Forsythe-Brown : sur orbite

P1010032Soirée du 6 décembre 2012 : programme Forsythe-Brown

Revoir In the Middle… Il a fallu passer par le choc des cinq premières minutes ; il a fallu oublier le passé : Laurent Hilaire sculptural, Manuel Legris élastique, les pieds incroyablement ductiles d’Isabelle Guerin ou encore la présence menaçante et curieusement athlétique d’Elisabeth Platel. Avec ses nouveaux interprètes, le ballet a perdu cette fascinante précision chirurgicale de la création. Mais y a-t-il perdu pour autant ? Pas si sûr. L’énergie brute dégagée par cette distribution de jeunes artistes a fini par m’entraîner sur les mêmes pentes où je m’étais senti entraîné à l’orée des années 90 aussi bien par les danseurs de l’Opéra que par le ballet de Francfort. Les garçons, moins stylés que leurs devanciers, approchent les filles comme des prédateurs. Mais ils trouvent du répondant. Pas effrayées, celles-ci leur donnent la réplique avec un plaisir jubilatoire. Tous les risques sont pris. Caroline Robert distord ses lignes jusqu’à la rupture ; Simon Valastro fait feu des quatre fers, plus ramassé et plus nerveux que n’était Legris mais tout aussi palpitant ; Audric Bezard (dans le rôle d’Hilaire) est un danseur noble qui veut jouer au marlou et remuer des biscottos. Il attend son grand moment, le tango acrobatique et tauromachique avec Amandine Albisson qui semble prête à inventer le battement à 360° quand, altière et minérale, Sabrina Mallem décide que c’en est assez et achève nos plaisirs d’un simple port de bras. Cet In The Middle 2012 est plus terre à terre sans doute mais plus charnel aussi. L’essentiel est conservé : l’enivrante apologie de la prise de risque, « the vertiginous thrill of inexactitude ».

Pour se remettre, on nous donne vingt-cinq minutes. Non pas vingt-cinq minutes d’entracte mais vingt-cinq minutes d’intermède. Dans O Zlozony/O Composite, sous un ciel étoilé, un trio de danseurs développe les entrelacs chorégraphiques de Trisha Brown. Les mouvements sont coulés jusque dans les poses les plus contorsionnées, les bras sont en sempiternel mouvement. La chorégraphe aspire vraisemblablement à faire ressembler les interprètes à une constellation évoluant dans l’univers. Mais le ballet n’a pas suscité plus d’émoi chez moi qu’il ne l’avait fait huit ans auparavant. Est-ce cette chorégraphie cotonneuse, ou bien ces passages avec la danseuse sur pointe (Aurélie Dupont) égrenant avec l’aide de ses partenaires (Nicolas Le Riche et Jérémie Bélingard) des combinaisons fort conventionnelles ou encore la musique de Laurie Anderson, tout en susurrements, qui évoque ces disques de musique relaxante qu’on trouve dans une boutique « nature et environnement » ? Peut-être est-ce les trois à la fois… O Zlozony / O Composite pourrait aussi bien être une tisane bio relaxante. Ça calme certes, mais ça n’a pas bon goût.

Dans Woundwork1, la musique de Tom Willems ne susurre pas, elle chuinte plaintivement. Les étoiles, décor du ballet précédent, semblent s’être déposées sur les costumes crème des danseuses ; les danseurs assumant les couleurs du ciel. Et on se perd dans la constellation mouvante formée par Agnès Letestu et d’Hervé Moreau. Lignes étirées vers l’infini, imbrications furtives toujours miraculeusement déjouées, ce couple nous attire et nous exclut à la fois par son absolue cohésion. Autour d’eux, Isabelle Ciaravola et Nicolas Le Riche semblent être ravalés au rang de satellite.

Pas./Parts finit de nous mettre sur orbite. L’abondance presque étourdissante de solistes, l’absence de propos clairement défini, les changements erratiques d’ambiances musicales (du gamelan au cha cha), les couleurs tranchées des costumes, tout ce qui pourrait être défaut dans ce ballet concorde en un tout roboratif. Dans ce ballet, les filles sont des lianes faites de quelque matériau industriel (Laurène Lévy semble avoir une colonne vertébrale ondulante, Marie-Agnès Gillot retrouve une légèreté dont elle semblait avoir oublié l’existence et Caroline Bance exulte). Les garçons gesticulent autour d’elles à la manière de feu-follets (Christophe Duquenne a des bras infinis et ondulants, Sébastien Bertaud ne touche pas le sol tandis qu’Aurélien Houette est tout en densité). On soutient sa danseuse par la pliure du coude ou par une hanche décalée. L’équilibre est aussi inattendu que sa soudaine perte. Pourquoi toute cette maestria ?

Mais faisons fi du sens et de la signification. Car Forsythe a sans doute créé ici son « Études », sa somme du ballet post-moderne ; un précieux cadeau dont les danseurs du ballet de l’Opéra se sont montrés les dignes dépositaires.

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2 Commentaires

Classé dans Retours de la Grande boutique

2 réponses à “Forsythe-Brown : sur orbite

  1. Cet article n’apparait pas sur facebook??
    C’est formidable de voir des oeuvres qu’on aime pas avec les yeux d’un autre et de parvenir, le temps de la lecture, avec ce regard tout neuf, à les aimer!O magie de l’imagination, et de la lecture …. pour ma part, O Slozony quand il est bien dansé, m’enchante, j’adorerais le voir avec Ciaravolla….
    Merci de m’avoir prêté vos yeux quelques instants!

    • Cléopold

      Merci de ce retour, Shana. Votre attitude face au désaccord est rare dans ce monde des passionnés de danse. Pour ma part, je n’ai jamais assez connecté avec Aurélie Dupont pour avoir une épiphanie sur le Trisha Brown. Or, je n’ai jamais vu qu’elle dans ce ballet. J’attends donc de voir les prochaines distributions.