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Programme « Racines » à l’Opéra : la forme et les formules

A l’Opéra de Paris, le programme Racines concocté par José Martinez se proposait de présenter trois ballets écrits pour la technique des pointes. L’an dernier, Sharon Eyal, qui devait créer avec cet accessoire central du ballet classique féminin, avait reculé devant l’obstacle. Ici, les trois œuvres répondaient donc bien au cahier des charges. La soirée proposait une reprise et deux entrées au répertoire : Thème et Variations s’y trouve depuis 1993. Corybantic Games de Christopher Wheeldon a été créé par le Royal Ballet en 2018 et Rhapsodies, par le chorégraphe Sud-africain Mthuthuzeli, est une très récente création pour le Ballet de Zurich, en 2024.

Le programme était bien pensé sur le papier. Qu’allait-il en être sur scène ?

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Theme & Variations.

La soirée s’ouvrait sur un des chef-d’œuvres du ballet néoclassique : Thème et Variations créé par George Balanchine en 1941 à l’American Ballet Theatre pour Alicia Alonso et Igor Youskevitch. L’eouvre appartient à la veine des ballets néo-pétersbourgeois du chorégraphe russe qui, au début du XXe siècle, avait participé aux derniers feux des ballets impériaux en exécutant des rôles d’enfant dans les grands ballets du tout juste défunt Petipa, notamment La Belle au bois dormant. Thème et Variations est d’ailleurs, comme d’autres ballets de Balanchine (Ballet Impérial, 1941, ou Diamants, 1967) une reconstruction amoureuse du ballet des ballets. Les théories des huit danseuses qui entrent en piétinés, main dans la main et servent de guirlande décorative aux développés équilibres de la ballerine, sont une citation assumée du septuor des fées du prologue. Les variations, extrêmement véloces, de la soliste de Thème ne sont pas sans rappeler les évolutions d’une fée Fleur de farine, Canari ou Violente. Les variations du soliste masculin reprennent en le condensant le répertoire de pas des rares variations de prince de La Belle. Le grand ballabile qui clôt le ballet est typique de la manière de Petipa.

Après une double et longue série de Belle au bois dormant la saison dernière, le ballet de l’Opéra s’est montré, les trois soirs où nous avons vu le ballet, tolérablement à la hauteur de sa réputation. Les demoiselles (en tutu bleu roi) étaient fort disciplinées tandis que les damoiseaux ont pu à l’occasion s’agenouiller en ligne sinusoïdale après leur grand jeté en tournant. Du quatuor de demi-solistes féminines, en bleu-layette, on aura préféré celui de la soirée du 7 novembre qui comptait dans ses rangs Claire Teisseyre et Nine Seropian. Les développés sur pointe avaient un petit côté jazzy qui rendait particulièrement hommage au style du plus américain des chorégraphes russes.

Les fortunes sont diverses chez les étoiles mais jamais inintéressantes. Le 18 octobre, Valentine Colasante se montre élégante : un joli travail des mains sans affectation et des épaulements bien dessinés. En revanche, elle finit sa première variation rapide bien avant l’orchestre, manquant donc son effet. Paul Marque  a un beau ballon. Ses jetés rebondis en attitude ou ses temps levés double ronds de jambe piqué arabesque sont parfaits. Pourtant, son aura de Leading man est en berne. C’est d’autant plus dommage que partenariat est fluide avec une pointe charnelle ajoutée par Colasante. Musicalement, ce passage n’est pas aidé par l’orchestre, le solo du premier violon est languissant sans être émouvant et l’orchestre, sous la baguette plan-plan du sempiternel Velö Pahn, joue les sédatifs. Ce défaut musical ne s’améliorera pas hélas avec les deux distributions suivantes.

Valentine Colasante et Paul Marque. Thèmes et Variations. 18/10/2025

Le 6 novembre, Roxane Stojanov interprétait le rôle de l’Etoile. La dernière nommée de l’Opéra a de jolies lignes et un joli phrasé. Ses gargouillades sur la première variation sont bien dessinées quand elles n’était pas le point fort de Colasante. Malheureusement elle manque successivement les pirouettes finales de ses deux variations, ternissant un tableau sans cela fort positif. On retient donc davantage son partenaire, Lorenzo Lelli, qui maitrise parfaitement sa partition et déploie le charisme qui manquait tant à Paul Marque. Lelli a un beau temps de saut. Il danse avec beaucoup de doigts, montrant que son mouvement va jusqu’aux extrémités du corps. L’arabesque en revanche pourrait s’allonger encore un peu, s’apparentant plus pour le moment à une attitude.

Le jour suivant on est enfin inconditionnellement conquis. Les premiers danseurs Inès McIntosh et Francesco Mura menaient avec maestria le corps de ballet. McIntosh, le bas de jambe ciselé, s’envole littéralement durant les gargouillades de la première variation. Ses épaulements à la fois précis et déliés séduisent car ils indiquent précisément des directions dans l’espace qui sortent du cadre pourtant large de la scène. Sa vitesse d’exécution dans les pirouettes ébaubit.

Francesco Mura, compact et explosif dans les sauts, la présence solaire, n’est pas sans évoquer Edward Villela, un grand interprète du rôle dans les années 70. Dans la série des doubles ronds de jambe les arabesques en piqué sont claires comme le cristal.

Dans l’adage, McIntosh à une qualité de distance-présence, très Farrellienne, qui nous donne envie de la voir dans le mystérieux et intime pas de deux de Diamants. Dans le Final pyrotechnique, le couple McIntosh-Mura peaufine l’arrêté-enchainé : les positions arabesques sont soulignées sans que jamais le flot du mouvement ne soit interrompu. Un bonheur !

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Rhapsodies.

La deuxième pièce, Rhapsodies, nous permet de découvrir un chorégraphe sud-africain inconnu de nous, Mthuthuzeli November. Le jeune chorégraphe, actif depuis le milieu des années 2010, propose une chorégraphie sur la célébrissime Rhapsody in Blue de Georges Guershwin pour piano et orchestre. La pièce, créée à Zurich en 2024, bénéficie d’une scénographie soignée de Magda Willi. Au début du ballet, une grande et profonde porte carrée éclairée en leds trône au centre de la scène. Actionnée par les danseurs, elle se difracte ensuite en plusieurs ouvertures qui redéfinissent l’espace et créent des effets-miroir assez malins. Déployées en forme de fleur, posées en arc de cercle, ces ouvertures sont surmontées d’un luminaire central (l’ex-cadre de la porte initiale), similaire à ceux qu’on trouverait dans une salle de billard mais qui aurait été repensé par un designer danois des sixties.

Rhapsodies de Mthuthuzeli November. Letizia Galloni et Yvon Demol

La gestuelle utilise d’amples ports de bras qui semblent entraîner les grands développés des jambes. La spirale est à l’honneur. Il y a des passages à genoux. Un premier couple ouvre le ballet, observé par un troisième larron avant que l’ensemble des danseurs, portant des costumes du quotidien à peine retouchés, n’apparaissent. Le 17 octobre et le 7 novembre, Letizia Galloni séduit par son énergie d’élastique tendu, prêt à vous claquer à la figure. Elle danse aux côtés d’Yvon Demol intense et athlétique. Le 6 novembre, Hohyun Kang fait montre d’une sinuosité plus végétale et exsude un parfum de sensualité qu’on aurait aimé trouver dans sa Myrtha, un tantinet monolithique, sur la scène de Garnier. Pablo Legasa, quant à lui, concurrence sa partenaire sur le terrain de la liane douée de vie. Sa souplesse, qui ferait pâlir d’envie une danseuse, est magnifiée par la force de son partenariat. Les oppositions et tensions du duo créent un phrasé palpitant.

Hohyun Kan et Pablo Legasa dans Rhapsodies de Mthuthuzeli November

Néanmoins, avec ces deux couples intéressants à leur manière, on reste un peu à l’extérieur. Tout d’abord, on ne comprend pas quelle histoire ils racontent. Leur connexion avec le corps de ballet qu’ils rejoignent entre deux passages solistes, reste obscure. Et on finit par se lasser de cette chorégraphie qui emploie tout le répertoire du classique sexy à l’américaine utilisé maintes fois à Broadway. La musicalité est calquée sur la musique : les mouvements de groupe se font sur les tutti d’orchestre et la phrase musicale semble paraphrasée. A l’occasion, certains mouvements tonitruants sont comiques. L’entrée des filles en piétinés sur pointe avec bras mécaniques ou le final où les garçons rejoignent les filles pour des piétinés sur demi-pointe n’est pas sans évoquer, l’humour en moins, la scène des papillons du concert de Robbins.

C’est plaisant, ça bouge, mais on a une impression de déjà-vu. Le programme annonçait que dans Rhapsodies, Nthuthuzeli November mêlait la danse de rue qu’il pratiquait enfant en Afrique du Sud et l’héritage de la danse classique. De rue, je n’ai décelé que la 42eme.

Ceci pose la question de l’intitulé de la soirée. Je pensais naïvement au début que Racines faisait référence au point commun de ces trois ballets : l’usage des pointes. Mais il semblerait que les racines en question étaient culturelles : la Russie pour Balanchine –connexion évidente dans Thème et Variations-, l’Afrique du Sud pour November –qu’on n’a pas été capable de déceler- et … la Grèce pour Christopher Wheeldon ?

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Corybantic Games.

C’est peut-être aller cherchez un peu loin les « Racines ». Certes, toute la culture occidentale peut se réclamer de la Grèce antique et le Ballet est sans conteste né d’un désir de retrouver les racines de la tragédie classique. Encore l’Empire romain était-il aussi convoqué comme origine de la pantomime noble. On pourrait retrouver un autre angle d’approche pour justifier le rattachement au thème de la soirée. Car pour ses rites corybantiques (des célébrations en l’honneur de la déesse castratrice Cybèle), Wheeldon a choisi la Serenade after Plato’s Symposium de Leonard Bernstein, une œuvre « à citations ».

En effet, Bernstein qui fut un compositeur novateur et rempli d’humour pour la comédie musicale (outre le célébrissime West Side Story, on pense à Candide qui fit entrer Voltaire sur la scène de Broadway) se voyait aussi en compositeur sérieux. Et dans ce domaine, hélas, sa muse était un tantinet constipée. Les œuvres symphoniques de Bernstein sont souvent ampoulées voire boursoufflées. Dans sa Sérénade platonicienne, il singe à tout-va les génies de son temps : il y a  un peu d’Hindemith, qui n’a lui-même pas toujours fait dans la dentelle, et beaucoup de Stravinski. Le dernier mouvement, tonitruant avec ses cloches, est embarrassant de grandiloquence.

Suivant jusqu’au bout son choix musical contestable, Christopher Wheeldon fabrique lui aussi une œuvre à citations. Il y a un soupçon d’Ashton dans les coquets costumes années 30 à harnais d’Erdan Morahoglu (on pense à Variations symphoniques mais pourquoi pas aussi La Chatte de Balanchine), une bonne dose de Robbins (celui d’Antique Epigraphs) dans le deuxième mouvement et beaucoup des Quatre Tempéraments de Balanchine (le dernier mouvement avec sa danseuse colérique qui évolue énergiquement au milieu de l’ensemble du corps de ballet et des solistes).

Ce jeu de collage lasse. Le ballet ne dure pourtant qu’une petite demi-heure… qui paraît une éternité.

Dans le Premier mouvement (lent) 2 garçons s’imbriquent l’un dans l’autre. Des positions bizarres, promenades-accroupissement sur demi-pointes, jambes en développés en dedans sont censés intriguer. Arrivent ensuite les filles. Bleuenn Battistoni  (le 18 octobre et le 6 novembre) montre ses belles lignes par des poses coquettes, très Art Déco, qu’on ne pardonne pas habituellement au style Lifar qui a le mérite, au moins, d’être d’époque. Le 7 novembre, Camille Bon, danseuse plutôt dans la veine sérieuse, force sa nature et rend le passage d’autant plus affecté.

Le deuxième mouvement commence par un solo pour une ballerine. Hohyun Kang tire ce qu’elle peut de ses précieux enchaînements qui la conduisent parfois au sol. Dans ce passage-citation d’Antique Epigraphs, c’est pourtant Claire Teisseyre qui retient notre attention le 7. Lorsqu’elle casse sa ligne très pure par des flexes des pieds ou des poignets, elle évoque presque une muse d’Apollon musagète de Balanchine. On reste néanmoins dans la citation.

Inès McIntosh et Jack Gasztowtt (les trois soirs) bénéficient ensuite d’un duo dynamique avec moult portés acrobatiques, y compris le dernier où la danseuse semble jetée dans la coulisse en double tour en l’air par son partenaire. Reconnaissons à ce mouvement le bénéfice de l’efficacité.

On ne peut en dire autant de l’adagio qui propose trois duos concomitants pour les solistes des mouvements précédents (deux femmes, deux hommes, un couple mixte) sans pour autant proposer de contrepoint par une énergie spécifique qu’ils déploieraient. Le décor arty, les lumières rasantes léchées nous bercent au point de nous faire piquer du nez.

Dans le dernier mouvement, néo-colérique, c’est Nine Seropian, par son alliance de pureté classique et d’énergie moderne qui nous convainc plus que Roxane Stojanov qui rend l’ensemble un peu trop fruité et minaudant.

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La critique peut paraître sévère. Christopher Wheeldon est assurément un chorégraphe chevronné. Aurais-je apprécié ce Corybantic Games si j’en étais aux prémices de  ma balletomanie ? Sans doute. La salle qui répond avec enthousiasme lors du baisser de rideau n’a pas à avoir honte de son plaisir. Simplement, on se dit qu’une fois encore, on se retrouve à ressasser des formules depuis longtemps éculées.

Faut-il pour autant abandonner la création néoclassique ? Certes pas. Balanchine lui-même, qui se voyait comme un cuisinier, disait qu’inspiré ou pas il fallait donner à manger à ses danseurs.  José Martinez a donc raison de continuer à commander des ballets contemporains pour justifier la continuation du difficile apprentissage des pointes. Peut-être qu’un jour ces racines de satin, de cuir et de carton feront éclore une fleur véritablement étrange et nouvelle comme à la fin des années 80 lorsque William Forsythe arriva pour sortir le ballet de son bégaiement post-balanchinien.

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« Racines » at the Paris Opera : How to Cook Roots

George Balanchine’s Theme and Variations, Mthuthuzeli November’s Rhapsodies, Christopher Wheeldon’s Corybantic Games.

October 17th and 18th, 2025, at the Opéra Bastille in Paris.

This new season the triple bills are advertised under teaser catch-all titles that make no sense whatsoever. The one I’ve seen twice in a row is entitled “Racines” [aka “Roots”]. Now, as far as the Paris Opera Ballet goes, what do Balanchine, November (a newcomer), and Wheeldon have to do with our “roots?” Tchaikovsky, Gershwin, Bernstein? Well, if you are an American, the latter two just might work as far as your roots go.

I walked in — and alas left — the Opera Bastille both evenings still unable to find the answer.  Came home rooted around the refrigerator, in search of comfort and inspiration. I know this sounds like what am I about to write will be pretty gnarly, but please bear with me.

Once I’m done, I’m going to finally look at the essays in the program book and see if that adds some enlightenment.

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Theme & Variations.

Zucchini Blossoms/ George Balanchine’s Theme and Variations (1947)

Have you ever planted zucchini in your garden? It just never stops sneakily extending its roots in all directions. By the end of the season you just cannot even look at even one more piece of your neighbor’s redundant zucchini bread. That’s Sleeping Beauty, tasty, but two long runs of it last season turned out to be more than filling.

Zucchini blossoms offer a delicate synecdoche for all that raw bounty. They are, in a sense, all the flavor concentrated into one juicy fried mouthful. Maybe this is one way to define how Theme and Variations distills Sleeping Beauty: the essence is there, minus the endless fairies.

Unfortunately, there are as many opinions out there about THE “authentic” way to dance Balanchine technique as there are recipes that do, or do not, include nutmeg. Ben Huys of THE Trusts (both Balanchine and Robbins!) was the invited coach. This ballet, despite its surprising construction – the ballerina barely gets to breathe during the first half and then mostly polonaises around for the rest – always turns out to be very tasty.

So let’s just enjoy the show and take a look at the dancers.

On October 17th, from the initial danced statement of the theme up to their deeply elegant réverances, both Bleuenn Battistoni and Thomas Docquir were still clearly inside their heads as Aurora and Désiré from last spring. And they continued to be that way, all the way through.  But, as the last time, there was just 1% missing. A dash of pepper. Battistoni reiterated the unemphatic grace of her first act Aurora: all about just the right uplift and épaulements and un-showy but oh-so centered rock-solid balances. But this performance could also use just one more pinch of spice.  Docquir, as he did last spring, concentrated on making his steps and jumps and batterie as scholastically perfect as possible. His performance wasn’t radiant. In princely roles, he seems to be fighting imposter syndrome. He rushed the music in partnering at times.

Honestly, this Theme was lovely, courtly, polished. The soft and precise landings into every pose at the end of a sequence literally pulled the audience in. I noticed that my neighbor kept leaning forward towards the stage each time, as if she had been swept up into 18th century courtesies, impelled to bow in return.

October 17th 2025. Bleuenn Battistoni & Thomas Docquir. Theme & Variations.

With Valentine Colasante and Paul Marque on October 18th, Theme felt looser and more fun. It was Beauty, but Act 3. Colasante luxuriated into the movements and teeny-weeny stretch-the-movement-out just enough beyond the axis to make a swish-swish seem new.  She danced big, fearlessly, and playfully dared to hover a microsecond too long. Both dancers caressed the air and the floor.  And there was something intriguing about the way Marque partnered: he seemed to catch her before the lifts, rather than on the way down, if that makes sense.

After the ballet, I thought about this very French concept of “la belle presentation.” Have you ever looked into a shop window in Paris where all the foodstuffs – from succulent to basic — are beautifully organized? Even bouquets of radishes are carefully placed in delicate patterns. Theme and Variations definitely suits our sense of l’art de vivre.

On both nights, I overheard complaints about the tiny corps on occasion not getting to their places and not lining up properly. Yes, yes, I did see it: one of the four girl soloists, and then especially when the male corps showed up. It’s not worth it to name names, as we have Giselle and a tour going on and are spread thin. Quite a few in the tutus and tights were newish to the stage. I find this critique particularly funny as Paris Opera Ballet is often accused of being too perfect from top to bottom.

As Balanchine would say, “who cares?”

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Rhapsodies. Magda Willi for Mthuthuzell November’s Rhapsodies.

Fennel and Endive /Mthuthuzeli November’s Rhapsodies (2024)

Who knows what to do with fennel or endives? Braise? Slice down in some direction and drench in lemon? No matter what, you have no answers. Maybe they just aren’t meant to be cooked.

Maybe Gershwin’s Rhapsody in Blue – by a composer who wrote pop music but wanted to be taken seriously – just isn’t meant to be used for a ballet?

Other choreographers have taken it on. In Paris, Odile Duboc did in 1999. It was insipid and has long gone into the dustbin.

Mthuthuzeli November’s take on the music has a lot more going for it. Or does it?

A clever set that leaves you puzzled, to start with.  The outlines of wooden door frames are highlighted by led lights. The frames are attached to each other and can be pulled out like accordions and wheeled around or reshaped into one square outline as clouds of dried ice float by. I thought of Olafur Eliasson’s “Inside the Horizon,” that unfolding series of slivered reflections at the Louis Vuitton Foundation. I began to recall the many times Jean Cocteau made characters walk through mirrors in his films. My seatmate – after we made a pact that we would both not put our noses into the program beforehand – concentrated hard and said she saw people trying to step away from their cellphones. A French friend had seen French windows.

So the set gets you from the get-go, even if your mind drifts back to how many choreographers have used moving sets to incite and inspire movement since the beginning of time…

And does the dance get your attention? It’s perfectly watchable, nicely thought out.

On the 17th in the lead couple Celia Drouy, sensual and rounded, was the charming girl next door. I’d love to see her in Dances at a Gathering. It was odd then, late in the piece, when she shoved away her partner, the cooly intense Axel Ibot. It seemed to come out of nowhere.

October 17th 2025. Rhapsodies.

The dance? Watchable and performed with energetic commitment by all. The cast was filled with skilled soloists who are only occasionally ever cast in big roles, such as Ibot (eye-catching here and equally focused the next night when he rejoined the corps) or Fabien Révillion (a delightful Colas long ago and a wrenching Lensky recently). I often watch for Isaac Lopes Gomes, cleanly and powerfully performing no matter what line he’s stuck in. Daniel Stokes. Juliette Hilaire. Charlotte Ranson…

Ah yes the dance. Forgot that one. Weight down but pulled up. A repeated group movement of squats in second thump forward while swaying side to side à la les drinking buddies in Prodigal Son. Open your arms to the sun and close them at varied speeds. Embracing the sky is common to almost all local world dances as well as yoga. Push and pull. As a young woman once said to me after she tried a baguette for the first time and did not want to seem ignorant: “I wasn’t amazed, but it was soft, it was crunchy, it was warm! It was soft and crunchy! Wasn’t it supposed to be soft and crunchy?”

On the 18th I think another layer got added to Rhapsodies. Letizia Galloni was laid back/avid, out-of-here/imperious, chiseled/pliant. She projected a mysterious anguish and tension which made you notice from the start that she was indeed pushing back at her partner, Yvon Demol. Even when Galloni yields, she holds something back.

Letizia Galloni is another one of those soloists whose career has switched on and off and on. Talented and eye-catching from the time she graduated the POB school, she scored La Fille Mal Gardée during the Millepied era about ten years ago. Then she faded into herself. Then disappeared. (At least here in a national company, you can go into hibernation without being fired).  But she popped up again last spring in Sleeping Beauty and offered the audience one of the loveliest Gold and Silvers I’ve seen in many a year: relaxed, imperious, generous, impeccable technically, with a sense of bounce and sweep that made us in the audience glad for her.

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October 17th 2025. Corybantic Games.

Turnips/ Christopher Wheeldon’s Corybantic Games (2018)

Un “navet” aka turnip is the French way to say “that was a real dud.” I could have called this ballet a turkey, but we being very svelte and are only going to eat veggies today.

This thing, created for The Royal Ballet in 2018, has no structure (dramatic or balletic), no core, and dithers endlessly along. My seatmate on the 17th called it “soporific.” I thought of nastier words but simply nodded. I seriously considered skipping it on the 18th. Once was more than enough.

The pretty costumes are white with black ribbons crisscrossed across the torso that then dangle down from the shoulders. During the second night’s curtain calls, I tried to see if there was some sense to the danglers. Seems like the more of a soloist you are, the more ribbons.

The pretentious music is by Leonard Bernstein whenever he windily demands to be taken seriously. I’d call it Bride of Agon. The choreography, equally self-infatuated, proffers up innumerable quotes from just about every ballet that had an Antique World-y theme to the point that you could use it as a quiz: Note down the minute and the second where this choreographer directly cites Nijinsky, Nijinska, Robbins, Balanchine, Taylor. From Faun(s) to Apollo to Antique Elegies, this whole ballet felt like some snarky schoolboy’s inside joke. Flexed heels and upside-downsies and, as my seatmate noted, a lot of great final poses that turn out to be just a hook for more of the same. The Third Movement pas de deux ends with the guy hurling the girl up and into the wings (to be caught). Just where have I seen that one before?

It just goes on and on. I am too tired to describe it. Only a few days later I stare at my scribbled notes and all images of actual movement have faded. The steps from scene to scene – indeed within one — never get individuated. I’m looking at the cast list, filled with up-and-coming and cherished dancers and it’s painful. People tried to shine, gave it their all, but.

In the last scene, a soloist turns up (Valentina Colasante on the 17th and Roxane Stojanov on the 18th). Clearly, she is supposed to mean something, but what? Yes, I did know who the Corybantes were and that their earth mother is the fertility goddess Cybele (pretentious me) but what I didn’t see was one drop of wild ecstatic energy — not even once! — during these long minutes (37 minutes says the program, felt at least twenty minutes longer).

So now I’m looking at the program notes. Oh! Games is about Plato’s Symposium and polyamory! A less sexy or sensual ballet you will never find. No one connects. Ever. It turns out that in the fourth movement, if you look closely, the three couples are a straight, a male, and a lesbian one. Ooh! Did I look for boobies at all while three pairs of soloists in low light diddled around before settling into lovely enlaced poses on the downstage lip like teddy bears going to beddy? Seriously? As a female, I should note that women of any kind had no legal status or interest at all to Ancient Greek life or thought. Plato didn’t give a flying…hoot… about women, gay or straight. Why didn’t Wheeldon just make a dance about men being men who then tolerate a female diva who shows up for the grand finale? A fun fact is that Cybele’s male followers often castrated themselves at the apex of their delirium. Come to think about it, I don’t think that would make for a great ballet either.

Bleuenn Battistoni & Roxane Stojanov, Corybantic Games.

As far as the title “Roots” goes, the program book insists that Wheeldon’s roots are in Greece. Seriously? He’s about as English as they come. As for Mthuthuzeli November,  the program talks less about his native origins and much more about his discovery of ballet. This program should have been entitled « Apples and Oranges with a Dried-Out Raisin on The Side. »

Could someone please pass the salt?

 

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Béjart à l’Opéra : une question d’interprètes

P1190185Dans les ballets de Maurice Béjart, il n’y a jamais eu, de l’aveu même du chorégraphe lui-même, grand-chose de novateur en termes de technique. Comme souvent, les grands moments de renouveau dans le monde du ballet ne se jouent pas sur le dépassement des limites physiques de cet art mais sur un nouvel éclairage ainsi que sur des métissages réussis. Balanchine a exploré et poussé à l’extrême le ballet symphonique déjà en germe dans la Belle au bois dormant de Tchaïkovski-Petipa tandis que Lifar poussait à ses limites les volutes décoratives des Ballets russes. Plus tard, Forsythe a ajouté la structure en boucle des enchaînements ainsi que des départs de mouvements inspirés de la kinésphère labanienne au vocabulaire du ballet.

Dans un sens, Béjart ne va même pas aussi loin que ces novateurs d’un art séculaire. Chez lui, ce sont les sujets abordés, les mises en éclairages de thèmes anciens, l’ancrage dans les thématiques du présent qui ont fasciné les foules. Ce principe a rencontré ses limites. Après les années 80, Maurice Béjart a perdu son flair de l’air du temps et ses créations sont devenues redondantes et fastidieuses. C’est l’époque où je suis devenu balletomane… Autant dire que le chorégraphe ne fait donc pas partie intégrante de mon panthéon chorégraphique.

Pourtant, à la différence de l’œuvre de Lifar qui est « d’une époque » dans le sens noble du terme, certains ballets de Béjart ont acquis une sorte d’intemporalité. La simplicité des procédés aussi bien chorégraphiques que scéniques provoque toujours l’adhésion du public pour peu qu’elle soit transmise par des danseurs inspirés.

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Oiseau(x) de feu : le difficile équilibre entre la force et la vulnérabilité

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L’Oiseau de feu. Soirée du 28 avril. Grégory Dominiak (le Phénix) et Francesco Mura (l’Oiseau)

L’Oiseau de feu est un ballet qui se veut une métaphore de l’esprit révolutionnaire (les huit partisans desquels émerge l’oiseau au troublant académique rouge portent des tuniques qui ne paraîtraient pas déplacées dans Le Détachement féminin rouge) mais qui n’échappe pas complètement à la métaphore christique, avec sa lumière pourpre reçue des cintres comme on serait touché par l’Esprit saint. Il a été créé en 1970 par Mickaël Denard alors que ce dernier n’était que premier danseur. Devenu étoile entre temps, Denard a immortalisé en 1975, pour la télévision française, deux extraits de son rôle. Il exsudait à la fois la force (la clarté des pieds dans les brisés de volée de la première variation) et l’abandon (le relâché de l’arabesque – première variation – ou les bras repliés au sol avec cette suspension digne des amortisseurs d’une DS – deuxième variation). Il présentait aussi un curieux mélange de détermination (le regard magnétique planté dans le public) et de langueur (les roulés au sol de la variation finale entre agonie et orgasme).

Mickaël Denard nous a quittés en février dernier. La saison prochaine, aucune soirée d’hommage n’a été programmée. Sans doute faudra-t-il à l’Opéra trois années, comme pour Patrick Dupond, avant de réagir. Un petit film d’hommage, utilisant l’archive de l’INA aurait néanmoins pu être concocté pour ouvrir cette soirée. Mais peut-être valait-il mieux ne pas convoquer le souvenir de cette immense interprétation au vu de ce que la maison avait à présenter sur cette saison. En début de série (le 28 avril), Francesco Mura ne s’est en effet guère montré convaincant en Oiseau. Le danseur, très à l’aise dans la veine « héroïque » (son Solor avec Ould-Braham nous avait séduit) manque de ligne pour rendre justice à la chorégraphie. Son arabesque est courte et forcée. La chorégraphie semble plus exécutée qu’incarné. L’élégie est cruellement absente. Gregory Dominiak paraît plus efficace en oiseau phénix. Mais c’est Fabien Revillion dans l’uniforme gris des partisans qu’il faut regarder pour voir véritablement un oiseau de feu.

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L’Oiseau de feu. Soirée du 18 mai. Yvon Demol (le Phénix), Mathieu Ganio (l’Oiseau)

Plus tard dans la série (le 16 mai), Mathieu Ganio interprétait à son tour l’Oiseau. En termes de lignes, on tutoie l’idéal. Le créateur du rôle même n’approchait pas cette facilité physique. Les temps levés avec rond de jambe 4e devant de l’Oiseau sont un plaisir des yeux. Mais Ganio manque absolument de cette sauvagerie qui évoquerait le Leader et qui rendrait plus émouvant par contraste les passages de la chorégraphie où le danseur joue sur le registre de la vulnérabilité. Dans la variation de la mort, Denard, le buste penché et montant une jambe en attitude seconde reste menaçant, ce n’est que lorsqu’il casse la ligne du cou et dépose sa tête sur l’épaule droite qu’on réalise que la bête est blessée. Avec Ganio, on a plutôt l’impression d’assister à la mort de la Sylphide…

Qui aurait pu rendre justice à ce rôle iconique ? On a bien quelques noms en tête mais ce ne sont pas ceux qu’on a vu apparaître sur les listes de distribution.

Le Chant du Compagnon errant : duos concertants

Ce ballet, déjà présenté lors de l’hommage à Patrick Dupond, montre un Béjart osant faire danser deux hommes ensemble tout en évitant l’écueil de l’homo-érotisme trop marqué. Dans le Chant du Compagnon Errant, sur le cycle de lieder du même nom de Mahler, le soliste en bleu symbolise la jeunesse et ses illusions tandis que le soliste rouge est le destin ou, mieux encore, la mort qui attend son heure et avec laquelle il faut apprendre à composer. Le ballet, composé pour Rudolf Noureev et Paolo Bertoluzzi, a depuis souvent été dansé par des stars de la danse. Il nécessite non seulement des personnalités individuelles marquées mais aussi une vraie connexion entre les deux interprètes.

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Le Chant du Compagnon errant. Soirée du 28 avril. Antoine Kirscher et Enzo Saugar

La distribution du 28 avril ne provoquait pas à priori l’enthousiasme sur le papier. Antoine Kirscher, promu premier danseur à l’issue du dernier concours de promotion annuel, s’est montré d’une grande faiblesse dans le pas de trois du Lac des cygnes en décembre. Enzo Saugar, distribué sur le soliste rouge est peu ou prou un inconnu. Il est quadrille. Il a réalisé un beau concours où il a été classé sans pour autant être promu coryphée.

Mais à notre plus grande surprise, le résultat a été plus que satisfaisant. Les deux danseurs ont une beauté des lignes qui emporte l’adhésion car ces dernières s’accordent parfaitement en dépit de leur différence de gabarit (Kirscher est plutôt frêle, notamment des jambes, et Saugar déjà très bâti). Produits de leur école, les deux interprètes accentuent les lignes avec toujours ce petit plus qui les rendent plus profondes et conséquemment plus signifiantes. Ils partagent aussi et surtout une musicalité jumelle. Ils répondent avec acuité et nuance à la musique et au timbre du baryton Samuel Hasselhorn. Antoine Kirscher garde ses fragilités mais n’en paraît ici que plus juvénile. Enzo Saugar ressemble à une Statue du Commandeur, à la fois protectrice et implacable. On passe un très beau moment.

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Le Chant du Compagnon errant. Soirée du 16 avril. Germain Louvet et Marc Moreau.

Le 18 mai, le duo étoilé n’était pas nécessairement très assorti physiquement. Germain Louvet (en bleu) est tout liane et Marc Moreau tout ronde bosse. Louvet, avec sa pureté de lignes, son ballon et sa batterie limpide portraiture parfaitement la jeunesse insouciante. Moreau, dans le deuxième mouvement s’oppose intelligemment en déployant une énergie concentrée et explosive là où, dans la même combinaison de pas, Louvet était tout soupir. La confrontation entre l’homme et son destin a bien eu lieu même si on ressent toujours une certaine réticence quand les danseurs sont l’un à côté de l’autre. Mais peut-être le fait que le baryton, Thomas Tatzi, criait tous ses aigus a pu nous rendre moins réceptif au couple d’étoiles qu’aux deux outsiders de la soirée du 28 mai.

Boléro(s) : Bottom, Middle and Top

Le Boléro est un de ces coups de génie comme il peut en arriver parfois dans le ballet ; c’est à  dire que la modernité et l’intemporalité de l’œuvre repose sur des ressorts très simples ancrés dans l’Histoire de la discipline. Boléro était dès l’origine un Ballet. Conçu en 1928 pour Ida Rubinstein, transfuge des Ballets russes de Serge de Diaghilev, et pour sa compagnie, le ballet se situait dans un bouge espagnol où une beauté exotique montait sur une table pour danser et déchaîner la passion des mâles. Ravel s’était résigné à cette interprétation par défaut, lui qui voyait une danse d’ouvriers sortant de l’usine, l’ostinato figurant sans doute le rythme obsédant de la chaîne de production. Même le titre a sans doute été déterminé par défaut. La partition de Ravel se compte à trois temps quand un Boléro authentique se compte à quatre.

En 1961, à la Monnaie de Bruxelles, Béjart revint en quelque sorte au ballet original de Nijinska-Rubinstein en plaçant sur scène une immense table basse rouge, disponible dans les magasins du théâtre, et une pléthore de chaises de la même couleur. À l’époque, c’est une femme, Duška Sifnios, qui « succédait » à Rubinstein au centre de la table. Les garçons tout autour faisaient tomber la cravate et desserraient les cols au fur et à mesure que l’imperturbable oscillation en développés fondus se perpétuait. Aujourd’hui, l’interprétation du Boléro est devenue beaucoup moins anecdotique et plus musicale. Le chorégraphe comparait « la », et bientôt « le », soliste central à la mélodie et le corps de ballet (un temps alternativement masculin ou féminin, mais la forme masculine semble s’être imposée) à la masse orchestrale.

Un autre indice de la puissance de cet opus béjartien vient justement du fait que le rôle, loin d’être univoque, est un medium parfait pour faire ressortir les qualités profondes d’un interprète (et parfois malheureusement aussi ses faiblesses). On aura été plutôt chanceux ces fois-ci. Chacun des danseurs qu’on a pu voir attirait l’attention sur un aspect particulier de la chorégraphie ainsi que sur une partie de leur corps.

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Boléro. Soirée du 28 avril. Hugo Marchand

Avec Hugo Marchand qui ouvrait le bal, ce sont les jambes que l’on regardait. Ses oscillations en petits fondus, énergiques et imperturbables, étaient véritablement hypnotiques. Élégiaque et androgyne, présence presque évanescente en dépit de sa taille conséquente, Marchand avait bien sûr des bras mousseux mais on était fasciné par la musique du bas du corps dont la mélodie semblait littéralement émaner.

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Boléro. Répétition publique du 5 mai. Audric Bezard.

À l’occasion du cours public donné à Bastille (le 5 mai), il nous aura été donné d’assister à un filage du ballet, sur bande enregistrée et sans corps de ballet, avec Audric Bezard. Lors de cette découverte inattendue, l’attention se porte sur le buste aux contractions reptiliennes et sur les bras puissants et sensuels du danseur. Là où Marchand était la musique, Bezard, semblait ouvrir tous les pores de sa peau afin d’en absorber l’essence et pour lentement s’en repaître ; une bien belle promesse que le danseur a très certainement concrétisée lors des représentations complètes

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Boléro. Soirée du 18 avril. Ludmila Pagliero entourée de Gregory Dominiak, Florent Melac et Florimond Lorieux

Avec Ludmila Pagliero, le 16 mai, on recentre toute son attention sur les mains, immenses et comme démesurées de l’interprète qu’on n’avait jamais remarquées auparavant… La danseuse, qui apparaît étonnamment juvénile (elle qui habituellement paraît si femme) déploie une sorte de soft power. Sinueuse et insidieuse comme la mélodie, Pagliero ne paraît plus tout à fait humaine. Au moment où les garçons commencent à entourer la table en attitude, poignets cassés, on croit deviner une architecture arabo-mauresque dont la danseuse serait la coupole ornée d’un croissant.

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Au final, la soirée se terminait donc à chaque fois sur une note ascendante. L’hommage à Maurice Béjart, en dépit du bémol de mes distributions sur l’Oiseau de feu peut donc être considéré comme une réussite. C’est que les trois ballets choisis, qui ne sont pas isolés dans l’œuvre du chorégraphe décédé en 2007, justifient à eux seuls la place majeure qu’il tient dans le concert des chorégraphes du XXe siècle.

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Danseurs-chorégraphes : un sur quatre


Soirée Bertaud, Valastro, Bouché, Paul – Soirée du 15 juin 2017

Les quatre danseurs-chorégraphes conviés à concocter chacun une pièce pour la scène du palais Garnier sont des interprètes talentueux. Leur nom, familier aux habitués, ne suffit pas à remplir la salle – au soir de la deuxième représentation, on comptait les places vides par dizaines. L’Opéra n’a d’ailleurs programmé que quatre dates, ce qui est un peu tristounet en termes d’exposition au public. Il n’y a sans doute pas de méthode-miracle (apparier une création avec une œuvre majeure du répertoire attire le chaland mais peut s’avérer cruel)…

Le pari – risqué à tous égards – d’une soirée de créations avait sans doute partie liée avec la promotion de l’Académie de chorégraphie lancée par Benjamin Millepied en 2015, et qui n’aura pas survécu à son départ. Comment ses membres ont-ils été accompagnés dans leur création, s’ils l’ont été ? Ont-ils discuté de leur projet avec William Forsythe, à l’origine mentor de l’Académie ? On n’en sait trop rien, et au fond on s’en fiche : c’est le résultat qui compte.

Renaissance, réglé sur le concerto pour violon n°2 de Mendelssohn, pourrait prétendre au titre de premier ballet macronien, puisqu’il se veut en même temps classique et moderne. Sébastien Bertaud veut combiner l’élégance de l’école de danse française avec le démembrement du haut du corps, sans parvenir à transcender ses influences (un patchwork de ce qui s’est dansé à Garnier depuis deux ans). Le cas n’est pas pendable (on peut être inspiré sans être original) ; je suis en revanche irrité par la superficialité du propos, et plus encore par le traitement de la matière musicale. Bertaud déclare avoir choisi le concerto de Mendelssohn « pour sa finesse et son élégance ». Mais cette pièce, certes brillante, est au contraire romantique et profonde. On doit peut-être ce contresens du chorégraphe au violon, monocolore et extérieur, d’Hillary Hahn (musique enregistrée).  « De plus, la virtuosité du violon, instrument à l’honneur, fait écho au travail des danseuses sur pointes », ajoute-t-il.

Je me suis pincé en lisant cette déclaration après coup, car j’ai passé les 30 mn que dure la pièce à fulminer contre la constante dysharmonie entre musique et pas. Bertaud met du staccato partout, transformant à toute force la ligne mélodique en rythme, comme fait un enfant impatient de terminer un puzzle, et qui en coince au hasard les pièces restantes. Le décalage atteint son comble au début de l’andante, moment de calme que le chorégraphe pollue de grands mouvements d’épaules. Le revers de toute cette agitation est l’absence de tout arc émotionnel (deux couples alternent dans l’adage, on renonce vite à se demander pourquoi ; et pourtant la distribution aligne quelques-uns des danseurs les plus sexy de la planète). Les scintillants costumes signés Balmain sont raccord avec l’œuvre : surchargés, mais sans objet. (Note pour ma garde-robe : la paillette grossit le fessier).

À l’agacement, succède l’embarras devant The Little Match Girl Passion de Simon Valastro, pensum expressionniste qu’on croirait tout droit sorti des années 1950. Voir Marie-Agnès Gillot tressauter sur une table est physiquement douloureux (rendez-nous Bernarda Alba !). Des nuages de fumée émanent des épaules du personnage dansé par Alessio Carbone (méconnaissable avec sa barbe à la Raspoutine), c’est déjà plus rigolo (et rappelle Teshigawara). Un personnage qu’on déshabille sur scène est électrocuté par une guirlande de Noël (on pense au Preljocaj de MC14/22 « Ceci est mon corps »).

Malgré un début manquant de tension, Undoing World de Bruno Bouché réserve quelques jolis moments, notamment à l’occasion d’un pas de deux entre Marion Barbeau et Aurélien Houette (Bouché, contrairement à Millepied, Peck, et bien d’autres, ne confond pas pause et vide), et on se laisserait presque aller à trouver poétique la bruyante valse des couvertures de survie, mais le propos s’alourdit par trop sur la fin (et Houette, devenu chanteur à message, aurait gagné à soigner son accent anglais).

Sept mètres au-dessus des montagnes repose sur un dispositif unique et lancinant : les danseurs émergent de la fosse d’orchestre, de dos, parcourent la scène avant de disparaître vers le fond, et refaire le parcours. Un écran en hauteur, occulté par intermittences, montre des images de tout ou partie de la distribution et de leur reflet dans l’eau, en plans de plus en plus rapprochés. La quiétude des motets de Josquin Desprez est contredite par l’impétuosité des treize danseurs ; mais ce décalage, loin d’être impensé comme dans Renaissance, fait le cœur du projet de Nicolas Paul. La tension est palpable : on ne sait ce que visent les personnages, ni ce à quoi ils semblent parfois vouloir échapper, mais l’ensemble semble frappé du sceau de la nécessité. Ce n’est pas bien joyeux, mais c’est la seule pièce vraiment maîtrisée et réussie de la soirée.

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Boires et déboires d’un soir de Gala

P1100575En ce soir de gala, j’ai sacrifié au plaisir coupable de la montée du grand escalier, lequel était recouvert pour l’occasion de fleurs de glycine artificielles qui lui donnaient un petit côté « grande serre chaude du Jardin des plantes ». Bravant le dress code annoncé, j’avais introduit dans mon costume de pingouin une note de couleur acidulée du plus bel effet. Las,  James, qui n’avait pas résolu son problème de pantalon depuis la cérémonie des Balletos d’or avait décidé … de n’en point porter. Il eut donc -le bougre- plus de succès que moi, même si ce ne fut pas toujours exactement celui qu’il avait escompté. Tant pis, je me referai l’année prochaine.

Cela dit, la question qui me taraudait était : « Pourquoi, mais pourquoi un gala ? ». Suivant Fenella qui avait balayé d’un revers de main l’éventualité d’assister à cet évènement mondain (« A New York, ils en sont arrivés à en faire trois par an pour chacune des deux compagnies, c’est galvaudé ! »), je me demandais bien pourquoi il fallait absolument encore aller chercher des « patrons » pour un théâtre aussi grassement subventionné que l’Opéra de Paris. Heureusement, Benji, le nouveau seigneur et maître de la compagnie parisienne, s’était chargé, dans le luxueux programme d’ouverture de saison de répondre à ma question :

« Pourquoi organiser un gala pour l’ouverture d’une nouvelle saison ? [C’est] bien sûr [pour] permettre à une plus large audience de découvrir nos extraordinaires danseurs »

Ma foi, si l’on en juge à l’aune du nombre de douairières « enstrassées » et de nœuds-pap stressés qui regardaient, l’air interloqué et suspicieux, le premier loufiat de cocktail leur expliquer qu’ils étaient ici en « première loge » et que le « balcon », c’était l’étage du dessous, l’objectif semblait atteint. On avait bien amené à l’Opéra un « nouveau public ».

Restait à savoir si on en avait apporté en quantité suffisante. Juste avant le lever du rideau sur la nouvelle pièce du directeur de la danse, le parterre d’orchestre ressemblait encore à un texte à trous. Mais fi de mondanités. Passons aux choses sérieuses.

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P1100585« Clear, Loud, Bright, Forward » n’est pas une pièce sans qualités. Dans un espace précieusement minimaliste qui tend vers les installations de Forsythe (un espace en cube fermé au début par un rideau translucide avec 3 luminaires industriels se déplaçant de manière oblique, de jolis cyclos aux couleurs étudiées, des raies lumineuses très graphiques), les danseurs, parés de costumes aux reflets argentés, s’emparent avec aise d’une chorégraphie tout en fluidité et en épaulements, somme toute très néoclassique. On admire surtout dans ce ballet la bonne gestion des masses de danseurs qui s’attroupent ou se déplacent en groupes fluctuants, jamais statiques. Ils se déroulent en vagues successives parfois perturbées par l’irruption d’un duo ou d’un solo.

Les références sont claires. Millepied convoque ses maîtres. De Balanchine il cite les gracieux chapelets de danseuses qu’on retrouvera dans Thème et Variations alors que pour l’ambiance on penserait plutôt à Symphony In 3 movements (une référence qui pourrait s’appliquer également à la musique de Nico Mulhy qui rappelle Stravinsky dans sa période néo-classique). Robbins n’est pas loin non plus. Trois duos se distinguent particulièrement pour nous, avec autant de passes aux humeurs différentes : Marion Barbeau et Yvon Demol sur le mode enjoué – la demoiselle parcourt goulument la scène en glissés sur pointe (de nos jours on n’échappe jamais vraiment à une petite référence à Forsythe) -, Baulac et Marchand sont dans les enroulements intimistes et passionnés ; dans le troisième duo, Eléonore Guérineau, tout en oppositions de dynamiques, dégage avec son partenaire l’énergie d’une dispute. Doit-on y voir une référence aux trois couples d’In The Night?

Mais voilà, ce qui faisait le génie de Robbins et celui de Balanchine était de laisser la place, dans leurs pièces sans argument, à de multiples histoires induites entre les protagonistes de leurs ballets. Chez Millepied, les corps se rencontrent plutôt harmonieusement, toujours intelligemment, mais les danseurs n’ont jamais l’occasion de projeter autre chose que leur belle « physicalité ». Ils ne forment jamais un authentique « pas de deux » et ne nous racontent pas leur histoire. La tension émotionnelle reste égale durant tout le ballet.

Le sens de la pièce reste donc désespérément abscons. Pour ma part – et c’est regrettable – le groupe final, un tantinet  grandiloquent, entouré d’ombres portées d’aspect industriel, soudain associé au titre vaguement « Lendemains qui chantent » du ballet, m’a fait penser à une sculpture rescapée du réalisme soviétique, arrivée là on ne sait trop comment.

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On retrouva donc avec soulagement les fastes du cocktail d’entracte, ses petits canapés et autres douceurs très libéralement arrosés de champagne. Félicitations aux chefs. Ils ont bien mérité leur addition aux pages biographiques du programme.

Franchement, pour déguster ces amuses papilles, je conseillerais plutôt les étages de loges. Garnier reste un théâtre de son temps. Les dégagements des espaces publics à l’orchestre et au balcon ont été pensés pour une population exclusivement masculine qui emploierait les pauses entre deux actes à visiter les loges de ces dames ou à passer derrière le rideau pour les plus chanceux. De nos jours, c’est une véritable tuerie. On y risque à tout moment de s’y essuyer les pieds sur les escarpins d’une ancienne first lady. Retournons donc aux premières loges. « Crac, c’est bon ! Une larme (de champagne) et nous partons ».

Juste avant la deuxième partie, la salle est désormais pleine à craquer. Nous nous garderons bien de commenter ce prodige… Poinsinet, le fantôme assermenté de l’Opéra, nous a juré qu’il n’y était pour rien.

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P1100599Pour  Thème et Variations, un bijou balanchinien resté trop longtemps absent du répertoire de la maison, il n’y a pas de décor carton-pâte comme dans la plupart des autres productions de ce ballet. Deux lustres en cristal évoquent le palais jadis voulu par Balanchine. Les costumes pour les filles du corps de ballet d’un bleu lapis lazuli ont bien des tons un peu criards mais ils restent infiniment préférables à certaines petites horreurs qu’il nous a été donné de voir ailleurs. Laura Hecquet, ballerine principale de cette soirée, accentue le haut du corps avec élégance et charme, cisèle les pas … quand elle le peut. Car Thème ne s’offre pas facilement aux longues danseuses. En 1994, Elisabeth Platel, pourtant ma favorite d’alors, ne m’avait pas ébloui aux côtés de Manuel Legris. La vitesse des deux variations féminines ne permettait guère à la demoiselle les grands déploiements de lignes, sa spécialité. J’avais préféré Carole Arbo. Les petits gabarits ou les danseuses plus compactes réussissent mieux : en 2011, Jeanette Delgado du Miami City Ballet nous avait époustouflé par sa prestesse. Au New York City Ballet, Megan Fairchild a mis à sa couronne cette gemme incomparable. L’idéal serait en fait une petite danseuse dotée de longues lignes. Il y en a bien une dans la compagnie, mais on devra se faire une raison cette saison… Laura Hecquet tire néanmoins plutôt bien son épingle du jeu. Josua Hoffalt, quant à lui, très à l’aise dans les variations – haut du corps très noble, beaux bras, relâché du bas de jambe, preste et précis – a le bon gabarit. Mais son adéquation avec le rôle explique aussi sans doute l’aspect mal assorti du couple qu’il forme avec sa partenaire. Malgré un beau travail de partnering, Melle Hecquet reste trop grande pour monsieur Hoffalt. On reverrait bien ces deux danseurs dans ce ballet, mais avec des partenaires différents.

P1100665L’ennui des soirées de gala est qu’elles offrent souvent un programme tronqué afin de laisser la place aux mondanités. Il nous faudra attendre pour parler d’Opus 19, The Dreamer. Fenella, fine mouche, s’est réservée pour la première et en a fait depuis le zénith de sa soirée. En guise de consolation, on donnait le grand défilé du corps de ballet. Mais en était-ce une ? Sans doute pour faire plaisir au directeur musical actuel, grand admirateur de Richard Wagner, on avait décidé de le présenter non plus sur la marche des Troyens de Berlioz mais sur celle de Tannhäuser. La transposition n’est pas des plus heureuses. La marche de Wagner n’a pas la sereine majesté de celle de Berlioz. Elle comporte de surcroît des changements de rythme (notamment entre l’introduction et la marche à proprement parler) qui gênent la marche des petites élèves de l’école de danse. Les qualités de cette page deviennent ici des défauts. Le pupitre des violons se lance parfois dans des volutes mélodiques propres à la danse qui font paraître le défilé, une simple marche, encore plus militaire qu’il ne l’est habituellement. S’il est vrai que Léo Staats a jadis réglé un premier défilé sur cette musique en 1926, il n’est pas dit que sa mise en scène ressemblait à celle voulue par Lifar et réglée par Aveline en 1945.

C’était de toute façon faire beaucoup d’honneur à un chef d’orchestre qui s’est contenté, par ailleurs, de délivrer une interprétation raide et sans charme du Thème et Variations de Tchaikovsky.

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