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Drôle de frime (l’exposition sur le ballet de l’Opéra)

photoUne campagne de publicité digitale dans le métro m’enjoint de visiter le palais Garnier. Étant du bois dont on fait les flûtes, j’obtempère. D’autant que cela fait bien deux mois que je n’ai pas descendu le grand escalier en faisant des mines comme Audrey Hepburn sous l’objectif de Fred Astaire. Et surtout, qu’il faut bien en passer par là pour avoir accès à l’exposition historique sur le ballet de l’Opéra organisée à l’occasion du tricentenaire de l’École française de danse.

Dix euros pour visiter l’Opéra, ce n’est apparemment pas trop cher pour les hordes de touristes en short qui se pressent au guichet. C’est très exagéré pour les habitués qui, connaissant déjà le monument historique, viendraient pour l’exposition. Mais cette catégorie de visiteurs est apparemment très minoritaire.

Du coup, on se demande à quel public s’adresse l’exposition. Voire si elle s’adresse à quelqu’un. Certes, il y a de la matière : sise dans le pavillon de l’Empereur – dont le chantier a été interrompu par la guerre de 1870 et dont les murs sont restés nus – l’exposition est dense. Trop même. On a découpé l’espace de tant de panonceaux pour les photos et de vitrines pour les costumes qu’aux heures de grande affluence, tout le monde se marche sur les pieds. Les équipes de la Bibliothèque-musée de l’Opéra ont sorti croquis, peintures, photographies, et brossé à grands traits un parcours chronologique. À l’entresol, chaque salle est consacrée à une époque (les origines, l’époque romantique, la Belle époque, le modernisme avec Lifar). Le choix des illustrations est assez attendu, mais c’est la loi du genre. Le rez-de-chaussée est centré sur le xxe siècle – le répertoire, les chorégraphes français de l’après-guerre (Maurice Béjart et Roland Petit), les Américains (Balanchine, Robbins, Cunningham, Carlson), Noureev – ainsi qu’à une rapide présentation de l’École de danse.

L’exposition nous mène, en quelques minutes, de Louis XIV à… Brigitte Lefèvre, à qui le dernier mur est consacré. Il est illustré de photos des créations qu’elle a commandées ou d’entrées au répertoire qu’elle a orchestrées. Faites demi-tour, et vous tombez sur une version de la photographie officielle du Ballet où elle trône debout, en noir, devant la troupe (il s’agit de cette horrible prise de vue dans le grand escalier, dont l’angle est si large que le visage des danseurs semble une copie pour le musée Grévin). Il y a aussi une description détaillée de tout ce qu’elle a fait depuis 1995 (et qu’on retrouve aussi dans la présentation en ligne de l’exposition). Le blabla explicatif et le positionnement de la partie contemporaine en font le parachèvement de 300 ans d’histoire. On voit aussi Mme Lefèvre encore enfant grâce à la photographie d’une classe de l’École de danse ; l’étiquette signale qu’elle est au septième rang sur la barre, et que Mlle Pontois est au douzième. On regrette l’absence d’une interview où Noëlla nous aurait dit son émotion d’avoir côtoyé Brigitte dans sa jeunesse.

Blague à part, cette exposition paresseuse et flagorneuse est bien dans l’air du temps: elle comprime le passé et distend le présent. Plus on se rapproche de l’actualité, plus le propos est dense (et inversement). On aurait préféré au contraire qu’on nous montre mieux ce qu’on connaît le moins, au besoin en utilisant des extraits vidéo (par exemple, cela n’aurait quand même pas été difficile, pour donner une idée de la danse baroque, de présenter la création de Béatrice Massin et Nicolas Paul pour le gala du tricentenaire). Pourquoi n’avoir pas présenté non plus, pour montrer le style de l’école de danse française, plutôt que toujours les mêmes images inanimées, des extraits d’une classe de danse, par exemple celle de Raymond Franchetti ? Les seuls moments dansés que l’on peut voir – dans un espace où l’on s’agglutine – sont choisis, sans aucun commentaire, parmi des enregistrements dont le plus ancien remonte à l’an 2000 (mazette, quelle profondeur historique). On peut acheter les DVD à la boutique, à la sortie.

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10 raisons d’aller voir Signes

P10203291) Pour faire plaisir à Brigitte : lors de la 3e représentation, le 5 juillet, il y avait déjà 400 fauteuils vides, et cela n’a pas dû s’arranger avec le temps. Un petit geste pour notre directrice de la danse préférée, ne laissez pas le taux de remplissage de sa saison s’effondrer en fin de parcours ;

2) Avec un peu de finesse, il est possible de faire croire à son entourage qu’on va voir un spectacle sur Barthes ;

3) C’est du facile-à-voir, les couleurs sont jolies et certains effets de lumière sont très réussis. Nul n’est besoin de savoir qu’Olivier Debré a conçu ses peintures et ses costumes autour de l’énigmatique sourire de Mona Lisa pour voir l’humour de la pièce ; et oublier de consulter les titres à visée poétique des différents tableaux n’empêche pas de se laisser bercer par leur succession. Laissant mon esprit baguenauder, j’ai cru assister aux aventures de la  garde-robe d’un couple (après le prologue décoiffé, la période jaune canari, l’épisode bleu, l’acte noir et blanc). Chou, comment on se coordonne aujourd’hui? ;

4)  Agnès danse ce soir (12 juillet) et vous aurez beaucoup plus aisément un billet que pour ses adieux à la rentrée. Comme certaines grandes actrices peuvent lire le Bottin sans lasser, Mlle Letestu donne de l’intérêt à ce tout ce qu’elle danse. Il y a chez elle une qualité rare de douceur, de maîtrise et de suspens du mouvement, dont il faut s’abreuver les yeux tant qu’on peut. Les mystères du regard étonnent, même de loin. Quant aux mains, leur expressivité fait ressurgir le souvenir de celles de Carolyn Carlson herself (vues de près par l’auteur de ces lignes un soir du précédent millénaire dans un solo nimbé de poudre de craie qui devait s’appeler Chalk-quelque-chose) ;

5) C’est fatigant de ne voir que des chefs-d’œuvre. Dans La Sylphide, la fille de l’air fait tant de petits trucs avec ses bouts de pied que tu n’as même pas le temps de bien voir, ni a fortiori de retenir car elle est déjà partie ailleurs. Et suivre son tartanpion n’est pas non plus de tout repos. Au moins, dans Signes, tu as le temps de comprendre tout ;

6) Stéphane Bullion y est moins-pas-convaincant qu’ailleurs. Le manque d’autorité, de tranchant, est toujours problématique (rappelez-vous Kader Belarbi), mais la veine comique – passage au chapeau à musique horlogère, qui requiert une coordination et une rapidité sans failles – est bien rendue. Les autres soirs, Hervé  Moreau ou Vincent Cordier officient, et ils valent certainement le détour ;

7) Le corps de ballet sert l’œuvre avec une conviction et un chic inentamés. On trouve dans la distribution des danseurs attachants – il faudrait presque tous les citer –, à qui le style de la chorégraphie convient, et qui la mettent en valeur ;

8) Adrien Couvez. Une raison à lui tout seul : il est irrésistible de drôlerie dans le petit solo en fourreau style égyptien qui clôture l’amusant sixième tableau ;

9) Avec une bonne mémoire musicale vous pourrez chanter toute la partition sans vous tromper. René Aubry est notre minimaliste répétitif à nous, ça change d’Arvo Pärt ou Steve Reich et au moins les royalties restent en France (ceci est un message sponsorisé par le ministère du Redressement productif) ;

10) C’est court. À 21h00, ce sera fini, la fraîcheur vous tendra les bras et vous passerez gaiement à autre chose.

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Mrs. B a dit

P1000938Dans 500 jours, Brigitte Lefèvre quittera la direction de la danse de l’Opéra de Paris. Il faut s’y préparer. Il faudra s’y habituer.

On regrettera son œil si prompt à repérer les bons danseurs. Ses coups de génie en matière de programmation. Ses déclarations publiques si inspirantes. Il reste à espérer qu’elle ne nous quitte jamais vraiment : gageons qu’elle deviendra, telle une Ninette de Valois républicaine, une légende vivante et bienveillante, régalant danseurs et amateurs de ses conseils et de ses souvenirs. On sourit déjà à l’idée de la croiser encore longtemps à Garnier, toujours souriante et débonnaire, les soirs de spectacle.

Le site officiel de l’administration française l’a déjà honteusement mise à la retraite  (Edit : grâce à notre action cet outrage a été réparé). Il lui reste pourtant tant à faire et à donner. À l’heure où tous les toutous culturels que compte le sot Paris frétillent du museau à l’approche de Benjamin Millepied, son successeur, il ne faut pas craindre de le proclamer haut et fort : Brigitte, nous, on t’aimera jusqu’au bout !

D’ici la date fatidique, nous aurons maints événements à vivre ensemble, qui seront autant de jalons vers l’au-revoir. Sachez déjà qu’aux alentours de J-100 (juillet 2014), il y aura une « Carte blanche » à Nicolas Le Riche, la première depuis celle donnée à Jean Guizerix en 1990. Et tant pis pour les esprits chagrins, fielleux, tordus et rabougris qui se demandent pourquoi Élisabeth Platel, Laurent Hilaire, Manuel Legris, José Martinez ou Agnès Letestu n’ont pas eu ou n’auront pas droit au même traitement : ces ballots sceptiques n’ont pas le sens des valeurs aussi sûr et affûté que celui de notre bien-aimée directrice qui, en 20 ans de règne, a su faire des nominations d’étoile un fascinant jeu d’am stram gram.

Prions pour que de vrais poètes chantent la contribution considérable de Brigitte Lefèvre à l’épanouissement des arts du spectacle au XXIe siècle. Plus modestement, et dans l’esprit de service public du commentaire de danse qui est le nôtre, nous avons souhaité recenser, sans souci d’exhaustivité, quelques citations inoubliables de notre chère artiste-directrice. En espérant que sa lecture aidera les amateurs de ballet à passer le cap de son départ, et – de temps à autre, quand la nostalgie sera trop mordante – à garder présentes, pour l’éternité, ses pensées.

– Elle a une énergie qui nous laisse tout pantelants d’espérance : « J’ai programmé la saison 2014/2015 et il faut que je m’arrête pour ne pas faire 2016, emportée par mon élan ! » (Culture Box, 6 mars)

– Son art de parler d’elle quand elle témoigne sur un autre confine au sublime (à propos de l’hommage à Noureev du 6 mars 2013) : « J’ai vu pour la première fois Noureïev quand j’étais à l’école de danse. Puis, partagé la même scène que lui au Palais des sports lorsqu’il dansait Le Lac avec Noëlla Pontois. Il me regardait dans la danse espagnole, me disant qu’il cherchait à comprendre mon succès. Quand j’ai pris la direction du Ballet, il m’a souhaité du courage. C’est moi ensuite qui étais là quand il a créé La Bayadère».  (Le Figaro, 26 février)

– C’est elle qui a quasiment découvert Benjamin Millepied, les paris les plus fous, ça la connaît, et elle connaît tout le monde :  « On n’a pas eu le temps de se voir depuis que cette nomination a été annoncée. J’ai la fierté de l’avoir mis en scène pour la première fois à l’Opéra de Paris en 2008. Il a une carrière fulgurante. Je reconnais beaucoup de qualités à Benjamin, pour preuve je lui ai demandé pour la saison 2014/2015 de chorégraphier Daphnis et Chloé sur une musique de Ravel. J’ai souhaité que ce soit Daniel Buren qui en soit le scénographe. Ils sont en train de travailler, on vient de se saluer. C’est quelqu’un dont j’apprécie l’œil, le regard artistique, la curiosité, mais c’est un grand pari. Après 20 ans d’une direction, il fallait peut- être ça, retenter un pari. Cela a été un pari quand on m’a nommé, c’est un pari de le nommer. » (Culture Box, 6 mars)

– Quand elle dresse un esquisse de bilan de son mandat, ça parle : « Ce que j’ai osé, c’est de faire en sorte que le public de l’Opéra – plus de 350 000 spectateurs pour le ballet de l’Opéra – vienne voir un spectacle très contemporain, et cela lui paraît normal. On est au XXIe siècle, bien évidemment vive le Lac des Cygnes et Giselle et tout ça, que nous aimons profondément, mais que les plus grands artistes chorégraphient pour le ballet de l’Opéra de Paris, c’est formidable. (…) C’est ce que j’aime maintenant : voir qu’on présente en même temps, par exemple, La Bayadère  et un autre programme, avec l’Appartement de Mats Ek (l’autre ballet est un peu plus classique) : le même succès, le même enthousiasme, la même troupe, le même théâtre, et c’est de la danse » (Conférence Osons la France – 2012; la transcription ne conserve pas toutes les chevilles du langage oral ; « l’autre ballet » est Dances at a Gathering, de Jerome Robbins)

– Elle a le sens de la propriété et son propos est si dense qu’il faut longtemps en chercher le sens : « Je ne considère pas mes étoiles comme capricieuses : elles sont exigeantes par rapport à elles-mêmes. Du côté de l’Opéra de Paris, la plupart des artistes comprennent cette logique de troupe avec beaucoup de spectacles. Ils sont très singuliers par rapport à l’ampleur des rôles. Il ne s’agit pas de bons petits soldats. Et je n’ai pas envie d’ailleurs qu’ils soient tous pareils ! » (Paris-Match, août 2012)

– Parlez-moi de moi, y a que ça qui m’intéresse (sur les raisons de l’attrait qu’exerce le Ballet de l’Opéra sur les danseurs) :  « Il y a un socle commun, qui n’a jamais cessé d’évoluer, qui joue le rôle de tremplin. En même temps, il y a toujours une volonté de valoriser la personne, son intériorité. J’ai moi-même été  biberonnée à cette école » (Direct Matin, 15 avril)

– Elle a bon goût et nous espérons qu’elle deviendra une amie : « J’adore les Balletonautes, ils me font trop rire » (New York Times, 29 février 2011, page 12).

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Les millepieds dans le plat

Dans un café bien connu des habitués de Garnier

Un 24 janvier, en fin d’après-midi.

Gravure extraite des "Petits mystères de l'Opéra". 1844

Gravure extraite des « Petits mystères de l’Opéra ». 1844

Cléopold : « Tiens, Poinsinet ! Bonjour, cher fantôme de l’Opéra. Ça faisait un moment ! Mais que nous vaut cette mine piteuse et carton-pâte ? »

Poinsinet : « Ah, mon ami… Comme si vous ne le saviez pas ! Allons ! Mais voyons MILLEPIED ! Oui, oui, j’étais sur les rangs. Je faisais partie des neuf entretiens avec Stéphane Lissner… Et ça s’était passé merveilleusement ! Quand je lui parlais de ma première saison…  de la reprise de mon Ernelinde, son regard fixe et absorbé était sans équivoque ! D’ailleurs, il m’a coupé pour me dire que c’était très impressionnant et qu’il n’avait pas besoin d’en entendre plus pour mesurer de la grandeur et de la pertinence de mon projet !

Et puis voilà… Millepied… MILLEPIED ! »

Cléopold (un sourire narquois): « Allons, que voulez-vous. Au moins c’était un excellent danseur. Il vous laissera errer à votre guise dans les coulisses et les sous-sols comme l’ont fait ses prédécesseurs depuis 1767 et l’injuste chute de votre Ernelinde ! »

Poinsinet (fulminant) : « Un excellent danseur, un excellent danseur ! Qui l’a vu d’abord, le danseur ! Pas moyen de le savoir ! Pas même grâce à Youtube.» (L’air inquisiteur) « Vous l’avez vu, vous, peut-être ? ».

Facebook Page of BM

Cléopold (très digne et très docte) : « Ça, c’est la malédiction qui frappe les danseurs du New York City Ballet qui sont sous la double coupe des tatillons Balanchine et Robbins Trust. Mais puisque vous le demandez… Oui, j’ai vu Benjamin Millepied, le danseur. D’ailleurs, si on devait me demander qui est Benjamin Millepied, c’est avant tout au danseur que je penserais. J’ai eu la chance de pouvoir le voir au New York City ballet entre 2002 et 2008. C’était, comment dire… à la fois exotique et familier. La première fois, qu’il est apparu dans Vienna Waltzes aux côtés de l’adorable Miranda Weese dans le deuxième mouvement rapide, j’avais été soufflé par son aisance et par ses lignes ciselées. Ses lignes… C’était un peu comme s’il dessinait avec un critérium. C’était net, précis, avec une petite pointe de sécheresse de trait. L’image ne m’est apparue que plus tard, en 2008, lorsque je l’ai vu à New York puis à Paris dans deux rôles de Robbins que j’avais beaucoup vu dansés par Legris. C’était dans la Fall section des Four Seasons et dans le danseur en brun de Dances at a Gathering

Poinsinet : « Hum, un « Américain ». Tout le monde sait que le salut ne vient que des Russes ou alors de la sacrosainte technique française ! Il n’est même pas passé par l’école de danse ! »

Cléopold : « Ah non, Poinsinet, vous n’allez pas tomber vous aussi dans le travers de certains journalistes étrangers qui annoncent comme une grande nouveauté le choix de quelqu’un de l’extérieur. Il y en a peu qui se sont souvenus que Millepied, c’est tout de même notre deuxième directeur français issu du New York City Ballet. »

Poinsinet : « Violette Verdy en 77? Oui, je sais, j’étais là… Mais elle n’avait pas été formée à la School of American Ballet comme le nouveau directeur… Ça en fait tout de même un tout petit peu un étranger, non ? »

Cléopold : « Étranger, Millepied ? En fait je me suis toujours dit que son style était essentiellement français. C’était flagrant dans Fancy Free où il jouait très second degré le premier marin, celui qui roule des biscottos. C’était irrésistible quand il se rentrait la tête dans le cou ou prenait des poses bravaches juste avant de faire une double pirouette en l’air finie de manière impeccable – en passant, il pourrait peut-être enseigner une classe spéciale à l’Opéra… Ça ne pourrait pas faire de mal à certains ! Oui, au fond, Millepied, qui n’est pas passé par l’école de danse de l’Opéra, m’est toujours apparu comme le danseur français du City Ballet. Il est de la même génération que Sébastien Marcovici, qui a terminé l’école de danse ; mais vous ne pourriez jamais le deviner tant il s’est transformé en avatar incomplet de Peter Martins ! »

Poinsinet (toujours chagrin) : « Il n’empêche ! Et d’ailleurs… Que faites-vous ici à m’importuner ? À chaque fois que je vous vois, vous jurez que vous ne remettrez plus les pieds dans ce café ! »

Cléopold (emphatique) : « J’ai une conférence éditoriale avec James et … il est en retard comme d’habitude, le bougre ! »

James (avec l’air d’y croire) : « Je travaille moi, Monsieur ! Bonjour Poinsinet. »

Poinsinet : « Tiens, vous voilà vous ? La dernière fois que je vous ai vu, vous étiez sous la scène, dans la salle des cabestans, les yeux bandés… que diable y faisiez-vous ? »

Cléopold (changeant opportunément de sujet) : « Notre ami Poinsinet est tout bouleversé par la nomination. Pour tout dire, je suis content pour le danseur mais un peu circonspect face au chorégraphe. J’ai toujours trouvé triste qu’il se soit si vite lassé d’être un interprète pour devenir un chorégraphe… inégal pour le moins… Amoveo ? J’ai cherché dans mes notes… C’est la seule soirée de la saison 2006 que j’ai renoncé à fixer sur le papier ». (rires) « Sa deuxième création, vous savez, celle d’hommage à Robbins, Triade… C’était intelligent, un peu extérieur… Ça reste de la chorégraphie en collage de citation mais enchaînées suffisamment rapidement pour qu’on ne se rende pas compte d’où elles viennent. C’est pareil dans sa chorégraphie pour Baryshnikov… Years Later, qui commençait par une citation de Suite of Dances et confrontait le danseur à des films de sa jeunesse pour un effet très Fred Astaire dans Swing time

James (pas convaincu) : « C’est joliment fait, avec métier et sens de la composition, mais cela reste superficiel, et laisse le même souvenir qu’un bonbon acidulé. J’ai eu la même impression avec son Spectre de la rose, créé à Genève en 2011 : une jeune fille rêve de trois prétendants, avec lesquels elle badine en roulant des hanches. Les bonshommes sont tous faits sur le même moule et la camaraderie sportive remplace l’impalpable émotion des parfums. »

Cléopold : « Joli, James ! Mais après tout… Ce n’est ni du danseur – qui n’est plus – ni du chorégraphe – qui a promis qu’il serait bien sage –, mais du directeur de la Danse que nous devrions parler… »

James (solennel) : « L’annonce de sa nomination a ceci de fâcheux qu’il nous reste à présent 20 mois à l’attendre. Pour patienter, on peut toujours faire des plans sur la comète. Toujours dans un esprit de conseil gratuit aux grands de ce monde, j’ai décidé d’établir un petit agenda dont le dévoilement progressif sera sauvagement aléatoire sur Les Balletonautes. »

Cléopold (frisant sa blanche barbe du doigt) : « Premier point ?? »

James (qui a certainement bien répété pour un effet garanti) : « Dans la liste des choses à faire, la priorité n°1 s’appelle : « botter le cul des étoiles ». Qu’on me pardonne, je n’ai pas l’exquise politesse d’Ariane Bavelier glissant dans Le Figaro que de nos jours, les danseurs « consacrés » ont leurs « exigences », et qu’à la dernière reprise de Don Quichotte, « la plupart des grandes étoiles maison sont restées en coulisse ». En clair, elles font ce qu’elles veulent, et il n’y a personne pour les aiguillonner vers le panache. »

Poinsinet : « Mais James, il est bien fini le temps des Taglioni et Elssler où les étoiles traitaient pied à pied avec la direction le montant de leur salaire annuel et les représentations à bénéfice en fonction de leur notoriété. Aujourd’hui, c’est à l’ancienneté. Et je peux vous le dire avec certitude, les étoiles honorent toutes leur contrat ! »

James : « C’est bien le moins, mais les contrats se bornent à définir un minimum de représentations à honorer chaque saison : 18 au total, qu’il s’agisse d’un rôle écrasant ou d’une panouille fastoche (à partir de la 19e représentation, elles perçoivent des « feux »).

Mais je raisonne à partir d’une définition artistique: être étoile, c’est une obligation de briller pour la compagnie. Ce n’est pas un statut prestigieux autorisant à s’endormir sur ses lauriers, ni un label de qualité pour aller cachetonner ailleurs. C’est une distinction dont il faut, chaque jour, se montrer digne. On peut le dire avec d’autres mots. Par exemple ceux qu’emploie Kader Belarbi – entendu par hasard à la radio aux alentours de Noël – quand il raconte qu’il dansotait tranquillement dans le corps de ballet depuis environ deux ans lorsque Rudolph Noureev l’avait en quelque sorte réveillé, en lui apprenant la rigueur et le dépassement de soi. »

Cléopold : « Mouuis, Kader, c’est aussi l’un des premiers danseurs à couper dans les rôles du grand répertoire après l’âge de 35 ans… »

James (faussement bonhomme) : « Et la direction l’a laissé faire… Mais cessez de m’interrompre.» (Reprenant) : « C’est cette exigence à l’égard de soi-même et surtout de son art qui fait défaut aujourd’hui dans la compagnie (ou, pour être plus exact, qui ne dépend plus que de l’éthique individuelle au lieu d’être un élan collectif). Dans le cas contraire, on aurait des étoiles consacrées qui viendraient crânement donner une leçon de style aux petites jeunes dans la reine des Dryades, ou danseraient leur dernier Solor quelques mois avant la retraite (comme le fit José Martinez), et si elles renâclaient ou se dérobaient, trouveraient un directeur prêt à leur foutre la honte.

C’est particulièrement difficile dans une compagnie où les danseurs ont des postes permanents (et dont le directeur est, au fond, le membre le plus passager). »

Poinsinet : « C’est bien ce que j’ai dit à Lissner ! Moi, dans trente ans j’aurais été toujours là !! »

James (tentant vainement de cacher son exaspération) : « … C’est pourquoi il faut autant de finesse que d’autorité. La tâche sera d’autant plus délicate qu’il ne s’agit pas seulement de gérer les danseurs installés, mais aussi de repérer et galvaniser les étoiles de demain.

En distribuant au passage quelques baffes : car enfin, un danseur classique qui déprécie le répertoire est aussi crétin qu’un acteur qui dédaignerait Molière ou un chanteur tournant le dos à Wagner. Et un jeune qui dit n’en tenir que pour la création contemporaine mérite de s’entendre dire qu’il est bien facile de prôner la nouveauté à tout crin quand on est préservé des galères de l’intermittence dans une petite compagnie. »

Cléopold (un demi-sourire aux lèvres) : « vous pensez à quelqu’un en particulier, James ? »

Poinsinet : « Baffes et coups de pieds, vaste programme ! Heureusement que vous ne concourriez pas, vous auriez eu toutes vos chances, James ! »

Cléopold : « euh, détrompez- moi… Ça fait trois plombes qu’on babille et on ne nous a toujours pas demandé ce qu’on voulait boire… Allez… On va voir ailleurs. C’est la dernière fois que je mets les pieds ici ! »

(Ils sortent)

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Don Quichotte, le temps du bilan (Stats./Arts)

P1030132Pour fêter la nouvelle année (et grâce à Brigitte Lefèvre qui a subventionné l’achat d’un logiciel surpuissant), les Balletonautes ont décidé de faire entrer leur commentaire dans l’âge scientifique, en enrichissant leur habituel bilan artistique d’un roboratif aperçu statistique.

Les chiffres en folie

Les programmateurs ont dû s’arracher les cheveux à plusieurs reprises : à raison de vingt-six représentations en tout, et sachant que la distribution de sept rôles (Kitri, Basilio, la reine des Dryades, Cupidon, Espada, la Danseuse des rues et le Gitan) faisait l’objet d’une annonce préalable, il fallait donc remplir 182 cases sans se couper, ni distribuer à Bastille quelqu’un dansant déjà Forsythe à Garnier. En ce début janvier, et après 149 permutations au total, ils ont bien mérité quelques jours de vacances, ou au moins, quelques moments de distraction avec nos amusants ratios :

Une information tardive et instable : le premier tableau de distribution a été publié le 18 octobre, environ un mois avant la première, mais deux jours après la mise en vente des places aux guichets de l’Opéra. La première mise à jour officielle est intervenue le 14 novembre, deux jours avant la première, et par la suite, il y aura eu sept actualisations. Parfois, on s’y perd un peu (d’ailleurs, le 21 novembre, il y a toujours deux danseuses annoncées pour un même rôle) ;

Même pas fiable : tous rôles confondus, le taux de fiabilité des distributions initiales s’établit à 36% pour le premier tableau et à 62% pour la première mise à jour. Certains jours, ce sont les danseurs eux-mêmes qui, via les réseaux sociaux, ont averti le public de leur emploi du temps dans les prochaines heures. L’Opéra de Paris avait pourtant promis une info « en temps réel »… ;

– Tes préférés en pochette-surprise : si vous aviez choisi votre date pour voir un Basilio en particulier, il y a 65% de chances qu’il ait changé d’ici le jour J (écart entre première distribution et réalité). Vous aviez plus de chances avec Kitri (dans 54% des cas, c’est la même que prévu). Par rapport à la mise à jour du 14 novembre, il y aura tout de même 7 changements au final (soit 27% de surprises, pour Kitri comme pour Basilio) ;

– Blessés et déserteurs : certains danseurs ont été retirés du tableau – généralement pour partir à l’infirmerie – dès la première grande mise à jour. Parmi eux, on compte Stéphane Bullion, Stéphanie Romberg, Yann Saïz, mais aussi les bien regrettés Emmanuel Thibault et Myriam Ould-Braham, cette dernière faisant figure d’étoile filante de la série. D’autres se sont éclipsés plus tardivement (Florian Magnenet), voire à la dernière minute (Svetlana Zakharova).  Marie-Agnès Gillot gagne la palme de l’évanescence progressive, avec une participation en reine des Dryades se réduisant discrètement au rythme des changements de distribution (5, puis 4 pendant quelque temps, puis 2, puis rien…). C’est l’étoile fuyante ;

– Renforts et réticences : pour compenser tous ces départs, il fallait bien des renforts : les principaux, sur les grands rôles, auront été Denys Cherevychko et Maria Yakovleva (venus de Vienne), ainsi que Matthieu Ganio, qui n’était pas de l’aventure dès l’origine, et qui n’aura malheureusement dansé que 4 fois, alors que Vincent Chaillet et Muriel Zusperreguy ont eu 5 soirs (au lieu des trois initialement prévus). La tendance lourde de cette reprise est d’ailleurs la diminution régulière de son taux d’étoilat (autrement dit, la proportion d’étoiles – y compris invitées, y compris sur des rôles courts – présentes sur scène): 23% à l’origine (42 passages), et 17% in fine (31). Il faut croire qu’à Paris, les étoiles ne se battent plus pour briller dans Don Quichotte. ¡Qué lástima !, dirait Miguel de Cervantes ;

– Les omniprésents : jusqu’au 28 décembre, Héloïse Bourdon était en passe de l’emporter en matière de débordement quantitatif (distribuée 8 fois, à parité en danseuse des rues et en reine des dryades, elle interprète finalement 6 danseuses et 11 reines, +113%). Mais au finish, le forfait de François Alu sur le rôle du Gitan pour les trois dernières représentations fait passer Matthieu Botto de 5 à 11 soirées (+113%) et Allister Madin de 7 à 15 prestations (+120%). Repos, soldats !

– Quand les roues du moulin s’emballent : la soirée du 30 novembre 2012 a été la plus bousculée avec 5 rôles changeant de titulaire, dont certains plusieurs fois, pour un total de 9 changements. Record à battre. Moins drôle, les permutations de dates pour la Kitri de Mathilde Froustey ont donné le tournis à plus d’un.

Les arts en scène

Cherchant à meubler comme à attiser l’attente avant le début des représentations, Cléopold a analysé l’œuvre dans son hispanité, sa petipatitude et son nouréevisme. Puis Fenella a raconté l’histoire avec esprit et en deux langues (une première dont la répétition n’est pas garantie). Puis, les musiciens sont entrés en fosse et les danseurs en piste. Lumières !

Les Balletonautes ont vu, en vrai, toutes les distributions du couple-vedette Kitri/Basilio, sauf celle avec Mathilde Froustey (qui a dansé avec Pierre-Arthur Raveau le 5 décembre, et avec François Alu en dernière minute lors de la matinée du 9 ; on en pleure encore, car les extraits vidéo ne remplacent pas l’expérience de la scène).

Au soir de la première on a cherché en vain le style Noureev chez Ludmila Pagliero et Karl Paquette (C’est loin l’Espagne, nous dit Cléopold). Même chose après l’arrivée des étoiles du Ballet de Vienne que James a trouvés trop passe-partout et Cléopold honnêtes mais hors-style (représentations des 24 et 27 novembre), mais Fenella a apprécié leur troisième prestation (3 décembre). À croire qu’il fallait un peu de temps pour acquérir la French Touch

En fait, le Don Quichotte de Noureev enchante quand jeu et danse sont interconnectés, et quand l’interaction entre les deux amoureux fonctionne. Ces deux conditions sont enfin remplies avec la prise de rôle de Vincent Chaillet et Muriel Zusperreguy, sans conteste le couple le plus attachant et équilibré que nous ayons vu, et dont Cléopold vante la clarté des lignes et des intentions.

Alice Renavand et François Alu ont chacun des qualités indéniables, mais la ballerine oublie d’investir son partenariat, et notre auteur attrape un chaud-froid. Quant à James, il aime la féminité et l’assurance de Dorothée Gilbert le soir du 31 décembre, mais déplore le déséquilibre avec Karl Paquette (qui, pour reprendre la métaphore employée par Cléopold, n’articule pas vraiment). Et au final, la parité dans l’aisance lui paraît mieux assurée par le couple formé par Mathieu Ganio et Ludmila Pagliero.

Chaque soir, en tout cas, le corps de ballet a tenu son rang et son rôle, et les pantomimes de Gamache, Lorenzo, du Don et de son acolyte ont été livrées avec esprit. Parmi les rôles semi-solistes, les Balletonautes ont notamment remarqué l’Espada de Christophe Duquenne (aux pieds et à la cape d’une précision grisante), la danseuse des rues capiteuse de Sarah Kora Dayanova, le Gitan parfois altier, parfois sauvage, d’Allister Madin, ainsi que les prestations d’Héloïse Bourdon et Amandine Albisson en reine des Dryades. Les Cupidons se partagent les cœurs : entre la danse minérale de Mélanie Hurel, les douceurs de Marine Ganio et Charline Giezendanner, et enfin la précision de Mathilde Froustey, il y en a eu pour tous les goûts.

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Gillot/Cunningham : Le plafond de l’Opéra Garnier

Programme Gillot-Cunningham : « Sous Apparence », création mondiale. Chor. M.-A Gillot, décors O. Mosset, Costumes Walter Van Beirendonck, Compositeurs divers. Interprètes principaux : Laëtitia Pujol, Alice Renavand, Vincent Chaillet.

« Un jour ou deux » Chor. Merce Cunningham (1973), Musique John Cage, décors et costumes Jasper Johns. Interprètes principaux : Emilie Cozette, Hervé Moreau.

Sylvie Guillem aurait dit jadis à un journaliste « J’ai appris à apprécier le plafond de Chagall à l’Opéra en assistant aux ballets de Merce Cunningham ». Je me souviens d’une interview où, interrogé sur cette déclaration, William Forsythe, qui doit une bonne part de son univers aux expérimentations du chorégraphe, répondait « elle est jeune, elle aura le temps de changer d’avis ».

Pour ma part, j’ai appris à apprécier le plafond de Chagall pendant le ballet de Marie-Agnès Gillot et il y a fort peu de chance que je change d’avis. Déjà, je ne suis plus jeune et d’autre part, il n’y a rien à sauver de ce prétentieux fiasco, à part, peut-être, les reflets iridescents troublés par l’ombre des danseurs qui s’inscrivent au plafond de la salle par le jeu de renvoi d’éclairages sur le sol glissant et ripoliné de cette production.

Pour le reste, c’est du déjà – trop souvent – vu : de la façade d’un bâtiment qui bouge aux couleurs tranchées des cyclos, ou alors du grotesque : des costumes iniques, véritable cauchemar d’enfant qu’on aurait affublé, un soir de mardi gras, d’un déguisement ridicule qui de surcroît réduirait sa mobilité au point de l’empêcher de jouer avec ses camarades. Toutes mes condoléances aux pauvres danseurs anonymes transformés au choix en sapin, en Bob l’Éponge ou encore en mouton de parquet… William Forsythe était capable de mettre un danseur dans un cactus sans l’avilir (A Isabelle A). C’est un talent que n’a pas Marie Agnès Gillot.

La chorégraphe a annoncé en substance dans les présentations publiques de son Opus : « je lance un mouvement, une ébauche […] je regarde ce que les danseurs me proposent, et quand je vois de la grâce, je m’en saisis et je la garde ». Qu’est-ce que la grâce pour un danseur à l’Opéra de Paris aux alentours de 2010 ? Un succédané de danse néoclassique qui emprunte à Jiri Kylian, à Duato, avec des portés tournoyants à basse gravité, des passages au sol et quelques emmêlements post-balanchiniens. Le « collectif » est rarement inventif quand la « tête » n’a pas d’idée. Quant à « assexuer » la pointe, peut-être eut-il fallu éviter d’habiller les garçons en caricatures de Tom of Finland ou affubler Vincent Chaillet de longs gants de vaisselle aux couleurs acidulées avec des ongles rouges dessinés. Rendre l’homme androgyne n’est pas « assexuer » la pointe, bien au contraire. Dans ce ballet qui ne va nulle part, on peut enfin prévoir à l’avance tout ce qui va arriver. Chaque image (notamment le glissé sur lino) est répétée ad nauseam par l’ensemble de la distribution.

Oui, c’est bien beau le plafond de l’Opéra.

Avec « Un jour ou deux » de Merce Cunnigham on entre dans une toute autre dimension. C’est long, c’est aride comme une page de maths ou comme l’assiette de soupe dont on vous assure qu’elle fait grandir. Là aussi, ça ne va nulle part. La musique de Cage avec ses tapotis sur carton, ses bruits du quotidien et ses amorces des cordes, toujours avortées, soit vous porte sur les nerfs soit vous berce dangereusement. Mais la proposition chorégraphique est là. Les corps, de triplettes en twists, d’arabesques au buste décalé en ports de bras froidement géométriques, dessinent des figures inattendues. Des duos, des quatuors de danseurs qui se forment et interagissent simultanément à différents points de l’espace scénique, vous obligent à faire des choix. Le dispositif minimaliste (un rideau translucide au proscenium puis en fond de scène) crée pourtant des fractures dans l’espace et dans la perception des corps… Et on s’ennuie… Oui.

Seulement, « Un jour ou deux » est un ballet qui grandit dans votre esprit après que vous l’avez quitté. Et puis on ne boude pas une interprétation dense comme celle d’Hervé Moreau, même si sa partenaire Émilie Cozette danse sa partition comme ces soprano étrangères qui articulent parfaitement un texte qu’elles ne comprennent pas.

On remerciera la programmatrice de cette soirée, très avide de commentaires « positifs », de l’avoir concoctée de manière ascendante. C’était, sur ce point, vertigineux.

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Cérémonie des Balletos d’or : les bœufs sur le toit

Comme prévu, le Tout-Paris balletonaute se pressait mercredi midi aux alentours du Palais-Garnier pour la cérémonie de remise des Balletos d’or de la saison 2011-2012. Les plus intrépides escaladèrent l’édifice par la face nord. Les plus malins passèrent par l’entrée des artistes, certains en rampant sous la loge du concierge, d’autres en sautant par-dessus. Sur le toit, les moins chanceux subirent l’attaque des abeilles. La sécurité était absente et les pompiers débonnaires. Brigitte Lefèvre, toute auréolée des dithyrambes de la presse française sur la tournée du Ballet de l’Opéra aux États-Unis (le staff et les autorités de tutelle ont résolu de ne pas savoir l’anglais), était d’humeur radieuse. Elle eut la bonté de rire à l’énoncé des surnoms affectueux que nous lui donnons en privé, et que nous lui avouâmes en rougissant. Nous sommes convenus, en l’échange d’une première loge de face à notre discrétion, de ne plus écrire que des critiques de bonne facture, quelquefois piquantes pour la forme, mais jamais méchantes.

De ce point de vue, le succès est complet. Pour le reste, force nous est d’avouer que très peu de récipiendaires firent le déplacement. La date du 15 août n’était peut-être pas propice à la mobilisation. Mais alors, pourquoi tant de personnalités non distinguées se sont-elles présentées ? C’est sans doute un trait de la nature humaine que de mépriser ce qu’on vous offre et d’envier ce qu’on vous refuse. On expliqua à Alina Cojocaru que son art était hors catégorie. Elle fit mine de surmonter sa déception. On dut promettre à Marie-Agnès Gillot qu’on adorerait par principe sa création de la saison prochaine. Karl Paquette réclama le prix du Pied intelligent qu’on avait entre-temps attribué à un méritant coryphée qui passait par là. Patrice Bart, dont les adieux n’avaient pas retenu l’attention du jury, traînait son spleen. Ghislaine Thesmar confia à l’assistance qu’elle n’avait repris l’anglais que pour mieux jouir des articles de Mini Naila. Une nouvelle revigorante qu’on twitta sans délai à l’intéressée, et par la même occasion à la terre entière.

Cléopold entama un dialogue érudit avec quelques sommités du monde du ballet. James, jaloux d’en être réduit à faire passer les petits fours, trépignait sans discontinuer et finit par marcher sur les pieds d’Émilie Cozette. « Il n’y a pas de mal », le consola-t-elle , le sourire crispé de douleur mais éloquent de courage.

Il était temps de faire venir à nous l’âme de Marius Petipa. Las, à l’appel du médium, c’est Poinsinet qui se pointa, glapissant qu’il était le seul fantôme assermenté de l’Opéra. L’histoire retiendra que, passé cet instant, le contrôle de la cérémonie échappa à ses organisateurs. Stéphane Phavorin, pourtant nanti de trois prix, vola à Aurélie Dupont sa statuette en glace à l’effigie de Marie Taglioni. Histoire de voir si elle avait un peu d’équilibre, Stéphane Bullion fit un croche-pied à Nathalie Portman, venue recevoir le prix Navet au nom de son époux. Sylvie Guillem trouva spirituel de lancer des cacahuètes en l’air en criant « va chercher! ». Cela déclencha une émeute de grands jetés la bouche ouverte. C’était à qui sauterait le plus haut. Fenella déclara que l’esprit olympique corrompait décidément tout.

Un hurluberlu dont nous tairons le nom tenta de décrocher la lyre d’Apollon. Le médium, pas découragé par son premier échec, réussit à faire apparaître les mânes du grand Rudolf. Monsieur Noureev nous fixa de son regard intense, et gronda, l’air faussement bienveillant : « Brravo à tous, mais vous ne m’arrrrivez pas à la cheville ». De désespoir, ceux qui se sentaient visés par cette saillie menacèrent de se jeter dans le vide. Un sot beugla: « mais faites donc! ». Bref, ce fut une bien belle journée.

L’année prochaine,  nous a-t-on déjà averti, les Balletos d’or seront remis dans les sous-sols de l’Opéra-Bastille, paraît-il très accueillants.

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Ballet de l’Opéra à New York. Le temps du bilan 2/2

Je ne prétends pas que la critique anglo-saxonne ait été unanimement négative à l’encontre du ballet de l’Opéra (voir notamment Dance Tab ou le Huffington Post) mais quand on fait le compte, la réception de la tournée française à New York, quoi qu’en dise une certaine presse nationale qui s’est soudainement senti pousser la fibre cocardière, est plus que mitigé du côté de certains grands et respectés organes de presse. Elle a correspondu à un schéma bien rôdé. Tant que le Box Office était un enjeu, les réactions écrites ont été plutôt positives. Ce n’est qu’à la fin du cycle de Giselle que les critiques ont commencé à se durcir.

Alors, que tirer de cette expérience pour le moins contrastée ?

Le retour sur la critique ou … Il n’y a pas de fumée sans feu.

Contrairement à ce qu’a prétendu un article au vitriol du Nouvel Observateur en ligne qui parle d’un vrai problème (l’interminable fin de règne de Brigitte Lefèvre) mais tombe à côté de la plaque dans tous ses diagnostics, la directrice de la Danse ne laisse pas la compagnie dans l’état d’excellence où elle l’a trouvé. Le moment n’était pas nécessairement idéal pour présenter le ballet de l’Opéra sous son meilleur jour.

La critique américaine a surtout été impressionnée par la discipline du corps de ballet mais a noté le manque de projection des solistes.

Certes, il y a « la faute à pas de chance ». Le Festival de Lincoln Center a lieu en Juillet quand la compagnie joue encore à Paris. La question a déjà été abordée dans le bilan sur la Fille mal gardée. Les rangs des rôles demi-solistes étaient donc fort clairsemés. Chez les filles, seule Charline Giezendanner semble avoir vraiment retenu l’attention. Quand j’ai demandé à Mini Naïla pourquoi elle n’avait pas parlé des Myrtha dans son compte rendu la réponse a été

« J’ai préféré Nolwen Daniel –avec Le Riche/Osta- Laura Hecquet, c’était un peu une Willi comme une autre à qui on avait mis une couronne » (sic).

Chez les garçons, c’est Vincent Chaillet qui tire son épingle du jeu. Pour les autres, on note trop souvent des retombées de sauts sèches. J’aimerais pouvoir dire que je suis étonné. Il y a eu également des blessures ; en tout premier lieu celle de Mathias Heymann qui a propulsé un Josua Hoffalt un peu vert pour le rôle d’Albrecht (un compte rendu le décrit comme bon technicien mais peu expressif), mais aussi celles de Letestu et de Pujol.

Partant de là, on peut regretter que la programmation ait été construite en fonction de certains danseurs qu’on voulait mettre en valeur dans leur registre de prédilection plutôt que dans l’optique de faire briller l’ensemble de la compagnie. Jérémie Bélingard, qui ne danse pour ainsi dire plus les rôles longs du répertoire, a donc été vu dans L’Arlésienne. Mais si la critique a apprécié le danseur, elle n’a absolument pas adhéré au ballet dont le thème lui était étranger (on pourrait, au passage se montrer étonné que cette marque d’ignorance se soit étalée dans les critiques. Une petite recherche préalable ne fait jamais de mal). Le Riche, quant à lui, est monté sur la table du Boléro mais, aux USA, Boléro c’est Jorge Donn et personne d’autre. De même, si l’Opéra voulait mettre en valeur la toute relative notoriété d’Aurélie Dupont aux USA, fallait-il alors présenter Giselle ? Melle Dupont incarne sans doute ce que les Américains pensent de la danse française : une technique à la correction élégante et froide. Le premier acte de Giselle n’est donc pas dans ses cordes. Le résultat ne s’est pas fait attendre. Au mieux, on a dit que cette Giselle mûre (sic) avait une approche traditionaliste, au pire (le NYTimes) qu’elle « n’habitait pas son rôle mais qu’elle l’exhibait ». Le pauvre Mathieu Ganio en a subi l’onde de choc. Pendant ce temps, Isabelle Ciaravola passait en troisième distribution (au bras de Karl Paquette…) et Dorothée Gilbert et Josua Hoffalt en quatrième. La grande presse écrite a peu documenté leurs prestations. Orphée enfin était sans doute un véhicule de prédilection pour Marie-Agnès Gillot, dont le répertoire se réduit chaque jour un peu plus, mais encore eût-il fallu avoir un Orphée. Choisir Stéphane Bullion, c’était peut-être mettre un peu trop la priorité sur des considérations de morphologie. Pour se tenir immobile dos au public pendant une grande scène de désespoir, il faut avoir un dos expressif. C’est un niveau artistique que n’a pas encore atteint ce danseur. La réaction de Mini Naïla concorde exactement avec celle de la Presse :

« Bullion : bon … Je dirais que je n’étais pas surprise. Qu’y a-t-il en lui qui échoue à inspirer ? Je ne comprends guère. Il a tout exécuté tolérablement bien (des pirouettes un peu tremblantes, je peux passer par-dessus ça), mais qu’il m’a paru barbant »

Ces erreurs de programmations, mélange de considérations économiques (Suite en Blanc, Arlésienne et Boléro ne sont pas des productions lourdes), d’une certaine paresse (présente-t-on le même type de programme à New York qu’à Biarritz ?) et d’un laxisme certains à l’égard des desiderata de certains interprètes, auraient dû être évitées à tout prix. Car contrairement aux Russes qui ont appris la danse aux Américains ou aux Danois que Balanchine a constamment invités au NYCB et qui se sont illustrés régulièrement à ABT (Jadis Brunn, aujourd’hui encore Kobborg), les danseurs français, à l’image des Français eux même, ne bénéficient pas d’un a priori favorable.

Pour qui fréquente des Américains, il n’est pas difficile de comprendre ce qui va suivre car chaque représentant d’une nation est confronté à sa propre image à l’étranger, cette lumière d’étoile morte. La nôtre a été forgée par quelques charmants films hollywoodiens des années 50. Paris, c’est Rive Gauche, Paris, c’est la Mode (Fashion) et surtout « French Women don’t get fat » (les Françaises ne sont jamais grosses). Dans ce tableau idyllique, le ballet n’entre guère justement parce que les années 50, c’est aussi l’époque de l’après-Guerre, de l’épuration et, pour le ballet, de l’éviction temporaire de Serge Lifar pour actes de collaboration. Or, la critique américaine a la fâcheuse tendance d’intégrer des a priori du passé dans ses comptes-rendus toujours très circonstanciés et souvent bien écrits. Qu’on se détrompe si l’on pense qu’il aurait fallu présenter un Lifar moins aride que Suite en Blanc. Lors de la visite de 1986 (après 38 ans d’absence…), Mirages n’avait pas obtenu plus de succès. Dans un article américain ou anglais, le nom de Lifar est immédiatement suivi du mot collaborateur ; sans doute pas la meilleure des cartes de visite. Le temps passant, les souvenirs de l’interprète glissant doucement dans l’oubli de l’Histoire, la situation s’aggrave. Pour la critique américaine, Lifar a toujours été un mauvais chorégraphe (Balanchine a passé sa vie à le dire), mais maintenant, on commence à lire qu’il était également un mauvais danseur. On aurait envie de rappeler à cette critique que Fils prodigue et Apollon n’ont jamais été re-chorégraphiés par Balanchine. Ils ont pourtant été créés sur Lifar. Le ballet de l’Opéra doit-il pour autant cesser de présenter l’œuvre de Lifar aux USA… Non, en principe. Mais pour le défendre, encore faudrait-il le danser plus régulièrement à Paris.

Et … La critique de la critique

Bien des choses vraies ont donc été dites sur ces articles lors de cette tournée. Il ne fait aucun doute que la critique de danse américaine – et anglo-saxonne en général – est infiniment supérieure à son homologue hexagonale, qui trop souvent se contente de trois formules à l’emporte-pièce enrobant un dossier de presse partiellement digéré (c’est l’abonné au Monde qui parle). Mais on peut légitimement se demander si l’analyse circonstanciée à l’anglo-saxonne est forcément garante d’impartialité… et répondre par la négative.

La réaction de cette critique au corps de ballet de l’Opéra dans Giselle est à ce titre exemplaire. Si les journalistes ont reconnu, comme le public, la rigueur et l’unisson (souvent qualifié d’incomparable) du ballet de l’Opéra, passé l’émerveillement premier, cette qualité a été finalement considérée trop répressive pour laisser émerger des personnalités chez les solistes. Dans son article d’adieu, Wendy Perron qui « versait des torrents de larmes » pendant la scène de la folie de Ciaravola a tout de même écrit : « beaucoup d’Américains ont pensé que la danse en général était un peu stérile ». Pas exactement un compliment. Dans l’article de ce même Dance Magazine, Lynn Garafola, joue même les Cassandre en concluant que le fait qu’elle ait préféré l’Orphée de Bausch « n’augure rien de bon pour le ballet de l’Opéra en tant qu’entité classique ».

Le splendide corps de ballet empêcherait l’éclosion de solistes ?

Fenella a déjà écrit en réaction à cela :

«je suis profondément préoccupée par le roulement sur deux à quatre ans dans le corps de ballet d’ABT depuis des années maintenant. Cela se voit sur scène. C’était autrefois une compagnie de solistes qui ne voyaient pas d’inconvénients à participer aux ensembles car ils savaient qu’ils auraient leur chance de promotion. Cela a été perdu : vous avez maintenant des stars sur fond de brouhaha, pas une famille. […]

« Bien sûr les stars m’intéressent, mais ceux qui subliment leur ego et remplissent ardemment l’espace afin de créer une œuvre d’art vivante et unifiée qu’ils partagent avec le public restent mes héros. Le corps de ballet, ma définition de la performance artistique. »

Pourquoi fallait-il qu’une qualité soit ainsi tournée en défaut ? C’est qu’il fallait sans doute que tout rentre dans un schéma préétabli. Le subtil jeu des mots fait son office : il n’y a qu’un pas entre « homogénéité » et « uniformité ». Et quand on a prononcé ce mot, on a presque écrit « monotonie ».

Alastair Macauley est sans doute l’exemple le plus achevé de cette critique anglo-saxonne qui parvient à distribuer des prix tout en exécutant un travail de sape :

« Ces danseurs portent l’arabesque, l’entrechat et les cabrioles – la langue du ballet – comme un mannequin porte la haute couture. Alors pourquoi cet inventaire de vertus n’apporte-t-il rien de plus ? ».

Curieusement, je me suis posé une question similaire à son égard. Comment se faisait-il, qu’en dépit de la qualité du texte et des artifices d’analyse, aucune de ses allégations sur le ballet de l’Opéra ne m’a surpris. Sans doute car la problématique des articles de Macaulay sur le ballet de l’Opéra était écrite avant même les spectacles. Pour la trouver, il suffisait de se reporter à son article tardif sur « la Danse » de Wiseman. Faut-il s’en contrarier ? Sans doute non. Cet observateur pointilleux et acerbe capable de vous faire palper certains instants d’une soirée par des descriptions ciselées est aussi celui qui a décrété la primauté de Ratmansky sur ses autres confrères chorégraphes et a asséné que le corps de ballet d’ABT était supérieur à celui du Royal Ballet. Alastair Macauley est à la critique contemporaine de danse ce que fut à l’époque romantique, un Charles Maurice : le talentueux technicien qui trouva la distinction entre les styles ballonné de Taglioni et taqueté d’Elssler venu éclairer l’équivalent poétique inventé par Gautier (Chrétien pour Taglioni et Païen pour Elssler). Maurice avait un talent descriptif certain qui rend plus palpable pour le lecteur actuel la danse des gloires du passé que les évocations savoureuses de Gautier. Mais Charles Maurice a sombré dans l’oubli pour avoir trop souvent cédé à la tentation du brio qui lui permettait, tel un bon avocat, de démontrer l’excellence d’un artiste ou son manque de talent avec le même aplomb.

La critique est facile, l’art est difficile. Ce vieil adage est valable aussi pour la critique de la critique. Alors que devrait-on souhaiter ? Personnellement, je suis plus attiré par les critiques « techniciens » descriptifs que par les sensualistes poétiques (car n’est pas Gautier qui veut. Quand elle est ratée cette critique a le goût d’un sirop trop sucré. Je suis contre les torrents de larmes étalés sur le papier). Mon idéal, au fond, c’est André Levinson, un critique russe écrivant dans un très beau français qui a su transcender ses a priori pour se laisser séduire par celui qu’il considérait tout d’abord comme un imbuvable sauvage, Serge Lifar. C’était à l’occasion d’une Giselle avec Spessivtseva.

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Rêveries estivales 2/2 : Je me prends pour Aurélie

Contrairement à celle de Monica Mason à Londres, la fin du mandat de Brigitte Lefèvre à la tête du Ballet de l’Opéra national de Paris ne sera sans doute pas propice au lancement de confettis sur scène. On s’en passera : au fond, l’harmonie d’une passation de pouvoirs ne préjuge de rien. Et personne ne s’étonnera que le processus soit douloureux : le poste compte, avec le secrétariat général de l’ONU, au nombre des plus exposés de la planète.

Car tout le monde a un avis et le fait savoir. Les amateurs, à la fin d’un spectacle, ne disent-ils pas : « quand nommera-t-on enfin Machin ? », « programmer ce Balanchine en début de soirée, quelle balourdise », ou encore « C’est une absurdité d’avoir distribué la petite Truc là-dedans, elle n’a pas le style » ? Bref, on veut tous prendre la place de Brigitte. Sauf moi, car je me prends déjà pour Aurélie.

Comment donc, vous ne connaissez pas Aurélie Filippetti, notre ministre de la culture ? C’est elle qui va devoir trancher la succession de Brigitte Lefèvre, paraît-il prévue pour 2014. Et là, j’ai quelques idées à partager.

Tout d’abord, le plus tôt sera le mieux. Ceci dit sans animosité. Je suis presque un fan de Brigitte Lefèvre depuis que j’ai vu La Danse, le documentaire de Frederick Wiseman : d’abord, elle choisit bien ses bijoux, et ensuite, la façon dont elle réduit à quelques secondes le passage en studio de répétition des mécènes américains à 20 000 dollars par tête de pipe est tout bonnement inénarrable. Voilà une fille qui a le sens des vraies valeurs. Et puis, ses présentations vidéo sont tellement en roue libre et soufflées par le vent que par comparaison tout un chacun se sent délicieusement structuré.

Mais elle est en poste depuis 1995, et ça fait quand même beaucoup. Deux fois plus que la moyenne de ses homologues toutes époques confondues (9 ans). C’est moins que Louis Pécour (42 ans), mais pas loin de Jean Coralli, Louis-Alexandre Mérante et Joseph Hansen (entre 18 et 20 ans). Beaucoup plus en tout cas que la moyenne des directeurs post-Lifar, Noureev compris (9 en 34 ans, soit moins de 4 ans en moyenne).

Autant dire que cette longévité est une anomalie, dont la prolongation est chaque jour plus sclérosante. Il y a bien, de nos jours, des directorats très longs (Edward Villella à Miami jusqu’à sa douloureuse éviction, John Neumeier à Hambourg depuis 40 ans). Mais ce sont des personnalités exceptionnelles, qui s’identifient à leur compagnie.

Prendre garde au syndrome de la Belle endormie. C’est mon deuxième conseil gratuit. La Grande boutique est un paquebot qui peut presque naviguer en automatique. Il y a l’école de danse et l’encadrement intermédiaire, qui maintiennent le niveau et l’unité stylistique de la compagnie. Il y a les concours d’où émergent, malgré tout, les talents. Certaines générations sont plus brillantes que d’autres, mais sur longue période le système fonctionne. Il y a le prestige du Palais-Garnier, qui fait salle comble quoi qu’on y programme. Bref, ça peut rouler tout seul. Et c’est bien là le risque.

Certains critiquent la programmation, les nominations ou les préférences stylistiques de Mme Lefèvre. On pourrait en discuter  – il y a eu des réussites et des échecs, c’est normal – mais le problème est surtout que la direction n’a apparemment plus de projet. Les objectifs statutaires – diffusion des œuvres du patrimoine et création contemporaine – sont peu ou prou poursuivis. Mais il manque une autorité pour galvaniser la compagnie, fixer un cap, donner du sens, et faire rayonner le Ballet au-delà du cercle des initiés.

On rêve d’une stratégie lisible pour faire vivre le répertoire, et redécouvrir des pépites méconnues ou oubliées. De rendez-vous réguliers et de prises de risque calculées pour les jeunes talents (aujourd’hui, c’est ailleurs – par exemple chez Incidences chorégraphiques – que ça bouillonne et l’Amphithéâtre de Bastille est sous-utilisé). D’un discours intelligent et d’une pédagogie professionnelle en direction de tous les publics.

Dresser un portrait-robot du candidat idéal. Si l’on veut éviter de nommer un « apparatchik du chausson » (la formule est de Luc Décygnes), il faudrait définir au préalable les qualités requises, préciser les ambitions souhaitables et les critères à respecter :

– une autorité artistique incontestable, aux yeux de la troupe comme de l’extérieur ;

– une capacité à tenir les deux bouts de la chaîne qui lie tradition et modernité, passé et avenir ;

– une volonté de sortir le Ballet de l’Opéra de son splendide isolement culturel, et de lui donner une culture du public, sans sombrer dans la démagogie.

Bien sûr, avant même les auditions, chacun a son favori. Mon choix n°1 serait Sylvie Guillem. Elle a l’aura et l’expérience, elle aurait le bagout et l’énergie. Elle est classique et contemporaine, délicieusement française et merveilleusement ailleurs, et elle a un potentiel de rayonnement médiatique et artistique terrible. Elle n’est probablement pas volontaire. Mais les meilleures candidatures ne sont pas forcément spontanées…

Post-scriptum (ajouté le 23 janvier 2013) – La rédaction en chef des Balletonautes remarque – comme tout le monde le sait maintenant – , que ce n’est pas la ministre de la culture qui nomme le directeur de la danse, mais simplement le directeur de l’Opéra. Elle a décidé de ne pas modifier l’article de ce pauvre James : tant pis s’il a l’air ridicule, il n’avait qu’à pas se croire encore au temps où Jack Lang avait œuvré à la nomination de Rudolf Noureev au poste que l’on sait.

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Les Balletos d’or de la saison 2011-2012

Gravure extraite des "Petits mystères de l'Opéra". 1844Nous reproduisons ci-dessous la liste de promotion du 14-Juillet dans l’ordre des Balletos d’or, publiée ce matin au Journal Officiel de la République française. La remise des distinctions aura lieu lors d’une cérémonie œcuménique le 15 août sur le toit de l’Opéra-Garnier. Une intervention médiumnique mettra les participants en contact avec les mânes de Marius Petipa.

Ministère de la Création franche

Prix chorégraphique : Jean-Guillaume Bart pour La Source (Paris)

Prix dramatique : Kader Belarbi pour La Reine morte (Toulouse)

Prix théâtral : John Neumeier pour Liliom (Hambourg)

Prix Lazare : Prince of the Pagodas (Londres)

Prix Cocktail raté : Robbins/Ek dans la même soirée (Paris)

Ministère de la Loge de Côté

Prix « Ça fait longtemps que je scintille » : Myriam Ould-Braham (La Nomination)

Prix « Modestie qui brille toujours » : Clairemarie Osta (Les Adieux)

Prix romantique :  Isabelle Ciaravola et Mathieu Ganio (L’Histoire de Manon)

Prix idéal : Mathieu Ganio (Dances At a Gathering)

Prix musical : Agnès Letestu (Dances At a Gathering)

Prix Elfe : Mathias Heymann (Zaël dans La Source)

Prix Couteau : Vincent Chaillet (Mozdock dans La Source)

Ministère de la Place sans visibilité

Prix Glaçon : Aurélie Dupont en Nikiya regardant Solor (Josua Hoffalt)

Prix Buvette : Alessio Carbone en Lescaut (L’Histoire de Manon)

Prix Sybarite : Stéphane Phavorin (Monsieur G.M. dans L’Histoire de Manon)

Prix Eclectique : Alvin Ailey American Dance Theater (tournée des Étés de la danse 2012)

Ministère de la Natalité galopante

Prix « Gardez-nous un petit » : Lise & Colas (quand c’est Myriam et Josua)

Prix Contraception : [édité par la modération]

Ministère de la Collation d’Entracte

Prix Gigotis des radis : Arthur Pita pour les mouvements des doigts de pied du héros de Metamorphosis (Edward Watson).

Prix  Hot Chili Pepper : Paul Taylor Dance Company dans Piazzolla Caldera

Prix Navet : Benjamin Millepied pour sa version speed-dating des Sylphides (Ballet du Grand Théâtre de Genève)

Prix Praline : Adrien Couvez pour son Alain délicieusement cucul (La Fille mal gardée).

Ministère de la Couture et de l’Accessoire

Prix Jupette : Dawid Trzensimiech en James (La Sylphide, Royal Ballet)

Prix Robe à carreaux : Stéphane Phavorin pour sa Mère Simone (La Fille mal gardée)

Prix Croquignolet : les costumes d’Adeline André pour Psyché

Prix Dignité : Audric Bézard (en zèbre dans Psyché)

Ministère de la Retraite qui sonne

Prix « Pourquoi pars-tu si tôt ? » : Monica Mason

Prix « So, you’re still there ? » : Brigitte Lefèvre

Prix Reconversion : Sergei Polunin quittant le Royal Ballet parce que c’est la barbe d’apprendre de nouveaux rôles et que le tatouage c’est la liberté.

Ministère de la Communication interplanétaire

Prix Andy Warhol : Ludmila Pagliero (le 22 mars en mondovision au cinéma)

Prix de l’Humour : Stéphane Phavorin pour son « Pendant une seconde, j’ai cru que c’était moi » (lors de la nomination de Myriam Ould-Braham)

Prix de l’Amateurisme : l’équipe de communication de l’Opéra de Paris pour ses photos Facebook floues et mal cadrées lors de la tournée aux États-Unis.

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