Archives de Tag: Kylian Tilagone

Don Quichotte de Martinez à Bordeaux : lointaine Espagne…

Don Quichotte. Ballet de l’Opéra national de Bordeaux. Acte 1. Photographie Julien Benhamou.

Ballet de l’Opéra national de Bordeaux. Don Quichotte (Minkus, Martinez d’après Petipa). Représentation du dimanche 9 juillet 2023.

Le Ballet de Bordeaux sous la direction d’Eric Quilleré poursuit sa reconquête du répertoire classique, qui était auparavant presque exclusivement de la main de Charles Jude, au travers de productions crées par d’autres compagnies européennes. Depuis 2019, Bordeaux possède par exemple la très jolie production de Cendrillon du chorégraphe David Bintley, reprise d’ailleurs en décembre dernier.

La nouvelle production de Don Quichotte remplace celle très colorée qui avait été présentée une dernière fois en 2017. Le choix d’Eric Quilleré s’est porté sur la version de José Martinez, créée en 2015 alors qu’il était directeur artistique de la Compania Nacional de Danza. Nous n’avions pu découvrir cette version qui marquait pourtant une sorte de concrétisation de l’objectif de Martinez avec la première compagnie espagnole qui, sous la longue et fructueuse direction de Nacho Duato, avait quelque peu jeté le répertoire à tutu-pointes aux orties.

Dans sa déclaration d’intention, José-Carlos Martinez annonçait les axes de sa nouvelle production « donner une nuance plus poétique au personnage de Don Quichotte » – il est vrai souvent présenté en version bouffe dans les productions traditionnelles – en le recentrant sur « l’amour parfait incarné par Dulcinée » et enfin « rapprocher le plus possible [le ballet] de l’essence et de la culture espagnole ».

On s’attendait à une relecture en profondeur et peut-être même à une refonte du livret. Ce n’est pas le cas. Le synopsis fourni par le programme suit le scénario habituel et on retrouve les personnages principaux et les seconds couteaux attendus.

La chorégraphie – parfois adaptée – et les différents numéros se succèdent dans l’ordre traditionnel. Pour le rapprochement avec l’original de Cervantes, on doit se contenter de voir Kitri renommée Quiteria, un changement peu évident pour quiconque n’a pas le programme sous les yeux, et d’un Don Quichotte moins titubant et plus rêveur privé de sa Rossinante, un « personnage » qui, en général, inspire les costumiers-décorateurs. Durant la scène deux de l’acte 2, l’épisode des Dryades, on s’étonne de voir le Don danser avec la Reine un long adage posé sur la musique d’apparition de Kitri-Dulcinée répétée deux fois. La réponse nous est donnée après le spectacle lorsqu’on réalise que la Reine des dryades a été rebaptisée Dulcinée. On comprend après coup pourquoi Kitri a interprété sa variation « Je m’offre (piqué attitude ouverte sur pointe) et je me dérobe (piqué attitude croisée) » hors de la présence de l’hidalgo. Comment se débarrasser d’un élément poétique tout en semant la confusion chez le public…

Don Quichotte. Ballet de l’Opéra national de Bordeaux. Acte 2, scène 2. DQ et « Reine des Dryade-Dulcinée » Photographie Julien Benhamou.

Quant à l’hispanité du ballet, on peine un peu à la déceler à la différence du travail admirable qu’Antonio Najarro avait accompli sur les danses de caractère de Don Quichotte à la demande de Kader Belarbi à Toulouse. Gardant les pas mais les ancrant davantage dans le sol et portant une attention particulière aux bras et aux mains, il était parvenu à leur donner un cachet d’authenticité. Martinez de son côté nous sert une soupe qui ne serait pas déplacée dans un DQ dansé par des Russes. Le pas supplémentaire créé pour Espada et Mercedès à l’acte 3 n’y change pas grand chose.

*

 *                                      *

Il ne faudrait jamais lire les déclarations d’intention avant un spectacle ; cela peut obscurcir la perception d’une représentation. Car si l’on fait le deuil de la nouveauté du regard porté et sur le fait de voir un « ballet de José Martinez » (excepté le charmant intermède du deuxième entracte où Gamache mène les danseurs dans les espaces publics pour distribuer des invitations à son mariage, un procédé déjà employé par monsieur Martinez dans Les Enfants du Paradis), on assiste somme toute à un joli Don Quichotte traditionnel.

Don Quichotte. Ballet de l’Opéra national de Bordeaux. Acte 3, scène 2. Photographie Julien Benhamou.

Les décors (Raúl Garcia Guerrero), inspirés des toiles peintes de l’époque de la création par Petipa (très beau rideau de scène) donnent le ton sans tomber dans la couleur locale appuyée. Des pendrillons en formes de galeries de théâtre ajoutent une pointe de mise en abîme tout à fait bienvenue. Les costumes (Carmen Granell) sont de très bon goût. Ils alternent les superpositions harmonieuses de ton (les gars et les filles de Séville) à des contrastes saisissants utilisés avec parcimonie (les capes des matadors, carmines doublées de jaune soleil, sont du meilleur effet). À l’acte trois, les danseurs du fandango sont habillés de noir incendié de bandes rouges comme dans l’ancienne production de Georgiadis pour le Don Quichotte de Noureev. Les lumières (Nicolás Fischtel) pourraient être revues pour l’acte 2 : moins crues pendant la scène des gitans et plus translucides pour les Dryades.

*

 *                                      *

Et la danse dans tout ça ?

L’ensemble du corps de ballet est bien réglé. À l’acte 1, on remarque notamment un trio de garçons qui pirouette et saute à cœur joie et des toréros qui cambrent avec style. Les gitans de l’acte 2 ont du feu et les dryades ballonnent en lignes presque parfaites. Mais Don Quichotte, c’est aussi une foison de personnages à camper.

Pour la matinée du 9 juillet, on aura particulièrement apprécié les seconds couteaux. Si l’option « poétique et amoureuse » choisie par José Martinez ne sert pas particulièrement à mon sens le Don lui-même (le très élégant et élancé Kylian Tilagone), on a apprécié le Sancho de Riccardo Zuddas, plus charmeur et roublard que ridicule auprès des demoiselles. Il se rapproche ainsi de l’original de Cervantes, opposant son prosaïsme sympathique à l’idéalisme de son maître. En Gamache, Alexandre Gontcharouk est plus hidalgo imbu de sa personne que coquet ridicule. Il rend plausible l’enlèvement de Kitri du camp des gitans qui entraîne « les noces manquées de Gamache » de l’acte 3 (Martinez a intelligemment condensé la scène de la taverne – le faux suicide de Basilio – et le mariage des héros).

En Espada, Marc-Emanuel Zanoli impressionne par son élévation et ses grands jetés à 180° dans le grand divertissement de l’acte 1. Il séduit par le gusto avec lequel il met en valeur les épaulements ibériques de l’acte 3. Sa partenaire Ahyun Shin, danseuse de rue, est plus efficace que capiteuse.

À l’acte 2, on est gratifié d’un chef des gitans énergique et très véloce, Evando Bossle, qui dans la version initiale des distributions aurait dû danser le rôle de Basilio. On peut tout à fait l’y imaginer. Pour la scène du rêve, Hélène Bernadou, reine des Dryades-Dulcinée, a une ligne longue et poétique, de beaux épaulements et une réelle musicalité. Mais elle se montre un peu à la peine sur l’unique fouetté à l’italienne de sa variation. En revanche, Clara Spitz est au parfait en Cupidon moelleux et preste à la fois.

Le couple principal quant à lui… manquait d’alchimie. Durant tout le ballet, les interactions entre Lucia Rios et Oleg Rogachev font penser au mieux à deux adolescents qui se côtoient depuis toujours et font les quatre cent coups, jamais à des amants animés par la passion. Au premier acte, l’approche presque trop directe de la danseuse, accents porté sur les sauts et les levers de jambes au détriment de la position des bras et des mains, me laisse sur le bord de la route. En revanche, son interprétation de la variation du rêve de l’acte 2 est d’une grande pureté. Les piqués attitude sont suspendus et la diagonale sur pointe sereine. Oleg Rogachev de son côté semble en méforme. Ses sauts sont précautionneux et les pieds ne sont pas toujours tendus. Plus inhabituel chez ce danseur, son partenariat n’est pas précis. Dans le grand pas de l’acte 3, il décentre plusieurs fois sa ballerine de son axe dans les pirouettes. Cela ne déconcerte pas la vaillante Quiteria-Lucia qui déploie un abattage contrôlé teinté d’une pointe d’humour à même de provoquer l’enthousiasme de la salle.

La représentation s’achève ainsi sur une note ascendante.

img_3836

Lucia Rios et Oleg Rogachev (Kitri et Basilio)

Commentaires fermés sur Don Quichotte de Martinez à Bordeaux : lointaine Espagne…

Classé dans Blog-trotters (Ailleurs), France Soirs