Archives d’Auteur: Cléopold

Avatar de Cléopold

À propos de Cléopold

Les pieds bien sur terre pour pouvoir mieux décoller du sol.

Ballet du Capitole : Balanchine en Grand

Programme Magie Balanchine. Ballet national du Capitole. Représentations du 28 et du 29 décembre 2024.

DHP_7252

Magie Balanchine. Ballet National du Capitole. Thème et variations. Natalia de Froberville et Kleber Rebello. Photographie David Herrero.

Avec ce programme de fête, le ballet du Capitole renouait avec l’œuvre de Georges Balanchine dont elle avait été sevrée pendant la direction de Kader Belarbi. Le talentueux chorégraphe et directeur avait en effet mis fin au long règne de Nanette Glushak (vingt ans) qui avait placé le grand maître du néoclassique américain au cœur de sa programmation. Pour nous, spectateur parisien, c’est surtout l’occasion de renouer avec du Grand Balanchine. La dernière décennie, depuis la direction Millepied, a été en effet caractérisée par l’entrée au répertoire d’œuvres très secondaires du maître dans des programmes souvent mal agencés.

C’est donc un bonheur de retrouver Thème et variations après avoir dû s’enfiler à Paris l’indigeste, l’interminable Ballet impérial.

Pourtant, comme dans Ballet impérial, Balanchine joue sur la corde nostalgique pétersbourgeoise. Mais il introduit dans ses citations de la Belle au bois dormant de Petipa (la guirlande des fées qui s’enroule et se déroule au prologue) des références jazzy, des déséquilibres dynamiques, tout en imposant aux solistes une vitesse d’exécution digne de celle des Legnani ou des Brianza des années 1890, l’amplitude de mouvement et l’en-dehors de la période contemporaine en plus. Pour finir, la structure du ballet colle à son sujet du thème et variations. La combinaison initiale énoncée par les deux solistes – marche en dégagés avec opposition des bras, petit chassé en reculant, doubles dégagés en remontant – se trouve développée au cours de ballet et culmine avec les grands battements développés devant puis arabesque qui clôturent la pièce. L’enchaînement de pirouettes depuis la 5e du garçon sur sa première variation est reprise à la fin mais pimentée de double-tours en l’air.

Lors de la matinée du 28, Kleber Rebello renoue avec ses racines balanchiniennes acquises au Miami City Ballet où il fut Principal, dans un premier temps sous la direction du légendaire fondateur de la compagnie Edward Villella. Le rebond de Rebello sur les coupés-jetés en remontant est d’ailleurs réminiscent des classes de Villella à Miami. Les temps-levés double rond de jambe piqués arabesque ont du peps et le fini des pirouettes est impeccable. Rebello est de surcroît un partenaire élégant et attentif. Il permet à Natalia de Froberville (qui caresse le sol de la pointe, est d’une l’absolue légèreté et dans la prestesse d’exécution) de briller encore plus si cela est possible.

BNC_2606 - Thèmes et Variations - crédit David Herrero

Magie Balanchine. Ballet National du Capitole. Thème et variations. Ramiro Gómez Samón et Nina Queiroz. Photographie David Herrero.

Pour la matinée du 29 décembre, le rendu est tout différent. Le couple Nina Queiroz-Ramiro Gómez Samón se distingue par le crémeux de sa danse. Queiroz a de jolis épaulements et toute sa batterie est claire. On lui pardonnera aisément quelques petits déséquilibres sur la vitesse dans la première variation au vu de l’intimité qui se dégage du pas de deux central. Gómez Samón est à la fois élégant et réservé. Son partenariat est tout soie et velours. Sa coda de leading man avec les grandes sissonnes est roborative. On passe deux excellents moments d’autant que le corps de ballet féminin se montre à la fois discipliné et vibrant dans leurs scintillants costumes vert d’eau (Joop Stokvis) infiniment préférables aux fades tutus bleu-layette de la version parisienne de Thème et variations. Le quatuor des demi-solistes (dont Sofia Camininti et Solène Monnereau) danse avec beaucoup d’esprit et les garçons, qui arrivent sur le tard, exécutent une polonaise bien réglée.

img_6787

Magie Balanchine. Ballet Nationale du Capitole. Tchaïkovski Pas de deux. Lian Sanchez Castro et Philippe Solano. Saluts.

Peut-on avoir trop de bonnes choses ? Crée en 1960 sur des pages retrouvés du Lac pour un pas de deux du Cygne noir alternatif, Tchaïkovski Pas de deux est un autre authentique chef-d’œuvre de George Balanchine. Peut-être, si on veut absolument faire la fine bouche, trouvera-t-on que l’enchaînement de Tchaïkovski Pas de deux à Thèmes et Variations, après un simple précipité, est un peu monotone. Il y a en effet de grandes similarités dans les deux pas de deux et même dans la technique des variations (la célérité pour la fille, les assemblés battus en remontant pour le garçon…). Sans doute présenter Tarentella aurait été plus pertinent. On aurait eu le feu d’artifice technique, la musique de Gottschalk aurait contrasté avec celle de Tchaïkovski et le loufoque du pas de deux nous aurait préparé à l’ambiance Broadway de Who Cares ? .

Peut-être ce Tarentella aurait d’ailleurs mieux convenu à la nouvelle recrue Lian Sanchez Castro. La danseuse coche pourtant toutes les cases techniques pour le Tchaïkovski Pas de deux. Elle fait preuve d’une belle célérité et a un sens certain de la scène. Mais elle oublie d’installer une complicité avec son partenaire. Elle en a pourtant un de tout premier ordre. Philippe Solano peaufine en effet chaque détail de ses interactions avec elle, par la présentation des mains ou les regards portés sur elle. Le danseur trouve de son côté le bon équilibre entre l’humilité du partenaire qui cherche à présenter sa ballerine sous son meilleur jour et la bravura technique où il peut se permettre d’exprimer sa propre personnalité. Son grand manège final mange l’espace et ses tours à la seconde plein de d’énergie suscitent l’enthousiasme. Mais on ne peut s’empêcher d’imaginer le même couple dans Tarentella avec sa base de cabotinage facétieux et de concurrence drolatique.

Le 29, on retrouve le couple de Thème et variations de la veille dans Tchaïkovski pas de deux. Natalia de Froberville y joue d’emblée la connexion avec son partenaire Kleber Rebello. Elle n’a même pas besoin de le regarder. Dans l’adage, on se dit que son dos a des yeux… Ce partenariat très fluide et évident (le poisson final de l’adage est plein d’esprit) provoque l’adhésion alors même que Rebello se montre finalement plus en retrait que Solano.

BNC_2809

Magie Balanchine. Ballet National du Capitole. Tchaïkovski Pas de deux. Natalia de Froberville et Kleber Rebello. Photographie David Herrero.

*

 *                                           *

Lors de la première matinée, on pensait qu’on avait mangé son pain blanc avant l’entracte.

Who Cares ?  n’est en effet pas exactement dans mon Panthéon balanchinien. Le ballet fait partie du corpus d’œuvres où le fondateur du New York City Ballet caressait son public américain dans le sens du poil. Quoi de mieux en effet que de faire se dandiner des ballerines classiques dans des tenues à paillettes, sur des musiques populaires lourdement réorchestrées, afin de désennuyer les maris qui accompagnent leur légitime au ballet ? Bien entendu, un génie chorégraphique tel que Balanchine ne peut commettre un mauvais ballet sans insérer quelques jolies perles en plein milieu du torchon. Mais globalement, cette suite de danses me laisse le plus souvent froid. Ce fut particulièrement le cas lors de la soirée Balanchine à l’Opéra où les évolutions des danseurs, trop uniformément correctes, semblaient se noyer dans l’immensité du plateau.

Mais à Toulouse, dans l’écrin plus intime du Théâtre du Capitole, sous la baguette spirituelle de Fayçal Karoui et porté par l’énergie roborative du ballet du Capitole, on parvient à gouter aux charmes de surface de Who Cares ?

BNC_9239

Magie Balanchine. Ballet National du Capitole. « Who Cares? ». Jeremy Leydier, Aleksa Zikic, Minoru Kaneko, Simon Catonnet et Eneko Amoros Zaragoza. Photographie David Herrero.

Le décor, beaucoup moins bling bling que celui de l’Opéra, représente un skyline depuis Battery Park et les pendrillons figurent des immeubles de bureau. Pour le double quintette, le défaut d’homogénéité des interprètes est en fait un atout. Les individualités ressortent et la succession des scénettes n’est jamais fastidieuse. Les cinq couples du 28 gagnent l’adhésion. Le premier duo est assez charmant sur ‘S Wonderful. Haruka Tanonooka a du chic et Eneko Amoros Zaragoza du peps. Sur Do do do, Aleksa Zikic est touchant et drôle en séducteur à râteaux aux côtés de Giorgina Giovannoni. Le 29, le quintette de garçons, très divers physiquement (les grands gabarits comme Jérémy Leydier ou Minoru Kaneko voisinent avec les physiques plus compacts comme celui d’Amaury Barreras Lapinet) retient l’attention par son déploiement de compétition amicale. Eneko Amoros Zaragoza trace décidément un inénarrable portrait de Groucho Marx dans le premier pas de deux. Jérémy Leydier fait un peu bookmaker facétieux aux côtés de la primesautière Sofia Camininti. Moins émouvant que Zikic sur Do do do, Amaury Barreras Lapinet roule des biscottos avec gusto.

Who Cares ? semble avoir été le médium par lequel la directrice, Beate Vollack a voulu introniser les deux nouvelles étoiles de la compagnie. Jacopo Bellussi, recruté à l’extérieur de la compagnie, un long danseur aux lignes harmonieuses et au physique avantageux, est donc le Leading Man à cœur d’artichaut de ce ballet. Il s’acquitte de sa tâche avec élégance. On regrette qu’il n’ait pas été distribué plutôt dans les vraies pièces de résistance du programme, Thème ou Tchaïkovski, où il eut été plus aisé de jauger ses qualités d’étoile.

BNC_9655

Magie Balanchine. Ballet National du Capitole. « Who Cares? ». Tiphaine Prévost. Photographie David Herrero.

Dans les trois dames, objet de l’attention du Principal masculin, on est gratifié le 28 de la présence de Kayo Nakazato dans le petit bijou de pas de deux qu’est The Man I Love. La danseuse, promue soliste après sa très belle saison dernière, installe une vraie atmosphère sensuelle et intime à la fois. Ses tours attitude continués en promenade attitude au bras de son partenaire sont d’une grande fluidité. En soliste mauve, Tiphaine Prévost est une superbe bacchante, à la fois primesautière et sans peur (ses sauts de basque et sa batterie sur Stairway To Paradise nous soulèvent littéralement de notre siège).

En vert, Marlen Fuerte Castro, l’autre nouvelle étoile, choisie, elle, parmi les solistes de la compagnie, est une danseuse en vert pleine d’autorité et d’aisance. Fuerte Castro a une communauté de taille et de ligne avec la nouvelle recrue masculine.

On est désormais familier de son rôle de beauté sculpturale dont Kader Belarbi avait su maintes fois tirer parti dans ses créations (la dompteuse dans Les Saltimbanques ou Suzanne Valadon dans Toulouse-Lautrec). À la fin de son pas de deux avec le Leading Man sur Embraceable You, elle concède un baiser à son partenaire. Le 29, les solistes féminines échangent les rôles. Tandis que Tiphaine Prévost reprend son rôle en mauve, Kayo Nakazato se met au vert avec grâce. Son pas de deux avec Jacopo Bellussi a la grâce du pas de deux final de Funny Face entre Fred Astaire et Audrey Hepburn. Le baiser final semble être donné et reçu d’un commun accord. À l’inverse, Marlen Fuerte Castro reste hélas univoque dans son The Man I Love. Elle est et reste une déesse chasseresse, belle mais froide, qui reçoit avec indifférence l’hommage de son partenaire.

BNC_9622

Magie Balanchine. Ballet National du Capitole. « Who Cares? ». Marlen Fuerte Castro et Jacopo Bellusi. Photographie David Herrero.

La question risque donc de se poser au moment des distributions si le Ballet du Capitole devait remonter La Sylphide, une nouvelle production de Giselle ou de La Belle à son répertoire. La nouvelle étoile féminine saura-t-elle se montrer assez éthérée, fragile ou subtile pour embrasser chacun de ces rôles? Ou faudra-t-il avoir recours à de talentueuses ballerines placées plus bas dans la hiérarchie pour endosser ces personnages iconiques? 

Mais peut-être aurons-nous une réponse plus optimiste à donner à l’occasion de la nouvelle Coppélia que Jean-Guillaume Bart va monter à Toulouse en avril prochain.

BNC_9694

Magie Balanchine. Ballet National du Capitole. « Who Cares? ». Kayo Nakazato et Jacopo Bellusi. Photographie David Herrero.

Commentaires fermés sur Ballet du Capitole : Balanchine en Grand

Classé dans Blog-trotters (Ailleurs), France Soirs

Ballet du Capitole de Toulouse : regards sur la modernité baroque

BNC_2213

Ballet du Capitole de Toulouse. Programme Gluck. Photographie David Herrero.

Ballet du Capitole. Suite et Ballets. Sémiramis & Don Juan. Ángel Rodríguez / Edward Clug. Jordi Savall et Le Concert des Nations. Samedi et Dimanche 26 et 27 octobre 2024.

Le Ballet du Capitole ouvrait sa saison avec un programme ambitieux. En effet, il se proposait de recréer deux ballets de Christoph Willibald Gluck, à la source du ballet d’action, créés à Vienne respectivement en 1761 et 1765 : Don Juan ou le festin de pierre, d’après Tirso de Molina et Molière, et Semiramis, d’après une tragédie en 5 actes de Voltaire. Au pupitre, on n’avait pas moins que Jordi Savall, grand maître du baroque s’il en est, qui a récemment enregistré au disque ces deux œuvres novatrices en leur temps.

Le ballet d’action est souvent associé au nom de Jean-Georges Noverre. Son traité, « Lettres sur la Danse et sur les ballets », rédigé à Lyon entre 1757 et 1760 mais dédié au duc de Wurtemberg, alors que le chorégraphe suisse de formation française servait ce prince à Stuttgart entre 1760 et 1766, est en effet une référence quand on pense à la naissance du ballet racontant une histoire. Pourtant, en cette deuxième moitié du XVIIIe siècle, Noverre n’était pas le seul à créer hors de France, alors bastion du ballet à entrées et de la danse noble, les conditions d’un renouveau du genre. A Vienne, le chorégraphe florentin Gasparo Angiolini créait en effet sa propre version du ballet d’action fort différente de celle proposée par Noverre.

En 1773, dans sa « Lettres à monsieur Noverre », le Florentin initie d’ailleurs la querelle de la Pantomime. Angiolini restait fidèle à la règle aristotélicienne des trois unités, celle du théâtre classique que Noverre rejetait, et ne croyait pas au ballet à programme. Selon Angiolini, l’action dansée devait être assez claire pour être intelligible sans le concours d’un livret explicatif alors que son concurrent commençait par cela, avant même d’avoir considéré sur quelle musique se poserait son action. Il résulte sans doute de cela qu’Angiolini était sans doute un choréauteur plus musical que Noverre. Alors qu’Angiolini avait collaboré avec Gluck à Vienne, Noverre, qui lui succéda en 1767, avait créé son célèbre « Jason et Médée » avec le concours du beaucoup plus obscur Jean-Joseph Rodolphe et fut qualifié de peu musical par Mozart qui créera pour lui les Petits riens à Paris en 1778. Il n’en reste pas moins que dans l’histoire commune du ballet, c’est surtout Jason et Médée de Noverre qui s’est imposée comme la pierre angulaire du ballet d’action tandis que les expérimentations d’Angiolini, sans être oubliées, sont assurément moins célèbres. Noverre, qui avait le don pour se créer de fidèles disciples, a vu Dauberval en France et Charles le Picq notamment à Saint Petersbourg prolonger son héritage.

Le sort « physique » des œuvres d’Angiolini et de Noverre fut pourtant le même. Il n’existe pas de tradition continue de représentations de celles-ci et les chorégraphies originales ont été entièrement perdues. Pour les remonter, deux options sont possibles : la voie de la recréation philologique, en utilisant la technique de la danse baroque (Jason et Médée en a bénéficié au moins deux fois avec une reconstitution par Ivo Cramer en 1992 pour le ballet du Rhin et en 2012 à Versailles dans la chorégraphie de Marie-Geneviève Massé) ou la voie de la création contemporaine.

C’est cette seconde option que le Ballet du Capitole défendait pour un court cycle de six représentations, en cette fin du mois d’Octobre.

*

 *                                  *

Après l’interprétation à la fois ciselée et fruitée de la Suite pour orchestre d’Iphigénie en Aulide par le Concert des Nations sous la baguette de Jordi Savall, c’est avec le plus récent des deux opus, Semiramis, que s’ouvre le programme dansé.

Le ballet du chorégraphe espagnol Ángel Rodríguez, qui avait déjà collaboré avec la compagnie en 2016, commence dans le silence avec sept filles dont les bustes émergent d’un grand tissu qui pourrait figurer un grand filet de pêche (Sémiramis, la mythique reine colombe était, selon la tradition, fille d’une déesse poisson). Elles exécutent des ports de bras sémaphoriques et poussent des soupirs. Cette image d’ouverture est saisissante et nous parait très baroque. Puis, alors que l’orchestre débute la Sinfonia maestoso, sept garçons sortent de sous la bâche qui s’élèvera ensuite lentement dans les cintres pendant toute la pièce, tantôt tenture persane à motifs abstraits, tantôt forêt au bord d’un lac de sang par le truchement des éclairages. La chorégraphie, avec sa gestuelle des bras dont les grands mouvement courbes semblent initier les mouvements du reste du corps, a pour nous un petit côté Jiri Kylian première manière (celui de la Symphonie des psaumes ou La Mer) mais fait plus certainement référence au style de Nacho Duato avec lequel le chorégraphe a travaillé entre 1990 et 1995. Les groupes évoluent d’une manière très géométrique et genrée au début avant de laisser la place à des duos, des trios. Des figures féminines énigmatiques traversent la scène au ralenti. C’est fort beau et très fluide.

BNC_1079

Ballet du Capitole de Toulouse. Programme Gluck. Photographie David Herrero.

On remarque un roboratif pas de 5 dans lequel Tiphaine Prévost est lancée en l’air par quatre garçons (Moderato) ou encore un touchant pas de deux entre Kayo Nakazato et Jérémy Leydier qui entre en transportant sa partenaire comme une planche (Affetuoso I-II). Les mains des deux danseurs semblent mimer « je tiens le monde dans mes mains ».

A ce stade, l’attention s’émousse pourtant un peu. On n’attendait pas nécessairement qu’Angel Rodriguez s’appuyât sur l’argument inspiré de la tragédie de Voltaire, qui faisait de la reine guerrière et fondatrice de Babylone une meurtrière et une mère incestueuse, ni même qu’il attribue à l’une des interprètes le rôle de la reine.  Mais il nous semble que le chorégraphe dilue son sujet dans une suite de danses, certes agréables à l’œil mais au final un tantinet monotones. Dans sa déclaration d’intention, Rodriguez dit penser « aux femmes fortes, aux femmes mères, aux femmes filles […] à toutes les femmes du passé, du présent et de l’avenir ». Pourtant, ce n’est au final aucune des interprètes féminines qui retient particulièrement notre attention. C’est bien le solo explosif de Philippe Solano sur l’Adagio, avec ses sauts élastiques, ses arabesques penchées profondes, ses oscillations du cou et de la main qui, enfin, réveille cet ensemble somme toute un peu contemplatif et monotone dans sa joliesse.

BNC_0933

Ballet du Capitole de Toulouse. Programme Gluck. Philippe Solano. Photographie David Herrero.

Lorsque le ballet s’achève dans le silence sur une ultime et énième image esthétisante (une danseuse grimpée sur les dos amoncelés de ses camarades bascule en arrière dans le vide en poussant un soupir) on se demande si se confronter à une œuvre pionnière du ballet narratif et en faire une suite de numéros dansés dans la veine des genres hybrides (Opéra Ballet, pastorales héroïques) qui sévissait à Paris dans la deuxième moitié du XVIIIe était une approche bien pertinente. Présenter une énième suite de danses symphoniques sur un ballet d’action était-il d’ailleurs bien moderne ? Serge Lifar l’avait déjà fait lorsqu’il avait dépouillé Namouna de son argument mauresque pour en faire Suite en Blanc. C’était en 1943…

*

 *                                  *

Avec Don Juan, le chorégraphe roumain Edward Clug démontre à mon sens d’une bien meilleure compréhension du cahier des charges de ce programme. Sans renoncer à l’approche contemporaine du ballet – les péripéties de l’argument sont lissées, il n’y a pas de commandeur et seuls trois personnages ont une identité reconnaissable – il ne tourne pas le dos à l’histoire et encore moins à l’Histoire.

Le ballet commence ainsi avec Don Juan étendu au sol dans un demi-cercle très formel de danseurs en rouge des deux sexes qui font tous un petit développé 4e. Puis les danseurs s’agglutinent sur lui, hommes et femmes confondus pour exprimer d’une manière efficace la passion que suscite le personnage éponyme. A la fin du ballet, Don Juan sera même transformé en maki par un agrégat de danseuses évoluant agenouillées pour un effet volontairement humoristique. La chorégraphie, faite de courses avec changements de directions intempestifs est preste et primesautière. Le chorégraphe n’hésite pas à se poser sur la musique en la faisant scander par les danseurs. Dans cette œuvre encore transitionnelle, Glück avait cédé à la tradition des numéros dansés à la françaises du genre de « l’Europe Galante » ou des « Fêtes vénitiennes » de Campra. La scène de la réception chez Don Juan (acte II) est ainsi dotée de menuets, de gavottes de contredanse et même d’un fandango. Edward Clug, de son côté, n’élude pas les citations de pas de caractère et offre même une sorte de gigue aux filles du corps de ballet ainsi qu’une danse d’hidalgo pour Don Juan à l’acte 3.

BNC_1957

Ballet du Capitole de Toulouse. Programme Gluck. Don Juan. Photographie David Herrero.

La scénographie de Marko Japelj, sans être entièrement nouvelle, sert parfaitement le propos. Un système de banc à hautes claustras montés sur roulettes permet de suggérer différents espaces avec en prime un clin d’œil aux changements à vue du théâtre baroque : ces sièges sont tour à tour mur de palais, salle de classe et, pourquoi pas, confessionnal. Dans la première partie du ballet, ces bancs nous transportent aussi dans un jardin français à treillages pour un charmant badinage entre l’anti-héros et deux damoiselles (Tiphaine Prévost, naïve, et Kayo Nakazato, capiteuse). Un grand cheval de pierre fait parfois ressembler Don Juan à un deus ex machina. Les costumes de Leo Kulaš, très minimalistes, ne sont également pas sans jouer sur les codes baroques. La jupe panier de Dona Elvira sera également corolle de fleur pour une scène de butinage ou muleta pour Don Juan. Les danseurs masculins en pantalons rouge portent des hauts couleur chair très adhérents qui font penser aux premières tentatives d’évoquer la nudité des personnages antiques au XVIIIe siècle. Ils ne les abandonneront que pour la scène des enfers à la fin du ballet sur les pages musicales que Gluck réutilisera intégralement dans son Orphée et Eurydice l’année suivante.

BNC_1569

Ballet du Capitole. Programme Gluck. Don Juan. Alexandre De Oliveira Ferreira. Photographie David Herrero.

Chez les personnages principaux, Edward Clug n’est pas sans évoquer les anciens emplois dans les ballets du XVIIIe siècle. Pour Don Juan et Donna Elvira, Alexandre De Oliveira Ferreira et Marlen Fuerte Castro comme Ramiro Gómez Samón et Solène Monnereau incarnent, par leur taille et leurs grands abattis, le registre noble que l’on employait pour les personnages héroïques. A l’inverse, pour Sganarelle, Philippe Solano ou Kleber Rebello, moins grands, évoquent le demi caractère imposé à la fin du XVIIIe siècle par Auguste Vestris. Le duo entre Sganarelle et Don Juan est très bien réglé et primesautier. Il se termine par une petite claque sur le postérieur du serviteur comme on le ferait à une pouliche.

D’une distribution à l’autre, les alchimies sont fort différentes. Alexandre De Oliveira Ferreira est un Don Juan très Dyonisiaque, acceptant avec une joie sans partage, presque naïve, les hommages de la gente féminine. Philippe Solano incarne donc en face de lui un Sganarelle preste, facétieux et un tantinet sans scrupules qu’on regrette de ne pas voir davantage, passé le premier duo avec son maître. Cet interprète intelligent aurait su être palpitant en spectateur de la damnation finale de Don Juan.

A l’inverse, Ramiro Gómez Samón est un hidalgo plus cynique que De Oliveira Ferreira, plus dans l’apparence. Cela rend la scène de « l’école du vice » (les filles assises sur des bancs reproduisent les gestes dictés par le Don, maître d’école) d’autant plus efficace. En face de lui, Kleber Rebello est moins un Sganarelle qu’un majordome à courbettes, discret et efficace, de comédie musicale américaine. Là encore, on regrette que le rapport maître-valet n’ait pas été plus fouillé.

BNC_1810

Programme Gluck. Don Juan. Marlen Fuerte Castro (Donna Elvira). Photographie David Herrero.

Les Donna Elvira sont également très contrastées. En première distribution, Marlen Fuerte Castro est une dominatrix à la beauté marmoréenne. On se dit pendant le ballet qu’elle est une synthèse entre l’amante trahie et l’incarnation du destin. C’est un peu elle la statue du commandeur. Et le Don Juan de Oliveira Ferreira parait condamné d’avance. Plus délicate, Solène Monnereau fait une entrée assez discrète dans le ballet. Sa fragilité émotionnelle contraste avec l’impitoyable séducteur incarné par Gómez Samón. Elle offre en revanche une progression dramatique à son personnage passant de l’éploré au détachement avant de se faire l’incarnation même de l’indifférence. Solène Monnereau nous présente à travers sa Donna Elvira une version éminemment personnelle de la carte du Tendre de mademoiselle de Scudéry.

bnc_8269

Programme Gluck. Don Juan. Ramiro Gomez Samon. Photographie David Hererro.

Voilà donc, en dépit des réserves exprimées sur Semiramis, un programme bien conçu qu’on conseille vivement aux spectateurs de la région parisienne qui pourront s’en faire leur propre idée lorsque le ballet du Capitole viendra à l’Opéra comique en mai prochain.

Commentaires fermés sur Ballet du Capitole de Toulouse : regards sur la modernité baroque

Classé dans Blog-trotters (Ailleurs), France Soirs

Forsythe-Inger à l’Opéra : presque…

P1220738

Impasse. Scénographie. La maison à géométrie décroissante de Johan Inger. Lumières de Tom Visser

La première partie du programme de gala avait été, si vous vous en souvenez, assez peu roborative. On se réjouissait donc, après un entracte, de retourner dans le vif des choses avec deux ballets du grand Billy (entendez William Forsythe).

*

 *                       *

Las, il faudra attendre encore de longues minutes avant d’être emporté. En effet, je n’ai pas reconnu Rearray, cette pièce créée pour Sylvie Guillem et Nicolas Le Riche en 2011 et vue au TCE en 2012. Certes, le pas de deux a été transformé en pas de trois, mais l’absence totale de réminiscences a sans doute d’autres raisons plus préoccupantes.

Lors de la répétition publique à l’amphithéâtre Bastille vue par Fenella, le répétiteur a en effet livré l’attitude de Forsythe lui-même face au remontage de ses œuvres. « Il n’y a pas de version définitive de ses ballets », « Les interprètes ne doivent pas reproduire ce qui a été fait par d’autres », « un ballet repris peut être transformé ». Tous ces principes, en eux-mêmes semblent fructueux. Forsythe est de cette génération qui a vu les ballets de Balanchine lentement se fossiliser après la mort du maître en 1983 (époque où Forsythe créait sa toute première pièce pour l’Opéra : France Dance).

La création du Balanchine Trust était une grande première. Elle consistait dans le legs des ballets du maître à certains de leurs interprètes, désormais seuls à être autorisés à les remonter dans d’autres compagnies. Le système a vite montré ses limites. Il y eut vite des luttes d’influences et certains imposèrent des règles qui n’étaient pas fixes du vivant du maître. Par exemple, le diktat du non-posé du talon au sol dans les enchaînements rapides s’est généralisé quand il n’avait été conçu par Balanchine que pour contourner le manque de longueur de tendon d’Achille de certains danseurs. Violette Verdy, créatrice de Tchaikovsky-Pas-de-deux, n’a jamais eu à utiliser cet expédient. Figer les règles n’a pas non plus empêché la dérive staccatiste qui à mon sens défigure les ballets du chorégraphe dans sa propre compagnie, le New York City Ballet.

Néanmoins, l’attitude de Forsythe face au remontage de ses ballets qui pourrait se résumer à « le style correct, c’est celui des danseurs qui sont en train de danser » rencontre aussi ses limites. Déjà à l’époque de Rearray avec Guillem-Leriche, je me montrais soulagé de retrouver le Forsythe qui m’avait fasciné depuis le début des années 90 et non une mouture chichiteuse du maître de Francfort. Car il y a le style (qui trop révéré peut scléroser) mais il y a aussi le Style (les spécificités chorégraphiques qui sont le cœur de l’œuvre du créateur).

En 2012, j’avais donc retrouvé les départs de mouvements à la Forsythe, c’est-à-dire de parties complètement inattendues du corps (un genou, une épaule). C’est ce qui justifiait l’accent mis par exemple sur les préparations, habituellement cachées dans le ballet académique et néoclassique mais hypertrophiées ici. Forsythe a ajouté au ballet une approche déconstructiviste, mettant l’accent sur le détail, ce qui rend également l’irruption de la danse et de la virtuosité inattendue et galvanisante pour le public. Les danseurs passent et repassent de l’attitude de ville au balletique sans crier gare. Mais devrait-on écrire « rend » ou bien « rendait » ? Aujourd’hui, de plus en plus, lorsqu’on voit les danseurs marcher sur scène, on a l’impression qu’ils sont sur le catwalk d’une énième Fashion Week. Les positions à poignets cassés ne sont plus déconstructivistes, elles sont tout bonnement maniéristes. La pièce d’occasion deMy’Kal Stromile en était la consternante preuve par l’exemple.

*

 *                                    *

P1220713

Rearray. Roxane Stojanov.

Sans atteindre ce tréfonds, il nous faut reconnaître que Rearray mouture 2024 nous laisse complètement sur le bord de la route. Avec Roxane Stojanov, une subtile interprète qu’on ne peut accuser de maniérisme, tout part du centre attendu chez un danseur d’expression classique. La danseuse va piquer très loin ses pointes (Guillem dansait sur demi-pointes), jusqu’au point de déséquilibre, c’est fort beau, mais son mouvement reste continu quand les fulgurances post classiques devraient naître d’une préparation manquée ou d’une marche de rue. Dans ce Rearray, Roxane Stojanov demeure à chaque instant une danseuse.

En 2012, on s’était émerveillé aussi du mystère de la pièce : était-on face à un duo ou à un double solo ? Ici, la question ne se pose plus vraiment. Takeru Coste et Loup Marcault-Derrouard (qui parvient à se désarticuler d’une manière conforme à l’esthétique Forsythe) nous offrent ce jeu de nœuds trop léché avec leur partenaire qu’on a vu et revu partout. C’est la malédiction Forsythe en plein.

 *                         *

Blake Works I, qui est fabriqué sur la joliesse inhérente à l’école française, ressort mieux. Ces badinages chorégraphiques sur les musiques suaves à paroles sombres de James Blake mettent la compagnie en valeur. Au soir du 9 octobre, beaucoup des créateurs du ballet en 2016 sont encore dans les rangs et ont, pour certains, monté dans la hiérarchie.

P1220719

Blake Works. Curtain calls

Léonore Baulac est toujours aussi lumineuse dans son rôle avec ses lignes pures, son mouvement continu et sa sensibilité à fleur de peau. Elle accomplit, une fois n’est pas coutume, un très beau duo avec Germain Louvet qui reprend le rôle de François Alu. Le pas de deux « The Color in Anything », qui à l’époque semblait teinté d’une charge « biographique » (on avait le sentiment d’assister à une scène de rupture amoureuse) ressemble aujourd’hui à ce qu’il était vraisemblablement dès le départ, l’évocation d’un travail de studio en cours qui résiste à devenir pas de deux. Les mains se croisent, les passes se tentent et avortent. On sent la frustration poindre chez l’interprète féminine face à son chorégraphe-partenaire à moins que ce ne soit elle la créatrice et lui le modèle rétif. Le trio « Put that Away » avec Pablo Legassa, Caroline Osmont et Inès McIntosh (nouvelle venue dans ce ballet), avec ses poignets cassés et ses poses de chat, fait penser à une version moderne du mouvement flegmatique des Quatre Tempéraments de Balanchine. On est fasciné. Hohyun Kang danse avec une jolie énergie et de belles lignes le rôle de Ludmila Pagliero même si on regrette les gargouillades ciselées de la créatrice. Le duo final avec Florent Mélac manque de recueillement intérieur. Hugo Marchand, qui a le mérite de montrer l’angularité de la chorégraphie, ressort moins que dans mon souvenir. Il me semble qu’il marque joliment. On est cependant satisfait de l’ensemble du ballet porté par sa vingtaine d’interprètes.

P1220725

Blake Works. Saluts

Le constat de cette section de la soirée reste néanmoins mitigé.

*

 *                                    *

Après un nouvel entracte, on va pouvoir enfin assister à la première pièce de Johan Inger entrée au répertoire du ballet de l’Opéra : Impasse.

img_5976

Impasse. Répétition publique à l’Amphithéâtre Bastille. Fernando Madagan (répétiteur), Ida Viikinkoski, Marc Moreau et Andrea Sarri.

J’avais pour ma part assisté à la répétition publique à l’Opéra Bastille, le 21 septembre. Le répétiteur Fernando Madagan avait choisi de présenter le trio central du ballet. L’ensemble était on ne peut plus prometteur. La chorégraphie, très fluide, avec ses marches et ses glissés au sol, ses corps qui dessinent des volutes, ses dos qui s’arquent vers le ciel et conduisent à des chutes rattrapées par les partenaires, sont dans la veine post classique. Il y a également une veine ekienne (Inger n’est pas Suédois pour rien) avec ses marches sur genoux pliés, ses poses assises jambes écartés et ses gestes du quotidien hypertrophiés, ses rires et des dandinements comiques. Le chorégraphe ajoute même une note folklorique en réaction à la bande son apposant Ibrahim Maalouf et Amos Ben-Tal.

Dans son solo, Ida Viikinkoski accomplit des sortes de sauts temps de flèche attitude en reculant qui sont une véritable déclaration d’innocence. Dans le duo, Andréa Sarri est lui aussi dans le charme et l’insouciance en dépit du gros patch qu’il porte à l’épaule gauche. Bien que le duo se transforme en trio, avec l’arrivée de Marc Moreau, on ne repère pas de rivalité entre les garçons pour la fille. Le répétiteur revient sur des nuances d’interprétation ou sur des dynamiques de mouvement qui vont changer le sens et le perception du passage. Viikinkoski est très réactive. Moreau se voit souvent reprocher de ne pas être assez dans le relâché au début mais se reprend bien. Il reste néanmoins plus sur le contrôle que les deux autres. On ne se refait pas. Fernando Madagan annonce qu’il y aura sur le plateau une puis deux puis trois maisons rétrécissant l’espace au fur et à mesure que les danseurs entreront en nombre toujours croissant. Trois groupes différents s’additionneront au final : le trio, les gens de la ville puis les royalties et autres excentriques. Le titre de la pièce, « Impasse » ferait référence au sentiment d’enfermement et d’inéluctable créé par le COVID. Comme pour la soirée Cherkaoui, Voelker, Kerkouche à l’Opéra en novembre 2020, Impasse fut finalement créé en ligne par les danseur junior du Nederlands Dans Theater (NDTII)…

P1220729

Impasse. Johan Inger. Saluts

Au soir du 9 octobre, le résultat final laisse pourtant un tantinet perplexe. Si on y retrouve les qualités des ballets de Johan Inger. Il y a d’abord son habileté à lier sa chorégraphie à la scénographie, à la différence de ce qu’a pu faire le duo Leon-Lightfoot au NDT. On apprécie la séquence des Oty People (les gens de la ville), presque music-hall, avec son drôle de va-et-vient ramenant toujours plus de danseurs qui s’ajoutent. On comprend enfin la symbolique de l’arrivée des personnages colorés et divers : d’abord tentés par le conformisme (le trio se change pour le costume unisexe noir des citadins), nos trois innocents d’hier sont confrontés aux sirènes de l’ultra individualisme. Ils échappent in extremis à cette apocalypse vociférante en se glissant sous le rideau couperet qui descend lentement sur le devant de la scène. Pourtant, cette dernière séquence avec ces gesticulations et ces cris nous perd un peu. On se remémore certaines pochades déjantées proposées par Kylian à la fin de sa direction à La Haye. On ne s’est pas ennuyé, non. Johan Inger sait composer un ballet. Mais on ne ressort pas aussi inspiré qu’on a pu l’être après certaines de ses productions. Le succès est d’estime et on espère que le directeur de la danse saura donner une autre chance au Suédois qui serait à même d’enrichir le répertoire du ballet de l’Opéra de Paris.

Au final, ce programme d’ouverture, celui de la première saison authentique de José Martinez à la direction de la Danse, aura été truffé d’occasions manquées.

Commentaires fermés sur Forsythe-Inger à l’Opéra : presque…

Classé dans Humeurs d'abonnés, Retours de la Grande boutique

Programme d’Ouverture du Ballet de l’Opéra : Soir de Fête ?

P1220695Le programme William Forsythe – Johan Inger ouvre la saison du ballet de l’Opéra. Il signe le retour du « Maître de Francfort » à la grande boutique, qu’il avait plutôt boudée depuis le départ fracassant de Benjamin Millepied, éphémère directeur de la Danse, en 2016. Il permet également l’intronisation d’un chorégraphe trop longtemps laissé en dehors du répertoire, Johan Inger, à qui José Martinez, alors directeur de la Compania Nacional de Danza, avait commandé une création réussie, Carmen, présentée au Théâtre Mogador en 2019. En cela, le directeur de la Danse répare donc une injustice.

Mais on doit également à José Martinez la correction d’une autre injustice, celle de la raréfaction de la présentation du Grand défilé du corps de ballet de l’Opéra au public « ordinaire » (entendez celui qui ne prend pas de place pour le très cher gala d’ouverture). Cette saison, le programme du Gala aura été répété deux fois, donnant plus d’occasions à la compagnie et au public de se rendre mutuellement hommage.

*

 *                                  *

Le défilé, un cérémonial propre au ballet de l’Opéra, a été créé une première fois par Léo Staats sur la marche de Tannhäuser de Wagner en 1926 avant d’être repris et pérennisé avec le concours d’Albert Aveline, cette fois-ci sur la marche des Troyens de Berlioz, en 1946.

Tout produit du XXe siècle qu’il soit, il est pourtant une réminiscence d’une tradition beaucoup plus ancienne. Aux XVIIe et XVIIIe siècles, les danseurs, alors masqués, venaient en effet en préambule d’une représentation se présenter au public en faisant trois fois le tour de la scène (les hommes les bras croisés et les femmes agitant leur éventail). Le défilé, avec sa descente hiérarchisée des danseuses puis des danseurs n’est pas sans évoquer également le ballet équestre, l’une des formes initiales du ballet royal. Cette référence, peut-être inconsciente, établit pourtant entre les us et coutumes du passé d’ancien régime et l’époque contemporaine, un rapport de continuité troublant.

Interrogée ce week-end à l’amphithéâtre Bastille lors d’une répétition publique sur Mayerling au sujet de la différence entre les danseurs anglais et les danseurs français, Dana Fouras, la coach du Royal Ballet, a diplomatiquement répondu : « Disons pour ce qui est de ma génération, nous étions souvent des aspirants acteurs qui se sont découverts danseurs alors qu’ici, nous avons avant tout des danseurs ». Et il est vrai que, comparé à d’autres compagnies, le ballet de l’Opéra du XXIe siècle présente encore en priorité de « la belle danse » avant de chercher à raconter une histoire. C’est cela, l’École française…

En termes de Belle danse, notons que pour le défilé du 9 octobre, plus pourvu en étoiles que le soir du Gala, l’École de danse de l’Opéra défile avec plus de rigueur que le Ballet lui-même où on a à déplorer quelques lignes par trop sinueuses notamment chez les dames… Autre constatation, quand on est placé un peu haut et un peu loin du proscenium et qu’on est équipé d’un appareil de moindre qualité, il y a les danseurs qu’on photographie et ceux qu’on rate. J’ai ma petite théorie que la difficulté d’obtenir la netteté  du cliché est inversement proportionnelle à la qualité du danseur ou de la danseuse… Dans le ballet, on n’est pas là pour poser mais pour présenter un flot ininterrompu de mouvements. Myriam Ould-Braham était ainsi quasiment impossible à photographier… Certains des clichés qui suivent ont demandé beaucoup de corrections; d’autres nettement moins… Je n’avouerai pas lesquels.

*

 *                                  *

Autre passage obligé de la soirée de gala, la pièce d’occasion, costumée depuis déjà quelques années par la maison Chanel.

P1220696

Word for Word. Jack Gasztowtt, Hannah O’Neill, Guillaume Diop, Valentine Colasante et Rubens Simon

Word for Word, du chorégraphe My’Kal Stromite n’est hélas qu’une pochade qui ne marquera pas l’Histoire de la Danse. Valentine Colasante et Guillaume Diop introduisent la pièce dans un langage néo-forsythien, avec force levés de jambes, décalés et poignet coquettement cassés sur fond de musique électronique à la Tom Willems qui évolue, à la mi-temps du ballet, vers de très traditionnels accords plaqués au piano. Les deux danseurs sont rejoints par Hannah O’Neill, Jack Gasztowtt et Rubens Simon qui égrènent la même gestuelle éculée tout en épaulements chics et ports de bras «  je parle à mes mains pour savoir laquelle des deux je préfère ». Une petite section « classe d’adage » après les acrobaties du mouvement d’ouverture et un final de dos en contre-jour du foyer de la Danse tout illuminé comme pendant le défilé viennent parachever l’œuvrette.

Les costumes de la maison Chanel ne feront pas date non plus. Ils montrent en négatif combien créer pour la mode est un métier différent de celui de créer pour le théâtre ; n’est pas Yves Saint Laurent ou Christian Lacroix qui veut. Il faut avoir une connaissance certaine du théâtre et de ses conventions. Gabrielle Chanel avait certes donné des costumes de sa collection de Bains 1924 pour le Train Bleu de Massine mais elle avait aussi affublé les danseurs d’Apollon musagète de Balanchine de bonnets de bains à fleur en 1928 ; pas nécessairement une réussite. Pour Word for Word, les danseuses portent de lourds tutus rose poudré qui, de loin, ont plutôt l’air vieux rose (une couleur qui ne va pas à tout le monde) et les danseurs ont des vestes sans manche qui évoquent celles des tailleur Chanel… C’est du vu et revu…

Les applaudissements sont polis…. On commence la soirée déjà passablement irrité…

[A SUIVRE]

1 commentaire

Classé dans Hier pour aujourd'hui, Humeurs d'abonnés, Retours de la Grande boutique

A Londres : Alice’s Adventures in Wonderland, délicieux millefeuille chorégraphique

Alice’s Adventures in Wonderland. Royal Ballet. Royal Opera House. Samedi 28 septembre 2024. Matinée et soirée.

Viola Pantuso in Alices Adventures in Wonderland photo by Alice Pennefather

Viola Pantuso in Alices Adventures in Wonderland photo by Alice Pennefather

C’est la cinquième fois que le Royal Ballet reprend l’Alice’s adventures in Wonderland de Christopher Wheeldon depuis sa création en 2011.

En cette fin septembre, on vient donc confronter son souvenir enthousiaste de l’année 2012 à deux représentations de ce ballet vues consécutivement: une matinée et une soirée.

On se demande ce qui va rester d’Alice. Ce qui nous paraissait des trouvailles visuelles alors allait-il nous sembler éventé en 2024 ?

Alices Adventures in Wonderland The Royal Ballet photo by Alice Pennefather 2024

Alice’s Adventures in Wonderland. La magie de la production. photo by Alice Pennefather 2024

Mais après tout ce temps, l’enchantement visuel persiste. La production de Bob Crowley, fantaisiste et d’une kitsch crânement assumé (les costumes de la scène de la course des animaux ou encore ceux du ballet des fleurs, aux chapeaux dignes de l’ouverture de la saison à Ascot). Les décors, peints ou projetés qui semblent permettre tous les changements d’échelles subis par l’héroïne, surprennent toujours. On s’émerveille donc devant cette œuvre composite qui prend en compte toutes, les traditions anglaises du théâtre et du ballet: les pantomimes de Noël, les fééries à machinerie spectaculaire dans la tradition du ballet de cour baroque, les marionnettes (ah, ce Cheshire Cat en Kit !), le grand-guignolesque (la scène horrifique de la Duchesse et du bébé-saucisse)…

Tout semble au service de la narration. Les auteurs ainsi que le librettiste (Nicholas Wright), en inventant une idylle entre Alice et le Valet de Cœur (initiée dans le prologue « dans la réalité » entre Alice Liddell, et Jack, un jeune jardinier), ont sorti l’héroïne du statut de simple observatrice et ont ainsi évité de faire ressembler le ballet à une fastidieuse succession de tableaux de genre. Portée par l’ostinato horloger hypnotisant de la partition de Joby Talbot, le chorégraphe a presque décidé de s’effacer devant l’histoire qu’il avait à raconter.

Reconnaît-on un style chorégraphique spécifique qui serait celui de Christopher Wheeldon ? Non. Mais dans ce cas précis, ce n’est pas un défaut; bien au contraire.

Christopher Wheeldon a décidé d’embrasser toute la tradition du ballet anglais toujours dans l’optique de favoriser l’intelligibilité de l’histoire. L’utilisation du drag évoque Ashton: les méchantes sœurs de Cendrillon ou la mère Simone de la Fille mal gardée. Il convient parfaitement à l’évocation de la Duchesse-bouchère. MacMillan est également cité dans un porté (celui de Gloria) entre le Lapin blanc, le Valet de cœur et Alice. La variation du Valet de Cour à l’acte 3 cite les arabesques initiées de dos fouettées en 4° devant attachées au personnage de des Grieux dans Manon. Il est parfait pour donner un souffle romantique et une profondeur émotionnelle à ce personnage aux apparitions souvent subreptices. Wheeldon, qui fut soliste prometteur au New York City Ballet, cite aussi sa propre histoire d’interprète. Dans l’épisode du jardin enchanté, moment de plaisir presque sans nuage pour Alice, les Fleurs dansent dans le style du Balanchine de Thème et Variations tandis que les Cartes, durant les poursuites dramatiques, évoquent plutôt le Mr B. collaborant avec Igor Stravinsky. Pour le Chapelier fou, Wheeldon fait même une incursion dans le Music Hall et le Tap Dance; le cliquètement obsédant des bouts ferrés évoquant efficacement le discours profus mais désarticulé de l’hôte aux théières.

Mais revoir un ballet sur scène après un laps de temps aussi important, c’est aussi se confronter à de nouvelles distributions. Que fait la nouvelle génération d’Alice ?

*

 *                                      *

Dans un ballet qui multiplie les personnages secondaires, les fortunes sont nécessairement diverses.

Pour le couple principal, Alice et Jack-Valet de Cœur, on a toutes les raisons de se montrer satisfait même si on doit reconnaître un certain penchant pour la distribution de la matinée. Viola Pantuso, Première artiste de la compagnie, faisait des débuts réussis dans le rôle principal. Brune, la peau lumineuse, l’Alice de Pantuso dégage une grande juvénilité en dépit de son indéniable sûreté technique. Sa danse, qui se déroule en un flot continu, est crémeuse.

Son partenaire, Marcelino Sambé est touchant aussi bien en serviteur humilié qu’en Valet en fuite. Il accomplit de très beaux sauts de biche.

Dans leurs pas de deux « à leitmotivs », subreptices mais récurrents, les deux danseurs parviennent à créer une immédiate connexion. Dans la rencontre au jardin, durant l’acte de la Reine de Cœur, on est même saisi par un sentiment d’intimité et de plénitude.

Le couple de la soirée ne démérite pas; loin s’en faut. Francesca Hayward et William Bracewell ont absorbé toutes les nuances de la chorégraphie. Ils dansent avec une délicatesse et un fini anglais très agréable à l’œil. Mais, peut-être parce qu’on est encore sous le charme du couple de la matinée, la connexion émotionnelle de ce tandem de Principaux ne nous paraît évidente qu’à partir du pas de deux de l’acte 3. Mieux vaut tard que jamais.

Francesca Hayward and William Bracewell in Alices Adventures in Wonderland photo by Alice Pennefather 2024

Francesca Hayward and William Bracewell in Alice’s Adventures in Wonderland photo by Alice Pennefather 2024

Pour ce qui est des rôles secondaires, dont certains sont fort importants, la balance matinée-soirée penche de l’autre côté. En matinée, si on goûte beaucoup la Duchesse survoltée de Thomas Whitehead et le duo qu’elle forme avec la cuisinière infernale d’Olivia Cowley, si le poisson argenté que dessine Téo Dubreuil nous nous paraît très chic, si on s’émerveille de la plastique impeccable de Lukas Bjørneboe Brændsrød en mille-et-une-pattes et qu’on apprécie l’élégance un peu détachée de Calvin Richardson en Chapelier fou, on reste complètement à l’extérieur quand il s’agit du Lapin-Lewis Carroll de Luca Acri et de la Reine de cœur de Claire Calvert. Acri manque d’autorité en précepteur-photographe et son lapin met trop l’accent sur la gestuelle mécanique au risque de désincarner son personnage. C’est un peu comme si le danseur dépeignait moins le lapin que sa tocante. Claire Calvert quant à elle nous paraît peu adaptée au rôle. En mère du prologue, elle surjoue la cruauté et la crise de nerfs puis, en souveraine cruelle, n’est pas assez dans l’angularité pour rendre justice à son personnage.

Claire Calvert as The Queen of Hearts in Alices Adventures in Wonderland photo by Alice Pennefather

Claire Calvert as The Queen of Hearts in Alice’s Adventures in Wonderland photo by Alice Pennefather

*

 *                                      *

En soirée, on a également une Duchesse de choix (l’inénarrable Gary Avis) qui brave la mort avec aplomb rien que pour gagner au jeu de flamand-croquet, un Caterpillar avantageux (Nicol Edmonds qui tire son personnage vers le côté Bollywood). En Chapelier Mad Tapper, Steven McRae, le créateur du rôle en 2011, méconnaissable tant il est grimé, apporte une énergie roborative à son personnage et à toute la scène. Sous la houlette de ce leading man, les évolutions du lièvre de Mars et du Loir dans la théière (Valentino Zucchetti et Sophie Allnatt) nous paraissent drôle et jouissives. Un petit bijou de timing.

Francesca Hayward Valentino Zucchetti and Steven McRae in Alices Adventures in Wonderland photo by Alice Pennefather

Francesca Hayward, Valentino Zucchetti and Steven McRae in Alice’s Adventures in Wonderland photo by Alice Pennefather

James Hay, s’il ne fait pas oublier le Lewis Carroll d’Edward Watson, est en revanche un Lapin blanc vibrant et plein de ressort. Son jeu passe la rampe notamment quand il se retrouve coincé et inquiet avec son plateau de tartelettes devant la maison de la duchesse. À l’acte 3, sa variation dans la salle d’audience est un savoureux mélange de prétention et d’angoisse mal dissimulée.

Lauren Cuthbertson as The Queen of Hearts in Alices Adventures in Wonderland photo by Alice Pennefather

Lauren Cuthbertson as The Queen of Hearts in Alice’s Adventures in Wonderland photo by Alice Pennefather

Pour finir, la Reine de cœur de Lauren Cuthbertson, la créatrice du rôle d’Alice, est une authentique révélation. Mère à la froide élégance et à la cruauté pétrie d’indifférence à l’égard de sa fille, elle prépare beaucoup plus subtilement au registre acide et anguleux de la Reine de Cœur, souligné par les pizzicati agressifs imaginés par le compositeur Joby Talbot. Cuthbertson est beaucoup plus crédible que Calvert dans ses apparitions en char-cœur. Ses mouvements de télégraphe sont à la fois effrayants et drôles. L’Adage aux Tartelettes, magistral pastiche goguenard de Petipa, avec les quatre partenaires au bord de la crise de nerfs, est réglé à la seconde près. Lauren Cuthbertson y insuffle une forme d’électricité. Ses lignes claires et pures rendent les ruptures de ton (menaces ou grimaces, popotin en l’air ou reptations en grand écart) d’autant plus inattendues et hilarantes. La ballerine sait se montrer aussi tranchante qu’onctueuse. Sa danse avec le bourreau et son maniement de la hache sont irrésistibles.

Pendant le procès, elle parvient même à ajouter une dimension humaine à son personnage.

William Bracewell as The Knave in Alices Adventures in Wonderland photo by Alice Pennefather

William Bracewell as The Knave in Alice’s Adventures in Wonderland photo by Alice Pennefather

On se prend à regarder l’échange entre la reine et son mari (l’excellent Bennet Gartside) durant le pas de deux entre Alice et le Valet de Cœur. Un moment où la reine semble douter du bien-fondé de son autorité.

C’est sans doute cela qu’on aime dans l’Alice de Christopher Wheeldon : s’il était une pâtisserie, il serait sans doute un mille-feuille. La multiplicité des couches ne cesse de créer la surprise.

Alice’s Adventures in Wonderland sera diffusé dans les cinémas le mardi 15 octobre avec la distribution Heyward-Bracewell.

Viola Pantuso in Alices Adventures in Wonderland photo by Alice Pennefather 2024

Viola Pantuso in Alice’s Adventures in Wonderland photo by Alice Pennefather 2024

 

Commentaires fermés sur A Londres : Alice’s Adventures in Wonderland, délicieux millefeuille chorégraphique

Classé dans Blog-trotters (Ailleurs), Ici Londres!

Au Temps d’Aimer la Danse 2024 : Mont Ventoux (Kor’Sia). De l’Art du montage

Comme pour chaque édition, le théâtre de la Gare du midi, dont les espaces techniques abritent les salles de répétition du Malandain Ballet Biarritz ainsi que ses bureaux administratifs, est utilisé pour les représentations les plus exigeantes en termes de nombre de danseurs ou bien de scénographie. Le dimanche 8 septembre, le plateau accueillait ainsi le collectif Kor’Sia, cofondée par les chorégraphes Mattia Russo et Antonio de Rosa.

*

 *                                                  *

La compagnie, dont l’ambition est de « créer des dispositifs artistiques, autour du corps, donnant un nouvel accès à des manières d’être et d’être dans le monde », s’attaquait ici à un texte de Pétrarque où l’auteur relatait son ascension, réelle ou symbolique, du Mont Ventoux en 1336.

La pièce n’est pas sans qualités. La scénographie, léchée, présente sur le proscenium une façade en béton à grandes baies vitrées d’une maison moderne. On penserait presque à l’architecture futuro-montagnarde de la villa où Cary Grant vient sauver Eva-Marie Saint dans « North by Northwest » d’Alfred Hitchcock (1959).

Kor'sia©CdeOtero_01

Kor’Sia. Mont Ventoux. Photographie ©CdeOtero

Les rideaux qui occultent l’intérieur de la bâtisse s’ouvrent sur une scène dantesque. Derrière la baie vitrée, évoluant au ralenti, des danseurs et danseuses vêtus de camaïeux de gris et tee shirts transparents ressemblent en effet à une horde de damnés à moins qu’il ne s’agisse de flocons de neige poussés par le vent. Une toile représentant une montagne s’élève lentement dans les airs. La chorégraphie est fascinante et la gestion des flux et des masses de corps diablement maîtrisée. La troupe nous paraît nombreuse quand elle ne compte au final que neuf danseurs.

Dans une seconde section cette fois-ci devant la façade qui a subrepticement reculé, on regarde, hypnotisé, les courses échevelées des danseurs. qui sautent et tourneboulent les uns sur les autres. Ils chutent sur le dos, et se relèvent, s’entremêlent et défont tous les nœuds corporels apparemment inextricables. Les frimas de la première section sont devenus des vagues sous la houle, effet renforcé par longues chevelures qu’arborent certains garçons et filles.

Mais l’image du flux et reflux nous éloigne un peu du sujet du ballet à savoir de « changer de paradigme et de système, retrouver les valeurs fondatrices […] et remettre au centre l’humanité et la nature ». L’esthétique en frise ne nous semble pas embrasser l’idée d’une ascension et installe, plutôt que l’idée de changement, une anxiogène impression de sur-place.

Après un passage précieux avec une preuse en armure qui se dénude entièrement pendant que deux danseurs simulent chorégraphiquement un combat de bélier, on perd le fil puis l’intérêt. La pièce, qui s’éternise, nous paraît pétrie de redite et de poncifs : on n’échappe pas au traditionnel tableau à contre-jour de cyclo et au solo final sur musique de chœur.

Pour revenir à la référence cinématographique hitchcockienne, on aimerait parfois que les créateurs de danse apprennent l’art de la coupure au montage, si central au cinéma, au lieu de présenter, comme c’est la tendance actuelle, des additions de belles gestuelles et de bonne idées qui ne demanderaient qu’un peu de resserrement pour atteindre véritablement leur but et rendre intelligible leur propos.

LE TEMPS D'AIMER 2024 - KOR'SIA - MONT VENTOUX

MONT VENTOUX Collectif KOR’SIA, chorégraphes MATTIA RUSSO et ANTONIO DE ROSA. Photographie de Stéphane Bellocq.

Commentaires fermés sur Au Temps d’Aimer la Danse 2024 : Mont Ventoux (Kor’Sia). De l’Art du montage

Classé dans Blog-trotters (Ailleurs), France Soirs, Retours de la Grande boutique

Le Temps d’Aimer la Danse 2024 : Duos (2). Drôles de rencontres!

Pour cette édition 2024 du Temps d’Aimer la Danse, les duos peuvent parfois surgir là où on ne les attendait pas. Le Dimanche 8 septembre, les partenaires des danseurs étaient en effet des objets dont on pourrait considérer qu’ils sont inanimés. Et pourtant…

*

 *                                               *

Proyecto Larrua : Sangre y clorofila

Sur la place Clemenceau, devant la façade d’une célèbre chaîne de grands magasins, l’ambiance est à l’incertitude. Le temps, qui s’était montré plutôt clément durant la journée de samedi, s’est considérablement détérioré et la pluie s’en est donnée à cœur joie. Le matin, la gigabarre menée par Xenia West, la directrice du Ballett X Schwerin, a finalement eu lieu mais les danseurs ont dû ajouter le ciré à leur attirail de danse. La représentation de rue de cet après-midi de septembre semble bénéficier d’une courte éclaircie mais le sol reste humide. Il faut attendre de voir s’il sèche pour décider de la tenue ou non de l’évènement. On comprend vite pourquoi.

img_5942

Proyecto Larrua. Sangre y Clorofila

Le danseur en tenue rouge basque (ou rouge sang de boeuf) qui s’avance (Aritz Lopez), s’est choisi un bien pesant partenaire. Il s’agit en effet d’un lourd tapis de gazon artificiel de la taille du danseur roulé et lié par des liens de raphia. La rencontre pourrait paraître incongrue et pourtant…

Le Proyecto Larrua, spécialisé dans les spectacles de rue est décidément très inventif. Il y a deux ans, on avait déjà été fasciné par son « Idi begi » (« œil de bœuf ») sur le parvis du Casino municipal qui, avec seulement trois danseurs, parvenait à évoquer les labours. Ici, Aritz Lopez et Jordi Vilasceca, le duo de chorégraphes, se proposait de rendre hommage au peintre figuratif basque Vicente Ameztoy (1946-2001) dont les toiles présentaient souvent des individus presque translucides dans des paysages basques très verts.

La musique lancée distille tout d’abord des bruitages de tunnel autoroutiers avant de nous faire entendre des chants d’oiseaux et occasionnellement des chants religieux basques. Avec sa pesante pelouse artificielle, l’interprète entame un intrigant pas de deux, faisant une arabesque avec son fardeau, le berçant comme un nourrisson ou le faisant tournoyer autour de son haut de corps comme pour un concours de force basque. Parfois jeté au sol, l’inerte partenaire devient appui pour des passes chorégraphiques sur   les mains venues du hip-hop, des chandelles développées prises de la poitrine (l’incorrigible classique que je suis pense immanquablement au Jeune Homme et la Mort de Petit). Accessoirement le rouleau peut également devenir hamac, lieu de contemplation.

img_5940

Proyecto Larrua. Sangre y Colorofila.

L’interprète défait enfin les liens du tapis. La moquette vert gazon devient alors sol de danse, muleta de toréador ou encore couverture de survie. Sur une bande sonore de musique de corrida, le danseur rouge effectue une marche à genoux de soldat vaincu.

La pelouse redevient manteau. Aritz Lopez se cache dessous tout en tournant sur lui-même. On a l’impression de voir une montagne se mouvoir…

img_5943

Proyecto Larrua. Sangre y Clorofila. Saluts

*

 *                                               *

Akira Yoshida : Burial of the Bark

Yoshida_CdeOtero_03 (2)

Akira Yoshida : Burial of the Bark. Photographie CdeOtero

En fin d’après-midi, on retourne en salle, au Colisée, pour assister à un « duo » tout autant peu conventionnel. Dans Burial of the Bark, le chorégraphe et interprète Akira Yoshida délivre un solo … avec une valise-cabine à roulettes.

Le danseur-chorégraphe entre par la salle, traînant sa valise. Il marmonne des propos inintelligibles. On pense à un voyageur stressé qui chercherait son chemin dans une gare ou un aéroport inconnu. Quand il monte enfin sur scène, débute une musique staccato (Dodi Beteille) qui s’accorde parfaitement à la gestuelle saccadée qu’il adopte. Les mains et les épaules s’agitent de manière sporadique et désorganisée. On réalise que ces mouvements sont sans cesse polarisés par la valise à roulettes dont on pressent qu’elle est plus qu’un accessoire de scène. Quel secret contient-elle ? Akira Yoshida en tirera une chaise d’enfant sur lequel il s’assiéra parfois, un petit cadre orné d’une naïve gravure d’oiseau et une bouteille d’eau ; tout un ensemble de vestiges d’un passé diffracté auxquels le pauvre hère s’adresse. Les soliloques se succèdent en effet, parlant des mains qui auraient dû bâtir quelque chose mais qui sont impuissantes. C’est le monologue désarticulé du SDF ou du junky croisé au petit matin sur un quai de métro en plein hiver.

Par moments le danseur se lance dans des révolutions sur les mains inspirées du hip-hop (une technique qu’Akira Yoshida a d’abord étudiée avant d’évoluer vers la danse contemporaine). Ces évolutions muettes peuvent représenter des bulles d’harmonie où le corps, comme désengagé de l’esprit fracassé, s’envole en des volutes poétiques.

Mais il y a le retour à la terrible réalité où le pauvre solitaire titube, s’effondre et parle au bagage comme à un compagnon de fortune. Certains moments sont même éprouvants comme lorsque le danseur, couché sur dos, enfile le goulot de sa bouteille plastique dans sa bouche et ingurgite la totalité de son contenu. Puis il y a aussi l’insoutenable succession des rires et des pleurs qui finit par prendre le pas sur la musique et devient une mélopée à l’étrange beauté crève-cœur.

Et toujours, il y a ces brefs rattachements à un discours construit à défaut d’être cohérent. Le danseur termine le ballet en faisant une danse en spirale avec son bagage qui nous évoque, sur le mode pathétique, le pas de deux-baiser final du Parc de Preljocaj.

On ressort très secoué et profondément ému par cette drôle de rencontre.

img_5945

Akiro Yoshida. Burial of the Bark. Saluts.

Commentaires fermés sur Le Temps d’Aimer la Danse 2024 : Duos (2). Drôles de rencontres!

Classé dans Blog-trotters (Ailleurs), France Soirs

Le temps d’Aimer la danse : Marco Da Silva Ferreira / Martin Harriague. Duos (1)

Au festival du Temps d’Aimer, il n’est pas rare que des pièces jouées en des lieux ou dans des conditions de représentation fort éloignés se répondent au moins dans l’esprit du spectateur.

Le samedi 7 septembre, à quelques heures d’affilée, on a pu ainsi découvrir deux duos, l’un représenté en extérieur à Biarritz et l’autre en salle de spectacle à Bayonne.

*

 *                        *

Fantasia Minor de Marco Da Silva Ferreira fait ainsi partie de la « collection tout-terrain » du CCN de Caen où le chorégraphe a été Artiste associé entre 2019 et 2021. Le principe de ces pièces est d’être transposables dans différents espaces de représentation qu’ils soient en intérieur ou en extérieur. Ici, on se rassemble donc sur le parvis du Casino municipal autour d’une plateforme de danse, sorte de grand sommier gris carré de 4 mètres sur 4.

LE TEMPS D'AIMER 2024 - COMPAGNIE SKORPEIDON - ATHENA

Marco Da Silva Ferreira. « Fantasia Minor ». Collection « tout-terrain » du CCN de Caen. Photographie de Stéphane Bellocq.

Sur le bord, deux danseurs, un garçon et une fille, en costume blanc ajouré et sous-vêtement sport noir, chaussent de curieuses sneakers-bottines noires ainsi que des gants et une casquette du même ton.

La musique est un composite de la dernière pièce pour deux pianos de Franz Schubert, la Fantaisie en fa mineur opus 103, et de sons percussifs. La chorégraphie commence par des oscillations lentes autour de la plateforme avant que les deux danseurs sautent bruyamment dessus. Ils réitéreront deux fois ce saut sur deux autres côtés de leur plancher de danse. La gestuelle alterne les petits ploiements des genoux de plus en plus répétitifs qui les font ressembler à un couple de canards qui aurait perdu le chemin de l’étang et qui, dans un dandinement cartoonesque, essayerait de le trouver. Au début, on hésite à parler de duo tant les deux danseurs évoluent en parallèle et non en couple. La chorégraphie est clairement issue de la mouvance hip hop avec son esthétique angulaire et ses déploiements de jeux de forces. Sur la musique de Schubert noyée dans de l’électro, les deux danseurs exécutent des sautillés accroupis assez spectaculaires. Puis, dans une autre section, ils semblent faire un exercice de step en montant et descendant de la plateforme tout en faisant osciller leur jambe pliée de l’en dedans à l’en dehors. A un autre moment, par des petits sauts sur place, ils semblent mimer une course statique. On y ressent toujours une pointe de jauge de l’autre et de compétition.

Mais cette culture de la Battle, dont les talentueux danseurs Anka Postic et Chloé Robidoux sont issus, est lentement infléchie.

Avec le retour du Schubert seul se dessine un premier pas de deux où les danseurs marchent sur la pointe de leurs sneakers-bottines.

La chorégraphie, qui joue sur l’épuisement physique des interprètes, les engage aussi à se soutenir mutuellement. Les regards dans ce duo jumeau prennent une importance accrue sur le déroulé de la pièce.. Dans la dernière section, en dépit de la gestuelle mécanique et tressautée, les deux danseurs désormais seulement en sous-vêtement noir, ont fini par former un pas de deux aux contours hiéroglyphiques. Comme les quatre mains des pianistes qui s’agitent sur le clavier du piano, ils ont réussi à créer par synesthésie leur petite musique.

img_5931

« Fantasia minor ». Anka Postic et Chloé Robidoux.

*

 *                        *

MARTIN HARRIAGUE - EMILIE LERICHE - ENSEMBLE 0 - CROCODILE - LE TEMPS D'AIMER LA DANSE

CROCODILE de MARTIN HARRIAGUE. Martin Harriague et Emilie Leriche. Photographie Stéphane Bellocq

Le soir même, au théâtre Michel Portal de Bayonne, on était convié à une autre rencontre. Dans sa pièce au titre énigmatique, Crocodile, Martin Harriague, qu’on connaît pour ses créations engagées politiquement (on se souvient de son Sirènes) à grand renfort de scénographies léchées, malignes et parfois un peu touffues, opère une mue sensible qu’on trouve passionnante.

Sur scène, point de crocodile. Deux marimbas sont disposés de part et d’autre du lino de scène carré. Au centre un grand rectangle blanc couvert de sortes de post-it, à moins qu’il ne s’agisse des écailles du reptile éponyme, ressenti comme maléfique, absent. Sur un banc blanc, un garçon (Martin Harriague) est assis dos au public.

Une jeune femme entre et oscille du bassin. Elle s’arrête parfois. Ses ports de bras en spirales sont minimalistes. Le mouvement comme esquissé est pourtant plein. Les deux interprètes, par leur gestuelle sont dans une sorte de rugosité douce. Les corps dessinent des volutes. Parfois les interprètes se figent dans des positions statuaires : La danseuse (Emilie Leriche) dans des positions de déesse de Bourdelle et son partenaire parfois comme figé dans une course. Dans ces moments de pose, les regards sont intenses et se cherchent. La gestuelle alterne les timides tentatives faites de petits tremblements ou le geste large où les danseurs semblent essayer d’atteindre un point éloigné dans l’espace. Sur le premier tiers de la pièce, il n’y a aucun contact physique à proprement parler. Le mouvement de l’un impulse celui de l’autre. C’est comme si on pouvait matérialiser le vent qui fait voler une feuille sur le sol. Les deux partenaires semblent en recherche d’interactions sans jamais trouver de résolution définitive.

MARTIN HARRIAGUE - EMILIE LERICHE - ENSEMBLE 0 - CROCODILE - LE TEMPS D'AIMER LA DANSE

CROCODILE par MARTIN HARRIAGUE. Martin Harriague et Emilie Leriche. Photographie de Stéphane Bellocq.

Vont-ils se toucher? En ont-ils même besoin ? Car en dépit de l’absence de contact direct, l’atmosphère distillée exsude l’intimité.

Les mouvements des deux partenaires sont en contrepoint : si la fille a les jambes en l’air, assise au sol, le garçon debout a les deux bras en l’air : contraste et complémentarité.

On assiste à une tentative avortée du garçon de prendre la taille de la jeune femme. Et puis enfin le contact a lieu. Les deux mains se touchent et les deux interprètes se figent dans une forme de contemplation.

Puis le mouvement reprend, cette fois par chaînes de mouvement. Les imbrications d’abord tout en douceur, les regards et autres mouvements incantatoires des mains parlent de la découverte de l’autre. La chorégraphie alterne des sections plus lentes, des accélérations et des pauses. Lorsque Martin Harriague manipule Emilie Leriche, on ne la sent jamais agie par son partenaire comme on le voit trop souvent dans les chorégraphies contemporaines.

L’harmonie s’effiloche cependant. Dans une section plus « caoutchouc », les corps s’entremêlent au point de faire ressembler le couple à une bestiole à multiples pattes un peu monstrueuse. Est-ce l’expression de la difficulté qu’il y a souvent, une fois l’attraction assouvie, à passer au cap du devenir et rester un ? Les portés sont parfois plus acrobatiques, ce qui n’exclut pas les moments plus contemplatifs comme celui où la fille se couche sur le bas-ventre du garçon.

MARTIN HARRIAGUE - EMILIE LERICHE - ENSEMBLE 0 - CROCODILE - LE TEMPS D'AIMER LA DANSE

CROCODILE par MARTIN HARRIAGUE. Martin Harriague et Emilie Leriche. Photographie de Stéphane Bellocq.

À un moment, les deux danseurs se retranchent derrière le banc et devant le grand rectangle. En contre-jour, on les voit se dévêtir. Seule une marque de lumière rouge  est visible sur le rectangle blanc.

Personnellement, j’aurais aimé que la pièce s’arrête sur ce moment contemplatif où le couple semblait se trouver au point d’équilibre, à l’âge des possibles. Les danseurs évoluant sur une transcription pour Marimba de la partition de Simeon Ten Holt, Canto Ostinato, un dernier pas de deux a lieu, qui n’offre pas plus de résolution.

On ressort néanmoins profondément ému de Crocodile et très curieux des développements que va certainement prendre l’œuvre de Martin Harriague, passionnant interprète, scénographe inventif et désormais chorégraphe sensible.

Commentaires fermés sur Le temps d’Aimer la danse : Marco Da Silva Ferreira / Martin Harriague. Duos (1)

Classé dans Blog-trotters (Ailleurs), France Soirs

Le Temps d’Aimer la Danse 2024 : Cie Manuel Liñán. Féminins Pluriels

LE TEMPS D'AIMER 2024 - COMPANIA MANUEL LINAN - VIVA

¡VIVA!COMPAÑIA MANUEL LINAN Photographie de Stéphane Bellocq.

Biarritz, le 7 septembre 2024.

Le temps n’était pas avec nous en ce premier week-end du Temps d’Aimer la Danse à Biarritz. Il aura fallu jouer avec l’incertitude des averses surprises et donc avec l’incessante épée de Damoclès de l’annulation des évènements en extérieur. On profite néanmoins d’une jolie éclaircie sur le jardin Pierre Forsans, en face de la Gare du Midi, pour la répétition publique de la Cie Manuel Liñán.

Le chorégraphe-directeur présente sa pièce Viva ! comme une invitation dans sa chambre d’enfant où il se cachait pour danser les soli flamenco féminins. En effet, dans un monde chorégraphique très genré, vouloir danser les chorégraphies féminines, était des plus mal vu. On ne peut s’empêcher de penser à l’un des épisodes du seul en scène de Guillaume Gallienne, « Les garçons et Guillaume, à table ! » où le narrateur se rend compte un peu tard qu’il a fait se tordre de rire une salle des fêtes entière parce qu’il a appris la Sévillane avec des femmes qui lui ont inculqué leurs roulés de poignets fruités et leur bas de jambe repousse traine à volants. On se demande si c’est sur une registre comique ou volontairement outrancier (à la manière du récent Car-Men des Chicos Mambo) que Manuel Liñán se propose d’interroger l’assignation au genre dans sa pièce pour six danseurs-danseuses et cinq musiciens.

Pour cette présentation en extérieur, seul le chorégraphe danse sur de la musique enregistrée, ses acolytes restant assis sur un banc.

Sur un bourdonnement de corde en ostinato et des chants masculins, Liñán, d’abord en chaussettes, commence sa chorégraphie de dos. Poignets et bras ondulent comme un cygne du Lac classique. Le danseur recule lentement vers le bord de la scène. Puis, il se présente de face en position d’orant. La jupe de répétition noire, très sobre est relevée dans un froufrou très étudié. Les bras et les poignets sont beaucoup plus sollicités que pour un solo masculin. Cette répétition publique laisse beaucoup de questions en suspens sur la forme que prendra le spectacle.

Le soir, lors de la représentation au Casino Municipal, Manuel Liñán débute ¡Viva ! par le premier solo qu’il avait présenté dans la matinée mais en robe rouge, perruque  et peigne. On est surpris par la présentation absolument littérale de l’esthétique flamenca. Il en est de même pour les autres danseurs-danseuses, tous habillés de robes à volants de couleurs différentes, qui apparaissent sur des bancs et font des palmas pendant le solo de la danseuse rouge. Excepté la scénographie, avec ses musiciens qui s’inscrivent d’abord en filigrane à jardin derrière un rideau à frange, la représentation est très caractéristique d’un spectacle de flamenco traditionnel avec son alternance de danses, de chants et de solos musicaux. La pièce, pas dénuée d’humour, notamment lorsque le chorégraphe-danseuse en rouge voit ses jupes soulevées par ses acolytes et les repousse par les crépitements endiablés de ses talons ferrés, ne joue pas sur le registre de parodie. Le plus grand des danseurs, également chanteur, vêtu d’une robe rose, marche sur un chemin de bancs tracé par ses partenaires. On se croirait dans un tablao. Dans le courant de la représentation, cette danseuse gratte-ciel forme un duo avec l’un des chanteurs d’une tête plus court qu’elle. L’association ne nous paraît pas pour autant loufoque. On se concentre sur les interactions entre les interprètes et non sur la question du travestissement. Une danseuse en vert, très aguicheuse, retrousse ses jupes avec gusto. Avec la danseuse à la robe brune, on perçoit toute la puissance de la danse féminine. C’est gracieux sans minauderies. Les zapateados claquent à l’oreille d’une manière plus que martiale. Les palmas vous sonnent l’oreille. On se rend compte, à la mi-temps de la pièce, qu’on a cessé de se demander quel était le genre de ses danseuses en robes à volant. Après tout, dans le monde du flamenco où les carrières durent longtemps, il n’est pas rare d’admirer le métier de danseuses aux corps solides et aux visages anguleux.

LE TEMPS D'AIMER 2024 - COMPANIA MANUEL LINAN - VIVA

¡VIVA! COMPAÑIA MANUEL LINAN. Photographie de Stéphane Bellocq.

On regrette donc presque, tout en l’appréciant pour ce qu’il est, un passage comique aux deux tiers de la pièce où une Fanny Elssler – Cachucha et une Marie Taglioni – Gitana font assaut d’œillades de pacotille et de virtuosité à grands renforts de fouettés, de pirouettes attitude et de sauts. Cet intermède « Trocks » nous parait déplacé tant on était passé à autre chose.

On se replonge donc prestement dans l’ambiance pendant une séquence avec le guitariste. Le solo expressif et sans afféterie d’une danseuse en vert gagne subtilement en puissance dramatique sur la durée. Le final de la pièce, peut-être un peu long, voit tous les danseurs-danseuses arborer une robe blanche à pois noirs et un châle vert à franges tellement attendus qu’ils nous paraissent totémiques. Au fur et à mesure, les interprètes se dévêtissent et se démaquillent, offrant au regard leurs corsaires de lycra chair et leurs corsets surmontés de soutiens gorges rembourrés. Sans infléchir à proprement parler leur danse, Ils nous confrontent de nouveaux à la virilité de leurs évolutions. Le poignant dialogue que Manuel Liñán engage avec une des robes à pois, sorte de Toison d’or, à la fois objet de fascination et sujétion, termine la pièce sur une note puissamment émotionnelle.

LE TEMPS D'AIMER 2024 - COMPANIA MANUEL LINAN - VIVA

¡VIVA! par la COMPAÑIA MANUEL LINAN. Photographie de Stéphane Bellocq.

Commentaires fermés sur Le Temps d’Aimer la Danse 2024 : Cie Manuel Liñán. Féminins Pluriels

Classé dans Blog-trotters (Ailleurs), France Soirs

Le Lac des Cygnes à l’Opéra de Paris : princesses lointaines

P1220629En 1984, Rudolf Noureev a présenté sa version définitive du Lac des cygnes. Son premier essai, réussi, avait été créé à Vienne, en 1964 alors qu’il dansait lui-même le prince Siegfried aux côtés de sa partenaire de prédilection Margot Fonteyn. Sa version d’alors était très proche encore de la structure traditionnelle du ballet tel que représenté en Russie et, à l’époque, dans très peu de pays d’Europe de l’Ouest (le ballet de l’Opéra n’a eu sa première version du Lac qu’en 1960). Noureev y développait cependant le rôle du prince, en faisant un être aux prises avec les doutes. Il reprenait une variation qu’il avait déjà présentée à Londres avec le Royal Ballet et qui avait d’ailleurs été fort critiquée pour ses complications jugées maniérées. Pour l’acte trois, il créait un pas de deux hybride utilisant la musique de l’entrada, de la variation du cygne noir et la coda utilisées par Vladimir Bourmeister pour sa version du Lac mais gardait la musique traditionnelle pour la variation de Siegfried. A l’acte 4, il chorégraphiait un très bel ensemble choral pour les cygnes, un pas de deux d’adieux poignant pour Odette et Siegfried et rompait avec la tradition du dénouement heureux soviétique. La dernière image montrait Siegfried se noyant tandis que le cygne semblait flotter sur les eaux du lac en furie.

En 1984, Noureev poussait les états d’âmes du prince à un point sans doute jamais atteint alors pour une version classique. Selon le danseur et chorégraphe, Siegfried, à un moment charnière de sa vie, sommé de se marier par la reine sa mère, bascule lentement dans la folie. Dominé par Wolfgang, son précepteur, il le réincarne dans son esprit en oiseau maléfique, Rothbart, et s’invente une compagne aussi idéale qu’impossible, Odette, la reine des cygnes. Le ballet est traversé de références freudiennes à l’homosexualité. La palette des costumes des garçons des premier et troisième actes incluent le vieux rose et le parme. La danse des coupes, qui clôt l’acte 1 est uniquement dansée par des garçons. Le prince ne quitte jamais son palais minéral. Le lac est volontairement réduit à une pâle toile de fond. Noureev multiplie aussi les références aux conventions les plus éculées du théâtre comme pour mettre un peu plus en abyme l’histoire. L’envol de Rothbart et du cygne qui ouvre et conclut le ballet est directement inspiré des apothéoses baroques. Noureev, qui avait durant toute sa carrière à l’ouest combattu les conventions de la pantomime notamment dans le Lac des cygnes, décide de restaurer la pantomime originale de la première rencontre entre Odette et Siegfried comme pour créer une distance supplémentaire avec l’histoire. Cependant, on peut, à la différence d’un « Illusion comme le Lac des cygnes » de John Neumeier (1976), ignorer le sous-texte et regarder un Lac presque traditionnel.

Pourtant, lors de cette reprise 2024, jamais il ne m’a tant semblé que les cygnes étaient des visions nées de l’imagination enfiévrée du prince.

*

*                                    *

P1220511

Le Lac des cygnes. Valentine Colasante et Marc Moreau.

Au soir du 22 juin, Marc Moreau incarne véritablement son prince. Lui, si longtemps minéral, a travaillé sur le moelleux de la danse. Les pliés sont désormais profonds. Surtout, on admire ses bras et ses mains qui interrogent ou qui cherchent à atteindre. Cela fait merveille à l’acte deux avec le cygne noble, à la belle et longue ligne, de Valentine Colasante. Le dialogue par les mains de Siegfried dépasse la pantomime inscrite. Moreau reste en scène pendant toute la variation des envols contrariés d’Odette. Dans l’adage les deux danseurs semblent suspendre l’orchestre par leur danse réflexive.

A l’acte 3, la pantomime bien accentuée de Marc Moreau lui fait refuser les prétendantes avec énergie. Le pas de deux du cygne noir est bien enlevé. Valentine Colasante est sereine dans la puissance : dans l’adage, l’équilibre arabesque du cygne noir est véritablement suspendu et dans sa variation, elle exécute les tours attitudes de manière très rapide et les achève d’une manière très nette. Marc Moreau se laisse aller à sa tendance aux fins de variations démonstratives, un peu à la soviétique, mais comme il maîtrise parfaitement sa partition, on attribue cela à l’exaltation de Siegfried. Le tout est soutenu par la présence de Jack Gasztowtt, Wolfgang convaincant et Rothbart plein d’autorité même si on a toujours une petite pointe d’appréhension lorsqu’il exécute sa série de pirouettes en l’air. Le dénouement est très dramatique. Siegfried-Marc se parjure exactement sur le tutti de l’orchestre.

L’acte 4 est poignant. Le prince recherche fiévreusement son cygne au milieu des entrelacs élégiaques des cygnes agenouillés. L’adage des adieux est, avec ses oppositions de directions bien marquées et la suspension des deux partenaires, une vraie conversation dansée. Odette-Valentine y est à la fois noble et distante. Si bien que si l’on ressort très ému, c’est finalement plus par le destin brisé du prince que par la destinée tragique d’Odette.

*

*                                     *

P1220547

Le Lac des cygnes. Sae Eun Park (Odette/Odile) et Paul Marque (Siegfried).

Le 28 juin, on apprécie les beaux développés suspendus et des finis de pirouettes impeccables de Paul Marque à l’acte 1. Il dessine un prince très dubitatif face au Wolfgang marmoréen a force d’impassibilité de Pablo Legasa. Ce dernier parvient vraiment à imposer d’entrée une forme de présence menaçante. Lorsqu’il tourne autour de Siegfried, caressant de sa main le cou du prince à la fin de l’acte 1, on se demande vraiment s’il ne pense pas à l’égorger.

A l’acte 2, Sae Eun Park fait de jolies choses. La ligne est belle. Dans la variation des ailes coupées, le dernier posé piqué semble s’affoler ce qui donne du relief à l’ensemble de cette section. Elle ne regarde jamais vraiment son partenaire comme absorbée par son monologue intérieur.

Pour l’acte 3, Paul Marque est un Siegfried valeureux qui mange l’espace pendant la coda. Sae Eun Park présente un cygne noir plein d’autorité avec cependant un certain relâché bienvenu car inhabituel chez cette danseuse. Les tours fouettés de la coda sont très rapides et hypnotiques. Pablo Legasa est lui aussi dans l’extrême prestesse d’exécution. Cette forme d’urgence sied bien au quatrième acte et contraste heureusement avec l’ambiance brumeuse et tragique de l’acte 4.

Néanmoins, si l’adage final entre les deux étoiles est très harmonieux et poétique visuellement, l’Odette déjà absente de mademoiselle Park, pour conforme qu’elle soit à la vision de Noureev, nous émeut moins. En revanche, le combat final de Siegfried-Paul avec l’implacable Rothbart-Pablo, très « cravache », termine le ballet sur une note ascendante.

*

*                                    *

P1220588

Le Lac des cygnes. Thomas Docquir (Rothbart), Hannah O’Neill (Odette/Odile) et Germain Louvet (Siegfried).

Le 3 juillet, Germain Louvet est un prince à la ligne éminemment romantique. C’est un plaisir de voir tous ses atterrissages impeccables et les jambes qui continuent de s’étirer après l’arrivée en position. En Wolfgang, Thomas Docquir reste très impassible à l’acte 1. Il est difficile de déterminer si c’est un parti-pris dramatique ou le fait d’un manque d’expressivité.

A l’acte 2, Hannah O’Neill a de très belles lignes mais reste très lointaine, très « dans sa danse ». Les deux étoiles, dont l’accord des lignes nous avait déjà conquis lors de Don Quichotte en mars dernier, rendent la rencontre tangible lors d’un fort bel adage.

A l’acte trois, le pas de deux du cygne noir est bien mené même si l’entrada manque un tantinet d’abattage. Germain Louvet ne pique pas sur demi-pointe pour permettre une arabesque plus penchée à sa ballerine. C’est certes efficace, mais pourquoi danser la version Noureev si c’est pour servir la même cuisine vue ailleurs ? La salle nous semble un peu molle. C’est peu justifié au vu des variations : celle de Louvet est irréprochable et dans la sienne, O’Neill se montre très sûre dans ses tours attitude. Thomas Docquir, sans déployer le même charisme que Legasa, s’acquitte très bien de son très pyrotechnique solo. La coda, avec les fouettés du cygne noir et les tours à la seconde du prince, réveille néanmoins le public jusqu’ici atone.

A l’acte 4, Germain Louvet et Hannah O’Neill nous gratifient d’un bel adage réflexif. La ballerine, qu’on a trouvé jusqu’ici trop intériorisée, parvient même à être touchante lorsqu’elle mime « ici, je vais mourir ». On est néanmoins un peu triste de n’avoir pas plus adhéré au couple. On a l’étrange impression que Germain Louvet, faute d’avoir une Odette en face de lui, était le cygne ; une interprétation intellectuellement intéressante mais qui nous laisse émotionnellement sur le bord de la route.

*

*                                 *

P1220608

Le Lac des cygnes. Bleuenn Battistoni (Odette/Odile).

On attendait donc beaucoup de la soirée du 10 juillet. En effet, Hugo Marchand, qui devait initialement danser aux côtés de Dorothée Gilbert, était désormais distribué avec la toute nouvelle étoile Bleuenn Battistoni.

A l’acte 1, Marchand est un prince aux lignes parfaites, aux bras crémeux dans sa variation réflexive et aux entrelacés silencieux. Ce Siegfried n’est pas absent à la fête et interagit avec les courtisans. Ce pourrait être un parti pris intéressant si Florent Melac était plus ambivalent en Wolfgang. Dans le pas de deux qui clôt l’acte 1 et préfigure l’acte 4, Melac n’est rien de plus qu’un conseiller sérieux et écouté. A l’acte 2, Bleuenn Battistoni exprime tout par le corps et garde un visage assez impassible. Les arabesques sont étirées à l’infini, le buste semble flotter au-dessus de la corolle du tutu, le cou est mobile, les bras sont sobres mais d’une grande délicatesse. Tous les ingrédients sont là pour créer une grande Odette. L’adage avec Siegfried est un plaisir des yeux tant les longues lignes des deux danseurs s’accordent. De plus, Hugo Marchand est un prince qui réagit au récit d’Odette pendant toute sa variation plaintive. Pour le final, Marchand enserre délicatement le cou de sa partenaire comme si elle avait déjà repris sa condition animale.

A l’acte 3, pour le pas de deux du cygne noir, les critères techniques sont largement atteints. Battistoni, toujours dans la stratégie du less is more en termes d’interprétation, fait preuve d’une grande autorité technique. Sa variation avec double attitude est immaculée. Hugo Marchand a des grands jetés suspendus et des réceptions moelleuses. Florent Melac exécute une bonne variation de Rothbart même si son personnage manque toujours un peu de relief. On s’étonne cependant un peu de rester sur des considérations purement techniques. Adhère-t-on vraiment à l’histoire ?

A l’acte 4, on apprécie le bel adage des adieux entre Odette et Siegfried : les lignes sont parfaites et les décentrés suspendus. On reste néanmoins un peu à l’extérieur du drame. Mais juste avant la dernière confrontation entre Siegfried et Rothbart, Odette-Bleuenn a un éclair dans le regard quand elle tend désespérément son aile vers Siegfried. C’est sur ce genre de fulgurance que la jeune et talentueuse ballerine devra travailler lors de la prochaine reprise afin de se mettre au niveau d’interprétation d’un partenaire tel qu’Hugo Marchand.

*

*                                     *

On était un peu triste, au bout de quatre représentations, de ne pas avoir été emporté par un cygne. D’autant qu’il y a des motifs de réjouissance du côté des solistes et du corps de ballet. Ce dernier, malgré un temps relativement court de répétition, se montre presque au parfait. La grande valse du premier acte, avec ses redoutables départs de mouvement en canon, est tous les soirs tirée au cordeau. La polonaise des garçons est digne de la discipline d’un ballet féminin. Les danses de caractères de l’acte 3 sont fort bien réglées. Dans la napolitaine, on a un petit faible pour le couple que forment Nikolaus Tudorin et Pauline Verdusen (qui fait ses adieux sur cette série), très primesautier, mais Hortense Millet-Maurin (également tous les soirs dans un quatuor de petits cygnes extrêmement bien réglé) et Manuel Garrido ont le charme et la fraicheur de la jeunesse. On est également rassuré de voir balayer le souvenir mitigé des pas de trois de la dernière reprise qui s’étaient avérés souvent mal assortis et avaient mis en lumière une certaine faiblesse chez les garçons. Pour cette mouture 2024, on trouve le plus souvent sujet à réjouissance. Les 22 juin, Ines McIntosh est très légère et délicate dans la première variation. Silvia Saint Martin est tolérable et Nicola di Vico a de beaux doubles tours en l’air bien réceptionnés et un vrai parcours. Les 28 juin et 3 juillet, on assiste aussi à un pas de grande qualité avec un trio réunissant Andrea Sarri, condensé d’énergie et de ballon, Roxane Stojanov enjouée et légère et Héloïse Bourdon alliant moelleux et élégance. Le 10 juillet, Camille Bon se montre élégante et déliée et Hoyhun Kang très légère. Antonio Conforti, partenaire sûr comme à son habitude, délivre une variation irréprochable et d’un bel abattage. Il prend même le temps de saluer le prince tandis qu’il accomplit ses exercices pyrotechniques. Enfin, le 12 juillet, le trio réunissant Mathieu Contat, Bianca Scudamore et Clara Mousseigne ne manque pas de talent. Contat fait un beau manège de coupé jeté, Scudamore est d’une grande légèreté dans la seconde variation mais Mousseigne, toujours trop démonstrative, se met parfois hors de la musique pour montrer ses atouts techniques…

*

*                                        *

P1220639

Le Lac des cygnes. Héloïse Bourdon (Odette/Odile) et Jeremy-Loup Quer (Siegfried).

Le 12 juillet… Il aura fallu attendre le 12 juillet pour que je sois ému par une Odette. Enfin un cygne de cœur, de chair et de sang ! Héloïse Bourdon, désormais une habituée du rôle, vient magnifier de tout son métier la maîtrise souveraine de la technique noureevienne. Les ports de bras sont crémeux ; l’arabesque haute de même que les développés (la variation) ; les ralentis contrôlés. Mais surtout, mais enfin, il se dégage de cette Odette une humanité, une sensibilité qui passe par-delà la rampe. Cette Odette regarde son Siegfried de ses yeux mais aussi… de son dos (adage). Pour que le parti-pris du « rêve du Prince » développé par Noureev fonctionne, il faut que le mirage de la femme sensible et idéale soit plus vrai que nature et non désincarné. La quasi perfection des cygnes du corps de ballet, à la fois disciplinés et vibrants (on regrette un vilain décalage de lignes côté jardin sur le triangle saillant à l’acte 4) reçoit enfin le couple qu’il mérite. En Siegfried, Jeremy-Loup Quer présente une belle danse noble et musicale sans aucun accroc. Ses intentions sont bonnes (la façon dont il réalise que son arbalète effraie le cygne) même si sa projection est encore intermittente. On salue le progrès accompli par cet artiste. En Rothbart, Enzo Saugar doit en revanche trouver l’équilibre entre sa technique, qui est très impressionnante, et son interprétation, qui est assez pâle.

On se laisse porter, comme le reste de la salle, très enthousiaste de bout en bout, par le couple Bourdon-Quer. Le cygne noir de Bourdon est serein dans la puissance, et le prince de Quer exalté et bondissant. Les adieux à l’acte 4 sont déchirants.

Disparaissant dans l’océan de fumigènes tandis que Rothbart emporte la princesse définitivement métamorphosée, on est profondément ému par la façon dont la main du prince semble surnager avant de disparaître à nouveau comme engloutie par le Lac.

L’émotion, enfin !

P1220631

4 Commentaires

Classé dans Hier pour aujourd'hui, Retours de la Grande boutique