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Le Ballet de l’Opéra à New York : Le temps du bilan 1/2

La tournée aux États-Unis, et particulièrement à New York; nous a intéressé plus qu’une autre car l’une d’entre nous était aux premières loges (si l’on peut dire car il n’y a pas de loge à l’ancien State Theater). Mini Naïla a assisté à quatre soirées et les a relatées en anglais. Nous en faisons un petit bilan accompagné de la traduction de quelques passages pour nos lecteurs non-anglophones.

Le programme Français

Mini Naïla n’était pas particulièrement excitée à l’idée de voir ce programme, en particulier parce qu’elle déteste la musique du Boléro.

Mais elle a eu un coup de cœur pour Suite en blanc :

« De la première à la dernière pose, je suis restée collée à mon siège et j’ai aimé ».

Un ballet comme Suite nécessite beaucoup de solistes ; l’homogénéité ne semblait pas exactement aux rendez-vous mais elle a particulièrement aimé Dorothée Gilbert dans la Flûte, le couple Aurélie Dupont-Benjamin Pech (Adage) et Nolwenn Daniel qui confirme l’excellente impression qu’elle nous a laissée cette saison. Au passage, notre Balletonut remarque une particularité stylistique de la danse française :

«Nolwenn Daniel a donné une qualité légère et pétillante à la « Sérénade » (qui a fini sans doute par être ma partie favorite de la chorégraphie). Elle n’a pas fait des fouettés un tour de force, ils étaient un pas comme un autre pour elle et elle les a intégrés à l’ensemble. Le public ne savait pas trop quoi faire à ce moment précis ; nous sommes tellement habitués à applaudir à la moindre sollicitation qu’au moment où tout le monde a réalisé « hé, des fouettés ! » elle était déjà passée à autre chose. »

Cette spécificité n’a pas nécessairement impressionné la critique américaine.

L’Arlésienne ne restera pas un de ses favoris malgré les qualités du couple central, Isabelle Ciaravola et Jérémie Bélingard. Est-ce le thème du ballet qui est trop obscur ou le ballet lui-même ?

Pour Boléro, Mini Naïla garde ses préventions sur la musique de Ravel mais s’avoue vaincue par la force d’interprétation de Nicolas Le Riche :

« J’ai adoré Nicolas Le Riche qui en un mot était… intense. Ses mouvements étaient tellement puissants qu’il avait presque l’air de se contenir pendant les mouvements tangués puis soudain s’échappait de lui-même et semblait désormais hors de contrôle. »

Notre jeune reporter nous en a avoué « une bien belle » au début de son article sur les Giselle.

Elle n’aimait pas ce ballet et s’était bien gardé de s’en ouvrir à ses collègues. Mais le ballet de l’Opéra s’est chargé de la faire changer d’avis. Ce combat victorieux, c’est surtout le corps de ballet qui l’a remporté :

« L’ensemble était à couper le souffle. Ce qui était encore mieux, c’est que comme je n’étais pas distraite pas tel bras ou telle jambe, j’ai pu me concentrer sur combien ils étaient musicaux et, pour tout dire, obsédants. Leur synchronisation donnait l’illusion d’une forêt emplie de Willis ; car chaque mouvement de chaque danseur était en parfaite harmonie, la scène ne semblait montrer qu’une fraction de spectre. J’aurai pu jurer que ces alignements de fantômes faisaient des kilomètres. Je ne vais pas me remettre de tant de beauté avant très longtemps ».

Dans sa description des interprétations du rôle titre, MN nous a parfois surpris. Dorothée Gilbert a accompli un premier acte assez en accord avec sa personnalité (une scène de la Folie plutôt vériste). Par contre, son second acte correspondait plus au souvenir que nous avions de celui d’Osta : une Giselle vraiment spectrale qui n’a qu’un sens très vague qu’elle est en relation avec son amant parjure. Clairemarie Osta, quant à elle, fut, pour sa soirée d’adieux, une Giselle lucide et terre à terre au premier acte et un spectre farouchement protecteur au deuxième.

Orphée et Eurydice de Pina Bausch

Ce ballet tenait une place toute particulière dans le cœur de Mini Naïla puisque, vu à Paris en 2008, il avait été prémonitoire de son « retour en danse ». A la revoyure, notre Blog trotter n’est pourtant pas aussi enthousiasmée qu’elle l’aurait voulu.

J’ai aimé, vraiment. Néanmoins, je ne pense pas que c’est une pièce que je serai excitée de revoir tous les ans. D’un point de vue émotionnel, c’est lourd et difficile à surmonter. On ne sort absolument pas exalté du théâtre. Oui, la danse était superbe mais personnellement, j’étais trop prise par l’ambiance générale de la pièce pour remarquer la chorégraphie. Le plus frappant étant : y a-t-il dans l’esprit de Bausch une différence entre le deuil et la paix ?

[…] Il était étrange de voir ce « paradis » rempli d’âmes certes apaisées mais également vides ; surtout après avoir vu combien les enfers étaient terribles. Eurydice ne faisait pas exception ; elle reconnait Orphée et prend sa main mais ce n’est pas avant la mi-chemin entre l’au-delà et le monde des mortels qu’elle commence à se sentir concernée. Oh ! mais quand elle se sent concernée… Il y a quelques authentiques et superbes moments de danse.

Marie-Agnès Gillot semble recueillir tous les suffrages, même ceux de notre cousine d’Amérique peu convaincue par sa prestation dans la Cigarette de Lifar :

« Gillot est une distribution parfaite ; avec ses longs membres, elle m’a fait penser à un arachnide, dans le sens positif du terme, vraiment. Ses lignes sont tout simplement interminables et la façon dont elle a interprété les mouvements de Bausch m’ont fait croire que ce rôle avait été chorégraphié pour elle. En un mot, sensationnelle. Si seulement Eurydice dansait davantage. »

Un Bilan ?

La réception du public, à l’image celle de Mini Naïla, semble avoir été chaleureuse. De la première, notre balletonaute dit :

« Les applaudissements pour Suite en blanc étaient OK, mieux que polis mais pas enthousiastes, pour l’Arlésienne, ils étaient chaleureux et après Boléro c’était l’ovation ».

D’autres échos semblent aller dans le même sens :

«les ovations étaient incroyables – Six rappels, je crois. », mentionne une amie de Fenella lors d’une Giselle, tandis qu’une autre parle de petits cris étouffés pendant les représentations.

Le gagnant incontesté semble là encore avoir été le corps de ballet plus que les solistes :

« Nous avons particulièrement aimé le second acte –Le corps de ballet était proprement incroyable ! Je n’avais jamais vu Giselle sur scène mais mon amie Cathy l’a vu de nombreuses fois et pense que ce corps de ballet était extraordinaire et de loin le meilleur qu’elle ait vu dans n’importe quel ballet. »

La réception critique ? Vaste programme. Cela devra être l’objet d’un autre article.

A suivre, donc….

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Ballet de l’Opéra à New York. Giselle : This Mortal Coil

« Giselle », Ballet de l’Opéra de Paris en tournée à New York. Soirée du 18 juillet (Gilbert, Hoffalt, Hecquet). Soirée du 19 juillet (Osta, Leriche, Daniel).

Giselle has never been my cup of tea. I know, I’m sorry, please don’t yell at me.  I mean, I understood why so many people are obsessed with it: it’s the epitome of romantic ballet, one of the greatest classics ever, the most challenging role for a ballerina, etc. etc. Fine, whatever. For me, it was boring. The whole ballet felt like the story had to be there as an excuse for dancing, and the second act especially seemed like it had no plot. Consequently, I was bored.   Last night I saw the Paris Opera Ballet’s production for the first time, and that part of my ballet life is over. The Paris Opera’s tour has been the biggest ballet gift I’ve received since moving back to New York; ABT has absolutely exquisite moments every season but something usually seems a bit off. NYCB is fantastic at what it does: Balanchine, Robbins, Wheeldon, etc. but telling stories has never been their thing; even The Nutcracker (as much as I adore it) is really a series of self-contained segments that don’t really connect to an overarching narrative.  Paris Opera Ballet gave me the best of both worlds. They have the technique, that’s never even a question, but they also know how to be in the story, how to make the steps serve the narrative; they know how to make a ballet come alive, even if everyone in it is dead. I’ve said that New York audiences love to applaud when a dancer does something technically brilliant, and that’s true, but every time they did during Giselle it felt superfluous. Like, of course they can hop on their pointes, their pirouettes are perfect and they can balance forever. Who cares? That’s missing the point entirely. I’m not going to write about technique, it’s unnecessary. Instead, let’s focus on how the dancers used it.

First, a word on the corps de ballet. I’m pretty hard on various companies’ corps; for me, soloists and stars simply cannot shine as brightly if the corps is a mess. It’s very distracting if there’s an arm out of place or varied timing and, frankly mistakes like that make the entire company look bad. The Paris Opera Ballet is the reason I feel like it’s not only appropriate, but necessary to insist on proper corps work. Look! This is what you could be! This is what you’re aiming for! They were together and musical, proving that those values do not have to exist in a vacuum! Instead of individual members competing for audience attention by dancing separately, they worked together and as a result the group was breathtaking as a whole. The best part about this is that because I wasn’t distracted by various legs and arms, I could focus on how very musical and, well, haunting they were (sorry, but that’s the right word). Their synchronicity gave the illusion of a forest full of Willis; because every movement of every dancer was in perfect harmony, the stage could only show a tiny fraction of the ghosts. I could almost swear that those lines went on for miles.  I’m not going to get over how truly beautiful this was anytime soon.

My two Giselles were Dorothée Gilbert and Clairemarie Osta (in her final performance). Both dancers were lovely and both are largely responsible for why I now actually enjoy this ballet. They did have slightly different approaches to the character which I’d like to address through their respective ‘mad scenes’ and second acts.

Gilbert, I felt, was the dancer that really showed Giselle losing her mind. She wavered back and forth on her pointe shoes, and instead of letting her hair fall down gracefully, she pulled half of it out of the bun, making her appear deranged. This, for her, was not supposed to be pretty. As she remembered time spent with “Loys,” Gilbert had a smile on her face and eyes that were completely glazed over while her body, almost without her realizing it, reenacted the daisy and the promise.  She ran maniacally through the crowd of villagers, but she wasn’t saying “help me, help me.” Rather, she didn’t seem to realize she was running.  As a Wili, Gilbert made the decision to keep her face completely blank; she kept her eyes glazed over. Mentally, she was dead, she didn’t consciously recognize Albrecht, and yet she knew him. Everything the girl Giselle wanted to say to Albrecht was expressed through the Wili’s movements. She couldn’t really see him or talk to him, but some small glimmer of recognition buried deep down made her protect him.

Osta, by contrast, gave her Giselle more lucidity. In act one she knew exactly what was going on but she didn’t want to believe it. When she remembered Loys’s promise and their morning together, it looked like she was going through everything to reassure herself that it actually happened. “No, I’m not crazy, he said this, he promised me… how is this happening? This can’t be real.” Osta reached out for help as she ran and when she finally got to Albrecht, it was the final realization that he would never be the man she thought (aka Loys) that killed her.  Her act two was the opposite of Gilbert’s but just as gorgeous. Her Giselle knew Albrecht; she actively wanted to protect him, but she was incorporeal and could not physically do as much as she wanted to. Physically, she was more ghostly, though her soul and mind were completely intact. She seemed to fight, to try to push beyond what she had become and break back into the mortal world in order to save Albrecht. Her interpretation made me doubt at times that Albrecht could see her; he sensed her as a protective spirit, but I’m not sure that he actually saw her as a ghost. When he woke up in front of her grave, he almost believed the entire thing had been a dream. It certainly was for me.

Shockingly, I didn’t cry either night. Normally, I’m a huge crybaby at ballets, but I was far too busy thanking God/Louis XIV/Terpsichore/ whatever deity you pray to for allowing this ballet to exist. I think that sums it up.

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Les Balletos d’or de la saison 2011-2012

Gravure extraite des "Petits mystères de l'Opéra". 1844Nous reproduisons ci-dessous la liste de promotion du 14-Juillet dans l’ordre des Balletos d’or, publiée ce matin au Journal Officiel de la République française. La remise des distinctions aura lieu lors d’une cérémonie œcuménique le 15 août sur le toit de l’Opéra-Garnier. Une intervention médiumnique mettra les participants en contact avec les mânes de Marius Petipa.

Ministère de la Création franche

Prix chorégraphique : Jean-Guillaume Bart pour La Source (Paris)

Prix dramatique : Kader Belarbi pour La Reine morte (Toulouse)

Prix théâtral : John Neumeier pour Liliom (Hambourg)

Prix Lazare : Prince of the Pagodas (Londres)

Prix Cocktail raté : Robbins/Ek dans la même soirée (Paris)

Ministère de la Loge de Côté

Prix « Ça fait longtemps que je scintille » : Myriam Ould-Braham (La Nomination)

Prix « Modestie qui brille toujours » : Clairemarie Osta (Les Adieux)

Prix romantique :  Isabelle Ciaravola et Mathieu Ganio (L’Histoire de Manon)

Prix idéal : Mathieu Ganio (Dances At a Gathering)

Prix musical : Agnès Letestu (Dances At a Gathering)

Prix Elfe : Mathias Heymann (Zaël dans La Source)

Prix Couteau : Vincent Chaillet (Mozdock dans La Source)

Ministère de la Place sans visibilité

Prix Glaçon : Aurélie Dupont en Nikiya regardant Solor (Josua Hoffalt)

Prix Buvette : Alessio Carbone en Lescaut (L’Histoire de Manon)

Prix Sybarite : Stéphane Phavorin (Monsieur G.M. dans L’Histoire de Manon)

Prix Eclectique : Alvin Ailey American Dance Theater (tournée des Étés de la danse 2012)

Ministère de la Natalité galopante

Prix « Gardez-nous un petit » : Lise & Colas (quand c’est Myriam et Josua)

Prix Contraception : [édité par la modération]

Ministère de la Collation d’Entracte

Prix Gigotis des radis : Arthur Pita pour les mouvements des doigts de pied du héros de Metamorphosis (Edward Watson).

Prix  Hot Chili Pepper : Paul Taylor Dance Company dans Piazzolla Caldera

Prix Navet : Benjamin Millepied pour sa version speed-dating des Sylphides (Ballet du Grand Théâtre de Genève)

Prix Praline : Adrien Couvez pour son Alain délicieusement cucul (La Fille mal gardée).

Ministère de la Couture et de l’Accessoire

Prix Jupette : Dawid Trzensimiech en James (La Sylphide, Royal Ballet)

Prix Robe à carreaux : Stéphane Phavorin pour sa Mère Simone (La Fille mal gardée)

Prix Croquignolet : les costumes d’Adeline André pour Psyché

Prix Dignité : Audric Bézard (en zèbre dans Psyché)

Ministère de la Retraite qui sonne

Prix « Pourquoi pars-tu si tôt ? » : Monica Mason

Prix « So, you’re still there ? » : Brigitte Lefèvre

Prix Reconversion : Sergei Polunin quittant le Royal Ballet parce que c’est la barbe d’apprendre de nouveaux rôles et que le tatouage c’est la liberté.

Ministère de la Communication interplanétaire

Prix Andy Warhol : Ludmila Pagliero (le 22 mars en mondovision au cinéma)

Prix de l’Humour : Stéphane Phavorin pour son « Pendant une seconde, j’ai cru que c’était moi » (lors de la nomination de Myriam Ould-Braham)

Prix de l’Amateurisme : l’équipe de communication de l’Opéra de Paris pour ses photos Facebook floues et mal cadrées lors de la tournée aux États-Unis.

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Retrouvailles aux adieux. (Nouvelle hallucination de Cléopold)

L’Histoire de Manon, matinée du 13 mai 2012 : Clairemarie Osta (adieux à la scène), Nicolas Le Riche, Stéphane Bullion, Alice Renavand.

Opéra Garnier, couloir des saisons vers la rotonde du glacier. Deuxième entracte…

[ ?] : « Je disais donc »

Cléopold : « AAAAAAGhhhhhhrrrr ! (suée froide). Poin – Poinsinet ! Mais d’où sortez-vous encore ? Ça ne va pas de surgir justement là, ce pauvre couloir des saisons et du zodiaque, abandonné par les bars depuis 20 ans. Même en plein jour il a l’air lugubre ! »

Poinsinet : « J’arrive par où je peux… Vous avez vu cette porte sur votre droite… Il y a ici un petit escalier …. »

Cl. (cachant son intérêt sous une apparente sévérité) : « C’est bon, c’est bon. Au fait, merci pour le lapin… Je vous ai attendu la dernière fois au deuxième entracte ! Les gens me regardaient de travers poireauter dans le couloir d’orchestre côté jardin ! »

P. (l’air matois) : « Ne sommes-nous pas au second entracte ? N’est-ce pas Clairemarie Osta et Nicolas Le Riche qui dansent ? Où est le problème ? »

Cl. (frisant nerveusement sa barbe blanche) : « Vous vous moquez de moi. C’était le 21 avril à la première, nous sommes le 13 mai, c’est la dernière et les adieux de Clairemarie Osta ! ».

P. : « Comme le temps passe vite ! Avouez quand même que c’est quelque chose, cette représentation ! Vous avez-vu, au premier acte ? Dans le chef des mendiants, le petit Alu dansait aussi bien qu’il avait l’air sale, c’est tout dire ! Quelle musicalité, quel sens de la scène !! C’est pour dire, même Bullion n’a pas cochonné sa première variation. Bon, on ne peut pas dire qu’il soit très à l’aise dans le maquignonnage… L’expressivité, ça n’est pas donné à tout le monde… But still, comme disent les Anglais. Et puis notre Phavorin, de toute façon, il en fait pour deux, voire pour trois dans GM. Vous avez vu ça, dans la scène de la chambre, ce « dirty old man », ces regards lascifs, ces mains avides. Brrrr ! Dire qu’au temps de sa splendeur technique il aurait pu être le plus ˝soupir˝ des Des Grieux ».

Cl. (succombant une fois encore au babillage spectral) : « Oui, oui… Exactement… Et puis cet acte chez Madame ! Avez-vous remarqué ? Clairemarie est moins « pure » que le soir de la première. Dans sa variation, elle ne refermait plus tant les épaules à la vue de Nicolas Le Riche, elle le charme discrètement. Le 21, on avait presque le sentiment que les deux ne s’étaient pas parlé depuis le départ de Manon pour la couche de GM. Ici, on sentait vraiment que des Grieux était l’amant de cœur caché dans le placard. Ça rendait encore plus noble son désespoir. Et puis pas mal du tout Bullion dans la scène de soulographie… Ça avait du chien. Pour le coup c’est Renavand que j’ai trouvé un peu à côté de la plaque… C’était enlevé mais…

Mais au fait… La scène chez Madame ! Vous m’aviez laissé sur ma faim la dernière fois. Alors à QUI vous fait-elle penser ? »

J.H. Fragonard, « Portrait de Melle Guimard », circa 1770, Musée du Louvre.

P. (riant) : « Vous avez de la mémoire…. Oui, bien… Où en étais-je …. Mais allons, Cléopold, vous n’avez même pas une petite idée ?? Mais à La Guimard bien sûr ! Saviez-vous que la place de l’Opéra est sise sur une partie des jardins de son somptueux hôtel particulier de la rue de la Chaussée d’Antin ? D’ailleurs, le bâtiment lui-même a été déboulonné pour construire la rue Meyerbeer. Tout un symbole (petit rire fat). Donc, figurez-vous qu’au temps de sa splendeur, lorsqu’elle était la maîtresse du maréchal de Soubise, elle s’est fait construire un petit chef-d’œuvre de maison par Ledoux. La façade était constituée d’une immense aula à caisson barrée d’un portique ionique. Le dessus du portique recevait une statue de Terpsichore. À l’intérieur ? Des peintures d’un très jeune David, mais surtout, un théâtre de 500 places ! La célèbre danseuse, l’une des premières à avoir viré du genre noble au demi-caractère, recevait trois fois par semaine : il y avait le jour pour la haute noblesse, le jour pour les artistes, les littérateurs et le jour … pour les plus grandes courtisanes de la capitale. Ces soirées-là se terminaient toujours en orgie. On dit qu’on y représentait pour l’occasion des pièces d’un osé… »

Hôtel de la Guimard, rue de la Chaussée d’Antin. Architecte Ledoux, 1781

Cl. (s’esclaffant) : « Il est clair que je ne verrai plus jamais de la même manière le lourd rideau rouge par lequel entrent et sortent les invités de Madame. Je comprends mieux le désespoir de des Grieux dans son solo si tout ce petit monde était en train de se rendre au théâtre de la Guimard.

D’ailleurs, c’était plutôt bien ce soir, en termes de jeu. Vous avez vu, Poincinet, comme mesdemoiselles Bellet et Mallem se crêpaient allégrement le chignon pour le sourire ravageur et les lignes souveraines d’Audric Bézard ? Et la petite Guérineau en prostituée travestie ; ce joli mélange entre un plié moelleux et une arabesque tendue comme un arc ?»

P. : « Et ça n’a pas toujours été le cas… Figurez-vous qu’il y a … ma fois presque 15 ans déjà, lors de la dernière reprise, je faisais semblant de manger à la cafétéria de l’Opéra… Feu la salle fumeur ! Quand je vois débouler plateau à la main… »

Cl. (avide de potins) : « QUI ? »

P. (raide comme la justice) : « Ah ne m’interrompez pas ou je m’en vais sur le champ ! »

Cl. : « Je me tais »

P. : « …Sylvie Guillem, elle-même ! Elle avise un groupe de garçons, ceux-là mêmes que j’avais vu la veille avec une autre danseuse dans le fameux passage des portés. Elle s’invite à leur table et leur dit en substance : – Bon les garçons, j’ai vu ce que vous faites. Il n’y a pas à dire vous êtes tous beaux, vous dansez tous bien … Personne ne contestera ça… Mais alors le jeu ! Mais vous n’êtes pas censés être beaux. Toi, tu es plutôt fétichiste, toi tu es narcissique. Racontez-vous une histoire les gars !

Comme c’était dit directement ! Le soir, à la représentation les gars étaient dé-chaî-nés. J’ai beaucoup ri… Melle Guillem, elle… Eh bien juste ce soir là elle était un peu trop cérébrale… Difficile d’être répétiteur et interprète dans la même journée. Ce n’est pas comme dans cette vidéo que vous avez certainement vue sur Youtube… »

Cl. (ébahi) : « Vous utilisez Youtube ? »

P. (haussant les épaules) : « Le temps n’a plus de prise sur moi, ça ne veut pas dire que je ne vis pas avec votre temps.

Bon, là, les porteurs de la Scala, ne brillent pas nécessairement par la personnalité… Mais elle ! Pensez qu’elle a sur cette vidéo… Mais non, je me tais. Sûr en tous cas qu’elle n’aurait pas excité la cruelle verve des caricaturistes anglais comme La Guimard lors de sa tournée d’adieux en 1789… Et pourtant, celle là, on la disait éternellement jeune grâce à son art du maquillage. Mais ce n’est pas tant le visage que la technique qui parle chez Melle Guillem… Et puis, ses partenaires de 1998… Je crois que la plupart d’entre eux ont atteint les rangs les plus convoités de la hiérarchie de la maison… »

C. : « Qui ? Qui ??? »

Poinsinet : « Tiens, Cléopold, voilà votre compère James qui s’approche. »

Cléopold : « Où ça ? »

Et quand je me suis retourné… Il était parti. James s’est encore moqué de moi, le bougre…

La Guimard en 1789. Caricature anglaise.

Restait le 3e acte… Mademoiselle Osta s’y est montrée encore une fois poignante. Bête fragile et effrayée sur le port de la nouvelle Orléans et enfin, dans la scène des marais, semblant tourner autour de Le Riche-des Grieux comme un papillon autour d’une lanterne, elle s’est brisée soudainement à son contact…

Quand le rideau s’est relevé, que la nuée de paillettes dorée est tombée des hauts du théâtre… Il m’a semblé que c’était des larmes de regret… Quitter la scène quand on est en pleine possession de ses moyens et qu’on a pour soi le merveilleux don de la juvénilité… Quel gâchis ! Au moins, Clairemarie n’aura-t-elle pas eu des adieux « à la Guimard ».

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Manon : fini de jouer

L’Histoire de Manon – Ballet de Kenneth MacMillan d’après le roman de l’abbé Prévost –  Musique: Massenet ; Décors: Georgiadis. Opéra de Paris. Représentation du 21 avril (Osta, Le Riche, Bullion, Renavand, Phavorin)


Est-ce vraiment une œuvre britannique ? Au soir de la première de L’Histoire de Manon, porté par le chic du corps de ballet, la beauté des costumes et les couleurs de l’orchestre, on s’est pris à se demander si ce ballet n’était pas fondamentalement parisien. Et puis, toutes les parties d’ensemble – notamment les scènes de foule dans la cour de l’hôtellerie au début et la danse des trois garçons au deuxième acte – avaient un fini, une délicatesse, une légèreté qu’on voit rarement ailleurs.

Et Manon, est-ce vraiment un rôle difficile ? On en douterait presque, à voir danser Clairemarie Osta, qui paraît se laisser porter par la chorégraphie de MacMillan. Laquelle, dense et dramatique, aide sans doute beaucoup. Mais donner l’impression que cela coule de source relève, bien sûr, de l’art de l’interprète. Dans le premier tableau, Mlle Osta a les bras et les mains qui badinent comme les branches et les feuilles d’un arbre. Elle n’est pas femme-enfant pulpeuse comme Tamara Rojo, elle est femme-printemps. Contente de plaire, elle saisit les aubaines plus qu’elle ne calcule, et quand elle cède à Monsieur de G.M., on voit son incrédulité devant le luxe – qui est, selon une définition chipée à Claude Habib, ce à quoi on s’habitue tout de suite. En femme-trophée à l’acte II, elle joue son rôle confortable, que la présence de des Grieux perturbe (quand elle l’aperçoit, son buste se crispe).  À la fin de l’acte III, dans les marais de Louisiane, on voit déjà, dans ses bras, la rigidité de la mort. Elle ne saute pas dans les bras de son amant, elle y fait la toupie. Ce n’est presque plus dansé. Fini de jouer.

Nicolas Le Riche ne s’est pas montré un des Grieux complètement idéal : son solo devant Manon lors de la scène de l’auberge fait trop séducteur aguerri et il manque de légèreté. En revanche, il est éloquent dans la variation de l’acte II où il rumine, solitaire, contre la trahison de Manon, et tous les pas de deux – notamment celui de la chambre, dont Cléopold nous donnera bientôt une analyse commentée – fonctionnent très bien.

À Londres, le rôle de Monsieur G.M. est généralement confié à des danseurs plutôt âgés et épais, dont la passion prend un tour plus libidineux que libertin. Stéphane Phavorin est, au contraire, un fin aristocrate gourmé au long cou. On le croirait tout droit sorti d’un tableau du XVIIIe siècle.

En Lescaut, Stéphane Bullion n’est pas assez brillant dans sa variation pyrotechnique de l’acte I. Durant la soirée dans l’hôtel particulier de Madame, il fait bien le pitre – à la fois en danse et en expressions – mais globalement, on attend plus de mordant dans le rôle. Alice Renavand, légère et spirituelle, donne en revanche entière satisfaction. Il y a de la Kitri chez cette ballerine. Allister Madin est un chef des mendiants vif, léger et spirituel. Après son Idole dorée il y a quelques semaines à Bastille, voilà encore un rôle qui lui réussit.

Koen Kessels sauve l’année Massenet. Sa direction musicale, bien plus fine que la battue sans esprit d’Evelino Pidò dans l’opéra Manon, massacré il y a quelques mois à Bastille, rend mieux justice au compositeur. Merci pour lui.

 

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Pensées disparates

Divagations durant Dances At a Gathering

Mais combien y a-t-il d’histoires dans un sourire de Clairemarie Osta?

Quand le piano chuchote, on regarde mieux pour sentir ce qui se passe.

Danser un temps sur deux, comme la danseuse verte lors de son premier solo, demande du chic et une musicalité comme en suspens. Une définition possible d’Agnès Letestu.

Une vrai troupe, c’est miraculeux.

Daniel Stokes, à revoir.

Avec Chopin, il y a toujours quelqu’un qui chantonne dans la loge d’à côté.

Ratiocinations devant Apartement

À quoi reconnaît-on une œuvre banale? On n’a nul besoin de la voir une deuxième fois.

Jeux d’enfants : l’adulte qui a chorégraphié cela fait semblant. L’enfance est chez Robbins.

Marche des aspirateurs : pourquoi Fleshquartett me tympanise-t-il de soupe irlandaise?

Danser devant la scène : gentil pour les fonds de loge.

À double tranchant: on ne se pencherait pas s’il fallait.

Un bon danseur résiste à tout.

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La madeleine de Robbins…

Robbins-Ek. Dances at a Gathering. Soirée du 17/03/2012

Il est des soirées où l’on se rend par avance avec une moue désabusée. Le retour de Dances at a Gathering, qui m’avait laissé une impression si inoubliable lors de son entrée au répertoire dans les années 90, ne me semblait pas intervenir au moment le plus propice. Il y a vingt ans, Robbins était venu personnellement remonter son ballet et il était exigent jusqu’à l’obsession, les danseurs qu’il avait choisi étaient des valeurs sûres, pour la plupart distinguées par Rudolf Noureev. Or, le ballet de l’Opéra est, depuis bientôt une dizaine d’années, dans un état transitoire. Les danseurs à la marge de l’époque Noureev sont partis ou sur le départ, ceux qui les ont remplacés, tout talentueux qu’ils soient, ont eu des carrières quelques peu tronquées, que ce soit par des blessures, de la dispersion ou enfin par des non-promotions dont on se gardera bien de déterminer la raison. La reprise de Dances allait-elle être entachée par un sentiment d’incomplétude ou par un manque d’homogénéité ? Mais samedi soir…

Samedi soir, le miracle s’est produit à nouveau. Un miracle, ça n’a pas forcément besoin d’être sensationnel. Cela peut juste se manifester par une légèreté, par un parfum (une odeur de sainteté). En brun, Mathieu Ganio n’a peut-être pas l’incisive précision de jambe d’un Manuel Legris, mais sa coordination de mouvement et le naturel de ses ports de bras sont tels qu’il incarne le parfait poète du groupe. Un poète qui n’est d’ailleurs pas sans malice. Tout angélique qu’il paraisse au premier abord, il semble bien qu’il ait chipé la primesautière danseuse rose – Clairemarie Osta, en suspension durant tout le ballet – au danseur violet, – Nicolas Le Riche, qui retrouve pour l’occasion les qualités juvéniles et bondissantes de ses débuts. Le concours de cabotinage entre ces deux enfants de cœur n’en a que plus de saveur et le pas de deux entre violet et rose, pendant la scène de l’orage, résonne du sourd glas des regrets.

La révélation de la soirée aura été pour moi la danseuse jaune de Nolwenn Daniel, enjouée, fine et précise mais surtout musicale. Son personnage traverse le ballet avec assurance et ce regard distancié et amusé qui était jadis celui d’Isabelle Guérin. Et tant pis si Eve Grinsztajn se trompe un peu de partition dans la danseuse mauve, moins vierge contemplative que séductrice assumée. On comprend néanmoins que le danseur vert (Benjamin Pech, flegmatique et élégant) succombe à ce piège du démon. Pendant ce temps, Agnès Letestu, en vert amande, est une Madeleine impénitente qui  nous séduit moins que l’avait jadis fait Claude de Vulpian. Mais c’est faire la fine bouche. Daniel Stokes aux qualités indéniables est peut être encore peu expérimenté pour boire au calice de l’excellence dans le danseur en rouge brique, mais son inexpérience même magnifie la jeunesse de son personnage ; cette jeunesse, cette fraîcheur de lys déjà évidente à chaque apparition de Mélanie Hurel aux côtés de Nicolas Paul.

L’état de grâce de cette représentation m’a fait me féliciter de n’avoir qu’une seule fois pris des places pour ce programme. Cette communion des interprètes qui respirent la danse de la même manière, et qu’on aurait aimé voir d’avantage soutenue par la pianiste, est chose rare de nos jours où les miracles ne se reproduisent plus à date et à heure fixe.

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