
Rudolf Noureev. Raymonda. Captation filmée 1984. Capture d’écran.
RAYMONDA: Chorégraphie de Rudolf Noureev (1983), d’après le ballet original de Marius Petipa (1898). Musique d’Alexandre Glazounov. Paris, Opéra Bastille, du 3 au 31 décembre.
Bien avant qu’il ne s’avère être le plus célébré des chorégraphes du XIXe siècle, Marius Petipa dut quitter sa ville de naissance Marseille et parcourir l’Europe comme danseur indépendant. Puis, il décrocha un poste permanent en Russie. Une fois achevée la fameuse trilogie avec Tchaïkovski – La Belle au bois dormant, Casse-noisette et le Lac des cygnes – Petipa continua à produire ses ballets d’une soirée en utilisant une formule éprouvée : un décor exotique (souvent un de ceux qu’il avait connu en vrai, durant ses voyages forcés, et dont il avait assimilé, dans toutes ses fibres, les danses locales) ; un dramatique triangle amoureux (pareil qu’à l’opéra, na !) ; et un très attendu ballet blanc (que les anglo-saxons appellent « scène du rêve ») où l’héroïne – la femme idéale – est diffractée indéfiniment par un corps de ballet de ballerines toutes revêtues d’un tutu identique.
En 1961, alors en tournée en France, l’immense danseur Rudolf Noureev déserta, préférant le Monde à la Russie soviétique. S’il laissa tout derrière lui, il garda dans son esprit et dans son corps, tel une mémoire-valise pleine à craquer, tous les grands ballets narratifs de Marius Petipa. Parmi ces joyaux datant de la Russie tsariste, certains n’avaient été que rarement vus à l’étranger. Raymonda en trois actes était de ceux-là.
Cette histoire, située à l’époque des Croisades, tourne autour d’une princesse française qui se trouve écartelée entre l’amour d’un séduisant chef guerrier arabo-mauresque et celui d’un « bel et preux chevalier » au service du roi de Hongrie. Les noms des personnages principaux masculins – Abd-el-Rahman, Jean de Brienne et André II – sont pris dans l’Histoire [même s’ils ne furent pas contemporains], tandis que l’argument – ainsi que l’héroïne – sont pure invention et prétexte à la danse.
Tout en respectant les parties subsistantes de la chorégraphie originale, Noureev ajoutait toujours quelque chose en plus dans ses propres productions : beaucoup plus de danse pour les hommes que cela n’était d’usage à l’époque de Petipa (et même à l’Ouest à l’époque de Noureev). Ici, tout particulièrement, il développe le rôle du chef sarrasin – un simple mime dans la production originale – pour en faire un protagoniste majeur dont la séduisante gestuelle est plus inspirée par la technique de la modern dance américaine, que Noureev avait appris à aimer, que par la couleur locale à la Petipa tellement appréciée au XIXe siècle.
ACTE UN : (1 heure et 10 minutes)

Versailles. Salles des croisades. Marguerite de France mène les Hongrois à la croisade.
Scène 1 : quelque part en Provence, France, début du XIIIe siècle.
Un mariage arrangé se prépare. La vieillissante Comtesse de Doris a irrévocablement fiancé sa nièce à un chevalier français au service d’André II, roi de Hongrie. Mais la comtesse est perturbée par les amis de sa nièce, un joyeux quartet de jeunes troubadours : Henriette, Clémence et leurs petits amis Béranger et Bernard.
La comtesse se fend d’une longue pantomime, battant sa coulpe. Comment ces enfants peuvent-ils rester si légers alors que la cité est assiégée ? Ces fol d’Arabes se pressent aux portes. Elle mime les pré-requis indispensables : quand la ville est en danger, une mystérieuse dame blanche (regardez vers la gauche dans la direction indiquée par ses poings) « revient toujours de l’autre monde pour nous protéger… sauf lorsque nous nous sommes montrés trop frivoles et oublieux de nos devoirs. » Les quatre APLV adeptes du flirt ne sont pas du tout impressionnés par ce sombre karma.
La nièce de la comtesse, Raymonda, paraît en-fin et se montre si légère sur ses pieds qu’elle peut pirouetter et cueillir des roses sans se ramasser. Elle est à la fois intelligente et innocente. Le roi de Hongrie lui remet un parchemin qui lui annonce le retour imminent d’un de ses chevaliers et déroule une tapisserie représentant un superbe cliché de prince charmant. Raymonda se montre convenablement enchantée par ce mirage de prince que sa tante et le roi de Hongrie ont choisi pour elle.
La comtesse danse, tout comme les quatre amis de Raymonda. Tout est pour le mieux quand soudain…
Abderam, le guerrier sarrasin, celui là même qui assiège la cité, fait irruption, offrant joyaux, esclaves et – ouh là là – lui même; tout un pactole qu’il dépose aux pieds d’une Raymonda stupéfaite.

Versailles. Salles des croisades. Rencontre de Richard Coeur de Lion et de Philippe Auguste. Détail.
Scène 2 : le rêve
Raymonda, touchant distraitement du luth, est désormais perplexe. Ses quatre amis dansent autour d’elle, espérant la distraire. Dans l’espoir de détourner leur attention, elle danse avec son voile nuptial mais préférerait bien qu’on lui fichât la paix.
Epuisée par cette journée émotionnellement éprouvante, Raymonda a décidément besoin de faire un petit ronron. Mais au lieu d’écraser, elle commence à rêver de :
La dame blanche, qui désigne la tapisserie.
Et soudain IL apparaît :
Jean de Brienne, chevalier à l’éclatante armure, tout habillé de blanc, qui sort de la tapisserie et qui – littéralement – lui met cul par-dessus tête. Il est vraiment l’homme de ses rêves. Du moins le croit-elle.
Ses amis réapparaissent, maintenant parés de costumes argentés, et une flopée de danseurs habillés de noir et de blanc dansent une fugue incroyablement compliquée : c’est la Valse fantastique. Cet intermède s’est avéré être une des plus complexes, des plus inventives et des plus enthousiasmantes additions au répertoire du corps de ballet.
Henriette, Clémence, Raymonda et Jean de Brienne dansent chacun à leur tour.
Mais, pour son plus grand choc, Raymonda voit son amoureux de rêve se métamorphoser en un sulfureux Abderam.
Réveillée par ses amis, l’héroïne réalise qu’elle est écartelée entre deux idéaux masculins opposés.
ENTRACTE (20 minutes)
ACTE DEUX : (40 minutes)

Versailles. Salle de Croisades
Abderam, prêt à offrir la paix en échange de la main de Raymonda, sort le grand jeu : une fabuleuse tente bédouine, des numéros de danse exotique, son corps et son âme sur un plateau… Tout ce qu’elle peut désirer. Mais Raymonda, bien que titillée, reste imperturbable, la têtue…
Absolument frustré et brûlant de désir, Abderam décide de kidnapper la récalcitrante donzelle. Mais voilà que soudain, qui croyez-vous va faire son apparition, en chair et en os et serré dans d’immaculés collants blancs ? Jean de Brienne, bien sûr, fraîchement débarqué de la Croisade ! Les deux hommes se défient en duel… La lice est suivie d’un combat à l’épée. Devinez qui est vaincu? …
ENTRACTE (20 minutes)
ACTE TROIS (35 minutes)

Appartement de Rudolf Noureev à Paris, quai Voltaire
Les festivités du mariage :
Ici, le ballet atteint son apogée en se resserrant sur ses essentiels. Une czardas hongroise, menée par la comtesse et le roi, est suivie par de diverses et délicates variations sur ce thème : des solos, un quatuor de garçons, des danses de groupe. L’acmé est atteint avec un envoûtant solo pour Raymonda [son septième de la soirée] – la musique consiste dans les vibrations du piano saupoudrées de l’intervention des cordes – une orchestration très surprenante en 1898. Ruisselante de lourds joyaux et claquant des mains avec une autorité toute neuve, cette princesse fiancée est désormais prête à devenir reine.
Tandis que le ballet court à sa fin, vous désirerez peut-être lever votre calice de vermeil et porter un toast en l’honneur de ce si joli couple [A moins que comme moi, vous ne regrettiez – ce qui m’arrive le plus souvent – qu’Abderam n’ait pas été invité à ces célébrations].

Rudolf Noureev avec Michelle Phllips dans « Valentino », film de Ken Russell