté disruptif. Tout y est. Giselle – Sae Eun sait rendre la scène de la marguerite touchante.

Satisfait, on ne baisse pas tout à fait la garde. Mademoiselle Park peut se parfois se rendre réfrigérante dans les ballets blancs et il faut avouer que, lorsqu’elle sort de la tombe, elle nous cueille un peu à froid. Sylvia Saint-Martin, la reine de Willis de cette soirée y a pourvu : les bras raides et les mains en battoir, le ballon en berne, elle ne dégageait aucune autorité dans la scène d’ouverture.

Le tourbillon de résurrection de la ballerine a une forme de prestesse qu’on craint de trouver pas assez poétique. Tout prend sens lorsque Albrecht-Germain, qui lui-même danse très bas de jambe, très ciselé, entre en scène. Il y a une forme d’urgence chez ce couple qui sait pourtant aussi nous gratifier d’instants suspendus. Albrecht, qui a réalisé son amour sur le tard pendant la scène de la Folie, est un amant éploré très ardent et romantique. L’adage avec Park est mousseux et leur pose finale est aérienne. Les portés salvateurs après la série des entrechats-six sont très beaux, à la fois taquetés (les sautillés arabesques) et ballonés (les portés). L’Albrecht de Germain Louvet est héroïque dans sa variation jusque dans sa chute. Par contraste, la scène d’adieu est très émouvante et mélancolique. Albrecht, qui remporte ses lys, les serre au point de les écraser.

Une soirée étonnamment satisfaisante pense-t-on en sortant de l’Opéra.

P1200388

Sae Eun Park (Giselle) et Germain Louvet (Albrecht)

*

 *                                              *

 

Le 22 mai (toute ressemblance avec l’article à double distribution de James est absolument fortuite), j’attendais beaucoup de la prise de rôle d’Inès McIntosh. Allais-je être désappointé en raison d’un trop-plein d’attente ?

La très jeune artiste dessine une Giselle somme toute très classique. Si la regrettée Ould-Braham évoquait au premier acte la solaire Grisi, créatrice du rôle, McIntosh a choisi l’approche de la consomptive à la Olga Spessitseva, délicate, un peu inquiète face à l’empressement de son Albrecht-Loys, un Andrea Sarri tout feu tout charme : McIntosh semble presque effrayée par le serment d’amour que lui fait Sarri. Mais le badinage amoureux sait aussi jouer sur des tonalités plus légères : on aime particulièrement le moment où Giselle en arabesque échappe à son prétendant qui pense l’avoir conquise. Très précise techniquement, Inès McIntosh réalise une diagonale sur pointes très bien maîtrisée. Les tours attitude-piqués arabesque sont sereins et les sauts sur pointe faciles. Quelle belle jeunesse ! Pour le pas de deux des vendangeurs, Elisabeth Partington maîtrise avec élégance les ralentis romantiques. Son partenaire Lorenzo Lelli a de jolies lignes, une belle batterie et de l’abattage même si on retrouve toujours cette faiblesse actuelle chez les danseurs masculins de l’Opéra dans la conclusion  de leurs variations (pirouettes ou tours en l’air).

On baigne dans une atmosphère d’insouciance qui n’est pas brisée immédiatement par la révélation d’Hilarion. Giselle-Inès se montre d’abord incrédule avant de montrer la montée des doutes : une approche dont il faut saluer la subtilité quand on considère la jeunesse de la danseuse. Par la suite, la scène des réminiscences est très émouvante. McIntosh accentue les oui et les non de la marguerite fantôme avec un sens consommé de la scène. Ses rires au nerveux moment du jeu avec l’épée sont très frappants. Andrea Sarri, très présent, même lorsqu’il se tient immobile, le visage très expressif, est l’image même du désarroi. Lorsque sa fiancée s’effondre, sa colère explosive face à Hilarion montre combien le héros était sincère dans son attachement au-delà de la supercherie.

P1220428

Camille Bon (Myrtha)

A l’acte 2, on apprécie la Myrtha de Camille Bon, très régalienne avec sa belle ligne d’arabesque retrouvée et sa coordination de mouvements après sa contre-performance en Reine des dryades sur Don Quichotte. Ses lignes sont étirées à l’infini, son port est noble sans raideur. La tête de la danseuse reste mobile sur le cou même lorsqu’elle exécute les sautillés arabesque sur pointe. Elle joue de son sceptre de manière musicale lorsqu’elle rappelle Giselle de la tombe. On reconnaît incontestablement une reine des Willis.

En spectre, Inès McIntosh est admirable par ses lignes et son phrasé. Dans ses piqués arabesque, très suspendus, elle présente un dos vibrant. Sa Giselle a un petit côté Madone. Cela convient bien à l’Albrecht de Sarri, veuf ardent, qui poursuit sa ballerine comme un chevalier qui partirait à la quête du graal.

Tout est parfaitement réglé dans le partenariat. Les portés sont aériens. Giselle-Inès délivre une variation qui défie l’apesanteur par l’alliance de ses lignes très étirées et d’un solide ancrage dans le sol. Albrecht-Andrea impressionne lors de ses entrechats six car il met l’accent sur le bras, s’élevant petit à petit comme pour nous donner la mesure de l’épuisement du héros. Le jeune danseur talentueux est désormais un artiste accompli. Comme Paul Marque, Andrea Sarri est lui aussi un prince à Marguerites qui restera sans doute inconsolable.

On ressort de cette soirée au Palais Garnier avec l’espoir de lendemains qui chantent.

P1220429

Ines McIntosh (Giselle) et Andrea Sarri (Albrecht)

3 Commentaires

Classé dans Retours de la Grande boutique

Giselle: cœurs croisés

img_20240517_0719211734828981127614567Peut-il y avoir plusieurs Giselle ? Assurément. Chacun a sa petite idée sur l’incarnation idéale. Comme tout le monde, j’ai des préférences, des attentes, mais pas de modèle unique : au fil de ma carrière de spectateur, j’ai été ému par des interprètes très différentes. Et puis il y a l’imprévu de l’expérience scénique.

J’étais persuadé que Bleuenn Battistoni serait un enchantement ; pourtant, son premier acte m’a laissé plutôt froid. À quoi cela tient-il ? Peut-être était-ce le stress de la prise de rôle, mais au soir du 4 mai, j’ai trouvé un peu fade son incarnation en jeune paysanne ; au premier abord, j’ai aimé la réserve de la jeune danseuse – avec des bras précis et un rien précieux, comme échappés d’une miniature de porcelaine Bournonville, et des petites pointes d’épaule presque en avant. Puis, au fil du premier acte, sa Giselle m’a pas paru un poil trop altière, et pas assez variée dans l’expression. Rien à redire sur la danse (abstraction faite d’un double-tour attitude finissant trop piétiné, et d’une discrète reprise d’équilibre lors de la diagonale de sautillés sur pointe) ; mais rien qui soulèverait l’enthousiasme non plus : peut-être était-ce un tour de chauffe pour la ballerine, et peut-être en attendais-je trop.

À l’inverse, je n’espérais rien de la Giselle de Sae Eun Park (en remplacement de Dorothée Gilbert), et je me suis surpris à la trouver « pas si pire », comme disent les Québécois (soirée du 13 mai) : la danseuse est très crédible en très jeune fille primesautière, et a manifestement travaillé la pantomime, plus lisible et variée que par le passé. Et même la raideur dans le haut du corps, marque de fabrique de la danseuse, ne m’a pas gêné outre mesure au premier acte : le charme est en berne, mais une lecture en deux dimensions du personnage est possible ; après tout, cette jeune fille ballotée par la tromperie a un petit côté pantin. À telle enseigne que la scène de la folie m’émeut. Apercevant au loin Claude de Vulpian se faufiler en coulisses à l’entracte, je me dis que le coaching des Étoiles finira peut-être par payer.

img_20240517_0718028829871937934598435Mais au second acte, patatras ! Levant les bras sur l’injonction de Myrtha, la Giselle morte de Sae Eun Park exécute un mouvement militaire, tournoie comme une poupée mécanique et, levant trop la jambe, fait des sissonnes hors-style. Mlle Park a un joli temps de saut, mais elle en fait ostentation au lieu de mettre ses moyens au service du personnage (même Osipova, prototype de la ballerine excessive, sait rester dans l’esthétique du  rôle). Et la suite est à l’avenant : Guillaume Diop fait tout ce qu’il peut, nul élan amoureux n’anime la Giselle spectrale de Mlle Park, qui semble ne voir en son partenaire qu’un porteur ; dans l’adage de prière, il n’y aura de vaporeux que la jupe.

N’étant pas à un croisement d’opinion près, j’ai bien davantage adhéré à l’acte blanc de Mlle Battistoni qu’à sa Giselle vivante. La réserve sans froideur de la ballerine prend ici tout son sens, le partenariat avec Marc Moreau est fluide et complice : lors des portés de l’adage, le mouvement donne l’impression de s’étirer comme l’archet du violon. Ces deux-là nous offrent leur dernière danse : il y a la présence-absence de la ballerine, le regret d’un côté et le pardon de l’autre, et, palpable, le désir de ne pas se quitter, aiguisé par la conscience qu’il le faudra bien.

Et Albrecht dans tout ça ? Marc Moreau fait le job presque sans faute : les rôles nobles lui vont comme un gant. Guillaume Diop danse avec élégance et panache (avec toujours des lignes qui semblent ne jamais finir) ; tous deux font de très émouvantes séries d’entrechats six – je dis émouvantes et non spectaculaires, parce que c’est la progression visible vers l’épuisement physique et moral du personnage qui fait le prix de ce moment, et qu’ils réussissent.

Lors de la soirée du 13 mai, on se console comme on peut grâce à la présence d’Héloïse Bourdon en Myrtha (la première danseuse interprète le rôle avec une autorité sans sécheresse). Et, hasard des distributions, on voit deux fois, et avec plaisir, Hortense Millet-Maurin et Nicola Di Vico dans le pas de deux des paysans : l’adage leur réussit pleinement (ils prennent le temps d’habiter la musique, et elle a une charmante manière de ciseler ses poses), et la rapidité ne les prend pas en défaut (sauf pour lui, un peu trop en avance sur le temps lors des sauts de la coda).

1 commentaire

Classé dans Retours de la Grande boutique

Casse-Noisette: encore et toujours

P1190957

Dorothée Gilbert (Clara) et Guillaume Diop (Drosselmeyer/Le Prince).

On ne voit jamais la même chose. À l’occasion de cette reprise de Casse-Noisette, je m’aperçois, pour la première fois, de la noirceur du premier tableau : les huit patineurs de balancent de sonores torgnoles, enlèvent trois donzelles qui passent dans la rue, et se battent en meute contre Drosselmeyer ; les parents ne veulent pas acheter de marrons chauds à leurs enfants ni donner la pièce au joueur d’orgue de barbarie. L’intérieur de la maison est moins anxiogène, du moins en apparence. Tout de même, Fritz brise le Casse-Noisette de Clara, et les adultes en uniforme (la moquerie est genrée, si je ne m’abuse) raillent l’affection de Clara pour son nouveau jouet. Certaines séquences de la fête trouvent son écho dans le cauchemar qui suit : agglutinés autour de Clara, les enfants lui arrachent brutalement son déguisement de poupée mécanique, préfigurant la séquence où les rats la dépouillent de sa robe bleue (enlevant, ainsi, une couche de plus). D’autres enchaînements entre la réalité et le songe sont plus distendus : les garçons singent avec cruauté l’arthrose et la sénilité des deux grands parents (acte I), mais quand on retrouve ces derniers lors de la danse arabe (acte II), la séquence évoque davantage la pingrerie et l’inégale répartition des aliments entre les convives.

On n’est jamais blasé. Même platement jouée, la musique de Tchaïkovski m’émeut toujours, et le moment magique où le petit hussard Casse-Noisette est remplacé par le prince, épée au vent en 5e parfaite, réveille à tout coup mon côté fleur bleue (oui, Maman, je veux le même pour Noël). Quand, en plus, les protagonistes sont à l’unisson, comme le sont Guillaume Diop et Dorothée Gilbert, mon petit cœur fond. Clara a trouvé son âme-sœur : mêmes longues lignes, même musicalité, même facilité dans l’arabesque et dans la petite batterie. C’est donc bien un rêve, et pourtant on le voit… (16 décembre). Chacun des deux interprètes brille dans sa partie – au royaume des neiges, Damoiseau Diop a le manège éblouissant, lors de sa variation de bal, Mlle Gilbert a un calme souverain dans le battement raccourci -, mais c’est la qualité du partenariat – enthousiasmante synchronicité, grisantes accélérations dans les tours – entre les deux protagonistes qui retient l’attention. On ne peut pas en dire autant de la connexion entre Germain Louvet et Sae Eun Park : sans doute desservis par un temps de préparation plus court (Mlle Park remplace Myriam Ould-Braham), les deux danseurs ont parfois des décalages, mineurs, mais qui font sortir du rêve. Et puis, chacun des deux retrouve ses penchants : il y a toujours un moment où Louvet donne l’impression de danser pour lui seul (alors qu’il y a neuf ans son partenariat avec Léonor Baulac était charmant), et où Park reprend des bras mécaniques et s’absente du rôle (22 décembre). Un défaut que n’a pas Héloïse Bourdon : pour sa seule représentation la première danseuse régale de bras liquides et fait preuve d’une présence de tous les instants. Et le partenariat avec Thomas Docquir, sans être techniquement époustouflant, convainc par sa fluidité (matinée du 1er janvier).

P1200052

Héloïse Bourdon (Clara) et Thomas Docquir (Drosselmeyer/Le Prince).

Il y a toujours quelque chose à aimer dans les rôles secondaires. Dans la danse arabe, Roxane Stojanov et Jérémy-Loup Quer ébahissent par la pureté des lignes et tirent leur partenariat vers l’abstraction (16 décembre) ; Camille Bon, que ce soit avec Sébastien Bertaud (22 décembre) ou Florimond Lorieux (1er janvier), sont plus incarnés et du coup plus sensuels et vivants (Bertaud a des piétinés très réussis). Sans se départir de l’élégance, Chun-Wing Lam et Ambre Chiarcosso confèrent à la danse espagnole un petit côté surjoué, c’est léger et ravissant (1er janvier). Le danseur originaire de Hong Kong se montre aussi remarquable de précision dans la pastorale, composant un trio de style avec Inès McIntosh et Marine Ganio (16 décembre). C’est lui aussi qui, habillé en petit hussard, rejoint Clara à la fin de l’acte I, alors qu’on attendait Germain Louvet (on a cru à un instant à un forfait pour blessure ; 22 décembre). En attendant de plus grands rôles ?

Commentaires fermés sur Casse-Noisette: encore et toujours

Classé dans Retours de la Grande boutique

Robbins à l’Opéra 2/3 : In the Night. Mes nuits sont meilleures que les vôtres

P1190753

In the Night. Saluts. Soirée du 26 octobre 2023.

Le programme Robbins au ballet de l’Opéra de Paris s’est achevé le vendredi 10 novembre. En Sol (1975), In the Night (1971) et Le Concert (1956), des ballets faisant partie du répertoire récurent de l’Opéra, avaient déjà été réunis en 2008 lors de l’hommage au chorégraphe pour les dix ans de sa disparition. Ils étaient alors associés à Triade, une pièce de l’étoile montante de l’époque, aujourd’hui déchue dans la grande boutique : Benjamin Millepied.

Vos serviteurs ont vu quatre soirées de ce programme. Ils ont décidé de consacrer un article par ballet.

*

*                                  *

cléopold2

Cléopold. Soirées des 26 octobre et 1er novembre.

In The Night est également un élément du répertoire solide de l’Opéra de ces trente dernières années. L’entrée au répertoire de ce chef d’œuvre, en 1989, a d’ailleurs marqué le début d’une lune de miel entre la maison et le chorégraphe qui ne s’est achevée qu’à la mort de celui-ci.

Pendant longtemps, l’essentiel de la distribution de la première parisienne a repris ses rôles dans les trois pas de deux qui constituent le ballet.

Ce qui a sans doute attiré Robbins dans cette génération de danseurs, c’était sans doute la ductilité infinie de leur technique. Avec In The Night version Opéra de Paris, on voyait une danse plus abstraite que ce que pouvaient présenter d’autres compagnies.

Pourtant, le drame n’était pas absent, loin s’en faut de l’interprétation parisienne d’antan. Dans le premier pas de deux, Monique Loudières avec Jean-yves Lormeau ou Manuel Legris, silencieux et sans poids, découpaient comme au laser les positions de la subreptice confrontation des jeunes amants. Le porté au fouetté double attitude de la danseuse, le face à face « toréador » des deux tendrons (chacun souffre mais dans sa bulle) recentraient l’attention sur le drame suggéré par la musique de Chopin.

Il en était de même dans le deuxième pas de deux. Elisabeth Platel aux bras de Laurent Hilaire, parfaits d’élégance aristocratique (j’ai encore dans l’oreille le bruit sourd de la pointe posée en quatrième derrière) donnait à la section des doutes une dynamique presque violente. Les ports de bras d’après les pirouettes sur pointe de la danseuse étaient aussi claquants qu’un reproche cinglant. Le porté tête en bas, très haut porté, contrastait tout à coup avec les petits frappés sur le coup de pied qui ne s’arrêtaient pas lorsque la ballerine regagnait le sol dans une position plus naturelle. On avait assisté à une explosion longtemps contenue sous le vernis des bonnes manières. Cette explosion de passion, répondant à l’affolement pianistique, préparait le troisième pas de deux pour Isabelle Guérin aux bras de Wilfried Romoli (qui remplaçait Jean Guizerix qui avait créé le pas de deux à la toute fin de sa carrière) et son tourbillon d’entrées et de sorties intempestives et son festival de portés aériens.

Combien de fois ai-je vu cette distribution ? Deux fois peut-être… Elle a pourtant inscrit dans le marbre mon ressenti d’In the Night sans m’empêcher d’apprécier les qualités d’autres distributions. Par la suite, Laurent Hilaire est passé du deuxième au troisième pas de deux aux côtés de Guerin, Platel a dansé avec Kader Belarbi puis avec Nicolas Le Riche (avec moins de succès. Leriche était un partenaire plus efficace que subtil). Delphine Moussin m’a également ému dans le deuxième et le troisième pas de deux ; et Carole Arbo dans le deuxième, si élégante et vibrante à la fois…

img_7701-1

Programme de l’opéra des années 90. La distribution d’origine d’In the Night. Photographies Jacques Moati (Loudières-Lormeau / Platel-Hilaire) et Rodolphe Torette (Guerin-Guizerix).

*                               *

Pour cette reprise 2023, force m’est de reconnaître que rien ne restera inscrit dans mes tablettes de manière indélébile. L’abstraction musicale n’était pas toujours au rendez-vous mais surtout, la plupart des couples de mes deux soirées auront manqué cruellement de « drame ».

Dans le premier pas de deux, le soir du 26, on retrouve la forme voulue par Robbins. Sae Eun Park développe une appréciable immatérialité (elle qu’on trouve en général pesante dans les portés) aux côtés de l’excellent partenaire qu’est Paul Marque. Mais le fond n’y est pas. On admire le partenariat mais on ne voit pas nécessairement de connexion dans ce couple. Le 1er novembre, on apprécie le mal que se donne Sylvia Saint Martin pour arrondir ses angles. Sa danse est moins sèche que dernièrement. On aime chez Pablo Legasa la ligne princière, la délicatesse de la musicalité et la chaleur de l’interprétation. Mais sa partenaire, toute dédiée à la correction de la forme, n’y réagit pas tellement.

Le deuxième pas de deux est sans doute celui qui laisse le plus à désirer. Le 26, Ludmila Pagliero et Mathieu Ganio soulèvent quelques espoirs au début. « Là, tout n’est qu’ordre et beauté, luxe, calme et volupté », pense-t-on. Puis l’épisode des doutes est dansé exactement sur le même ton, avec les mêmes inflexions élégantes par les deux danseurs, vidant le pas de deux de toute sa tension. Le 1er novembre, c’est presque pire. Léonore Baulac et Germain Louvet récitent une leçon bien apprise. A aucun moment on n’imagine un couple qui a un vécu derrière lui et quelques nuages à dissiper. L’interprétation de la pianiste nous en semble encore plus plate que le premier soir, c’est tout dire…

Ceux qui s’en sortent le mieux lors de cette reprise, et auraient sans doute marqué davantage s’ils avaient été mieux entourés, sont les interprètes du troisième couple, d’emblée plus démonstratifs. Le 26 octobre, Amandine Albisson, merveilleuse femme blessée, et Audric Bezard, véhément contradicteur, se déchirent, se fuient et se retrouvent, relevant un ensemble sans cela fort terne. Lors de la matinée du 1er novembre, Hannah O’Neill est passionnée et musicale en face d’un Florent Melac dont la sensibilité émeut tandis qu’on apprécie ses qualités de partenaire.

Mais un pas de deux sur trois ne peut sauver un ballet. La section finale, où les trois couples se retrouvent sur scène, se jaugent pour revenir sur le passé ou envisager l’avenir, me laisse aussi froid qu’un amant au dernier stade du désamour.

*

*                                            *

Le soir de ces deux représentations auxquelles ils ont assisté ensemble, Fenella et Cléopold pensaient qu’ils n’étaient pas exactement toujours sur la même longueur d’onde; particulièrement sur les dames. Mais finalement …

Fenella

October 26

Pas One. Paul Marque’s body and soul reached out to his partner even as he had his back turned. Sae-Eun Park seemed softer, much less semaphoric, than up until now. Good! Better! Now it’s time for her to learn Marque’s art of avid partner echolocation and let herself lean back into it all.

Pas Two started out with a promisingly elegant entrance. But Mathieu Ganio started to zone out and then – was this due to the dreadfully gummy piano playing? – Ludmila Pagliero became utterly earthbound. When those thundering chords (didn’t) come crashing down, the couple simply continued to dance next to each other. Due to someone’s sluggish timing, Robbins’s chiselled and playfully dramatic shifts and lifts lost their surprise factor and the whole thing seemed to go nowhere. I pretty much missed that spectacular one where he sweeps her up, literally upside down. That should be a “whoosh goddamn wow how can that happen!” moment. Instead, Pagliero was carefully and too slowly hauled up into what was a rather approximate position. And then she got loaded back down onto the ground. To say it was anticlimactic is putting it mildly.

Pas Three, I put my notebook away, sensing that if Amandine Albisson and Audric Bezard were going to do it, I’d start to gush. I will now gush again as to how the un-promoted Premier danseur Bezard continues to dance and partner more like a magnetic movie star than most of the other male “étoiles.” Here was the connection, here was the drama, here was the human element that I had been waiting for all evening so far. Whether Bezard was wrapping his hands around Albisson either to pull her tight or push her away, his partner was equally in the moment, equally responsive to her lover’s body language. Film is twenty-four frames per second and here this was happening on stage. The manner in which he pulled a fraction of a second back when she gently laid her hands on him spoke for them both.

P1120393

In the Night. Costume féminin pour le premier pas de deux. Antony Dowell.

*                                  *

November 1

Pas One.

Pablo Legassa is yet another gentleman partner, stretching into the music and filling out each phrase as he hovers, with restrained and melodious desire, around his partner. This may sound weird, but I could almost hear Antonio Banderas’s rich and enveloping voice. But Sylvia Saint-Martin? She anticipated the music with a kind of spindly energy and her arms – her hands! – proved…crisp and kind of crinkly. Legassa concentrated so hard on this expressionless partner (she seemed to be saying “Please don’t take it personally, but I need look at the floor and not you because I want to look romantic”) that for me this misalliance became upsetting to watch.

Pas Two is about a couple who gently know each other all too well. Léonore Baulac and Germain Louvet certainly do, but that friendly studio feeling just doesn’t always, alas, necessarily carry out into the house either. As an onstage couple, this lack of “wow” has been the case before. They just don’t excite or inspire each other, even as they easily carry out all the steps and curves and lifts. Well, sort of. Louvet seemed to set Baulac off axis during almost all the turns. Well, at least the essential upside-down lift got timed right and was seen by the audience.

Pas Three. Here Hannah O’Neill seemed freed up and something happened between her and her both eager and bemused partner Florent Melac. “Ready, willing, and able,” he was up for anything that her nice but confused drama queen threw in his direction. Melac connects, he cares. Under the surface of all the wind-milling, O’Neill responded in kind. This was a real couple.

*

*                                             *

James a sans doute été plus heureux dans ses distributions qui, pour imparfaites qu’elles soient, donnent à penser. Enfin pas trop. On vous le répète, James est un homme pressé …

James

Des trois couples qui peuplent In the night, j’avoue une tendresse pour le premier : c’est le moment de la rencontre des planètes (le mouvement du tout début me fait toujours penser à l’évolution des corps célestes) et de la naissance miraculeuse de l’amour vrai. Myriam Ould-Braham et Paul Marquet tiennent en équilibre sur le balancier : leur danse est fraîche et juvénile, mais dégage aussi une sereine assurance, celle d’avoir rencontré l’être aimé (25 octobre). À l’inverse, Bianca Scudamore penche clairement vers la certitude : voilà une fiancée altière, qui (pro)mène déjà son promis à sa guise (Guillaume Diop, comme éteint en trophée-suiveur de la donzelle, 10 novembre).
Le deuxième couple fait mon envie : son unisson serein, à la limite du barbant, est presque trop bien rendu par Valentine Colasante et Marc Moreau (25 octobre), alors qu’Héloïse Bourdon et Audric Bezard laissent davantage voir les arêtes : à tous égards, ils font montre de davantage de caractère (10 novembre)
Le troisième couple, celui des doutes, m’est le plus émouvant. Dorothée Gilbert et Hugo Marchand l’interprètent fortissimo : on dirait Kitri et Basilio al borde del ataque de nervios (25 octobre). Bleuenn Battistoni et Thomas Docquir jouent une partition bien plus subtile : on y voit l’amour poivré d’agacement, la lassitude teintée d’espérance, ça reste sur le fil ; pour couronner le tout, le partenariat est à la fois équilibré et fougueux, avec des portés-enroulés-envolés d’une grande fluidité.

P1120392

In The Night (1971). Costume féminin du deuxième pas de deux.

Commentaires fermés sur Robbins à l’Opéra 2/3 : In the Night. Mes nuits sont meilleures que les vôtres

Classé dans Retours de la Grande boutique