La tradition américaine, largement diffusée de par le monde, a fait des fêtes de Noël le temps de Nutcraker. Le Royal Ballet offre aux balletomanes une alternative à ce redoutable rituel de l’Avent avec son triple programme disparate mais festif ainsi qu’avec « The Wind in the Willows » [un ballet d’enfants de Will Tuckett, chorégraphe maison, présenté au Studio Linbury et dont nous aurons à reparler]. Mais Casse-Noisette est bien là aussi, dans la version de Peter Wright.
Le ballet présenté le 23 décembre en matinée aura été pour moi à la fois familier et surprenant. La production est déjà fort vénérable puisqu’elle date de 1984 (elle a remplacé la version Noureev de ce ballet dont le Royal a été le premier récipiendaire). Elle est bien connue des balletomanes par une captation vidéo avec les créateurs du rôle de Sugar Plum et de son Prince, Lesley Collier et Anthony Dowell. Les décors cossus du premier acte et l’enchantement pâtissier du second (il a lieu littéralement dans la pièce montée entraperçue pendant la fête), l’argument, collant au conte d’Hoffmann adouci par Dumas, la danse des automates (excellents James Hay et Yasmine Naghdi dans le Soldat et la Vivandière), les anges du sapin glissant sur scène comme des patineuses sont bien encore là mais j’étais vraisemblablement passé à côté de la révision de ce classique en 1999 par Peter Wright, pourtant elle aussi filmée en 2010.
L’altération réside principalement dans le développement des rôles dansés de Clara et de Hans Peter (le neveu ensorcelé de Herr Drosselmeyer —Bennet Gartside—, transformé en Casse-Noisette). Dans la version 1984, comme dans de nombreuses versions de par le monde, Clara et son chevalier servant assistaient sagement comme nous au spectacle donné pour eux par la fée Dragée et le prince Orgeat. Désormais, les deux grands enfants batifolent au milieu des danseurs du divertissement dont la chorégraphie n’a été que peu altérée par leur présence.
On ne s’en plaindra pas. Elizabeth Harrod est une jolie brune à l’ossature légère et délicate douée d’une jolie musicalité et dansant avec fraîcheur. Ce fut un plaisir de la voir évoluer au centre du quatuor féminin de la danse des mirlitons (en place du traditionnel trio de porcelaine de saxe des versions russes repris par Noureev), d’autant que les changements de Peter Wright, effectifs pour le deuxième acte, brouillent un peu les pistes au premier. En effet, Clara avait dans la première version de ce classique un frère de son âge. Ici, elle est affublée d’un petit garnement moitié moins grand qu’elle issu de l’école de danse (celui qui lui casse —le casse— noisette) et elle paraît tout à coup bien grandette pour recevoir une poupée. La partie dansée de l’ancien rôle de Fritz est dévolue à un « partenaire de Clara » (James Wilkie) qui ne se montre pas insensible aux charmes de la jeune fille mais qui est évacué à la fin du premier acte.
Dans Hans Peter-Nutcraker, Brian Maloney virevolte avec un mélange de grâce et de fougue. Il forme un trio roboratif dans la danse russe aux côté de Michael Stojko et de James Wilkie.
Les maîtres de cérémonie à Confiturembourg étaient Laura Morera et Federico Bonelli. Mlle Morera, sans avoir l’éblouissante plastique de Sarah Lamb dans le même rôle, a dansé son pas de deux avec une délicatesse d’enlumineuse : des directions subtilement indiquées, ses équilibres bien suspendus, sa légèreté sur pointe semblaient évoquer Ashton dont ce n’est pourtant pas la chorégraphie. Federico Bonelli, quant à lui, séduit encore une fois par sa bouillonnante énergie. Dans ce genre de rôle, qu’il danse au parfait, il semble toujours prêt à déborder, tel du lait sur le feu.
Ajoutez à cela une Ikaru Kobayashi en sereine et élégante reine des roses, un corps de ballet bien rôdé dans la valse des fleurs et on a pu avoir le sentiment de consommer un dessert de Noël, certes un peu attendu, mais à la saveur chaleureuse.
ROH, Triple bill Fokine, Robbins, Petipa-Nureyev: Matinée du 22 décembre 2012.
Firebird, avec son décor inspiré des icônes byzantines, sa musique subtilement étrange, ses monstres, ses sortilèges, et sa chorégraphie oscillant entre la danse de caractère (la cour de Kostcheï) et le tableau vivant (la simplicité des cercles de princesses enchantées qui séparent Ivan de la belle Tsarevna) fut certes un enchantement. Itziar Mendizabal, toujours très à l’aise dans l’allegro, le parcours et le saut, donnait une présence charnelle et animale à son oiseau de feu. À aucun moment on ne la sentait se soumettre totalement à Ivan Tsarevitch : vaincue certes, mais seulement momentanément, elle rachète sa liberté avec une fierté un peu altière. L’oiseau ne sera jamais apprivoisé. Dans le rôle du prince, essentiellement mimé, Benett Gartside développe intelligemment son personnage. Très peu prince au départ, voire mauvais garçon, il semble naïvement découvrir les rudiments de la politesse formelle lorsqu’il salue la princesse et ses sœurs dans le jardin enchanté. Dans son combat contre le magicien Kostcheï (un truculent Gary Avis, à la fois effrayant lorsqu’il remue ses doigts démesurés et drôle lorsqu’il se dandine d’aise à la vue de la bacchanale réglée au millimètre et avec ce qu’il faut de maestria), il fait preuve d’une inconscience toute juvénile. Triomphant finalement grâce à l’oiseau, revêtu de la pourpre devant le somptueux rideau de fond de Gontcharova, il lève lentement le bras vers le ciel. Mais ce geste martial est comme empreint de doute. Avant d’élever sa main au dessus de la couronne, on se demande si Ivan ne cherche pas à la toucher pour s’assurer que son destin n’est pas un songe.
Passer de cette rutilante iconostase au simple ciel étoilé d’In The Night n’est pas nécessairement très aisé. Il ne s’agit pas que d’une question de décor ; la proposition chorégraphique est diamétralement opposée. Dans In the Night, la pantomime se fond tellement dans la chorégraphie qu’on oublie parfois qu’elle existe. Et dans l’interprétation du Royal, elle est parfois tellement gommée que l’habitué des représentations parisiennes que je suis a été d’autant plus troublé. Dans le premier couple, celui des illusions de la jeunesse, Sarah Lamb et Federico Bonelli ont fait une belle démonstration de partnering, dès la première entrée, les deux danseurs sont bien les « night creatures » voulues par Robbins. Mais cette atmosphère créée, elle reste la même durant tout le pas de deux. Dans le passage du doute, on cherche en vain un quelconque affrontement, même lorsque les danseurs se retrouvent tête contre tête dans la position de béliers au combat. Reste tout de même le plaisir de voir la mousseuse Sarah Lamb, ses attaches délicates et l’animation constante de sa physionomie ainsi que son partenaire, Bonelli, essayant de dompter sa bouillonnante nature dans l’élégant carcan créé par Robbins. Dans le second pas de deux, Zenaida Yanowsky et Nehemiah Kish font preuve à la fois des mêmes qualités mais aussi des mêmes défauts que Lamb-Bonelli. Leur couple a l’élégance et le poids requis, mais les petites bizarreries chorégraphiques propres à Robbins sont par trop adoucies. Lorsque la femme mûre s’appuie le dos sur le poitrail de son partenaire, on aimerait voir sa quatrième devant tourner plus dans la hanche car à ce moment, la compagne soupire par la jambe. L’emblématique porté la tête en bas est également négocié d’une manière trop coulée. On en oublierait presque que le couple vient d’avoir un furtif mais tumultueux désaccord au milieu de son océan de certitudes.
Après ce pic émotionnel, Raymonda, Acte III demande de nouveau un sévère effort d’ajustement. D’une part parce que les fastes petersbourgeois et académiques du ballet paraissent là encore aux antipodes de l’impressionnisme sensible de Robbins mais aussi parce qu’il faut oublier les harmonies cramoisies et or de la version parisienne pour le crème de cette production datant (un peu trop visiblement) des années soixante. Quelques idées seraient cependant à emprunter par Paris à cette présentation : le montage qui réunit dans cet acte III toutes les variations dévolues à Henriette et Clémence sur les trois actes et l’usage d’un décor (quoique moins outrancier que ce délire romano-byzantin pâtissier que possède le Royal). En revanche, si la reprise londonienne de Raymonda Acte III se voulait un hommage à Noureev, le but ne semble pas atteint. Le corps de ballet, aussi bien dans la Czardas que dans le grand pas classique hongrois émoussait par trop la chorégraphie polie par Noureev d’après l’original de Petipa. On se serait plutôt cru devant une version « russe » que devant une interprétation « occidentalisée » de ce classique.
Soirée du 19 décembre

Tuesday, December 11
Soirée du 6 décembre 2012 : programme Forsythe-Brown