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Le Lac des Cygnes de Fábio Lopez : espèce menacée…

Le Lac des Cygnes. Piotr Illitch Tchaïkovski. Chorégraphie Fábio Lopez. Cie Illicite Bayonne. Représentation du samedi 15 février 2025.

LE LAC DES CYGNES par la COMPAGNIE ILLICITE BAYONNE, Chorégraphie FABIO LOPEZ. Photographie Stephane Bellocq.

Ce qui touche en premier dans ce Lac, c’est l’acte de résilience qu’il représente ; celui d’un idiome déclaré espèce nuisible par les pouvoirs publics.

À Bayonne, Fábio Lopez poursuit depuis dix ans son courageux travail de promotion de la danse classique et néoclassique avec sa Compagnie Illicite, la bien nommée. La bien nommée parce qu’il semble que le haro des décideurs ministériels sur la danse d’expression classique, initié dans les années 80 et aujourd’hui largement anachronique et infructueux, est loin d’avoir pris fin. Sur la feuille de scène, on voit détaillée la liste de tous les producteurs, coproducteurs et partenariats, liste dont est royalement absente la DRAC qui ne finance pas la danse « formelle ».

Et voilà qu’à l’heure où des interrogations commencent à émerger au sujet de l’avenir du bel instrument qu’est le Malandain Ballet Biarritz alors que le départ de son chorégraphe fondateur est imminent, sans garantie ni volonté réelle de la part de l’État d’en voir préserver son répertoire, Fábio Lopez s’attaque au monument incontournable du répertoire classique, le Lac des Cygnes, et décide, en sus, d’utiliser la technique des pointes. Autant dire que c’est s’attaquer à l’Everest par le versant nord quand on est à la recherche de financement public.

Le chorégraphe n’en est pas à son coup d’essai puisqu’il présentait déjà en 2021, une Belle au bois dormant originale avec seulement une dizaine de danseurs.

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Dans son Lac, Fábio Lopez ne cherche pas à mettre en avant une relecture radicale du chef-d’œuvre de Tchaïkovski-Ivanov/Petipa mais à distiller les différentes formes qu’a pris le ballet durant sa longue histoire et d’offrir au public, en dépit de l’effectif réduit de sa troupe (12 danseurs, c’est la moitié du nombre des cygnes ordinaires dans les versions classiques) un Lac non pas traditionnel mais du moins fidèle à l’idée qu’on se fait communément de ce ballet.

LE LAC DES CYGNES David Claisse (Siegfried) et Alessandra De Maria (Odette). Photographie de Stéphane Bellocq.

Le spectateur averti ne peut s’empêcher d’être pris dans un jeu de références. La chorégraphie alterne en effet les pas purement classiques, presque échappés de la chorégraphie originale (pas de polonaise de la scène de bal d’ouverture) et des marches parallèles, des passages au sol, des mains frappées ou des dodelinements de la tête d’inspiration résolument plus contemporaine (les demoiselles de la fête qui veulent presque agressivement attirer l’attention du prince).

LE LAC DES CYGNES. David Claisse (Siegfried) Photographie de Stéphane Bellocq.

Siegfried, tout de noir vêtu, qui fait irruption au milieu du bal (le très énergique David Claisse, au beau ballon), fait souvent des sauts de basque. Il alterne les passages héroïques (une danse aux éventails à l’acte 1 sur la danse espagnole, seul fragment conservé de l’acte 3, le Lac de Fabio Lopez n’ayant pas de cygne noir) et méditatifs (comme dans cette variation réflexive qui n’est pas sans rappeler celle de Noureev dans son Lac ; doubles ronds de jambes, entrechats-relevés arabesque presque de dos). Des éléments de pantomime sont conservés : Siegfried mime le tir d’arbalète ; la princesse cygne elle-même (Alessandra De Maria, solide et dramatique) garde une part de la gestuelle attendue du cygne lorsqu’elle bat des ailes ou mime les larmes qui coulent dans son solo « mort du cygne ». Ce passage s’effectue sur une mélodie pour soprano et baryton que Tchaïkovski avait créé en 1876, un an avant la première création malheureuse du Lac à Moscou de même que le grand adage est dansé sur le grand duo chanté extrait de Ondine, opéra inachevé, que le compositeur recycla pour le célèbre adage entre Odette et Siegfried à l’acte 2.

LE LAC DES CYGNES David Claisse (Siegfried) et Alessandra De Maria (Odette). Photographie de Stéphane Bellocq.

Car le célébrissime ballet, à l’instar de sa gestuelle, est comme passé au tamis de l’histoire du ballet. Parfois les danseurs utilisent des parallèles qui font penser à la 6e lifarienne. On note aussi des basculés en attitude, bras résolument projetés vers l’arrière comme ces cygnes des danseuses soviétiques des années 30 et 40 tandis qu’à un moment, on perçoit des réminiscences du Swan Lake de Mathew Bourne chez les cygnes mâles ; danseur en plié, torse très courbé sur les jambes et projection des bras en arrière faisant saillir les épaules.

Des touches plus contemporaines sont visibles lorsque la reine des cygnes et le corps de ballet passent d’un pied résolument en serpette à l’en-dehors comme pour marquer la transformation de l’animalité à l’humanité policée. On reste fasciné par la capacité de l’idiome classique à se réinventer par assimilation des différentes influences auxquelles il est confronté tout en restant lui-même. L’homogénéité réelle du corps de ballet, pourtant composé de 9 danseuses et danseurs, avec les filles sur pointe et les garçons en demi, résonne d’une note très actuelle.

LE LAC DES CYGNES par la COMPAGNIE ILLICITE BAYONNE, Chorégraphie FABIO LOPEZ. Photographie Stephane Bellocq.

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Tout n’est bien sûr pas parfait dans ce Lac de Fábio Lopez et certains points nécessiteraient quelques amendements. Les gestuelles plus expressionnistes (notamment les dodelinements de la tête du corps de ballet ou les oscillations de l’avant vers l’arrière du cou de la ballerine principale) pourraient être soit développées ou alors gommées. Telles qu’elles se présentent à l’heure actuelle, elles sont disruptives et nous font nous demander parfois si l’intention était humoristique ou s’il s’agit d’un véritable parti-pris esthétique.

C’est que Fábio Lopez n’est pas seulement chorégraphe sur ce Lac. Il lui incombait aussi de donner une unité à une production assemblée de bric et de broc avec des éléments originaux mais aussi avec des réemplois de décor et de costumes, généreusement cédés par des gens de théâtre. Le résultat est étonnamment cohérent. Le décor figure une sorte de palais ruiné se résumant à deux demi-arches et une sorte de tour. Les parties pleines des arches pourraient représenter des parties effondrées du palais mais aussi des pierres tombales. L’autre élément substantiel du décor est un imposant rocher noir qui ne quitte pas le plateau. Récupéré d’une production théâtrale, il n’est pas sans désorienter le spectateur : avec sa formation en « pile d’assiettes », il nous transporte plutôt sur un bord de mer qu’au bord d’un lac. Ajoutez à cela l’appendice manuel de Rothbart, de longs doigts noirs crochus qui émergent de ce rocher, et vous vous imaginez davantage voir un crabe sur une jetée qu’un inquiétant oiseau de proie.

LE LAC DES CYGNES. Gaël Alamargot (Rothbart) Photographie de Stéphane Bellocq.

Rothbart est d’ailleurs, dans la version de Fábio Lopez, le personnage à la fois le plus prometteur et celui qui mériterait le plus d’améliorations. Au prologue de son ballet, le chorégraphe présente en effet Rothbart avec sa fiancée qui grimpe sur le fameux rocher et glisse dans le vide (l’attirance magnétique du rocher sur la jeune femme pourrait être plus marquée dans cette scène et prendrait mieux en compte le drame induit par l’ouverture de Tchaïkovski). Le roi magicien transforme alors sa cour en cygnes pour que ses sujets « ne connaissent pas un tel drame ».

LE LAC DES CYGNES David Claisse (Siegfried) et Alessandra De Maria (Odette) et Gaël Alamargot (Rothbart). Photographie de Stéphane Bellocq.

Ce nouveau regard sur le traditionnel vilain du ballet le plus célèbre du répertoire mériterait d’être fouillé. Mais Rothbart, dansé par le très beau Gaël Alamargot (belle ligne, beaux grands jetés et gestuelle expressive), ne réapparait que très – voire trop – tard dans le ballet, à un moment où on pensait que le sortilège à vaincre était l’incompatibilité de nature entre un prince tout de noir vêtu et un cygne blanc. À la fin du ballet, après un pas de trois de combat qui n’est pas sans rappeler celui de l’acte IV du Lac de Noureev, le prince s’entend avec le magicien. Il décide d’être lui aussi transformé en cygne pour rejoindre celle qu’il aime. Dépouillé de ses habits, il se convulse un peu comme le magicien vaincu des versions soviétiques. Le ballet se conclut avec la vision quelque peu tonitruante et sanguinolente d’un Rothbart dont l’appendice noir et crochu a été arraché. Peut-être ce personnage aurait-il plutôt mérité d’être sauvé de son propre sortilège, qui, après tout, était à la base un acte dicté par l’amour.

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Tout cela, avec aussi quelques transitions musicales qui pourraient être lissées, sont des points qui pourront être aisément infléchis et améliorés à présent que Fabio Lopez, courageux Don Quichotte de la danse d’expression classique, se trouve libéré de la contrainte initiale écrasante d’assembler une production.

LE LAC DES CYGNES Alessandra De Maria (Odette) et David Claisse (Siegfried) . Photographie de Stéphane Bellocq.

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My Nights at the POB (2024 Spring / Summer collection)

A classical ballet, just like a classic book you’ve reread many – many ! – times, almost never fails to delight you again when you rediscover it. Here are some of my most recent ones at the Paris Opera ballet.

Hannah O’Neill and Germain Louvet: a most pleasant discovery

P1200303Don Quichotte on March 27th

For a while now, I’d been unconvinced by the pairing of Hannah O’Neill with Hugo Marchand. His large presence overwhelmed her and their lines and musicality did not match. He made her look small and quite pallid, which is odd considering that the smaller Gilbert never did. Maybe it’s because Gilbert is clearly a fighter while O’Neill’s persona is more demure?

But who else could she dance with? Germain Louvet? Pairing them in Don Q on March 27th proved splendid: their lines and timing and reflexes completely in synch. They even giddily broke the line of their wrists exactly when the music went “tada.”

But Don Q is a comedy.

Up until now, for me, Germain Louvet only lacked one thing as an artist: gravitas. It was impossible to find fault with his open-hearted technique, but somehow I always got the feeling that he wasn’t quite convinced when he played a prince. Some part of him remained too much a stylish young democrat of our times.

His acting could reminded me of how you tried to keep a straight face when you got cast as Romeo at an all-girl’s high school.  You tried really, really hard, but it just wasn’t you.

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Germain Louvet (Basilio) et Hannah O’Neill (Kitri).

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Giselle. Saluts

Giselle on May 28th

Then something happened when Louvet stepped out on the stage on May 28th. Here was a man whose self-assurance seemed worldlier, tougher, critical distance gone. Within seconds in his pantomime with Wilfried, Louvet “was” that Old-World well-mannered man used to being obeyed and getting what he wants at any restaurant. I was convinced.

And it all came together when Hannah O’Neill answered his knock-knock.  A healthy, normal girl with no secrets who has clearly been warned about men but who has decided – on some level to this Albrecht’s surprise – that he is a good man.

Everything about O’Neill’s Giselle, from her first solo onwards, breathed restraint and modesty. She was the kind of girl who speaks so softly you cannot help but lean in to her.  Louvet’s Albrecht clearly felt this.

Once again, every little danced detail matched. But more than that, these two were literally inside the same mental space. Both of them reacted strongly to Berthe’s narrative:  O’Neill spellbound and Louvet taking that cautionary tale personally, as if Giselle’s mother had just put a hex on him. Later, when Giselle shows him her big new diamond pendant, Louvet managed the degrees of that multileveled reaction of “I must not tell her she has a scorpion crawling on her chest just yet.” And none of this felt like he was trying to steal the spotlight. He was really in the moment, as was she.

Antonio Conforti’s Hilarion had also been believable all along, his mild state of panic at the growing romance evolving into fear for her life. (His Second Act panic will be equally believable). When Conforti had rushed in as if shot out of a cannon to put a stop to the romance, you could see how Giselle knew that he was no monster. This nice Giselle’s inability to disbelieve anyone made her mad scene all the more poignant. No chewing of the scenery, her scene’s discreet details once again made us want to lean in and listen.  Giselle’s body and mind breaking down at the same time was reflected in the way O’Neill increasingly lost control, even the use, of her arms. She took me directly back to one awful day when I was crying so hard I couldn’t breathe and walked straight into a wall. Utter stunned silence in the auditorium.

Louvet’s differently shaped shock fit the character he had developed. You could absolutely believe in the astonishment of this well-bred man who had never even put one foot wrong at a reception, much less been accused of murder.

Woman, Please let me explain
I never meant to cause you sorrow or pain
So let me tell you again and again and again

I love you, yeah-yeah
Now and forever*

In Act II, you had no need of binoculars to know that the regal Roxane Stojanov  was the only possible Queen of the Wilis. Her dance filled the stage. Those tiny little bourrées travelled far and as if pulled by a string. She seemed to be movingNOTmoving. Her reaction at the end of the act to the church bells chiming dawn — a slow turn of the head in haughty disbelief — made it clear that this Queen’s anger at one man, all men, would never die. Clearly, she will be back in the forest glade tomorrow night, ready for more.

I was touched by the way Louvet’s Albrecht was not only mournful but frightened from the start. It’s too easy to walk out on the stage and say “just kill me already.” It’s another thing to walk out on the stage and say “I’ve never been so completly confused in my entire life.”

Woman, I can hardly express
My mixed emotions at my thoughtlessness
After all, I’m forever in your debt…*

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Hannah O’Neill et Germain Louvet (curtain call)

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P1220593Le Lac des cygnes on June 27th

O’Neill’s unusual interpretation of Odette – under-swanned and unmannered – reminded me of Julia Roberts saying ,” “I’m just a girl standing in front of a boy asking him to love her.” No diva here. O’Neill’s swan/princess had not only been captured but promoted queen against her will. All she wants is to be seen as a normal girl. I think this take on the role might have put out some in the audience nourished by that awful horror movie’s over the top clichés. Once again I fell for the rich nuances in this ballerina’s demure and understated authority.

And here was Germain Louvet again! Elegant, well-mannered, gracious, and absolutely un-melancholy. His prince was not self-involved, yet regal with a kind of natural elegance that set him apart. I’ve met people like that.

Louvet’s at ease Siegfried just wants to dance around with his friends and has never thought much about the future.  Often the Queen Mother scene just seems like an intertitle in a silent movie: basic information needed to make a plot point. The acting can be light, as in Paris the dancers cast as queen mothers are mostly ten to fifteen years younger than their sons. Young Margaux Gaudy-Talazac, however, had believable authority and presence.  I cannot put my finger on exactly what she and Louvet did and when, but what developed was clearly the Freudian vision Nureyev had had for this ballet in the first place. “Why do you want me to go find a woman? I’m just fine here with you, mommy.” This Siegfried’s rejection of the Act Three princesses was preordained no matter what. What a pity, then, that Thomas Docquir’s flavourless Wolfgang and stiff Rothbart gave all the others little to work against.

Back to no matter what… But what if a woman unlike all other women actually exists? Hey, what if even dozens of them are lurking out there just outside the windows? Louvet’s tiny gesture, stopping to stroke a tutu as if to check it were for real as he progressed in through the hedgerow of swan maidens, made these thoughts come to life.

O’Neill and Louvet’s courtly encounters were like the water: no added ingredients, pure and liquid. O’Neill kept her hands simple – the way you actually do when you swim– and Louvet gently tried to get in close enough to take a sip but she kept slipping away from him. As he gently and with increasing confidence pushed down her arms into an embrace, you could sense that she couldn’t help but evaporate.

Their lines and timing matched once again. But I wondered if some in the audience didn’t find this delicately feminine and recognizably human Odette too low energy, not flappy enough? But she’s a figment of HIS imagination after all! This Siegfried was in no need of a hysteric and obviously desired someone calm, not fierce. [This brings me back to what doesn’t work in Marchand/O’Neill. He may appreciate her in the studio, but on stage he needs a dancer who resists him].

As Act Three took off, I found myself bemused by when I do focus, and when I don’t focus, on how this production’s Siegfried is dressed in bridal white. Louvet’s character was indeed both as annoyed and then as anguished as an adolescent. No other betrayed Siegfried in a long time has buried his face in his mother’s skirts with such fervor.

Nota Bene: All nights, in the czardas, the legs go too high. The energy goes up when it should push forward. This ancient Hungarian dance is not a cancan.

As Odile, O’Neill once again went for the subtle route. Her chimera played at re-enacting being as evanescent as water, now punctuated with little flicks of the wrist. Louvet reacted in the moment. “She’s acting strangely. Maybe I just didn’t have time last night to see this more swinging side to her?”

In Act Four, O’Neill’s Odette was no longer under a spell, just a girl who wants to be loved. No other Siegfried in a long time has dashed in with more speed and determination. As they wound and unwound against each other in their final pas de deux of doom I wondered whether I’d ever seen Louvet’s always lovely partnering be this protective. The only word for his partnering and persona: maternal.

It wasn’t a flashy performance, but I was moved to the core.

And woman
Hold me close to your heart
However distant, don’t keep us apart
After all, it is written in the stars*

*John Lennon, “Woman.” (1980)

 

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Le Lac des cygnes. Hannah O’Neill (Odette/Odile) et Germain Louvet (Siegfried).

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Sae-Eun Park : I found her and then lost her again

Gisele May 17 Sae-Eun Park and Germain Louvet

P1220423During Giselle, what I’ve been looking for finally happened. Before my eyes Sae-Un Park evolved from being a dutiful baby ballerina into a mature artist. And her partner, Germain Louvet (again!) whom I’d often found to be a bit “lite” as far as drama with another goes, came to play a real part in this awakening.

But this was not the same Albrecht, to boot. From his first entrance and throughout his dialogues with Wilfried, words from an oldie began to dance around at the back of my brain:

Well, she was just seventeen
You know what I mean
And the way she looked
Was way beyond compare
So how could I dance with another
Ooh, when I saw her standing there?*

I almost didn’t recognize Park. All the former technical mastery was still in place but it suddenly began to breathe and flow in a manner I had not seen before. She came alive. All her movement extended through a newfound energy that reached beyond from toes and fingertips and unblocked her already delicate lines. Her pantomime, her character, became vivid rather than textbook. I’ve been waiting for Park to surprise herself (and us) and here she demonstrated a new kind of abandon, of inflection, of fullness of body.

Well, she looked at me
And I, I could see
That before too long
I’d fall in love with her
She wouldn’t dance with another
Ooh, when I saw her standing there*

Throughout the ballet, Louvet and Park danced for each other and not for themselves (which had been a weakness for both to grow out of, I think). Park’s acting came from deep inside. From inside out for once, not demonstrated from without. During her mad scene, I simply put my notebook down.

Act 2 got off to a… start. Sylvia Saint-Martin clearly worked on controlling all the technical detail but danced as harshly as is her wont for now. The disconnect between her arabesque, torso, and abrupt arms, the way she rushes the music, the way her jumps travel but don’t really go anywhere…everything about her dance and stage presence just feels aggressive and demonstrative from start to stop. She finally put some biglyness into her last manège, but it was too late for me.

Well, my heart went « boom »
When I crossed that room
And I held her hand in mine

Oh we danced through the night
And we held each other tight*

There was a different kind of emotional violence to Germain Louvet’s first entrance, reacting to THIS Giselle. Along with the flowers, he carried a clear connection to the person from Act One onto the stage. You don’t always get the feeling that Giselle and Albrecht actually see each other from the backs of their heads, and here it happened. Both rivalled each other in equally feathery and tremulous beats. Their steps kept echoing each other’s. Park’s Giselle was readably trying to hold on to her memories, and moved her artistry beyond technique.  This newfound intensity for her was what I’d long hoped for. I am still impressed by how visible she made Giselle’s internal struggle as the dark forces increasingly took control of her being and forced her to fade.

I left the theatre humming as if the thrum of a cello and the delicate lift of the harp were tapping on my shoulder.

Now I’ll never dance with another, Ooh.*

*The Beatles, “How Could I Dance With Another?” (1963)

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Sae-Eun Park (Giselle) et Germain Louvet (Albrecht)

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Swan Lake, Sae-Un Park with Paul Marque on June 28th

P1220597However, this performance saw the ballerina go back into comfort mode.

In Act 1 Pablo Legasa, as the tutor Wolfgang aka Rothbart, instantly asserted his authority over Siegfried and the audience understood in a way that it hadn’t with  Docquir whose presence didn’t still does not cross the footlights . Legasa’s tutor gleefully set up the about-to be-important crossbow as he slid it into Marque’s hands, just as he would later use that cape better than Batman. Most Rothbarts manipulate the Loïe Fuller outfit like a frenemy, at best.

The little dramatic nuances matter. Whereas Louvet’s Siegfried hadn’t really wanted to rock the boat much during Act 1 — so to be fair Docquir didn’t have that much to do — tonight Legasa repeatedly denied Paul Marque, whose Siegfried is more of a regular guy, any escape or release without express permission.

Paul Marque doesn’t possess the naturally elongated lines of Germain Louvet, but that isn’t a problem for me. Marque’s vibe feels more 19th century: dancing at its best: a restrained yet elevated 90 degrees back then was the equivalent of 180 now and every step he makes is as clearly outlined as if it popped out of an engraving. The way he worked up towards making the last arabesque in his solo arch and yearn gave us all we wanted as to insight into the internal trauma of the character.

In Act 2, Sae-Eun Park finally arrived to the delight of her fans.  She gave a very traditional and accomplished classic rendering of Odette, replete with big open back, swanny boneless wings/arms, took her time with the music and became a beautiful abstract object in Siegfried’s arms. Her solo was perfectly executed. Could I ask for anything more? Maybe?

You have to make it work for you. O’Neill remained a woman, a princess trapped in some kind of clammy wetsuit and gummy gloves that covered her fingers. Park outlined and gave a by the book performance of the expected never having been a human swan. But at least now she dances from the inside out and her arms do fully engage in dialogue with her back.

I loved the way this Siegfried reacted to all the swans. “What? You mean there’s more of them?” Marque, as in Act One, then chiselled a beautifully uplifted variation that felt true to Nureyev’s vision in the way a synthesized centeredness (thesis) encounters and surmounts a myriad of unexpected changes in direction (antithesis). Very Hegelian, was Marque’s synthesis.  Bravo, he made philosophical meanderings come alive with his body.

These lovers are lulled into the idea that escape is possible and will happen soon.

In Act 3, Legasa continues to lead the narrative. He is clearly whispering instructions into Odile’s earbud while also utilizing his cape and hands as if they were remote control.. For once Rothbart’s solo did not seem like a gratuitous interruptionsreplete with awkward landings. The pas de deux can in fact be a real pas de trois if that third wheel unspools his steps and stops and brings out the underlying waltzy rhythm of the music. Legassa tossed off those double tours with flippant ease and evil father-figure panache. Nureyev would have loved it.

Park’s Odile? Marque recognized his Odette instantly. Park did everything right but only seemed to come into her own in her solo (from where I was sitting). Even if her extended leg went up high and she spinned like a top, at the end of the pas de the audience didn’t roar.

“When Siegfried discovered he has both betrayed and been betrayed, Louvet, like a little boy, he wrapped his arms desperately tight around his mother.” Why did I write that in my notebook at the exact moment when I was watching Paul Marque in the same pantomime? I don’t quite remember, but I think it was because “mama” wasn’t what anything was about for him.

In the last Act, while Legasa acted up a storm, Marque remained nice and manly. The night before, Germain Louvet had really put all his energy into seeking Odette and fighting back against the forces of darkness. He really ran after what he wanted. Marque is maybe just not as wild by nature. Or maybe he just stayed in tune with Park? In Act 4, Park did fluttery. Lovely fluttery arms and tippy-toes that stayed on the music and worked for the audience. I observed but didn’t feel involved.

For me, only Pablo Legasa made me shiver during this Park/Marque Swan Lake. I found myself wondering what Park would have done IF a more passionate dancer like Legasa – as Louvet had been recently for her Giselle – had challenged her more. Now that I think back, Marque, too, had hit a high dramatic level when recently paired with Ould-Braham in Giselle. Maybe it’s time to end “ParkMarque.”  I like them both more and more, just not together.

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Le Lac des cygnes. Sae-Eun Park (Odette/Odile) et Paul Marque (Siegfried).

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Héloïse Bourdon: The Treasure that’s been hiding in plain sight.

You may say I’m a dreamer
But I’m not the only one*

P1220572Swan Lake, Héloïse Bourdon and Jerémy-Loup Quer, on July 12th

Then on July 12th, something long anticipated didn’t happen. Again. As she had way back then on December 26th, 2022, Heloïse Bourdon gave yet another stellar performance as Odette/Odile in Le Lac des Cygnes. At the end, as the audience roared, so many of us expected the director to come out and finally promote Bourdon to étoile (star principal). Instead all we all got do was shuffle out quietly and once again go home to wash off what was left of our mascara.

If anyone managed to find the perfect balance between woman and swan this season, it was Bourdon.  Even in the prologue, this princess showed us that she felt that danger prickling down the back of her neck just as an animal does.

As the curtain rises after this interlude, Jeremy-Loup Quer’s Siegfried puts his nightmare aside and is feeling just fine with his friends. He will later prove rather impervious to his mother’s admonitions and more boyishly cheered by her gift of the crossbow. Then, there was the moment where he looked intently at his baby throne only to turn his back on it in order to stare out of once of the the upstage window slits.

This Siegfried’s melancholic solo was infused by a kind of soft urgency, where the stops and starts really expressed a heart and mind unable to figure out which way to go. Touchingly, Bourdon would echo exactly this confused feeling in her solo in the Second Act, bringing to life the idea that Odette is both a product of Siegfried’s imagination and indeed a kindred soul.

As Wolfgang the Tutor, Enzo Saugar had made his entrance like a panther, a strong and dark-eyed presence with threateningly big hands. I instantly remembered his first splash on the stage as a very distinctive young dancer in Neumeier’s Songs of a Wayfarer at the Nureyev gala last year .  Alas, as of now, Saugar continues think those eyes and those splayed fingers suffice. This works at first glance, but goes nowhere in terms of developing a coherent evening-long narrative. He just wasn’t reactive. He was performing for himself.

So thank goodness for Heloïse Bourdon. As Odette, she uses her fingers and wrists mightily as well, but with variety and thought. Hers was a woman and swan in equal and tortured measure. When she encounters Siegfried, he is clearly instantly delighted and she is clearly a woman trapped in a weird body who hestitanly wonders whether he could actually be her saviour.

Whereas Louvet’s Siegfried had seemed to say when the bevy of swans had filled the stage, “What? The world has always been full of swans?! This is like so unbelievable,” Quer seemed to be saying, as with the Princesses later: “Pleasure to meet you, but for me there is only one swan and I’ve already found her.”

 I’d have to agree. Bourdon glowed from within without any fuss, and this was magnified by the unusual way she used her arms. Some dancers don’t connect their arms to their backs, which I hate. When dancers make their arms flow out from their backs this gives their movements that necessary juice. But here Bourdon’s arms had a specific energy that I’ve rarely seen. It flowed and contracted inward in waves from her fingers first and then pulled all the way back into her spine. I was convinced. That’s actually how you do feel and react when you are injured.

Throughout the evening, whether her swan was white or black, these two danced for each other, including not leaving the stage after a solo and staying focused for their partner from a downstage corner.  Whether in Act Two or Four, each time Rothbart tried to rip her out of Siegfried’s arms via his spell, this couple really fought to hold onto each other.  You could understand this prince’s bewilderment at a familiar/unfamiliar catch-me-if you-can Odile. (Perfectly executed, unbelievably chiselled extensions, fouettés, etcetera, blah blah, just promote her already).

Like Giselle, this Odette knew her hold on life was fading as the end of the last act approached. The energy now reversed and seemed to be pumping out from her back through her arms and dripping out of her hands and beyond her control. This Siegfried, like an Albrecht, like someone in a lifeboat, kept begging his beloved to hold fast.

The Paris Opera’s management may be blind, but the audience certainly wasn’t. I saw a lot of red eyes around me as we left the theatre in silence. Oh what the hell. As long as Heloïse Bourdon continues to get at least one chance to dance a leading role per run I can dream, can’t I?  Next time, how about giving her a Giselle for once?

Imagine there’s no heaven
It’s easy if you try
No hell below us
Above us, only sky*

*John Lennon, “Imagine” (1971).

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Le Lac des cygnes. Héloïse Bourdon (Odette/Odile) et Jeremy-Loup Quer (Siegfried).

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Le Lac des Cygnes à l’Opéra de Paris : princesses lointaines

P1220629En 1984, Rudolf Noureev a présenté sa version définitive du Lac des cygnes. Son premier essai, réussi, avait été créé à Vienne, en 1964 alors qu’il dansait lui-même le prince Siegfried aux côtés de sa partenaire de prédilection Margot Fonteyn. Sa version d’alors était très proche encore de la structure traditionnelle du ballet tel que représenté en Russie et, à l’époque, dans très peu de pays d’Europe de l’Ouest (le ballet de l’Opéra n’a eu sa première version du Lac qu’en 1960). Noureev y développait cependant le rôle du prince, en faisant un être aux prises avec les doutes. Il reprenait une variation qu’il avait déjà présentée à Londres avec le Royal Ballet et qui avait d’ailleurs été fort critiquée pour ses complications jugées maniérées. Pour l’acte trois, il créait un pas de deux hybride utilisant la musique de l’entrada, de la variation du cygne noir et la coda utilisées par Vladimir Bourmeister pour sa version du Lac mais gardait la musique traditionnelle pour la variation de Siegfried. A l’acte 4, il chorégraphiait un très bel ensemble choral pour les cygnes, un pas de deux d’adieux poignant pour Odette et Siegfried et rompait avec la tradition du dénouement heureux soviétique. La dernière image montrait Siegfried se noyant tandis que le cygne semblait flotter sur les eaux du lac en furie.

En 1984, Noureev poussait les états d’âmes du prince à un point sans doute jamais atteint alors pour une version classique. Selon le danseur et chorégraphe, Siegfried, à un moment charnière de sa vie, sommé de se marier par la reine sa mère, bascule lentement dans la folie. Dominé par Wolfgang, son précepteur, il le réincarne dans son esprit en oiseau maléfique, Rothbart, et s’invente une compagne aussi idéale qu’impossible, Odette, la reine des cygnes. Le ballet est traversé de références freudiennes à l’homosexualité. La palette des costumes des garçons des premier et troisième actes incluent le vieux rose et le parme. La danse des coupes, qui clôt l’acte 1 est uniquement dansée par des garçons. Le prince ne quitte jamais son palais minéral. Le lac est volontairement réduit à une pâle toile de fond. Noureev multiplie aussi les références aux conventions les plus éculées du théâtre comme pour mettre un peu plus en abyme l’histoire. L’envol de Rothbart et du cygne qui ouvre et conclut le ballet est directement inspiré des apothéoses baroques. Noureev, qui avait durant toute sa carrière à l’ouest combattu les conventions de la pantomime notamment dans le Lac des cygnes, décide de restaurer la pantomime originale de la première rencontre entre Odette et Siegfried comme pour créer une distance supplémentaire avec l’histoire. Cependant, on peut, à la différence d’un « Illusion comme le Lac des cygnes » de John Neumeier (1976), ignorer le sous-texte et regarder un Lac presque traditionnel.

Pourtant, lors de cette reprise 2024, jamais il ne m’a tant semblé que les cygnes étaient des visions nées de l’imagination enfiévrée du prince.

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Le Lac des cygnes. Valentine Colasante et Marc Moreau.

Au soir du 22 juin, Marc Moreau incarne véritablement son prince. Lui, si longtemps minéral, a travaillé sur le moelleux de la danse. Les pliés sont désormais profonds. Surtout, on admire ses bras et ses mains qui interrogent ou qui cherchent à atteindre. Cela fait merveille à l’acte deux avec le cygne noble, à la belle et longue ligne, de Valentine Colasante. Le dialogue par les mains de Siegfried dépasse la pantomime inscrite. Moreau reste en scène pendant toute la variation des envols contrariés d’Odette. Dans l’adage les deux danseurs semblent suspendre l’orchestre par leur danse réflexive.

A l’acte 3, la pantomime bien accentuée de Marc Moreau lui fait refuser les prétendantes avec énergie. Le pas de deux du cygne noir est bien enlevé. Valentine Colasante est sereine dans la puissance : dans l’adage, l’équilibre arabesque du cygne noir est véritablement suspendu et dans sa variation, elle exécute les tours attitudes de manière très rapide et les achève d’une manière très nette. Marc Moreau se laisse aller à sa tendance aux fins de variations démonstratives, un peu à la soviétique, mais comme il maîtrise parfaitement sa partition, on attribue cela à l’exaltation de Siegfried. Le tout est soutenu par la présence de Jack Gasztowtt, Wolfgang convaincant et Rothbart plein d’autorité même si on a toujours une petite pointe d’appréhension lorsqu’il exécute sa série de pirouettes en l’air. Le dénouement est très dramatique. Siegfried-Marc se parjure exactement sur le tutti de l’orchestre.

L’acte 4 est poignant. Le prince recherche fiévreusement son cygne au milieu des entrelacs élégiaques des cygnes agenouillés. L’adage des adieux est, avec ses oppositions de directions bien marquées et la suspension des deux partenaires, une vraie conversation dansée. Odette-Valentine y est à la fois noble et distante. Si bien que si l’on ressort très ému, c’est finalement plus par le destin brisé du prince que par la destinée tragique d’Odette.

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Le Lac des cygnes. Sae Eun Park (Odette/Odile) et Paul Marque (Siegfried).

Le 28 juin, on apprécie les beaux développés suspendus et des finis de pirouettes impeccables de Paul Marque à l’acte 1. Il dessine un prince très dubitatif face au Wolfgang marmoréen a force d’impassibilité de Pablo Legasa. Ce dernier parvient vraiment à imposer d’entrée une forme de présence menaçante. Lorsqu’il tourne autour de Siegfried, caressant de sa main le cou du prince à la fin de l’acte 1, on se demande vraiment s’il ne pense pas à l’égorger.

A l’acte 2, Sae Eun Park fait de jolies choses. La ligne est belle. Dans la variation des ailes coupées, le dernier posé piqué semble s’affoler ce qui donne du relief à l’ensemble de cette section. Elle ne regarde jamais vraiment son partenaire comme absorbée par son monologue intérieur.

Pour l’acte 3, Paul Marque est un Siegfried valeureux qui mange l’espace pendant la coda. Sae Eun Park présente un cygne noir plein d’autorité avec cependant un certain relâché bienvenu car inhabituel chez cette danseuse. Les tours fouettés de la coda sont très rapides et hypnotiques. Pablo Legasa est lui aussi dans l’extrême prestesse d’exécution. Cette forme d’urgence sied bien au quatrième acte et contraste heureusement avec l’ambiance brumeuse et tragique de l’acte 4.

Néanmoins, si l’adage final entre les deux étoiles est très harmonieux et poétique visuellement, l’Odette déjà absente de mademoiselle Park, pour conforme qu’elle soit à la vision de Noureev, nous émeut moins. En revanche, le combat final de Siegfried-Paul avec l’implacable Rothbart-Pablo, très « cravache », termine le ballet sur une note ascendante.

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Le Lac des cygnes. Thomas Docquir (Rothbart), Hannah O’Neill (Odette/Odile) et Germain Louvet (Siegfried).

Le 3 juillet, Germain Louvet est un prince à la ligne éminemment romantique. C’est un plaisir de voir tous ses atterrissages impeccables et les jambes qui continuent de s’étirer après l’arrivée en position. En Wolfgang, Thomas Docquir reste très impassible à l’acte 1. Il est difficile de déterminer si c’est un parti-pris dramatique ou le fait d’un manque d’expressivité.

A l’acte 2, Hannah O’Neill a de très belles lignes mais reste très lointaine, très « dans sa danse ». Les deux étoiles, dont l’accord des lignes nous avait déjà conquis lors de Don Quichotte en mars dernier, rendent la rencontre tangible lors d’un fort bel adage.

A l’acte trois, le pas de deux du cygne noir est bien mené même si l’entrada manque un tantinet d’abattage. Germain Louvet ne pique pas sur demi-pointe pour permettre une arabesque plus penchée à sa ballerine. C’est certes efficace, mais pourquoi danser la version Noureev si c’est pour servir la même cuisine vue ailleurs ? La salle nous semble un peu molle. C’est peu justifié au vu des variations : celle de Louvet est irréprochable et dans la sienne, O’Neill se montre très sûre dans ses tours attitude. Thomas Docquir, sans déployer le même charisme que Legasa, s’acquitte très bien de son très pyrotechnique solo. La coda, avec les fouettés du cygne noir et les tours à la seconde du prince, réveille néanmoins le public jusqu’ici atone.

A l’acte 4, Germain Louvet et Hannah O’Neill nous gratifient d’un bel adage réflexif. La ballerine, qu’on a trouvé jusqu’ici trop intériorisée, parvient même à être touchante lorsqu’elle mime « ici, je vais mourir ». On est néanmoins un peu triste de n’avoir pas plus adhéré au couple. On a l’étrange impression que Germain Louvet, faute d’avoir une Odette en face de lui, était le cygne ; une interprétation intellectuellement intéressante mais qui nous laisse émotionnellement sur le bord de la route.

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Le Lac des cygnes. Bleuenn Battistoni (Odette/Odile).

On attendait donc beaucoup de la soirée du 10 juillet. En effet, Hugo Marchand, qui devait initialement danser aux côtés de Dorothée Gilbert, était désormais distribué avec la toute nouvelle étoile Bleuenn Battistoni.

A l’acte 1, Marchand est un prince aux lignes parfaites, aux bras crémeux dans sa variation réflexive et aux entrelacés silencieux. Ce Siegfried n’est pas absent à la fête et interagit avec les courtisans. Ce pourrait être un parti pris intéressant si Florent Melac était plus ambivalent en Wolfgang. Dans le pas de deux qui clôt l’acte 1 et préfigure l’acte 4, Melac n’est rien de plus qu’un conseiller sérieux et écouté. A l’acte 2, Bleuenn Battistoni exprime tout par le corps et garde un visage assez impassible. Les arabesques sont étirées à l’infini, le buste semble flotter au-dessus de la corolle du tutu, le cou est mobile, les bras sont sobres mais d’une grande délicatesse. Tous les ingrédients sont là pour créer une grande Odette. L’adage avec Siegfried est un plaisir des yeux tant les longues lignes des deux danseurs s’accordent. De plus, Hugo Marchand est un prince qui réagit au récit d’Odette pendant toute sa variation plaintive. Pour le final, Marchand enserre délicatement le cou de sa partenaire comme si elle avait déjà repris sa condition animale.

A l’acte 3, pour le pas de deux du cygne noir, les critères techniques sont largement atteints. Battistoni, toujours dans la stratégie du less is more en termes d’interprétation, fait preuve d’une grande autorité technique. Sa variation avec double attitude est immaculée. Hugo Marchand a des grands jetés suspendus et des réceptions moelleuses. Florent Melac exécute une bonne variation de Rothbart même si son personnage manque toujours un peu de relief. On s’étonne cependant un peu de rester sur des considérations purement techniques. Adhère-t-on vraiment à l’histoire ?

A l’acte 4, on apprécie le bel adage des adieux entre Odette et Siegfried : les lignes sont parfaites et les décentrés suspendus. On reste néanmoins un peu à l’extérieur du drame. Mais juste avant la dernière confrontation entre Siegfried et Rothbart, Odette-Bleuenn a un éclair dans le regard quand elle tend désespérément son aile vers Siegfried. C’est sur ce genre de fulgurance que la jeune et talentueuse ballerine devra travailler lors de la prochaine reprise afin de se mettre au niveau d’interprétation d’un partenaire tel qu’Hugo Marchand.

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On était un peu triste, au bout de quatre représentations, de ne pas avoir été emporté par un cygne. D’autant qu’il y a des motifs de réjouissance du côté des solistes et du corps de ballet. Ce dernier, malgré un temps relativement court de répétition, se montre presque au parfait. La grande valse du premier acte, avec ses redoutables départs de mouvement en canon, est tous les soirs tirée au cordeau. La polonaise des garçons est digne de la discipline d’un ballet féminin. Les danses de caractères de l’acte 3 sont fort bien réglées. Dans la napolitaine, on a un petit faible pour le couple que forment Nikolaus Tudorin et Pauline Verdusen (qui fait ses adieux sur cette série), très primesautier, mais Hortense Millet-Maurin (également tous les soirs dans un quatuor de petits cygnes extrêmement bien réglé) et Manuel Garrido ont le charme et la fraicheur de la jeunesse. On est également rassuré de voir balayer le souvenir mitigé des pas de trois de la dernière reprise qui s’étaient avérés souvent mal assortis et avaient mis en lumière une certaine faiblesse chez les garçons. Pour cette mouture 2024, on trouve le plus souvent sujet à réjouissance. Les 22 juin, Ines McIntosh est très légère et délicate dans la première variation. Silvia Saint Martin est tolérable et Nicola di Vico a de beaux doubles tours en l’air bien réceptionnés et un vrai parcours. Les 28 juin et 3 juillet, on assiste aussi à un pas de grande qualité avec un trio réunissant Andrea Sarri, condensé d’énergie et de ballon, Roxane Stojanov enjouée et légère et Héloïse Bourdon alliant moelleux et élégance. Le 10 juillet, Camille Bon se montre élégante et déliée et Hoyhun Kang très légère. Antonio Conforti, partenaire sûr comme à son habitude, délivre une variation irréprochable et d’un bel abattage. Il prend même le temps de saluer le prince tandis qu’il accomplit ses exercices pyrotechniques. Enfin, le 12 juillet, le trio réunissant Mathieu Contat, Bianca Scudamore et Clara Mousseigne ne manque pas de talent. Contat fait un beau manège de coupé jeté, Scudamore est d’une grande légèreté dans la seconde variation mais Mousseigne, toujours trop démonstrative, se met parfois hors de la musique pour montrer ses atouts techniques…

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Le Lac des cygnes. Héloïse Bourdon (Odette/Odile) et Jeremy-Loup Quer (Siegfried).

Le 12 juillet… Il aura fallu attendre le 12 juillet pour que je sois ému par une Odette. Enfin un cygne de cœur, de chair et de sang ! Héloïse Bourdon, désormais une habituée du rôle, vient magnifier de tout son métier la maîtrise souveraine de la technique noureevienne. Les ports de bras sont crémeux ; l’arabesque haute de même que les développés (la variation) ; les ralentis contrôlés. Mais surtout, mais enfin, il se dégage de cette Odette une humanité, une sensibilité qui passe par-delà la rampe. Cette Odette regarde son Siegfried de ses yeux mais aussi… de son dos (adage). Pour que le parti-pris du « rêve du Prince » développé par Noureev fonctionne, il faut que le mirage de la femme sensible et idéale soit plus vrai que nature et non désincarné. La quasi perfection des cygnes du corps de ballet, à la fois disciplinés et vibrants (on regrette un vilain décalage de lignes côté jardin sur le triangle saillant à l’acte 4) reçoit enfin le couple qu’il mérite. En Siegfried, Jeremy-Loup Quer présente une belle danse noble et musicale sans aucun accroc. Ses intentions sont bonnes (la façon dont il réalise que son arbalète effraie le cygne) même si sa projection est encore intermittente. On salue le progrès accompli par cet artiste. En Rothbart, Enzo Saugar doit en revanche trouver l’équilibre entre sa technique, qui est très impressionnante, et son interprétation, qui est assez pâle.

On se laisse porter, comme le reste de la salle, très enthousiaste de bout en bout, par le couple Bourdon-Quer. Le cygne noir de Bourdon est serein dans la puissance, et le prince de Quer exalté et bondissant. Les adieux à l’acte 4 sont déchirants.

Disparaissant dans l’océan de fumigènes tandis que Rothbart emporte la princesse définitivement métamorphosée, on est profondément ému par la façon dont la main du prince semble surnager avant de disparaître à nouveau comme engloutie par le Lac.

L’émotion, enfin !

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Le Lac des cygnes 2022 : des deux côtés du miroir

P1180569Dans la lecture de Rudolf Noureev, souvent décrite comme « psychanalytique », le lac n’est qu’une vision dans l’esprit troublé du prince ; trouble,  provoqué par le conflit oedipien que lui impose son précepteur (Wolfgang au premier acte et Rothbart aux trois suivants).

Lors de la soirée du 16 décembre dernier, j’avais donc été contrarié par l’absence de synergie entre  Siegfried et son Rothbart.

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Rien de tout cela lors de la soirée du 23 décembre. Guillaume Diop est, de par sa grande jeunesse, un prince poulain ou agneau qui regarde son précepteur avec de grands yeux naïfs. Le côté vert de ce prince est renforcée par sa silhouette, à la fois tellement proche des standards opéra mais encore si frêle qu’on s’étonne de la voir maîtriser presque tous les difficultés techniques de cette version Noureev. Mais ce qui aurait pu être ressenti comme un manque de maturité a trouvé un sens grâce au danseur qui interprétait Rothbart ce soir-là : le très beau et singulier Pablo Legasa.

Pendant tout le prologue et l’acte 1, même lorsqu’il est immobile, on a du mal à détacher son regard du danseur. Le visage de Lagasa, d’une longueur et d’une angularité accentuée pour l’occasion, le fait ressembler à un oiseau de proie même lorsqu’il est affublé des oripeaux du précepteur Wolfgang. Voilà un serviteur qui ne quitte jamais des yeux froids sa pupille. Ses interactions avec la reine (la très pertinente Lucie Mateci), sa rivale en influence auprès du prince, sont glaciales.

Celles avec le prince mettent mal à l’aise à force d’être incestueuses. Durant le pas de deux qui clôt l’acte I, alors qu’il a déposé le prince à genoux, Wolfgang Legasa plaque ostensiblement sa main droite sur l’arrière du cou du prince puis lui tourne autour sans la retirer. Lorsqu’il lui donne l’arbalète, il pose sa joue contre celle de son élève, préfigurant en version dévoyée, le contact à la fin du pas de deux de l’acte 2 entre Odette et Siegried. Enfin avant de le laisser partir à la chasse, il se met front à front avec lui.

Ce rapport est tellement fort, qu’au bord du lac, on ne doute pas un seul instant de l’irréalité d’Odette (Dorothée Gilbert) plutôt une incarnation de la féminité mûre – non pas qu’elle fasse plus âgée mais bien parce qu’il y a chez elle une plénitude qu’on comprend que recherche le prince – que femme oiseau de chair et de sang.

Dans le fond de Scène, Pablo-von Rothbart agite ses grandes ailes en musiques comme s’il faisait corps avec l’orchestre (lequel est malheureusement fort mou et imprécis depuis le début de cette série).

A l’Acte III, Legasa est toujours très présent et pas seulement concentré sur sa variation qu’il danse d’ailleurs de manière magistrale, avec une pointe de sècheresse bienvenue. Il met beaucoup d’acuité dans la pantomime du parjure, semblant littéralement couper la parole à la reine méfiante. On semble ensuite l’entendre dire, « nous sommes bien d’accord, tu veux jurer de l’aimer ET de l’épouser ». Confronté à ce magicien et à une Odile- Dorothée sereine et enjouée dans sa toute puissance (Les doubles tours attitude pris sans précipitation dans sa variation, contrairement à d’autres danseuses de cette reprise 2022, en sont une illustration), Siegfried-Guillaume, très efficace techniquement mais personnage immature et naïf, n’a aucune chance d’échapper au piège qui lui est tendu.

L’acte IV en devient d’autant plus déchirant. Pris par l’action, on ressent la complainte du corps de ballet et on s’émeut du pas de de deux entre la femme cygne résignée, vision déjà pâlissante, et le jeune inconscient qui veut encore y croire. Tout cela n’est qu’un rêve qui tourne au cauchemar. La réalité est encore une fois ramenée par le magicien de Pablo Legasa qui, pendant la confrontation finale, reproduit exactement le front à front du pas de deux masculin qui clôturait l’acte 1. Cela donne le frisson. Le précepteur-magicien préfère briser son jouet que le voir s’émanciper…

On ne peut s’empêcher de penser que sans ce vecteur Rothbart, le contraste de maturité dramatique entre Dorothée Gilbert et Guillaume Diop aurait pu être un obstacle à notre adhésion à l’histoire.

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Pablo Legasa (Rothbart), Dorothée Gilbert (Odette-Odile) et Guillaume Diop (Siegfried)

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Quelques jours plus tard, le 26 décembre, Pablo Legasa passait de l’autre côté du miroir puisqu’il interprétait à  son tour Siegfied.

Son prince semblait entièrement infusé de son expérience encore récente mais si parfaitement aboutie du maléfique magicien-précepteur. Il régissait plus comme s’il avait comme partenaire son propre Rothbart que celui de Thomas Docquir (prometteur, déjà à l’aise techniquement notamment dans la redoutable variation de l’acte 3, mais à la proposition dramatique encore imprécise).

Durant le premier acte, on pouvait sentir l’inconfort, l’appréhension et même la peur que le prince ressentait dès que son tuteur s’approchait : son dos et son cou se raidissait ostensiblement. La variation de la fin de l’acte I est ainsi déjà une confrontation. Siegfried-Pablo résiste aux impulsions imposées par Wolfgang comme il tentera de le faire plus tard à l’acte IV.

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Thomas Docquir (Rothbart), Héloïse Bourdon (Odette-Odile) et Pablo Legasa (Siegfried).

Si le Siegfried de Diop était indécis et peut-être simplement tenté par un vague échange de figure référente, le prince de Pablo Legasa est déjà en rupture de ban et en quête d’absolu. L’absolu, c’est justement l’Odette d’Héloïse Bourdon, vibrante sur ses pointes, tendue et souple comme la corde d’une arbalète. La rencontre des deux danseurs est palpitante. La pantomime est accentuée avec fougue. Les deux danseurs parlent la même langue. Héloïse Bourdon, très lyrique et intériorisée dans l’adage, donne autant à voir qu’à supputer, aussi bien à son prince qu’au public dans la salle. Ses battements d’ailes effrayés à la fin de l’acte sont très émouvants.

A l’acte III, son cygne noir est à la fois serein et claquant comme le fouet (sa variation est très maîtrisée, notamment les doubles tours attitude impeccables). Les lignes sont identiques mais l’énergie déployée est diamétralement opposée à celle du cygne blanc : alors qu’Odette était dans l’extension, Odile semble ancrée dans le sol.

Dans cet acte III, Pablo Legasa impressionne dans les variations classiques par la beauté de ses lignes et le suspendu de ses grands jetés. Il danse comme quelqu’un qui a pris possession de lui-même. Pour tout dire, ceci nous console un peu d’un acte I et II où la chorégraphie avait été quelque peu rabotée au profit de l’interprétation (dans la première variation de l’acte 1, notamment ou des sortes d’assemblés battus en tournant remplacent les doubles ronds de jambes suivi d’un piqué en arabesque ouverte si propre au style Noureev. Même dans le pas de deux du cygne noir, la ballerine pique seule en arabesque tandis que le danseur reste à pied plat dans la position « classique » du partenaire et non dans celle plus dynamique voulu par le chorégraphe).

A la réalisation de son erreur, la confiance nouvellement acquise de Pablo-Siegfried se brise littéralement nous projetant dans la tragédie de l’acte IV, fait d’embrassement charnels et de luttes désespérées. Des personnes qui ont vu Noureev danser Siegfried dans la pleine possession de ses moyens ont dit qu’il « était le cygne ». C’est un peu ce qui nous est apparu dans l’adage avec Odette-Héloïse, où les deux danseurs ne faisaient qu’une seule et même ligne ainsi que dans les derniers jetés du prince – mais ne devrait-on pas plutôt dire « envols » – qui précèdent le triomphe du magicien.

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On ressort du théâtre en se disant que décidemment Héloïse Bourdon est l’Odette-Odile la plus aboutie de l’Opéra et que Pablo Legasa sera un jour un immense Siegfried de Noureev lorsqu’il en dansera intégralement la chorégraphie.

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Lac des cygnes 2022 : pas de Blanc sans le Noir

P1180575Le Lac des Cygnes (Rudolf Noureev d’après Petipa-Ivanov). Ballet de l’Opéra de Paris. Représentation du vendredi 16 décembre 2022. Myriam Ould-Braham (Odette-Odile) / Marc Moreau (Siegfried) / Jack Gasztowtt (Rothbart).

C’est sans doute, depuis la création des Balletonautes en 2012, mon entrée la plus tardive dans le concert des comptes-rendus de saison sur le ballet de l’Opéra. Entre une entrée au répertoire aussi fastidieuse que dispensable (Mayerling), une création ratée (Cri de cœur) et une incursion dans le tanztheater (Kontakthof) peu concluante, je n’ai pas ressenti le besoin d’ajouter une pierre à l’édifice critique monté par mes collègues.

Au moins pensais-je, l’entrée en matière, pour tardive qu’elle soit, se ferait sur mon ballet fondateur, dans la production qui me l’a révélé, il y a désormais bien longtemps et avec ma ballerine favorite ; et qu’importe que la refonte des distributions masculines ait d’inquiétants relents de la fin de règne de Brigitte Lefèvre. On veut toujours s’attendre à de bonnes surprises.

Ravalant donc ma déception de manquer une seconde fois la rencontre lacustre entre Myriam Ould-Braham et Mathias Heymann, son partenaire de prédilection, j’étais curieux de découvrir le Siegfried de Marc Moreau, un premier danseur qui n’a pas ou guère eu l’occasion jusqu’ici de s’illustrer dans un « grand trois-quatre actes ».

Le rôle de Siegfried dans la production de Noureev n’a rien de la description du prince du Lac que fit jadis Georges Balanchine : un type qui rentre avec une plume au chapeau. Le personnage doit s’imposer sur tout l’acte I alors qu’il apparaît, tel James de la Sylphide, endormi dans un fauteuil. Il doit ensuite convaincre et projeter au-delà de rampe en ayant l’air absent voire renfermé.

Dans ce rôle, Marc Moreau apparait un peu trop minéral. Il compense son manque de moelleux par la pureté du haut du corps et par la précision musicale des finis de pirouette (1ere variation). Mais cela manque un tantinet de charisme et de « jazz ». Les grands ronds de jambes sur demi-pointe à la Noureev ne sont pas une spécialité du danseur. La variation lente est donc plus négociée qu’incarnée en dépit d’une belle attention portée aux bras. De surcroît, son véritable partenaire jusqu’à l’apparition du cygne et sans doute même au-delà, le Précepteur-Rothbart, Jack Gasztowtt, nous semble en manque d’autorité.

Du côté du Pas de trois, ce n’est guère plus palpitant. Le trio est certes bien réglé mais les variations peinent à susciter l’enthousiasme. Bianca Scudamore danse joli mais frôle le maniérisme dans la première variation,  Andréa Sarri manque de fini notamment dans ses coupés jetés où le pied arrière traîne un peu. Naïs Duboscq a du charme et de la musicalité mais cela ne suffit pas à rattraper le manque de brio de l’ensemble.

Les applaudissements nous semblent mous. La salle est atone.

C’est donc un peu à froid qu’on est cueilli par l’apparition de Myriam Ould-Braham en Cygne blanc. La ballerine, qui impressionne par la pureté de sa ligne et par son subtil travail de bras se montre plus charnelle et plus animale dès son entrée qu’elle ne l’avait fait lors de ses précédentes apparitions dans le rôle en 2015 et 2019. Lors de la première confrontation avec Siegfried, elle fait un certain mouvement pour  avancer la tête qui donne l’impression qu’elle n’a pas encore tout à fait achevé sa métamorphose de l’animal à l’humain. Son cou semble infiniment long. Les lignes sont, comme toujours, idéales : l’arabesque est toujours aussi calligraphique. Odette-Myriam nous gratifie dans l’adage d’un charmants gazouillis des pieds dans les piétinés. On reprend espoir…

Et qu’importe si son prince semble un peu fiché comme un piquet pendant sa variation et si dans la sienne, la ballerine a quelques imperceptibles tremblements dans certains de ses équilibres. Pris par le charisme du plus beau cygne blanc de l’Opéra, dans l’écrin quasi idéal du corps de ballet féminin, on  fait fi de tout le reste.

Las ! Tout se gâte à l’acte trois. Dès l’entrée du cygne noir, on sent que quelque chose n’est pas là. Myriam Ould-Braham semble toujours avoir eu un rapport difficile avec la face sombre de son personnage, si éloigné sans doute de sa véritable nature. En 2017, j’étais déjà resté sur le bord du chemin en raison d’une approche trop désincarnée, trop minimaliste de la magicienne. En 2019 la ballerine avait trouvé une forme d’équilibre. Sans être proprement maléfique, son Odile amorale semblait s’amuser dans son jeu de séduction. Ce cygne noir n’était pas le plus mémorable que j’aie jamais vu mais il s’intégrait bien dans l’ensemble du spectacle.

Car pour moi, il n’y a pas de cygne blanc sans cygne noir. Cela remonte sans doute à ma première expérience du Lac des cygnes. En tant que néophyte, j’avais pris l’acte 2 comme un ensemble. Les solistes et le corps de ballet féminin s’étaient confondus dans un même émerveillement. C’est à l’acte trois, avec l’apparition du cygne noir que l’histoire et le drame avaient pris tout leur sens. Un coup d’œil sur la distribution entre la fin du trois et du quatre : « c’était vraiment la même ballerine ? ». Il s’agissait d’Elisabeth Platel. Dans Odile la ballerine reprenait tous les codes visuels de son cygne blanc mais y insufflait une énergie diamétralement opposée : tout exsudait la puissance et la jouissance qui en découle. Les humeurs du cygne noir de Platel, tour à tour invitantes ou excluantes, avaient le côté capricieux d’un ciel de bord de mer à la fin de l’été. Le quatrième acte apparaissait dès lors déchirant tandis que la ballerine avait retrouvé son manteau immaculé. On pouvait sentir la femme palpiter sous l’idée de femme.

À l’occasion de cette reprise, Myriam Ould-Braham, interrogée dans une vidéo sur le site de l’Opéra, a dit que son cygne noir aurait plus « de noirceur », qu’il serait plus « méchant ». Pourquoi pas. Mais la méchanceté n’implique pas qu’on fasse impasse sur le charme. Pour Ould-Braham, être méchante semble donc signifier ne pas sourire, ne pas regarder son partenaire (si elle l’a fait, cela ne passait pas au premier balcon). On se demande du coup comment le prince peut en pincer pour cette pimbêche à papa. De plus la technique ne suit pas suffisamment pour donner le change sur l’autorité. Les doubles tours attitude sont tous ébréchés dans la variation et les fouettés arrêtés brusquement.

De son côté, Moreau accomplit une variation propre et bien accentuée mais sans beaucoup de projection, un peu à l’image du Rothbart de Gasztowtt qui assure sa partition mais n’existe pas quand il ne danse pas. L’énergie ne circule pas entre les trois protagonistes et on s’ennuie ferme.

Il faut essayer de se reprendre pour l’acte quatre. Mais les perfections réelles du corps de ballet échouent à nous remettre dans l’ambiance. Les deux danseurs principaux font chacun une belle entrée mais leur pas de deux n’émeut pas.  Où sont les petits frappés sur le coup de pied qui continuaient en piétinés que nous aimions tant chez la ballerine?

On ressort triste et l’œil sec mais avec le cœur qui saigne. Car à ce stade de sa carrière, aurons-nous encore l’occasion de voir le cygne de Myriam Ould-Braham sur la scène de l’Opéra?

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Jack Gasztowtt, Myriam Ould-Braham et Marc Moreau. Saluts.

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Swan Lake in Paris: Cotton, Velvet, Silk

Le Lac des Cygnes, Paris Opera Ballet, March 11, 2019

[des extraits de l’article sont traduits en français]

Never in my life have I attended a Swan Lake where, instead of scrabbling noisily in my bag for a Kleenex, I actually dug in deeper to grab pen and bit of paper in order to start ticking off how many times the Odette and Odile did “perfect ten” developés à la seconde. Every single one was identically high and proud, utterly uninflected and indifferent to context, without the slightest nuance or nod to dramatic development. I noted around twenty-two from the time I started counting. This is horrifying. The infinite possibilities of these developés lie at the core of how the dancer will develop the narrative of the character’s transformation.

Riches have wings, and grandeur is a dream.
Sae Eun Park, this Odette-Odile, has all the skills a body would ever need, but where is the personal artistry, the phrasing, the sound of the music? I keep hoping that one day something will happen to this beautiful girl and that her line and energy will not just keep stopping predictably at the mere ends of her fingers and toes. Flapping your arms faster or slower just does not a Swan Queen make.

 

 

Made poetry a mere mechanic art.
Park’s lines and positions and balances are always camera-ready and as faultless as images reprinted on cotton fabric…but I prefer a moving picture: one where unblocked energy radiates beyond the limits of the dancer’s actual body especially when, ironically, the position is a still one. Bending back into Matthieu Ganio’s warmly proffered arms, Park’s own arms – while precisely placed –never radiated out from that place deep down in the spine. Technical maestria should be a means, not an end.

I want a lyre with other strings.
Even Park’s fouettés bothered me. All doubles at first = O.K. that’s impressive = who cares about the music? Whether in black or white, this swan just never let me hear the music at all.

Coton

Jamais je n’avais assisté à un Lac des cygnes où, au lieu de farfouiller bruyamment dans mon sac à la recherche d’un Kleenex, j’ai farfouillé  pour trouverbloc-notes et stylo afin de comptabiliser combien de fois Odette et Odile effectuaient un développé à la seconde 10.0/10.0. Chacun d’entre eux était identiquement et crânement haut placé, manquant totalement d’inflexions et indifférent au contexte […] J’en ai dénombré vingt-deux à partir du moment où j’ai commencé à compter. […]

Les lignes, les positions et les équilibres de Park sont toujours prêts pour le clic-photo et l’impression sur coton. Mais […] se cambrant dans les bras chaleureusement offerts de Mathieu Ganio, les bras de Park – bien que parfaitement placés – n’irradiaient pas cette énergie qui doit partir du plus profond de la colonne vertébrale. […]

Même les fouettés de Park m’ont gêné.

Tous double au début = Ok, c’est impressionnant = Au diable la musique !

En blanc comme en noir, ce cygne ne m’a jamais laissé entendre la musique.

Silently as a dream the fabric rose: -/No sound of hammer or of saw was there.
Mathieu Ganio’s Siegfried started out as an easy-going youth, mildly troubled by strange dreams, at ease with his privileged status, never having suffered nor even been forced to think about life in any large sense. A youth of today, albeit with delicate hands that reached out to those surrounding him.

As if the world and he were hand and glove.
Ganio’s manner of gently under-reacting reminded me – as when the Queen strode in to announce that he must now take a wife – of a young friend who once assured me that “all you have to do when your mother walks into your head is to say ‘yes, mom,’ and then just go off to do whatever you want.” Yet his solo at the end of Act I delicately unfolded just how he’d been considering that perhaps this velvet cocoon he’d been raised in may not be what he wants after all. Ganio is a master of soft and beautifully-placed landings, of arabesques where every part of his body extends off and beyond the limits of a pose, of mere line. He makes all those fussy Nureyevian rond-de-jambes and raccourcis breathe – they fill time and space — and thus seem unforced and utterly natural. When I watch him, that cliché about how “your body is your instrument” comes fully to life.

Alas, no matter how he tried, his character would develop more through interaction with his frenemy than with his supposed beloved.

Velours

Le Siegfried de Mathieu Ganio se présente d’abord comme un jeune homme sans problèmes à peine troublé par des rêves étranges, satisfait de son statut privilégié, n’ayant jamais souffert et n’ayant jamais été contraint de penser au sens de la vie. […]

Néanmoins, son solo de l’acte 1 révélait combien il commençait à considérer que, peut-être, le cocon de  velours dans lequel il avait été élevé n’était peut-être pas ce qu’il voulait, après tout. Ganio est passé maître dans le domaine des réceptions aussi silencieuses que bien placées, et des arabesques où toutes les parties du corps s’étendent au-delà des limites de la simple pose. Il rend respirés tous ces rond-de-jambe et raccourcis tarabiscotés de Noureev – ils remplissent le temps et l’espace – et les fait paraître naturels et sans contrainte.

Hélas, quoi qu’il ait essayé, son personnage s’est plus développé dans ses interactions avec son frère-ennemi qu’avec sa supposée bien aimée. […]

Great princes have great playthings.

 

Jérémy-Loup Quer used the stage as a canvas upon which to paint a most elegant Tutor/von Rothbart. Less loose and jazzy with the music than François Alu on the 26th, more mysterious and silken, Quer’s characterization thoughtfully pulled at the strings of this role. Is he two people? Two-in-one? A figment of Siegfried’s imagination? Of the Queen’s? A jealous Duc d’Orleans playing nice to the young Louis XV? By the accumulation of subtle brushstrokes that were gentle and soundless on the floor, and of masterfully scumbled layers of deceptively simple acting – here less violent at first vis-à-vis Siegfried during the dueling duets– Quer commanded the viewer’s attention and really connected with Ganio. His high and whiplash tours en l’air and feather-light manège during his Act III variation served to hint at just how badly this mysterious character wanted to wind Siegfried’s mind deep into the grip of the voluminous folds of his cape.

Grief is itself a med’cine.
When this von Rothbart finally lashed out in the last act – and clearly he was definitely yet another incarnation of the Tutor from Act I — both Siegfried and the audience simultaneously came to the sickening conclusion that we had all been admiring a highly intelligent and murderous sociopath.

Soie

Jérémy-Loup Quer, […] moins jazzy musicalement que François Alu le 26, est plus mystérieux et soyeux. […] Par une accumulation de subtiles touches, […], et par l’usage souverain d’une quantité d’artifices de jeu dont la simplicité n’est qu’apparente, […] Quer captait l’attention du spectateur et interagissait réellement avec Ganio. Ses hauts tours en l’air « coup de cravache » et son manège léger comme une plume durant sa variation de l’acte 3 laissaient deviner combien ce mystérieux personnage voulait aspirer la raison de Siegfried dans les volumineux replis de sa cape […] tel un sociopathe hautement intelligent et criminel.

Quotes are from the pre-Romantic poet William Cowper’s (1731-1800) Table Talk, The Taste, and his Sonnet to Mrs. Unwin.

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Sur le Lac : prise de Marque

Le Lac des Cygnes. Rudolf Noureev. Ballet de l’Opéra de Paris. Représentation du 6 mars 2019.

C’est avec un plaisir sans cesse renouvelé que je retrouve le Lac des cygnes dans la version de Rudolf Noureev. Il y a toujours cependant une petite pointe d’appréhension avant chaque reprise. À l’acte 1, la variation du garçon dans le pas de trois sera-t-elle superlative ? Dans la danse des coupes, cette polonaise uniquement pour les garçons, les danseurs auront-ils ce mélange de force athlétique et d’élégance avec en prime cette discipline qu’on attend habituellement du seul corps de ballet féminin ? L’acte 4, enfin, si subtilement composé par Noureev avec ses passages en canon et ces ondulations du corps de ballet qui m’ont fait comprendre jadis, a posteriori, les beautés de l’acte 2, sera-t-il, de nouveau, parfaitement réglé ? Cette saison, la question se posait peut-être avec plus encore d’acuité. Depuis La Sylphide en juillet 2017, il n’y avait pas eu à l’Opéra de ballet requérant un travail d’ensemble féminin à la précision immaculée. Cendrillon, en décembre-janvier avait lancé de bons signaux, mais qui sait ?

Au soir du 6 mars, les doutes ont été vite balayés. La polonaise masculine avait la vélocité requise et cette présentation un peu distante qui caractérise les danseurs français. S’échappant de scène à la fin, les garçons semblaient préfigurer la nuée de cygnes. Dans le pas de trois, Pablo Legasa dansait avec une noble assurance et surtout un calme olympien le redoutable enchainement aux doubles tours en l’air suivis de sissones. Il était tout charme et musicalité. Ses partenaires n’étaient pas en reste : Marine Ganio impressionnait par son ballon et ses attitudes renversées défiant l’équilibre tandis que Charline Giezendanner ciselait sa claire batterie entre deux piqués-arabesque lyriques. Enfin, le corps de ballet féminin aux actes 2 et 4 n’était pas seulement précis dans ses lignes (qui m’avaient un peu chagriné lors de la reprise de 2016) mais vibrant. Il y avait un côté presque voletant dans cette théorie de danseuses sur pointe.

Las, si les danseurs enflammaient l’espace, ils n’arrivaient pas toujours à faire oublier à mon esprit à tendance chagrine combien cette production était elle-même à bout de souffle. J’ai aimé passionnément les pourpoints des garçons de l’acte 1, avec leurs surpiqures et bourrelets de velours iridescent. À l’acte 3, les tons en camaïeux de mauve des danses de caractère étaient un hymne aux couleurs des nymphéas de Monet. Mais aujourd’hui tout paraît affreusement plat et délavé. Pire encore, le transfert du décor d’Ezio Frigerio de Garnier à Bastille n’a jamais fonctionné. D’une part, les colonnes grises du palais, qui pouvaient offrir un contraste intéressant avec les ors du vieil opéra, soulignent ici, à Bastille, la relative aridité décorative de la salle. D’autre part et surtout, pourquoi avoir paresseusement crée un cadre de scène de la même couleur sans essayer plutôt de recréer une ou deux rangées de colonnes ? Tel qu’il se présente aujourd’hui, le Lac de Frigerio/Scarciapino ressemble à une photographie passée de format carré présentée dans un cadre de récupération rectangulaire. Ne serait-il pas temps, comme cela a jadis été fait pour Roméo et Juliette, de demander au tandem des anciens collaborateurs de Noureev de repenser la scénographie du Lac à l’échelle de la salle où le ballet est maintenant présenté depuis deux décennies ?

Sans doute ces déficiences de la production étaient-elles amplifiées par mon manque d’adhésion au duo masculin de tête. Axel Magliano apparaît trop vert dans le double rôle de Wolfgand/Rothbart. Le jeune et talentueux danseur, qui ne manque ni d’élégance ni de technique (sa variation de l’acte 3 était parfaitement exécutée a défaut d’être incarnée) manque encore de physionomie. Je doute qu’un membre du public non averti, privé de distribution, ait été en mesure de faire le rapprochement entre le type à la cape casqué de jais et le jeune homme vêtu de brocard parme qui déambulait sur le plateau, l’autorité en berne, pendant la fête d’anniversaire du prince. Au ballet de l’Opéra, on distribue décidément trop les rôles en fonction de la hiérarchie et sans considération pour la vraisemblance. La reine-mère, Sophie Mayoux, avait ainsi presque l’air d’être la jeune sœur de Paul Marque, le prince Siegfried. Ce dernier, de son côté, ne manque pas de physionomie. Depuis son Gaston Rieux délicieusement gouailleur de la série des Dames au Camélias, il est clair qu’il a commencé à trouver sa voie. Il est doté d’un fort ballon (ses coupés-jetés sont impressionnants), d’un superbe haut de corps et d’une belle coordination de mouvement. À vrai dire, avec son esthétique en ronde bosse, il évoque les dessins du célèbre traité technique de Carlo Blasis (ses attitudes croisées sur plié sont d’une authentique perfection formelle). Mais, à considérer toutes ces qualités, on en vient à se demander pourquoi on ne voit « que » de la danse et pas un personnage. Certaines petites imperfections techniques, pourtant bien couvertes (notamment sur les promenades de la variation du premier acte), attirent l’attention plus qu’elles ne le devraient. C’est qu’on reste sur l’appréciation technique. Le rôle de Siegfried n’est pas aisé à aborder si jeune. Le personnage alterne les périodes d’inactivité et de pantomime avec les démonstrations brillantes qu’il faut interpréter tout en restant en caractère. Paul Marque fait de son mieux à ce stade de sa carrière. Il n’a encore que trois expressions faciales à son répertoire : le sourire, le demi-sourire, le visage fermé, vaguement concerné et ces trois expressions, ainsi que certaines de ses poses, semblent toutes sorties d’un catalogue.

Le contraste avec sa partenaire Myriam Ould-Braham est saisissant. La ballerine retrouve un rôle abordé en 2016, dans lequel elle ne m’avait pas totalement convaincu alors. Depuis, le chemin parcouru a été immense. Le frémissement par le bas de jambe lors de la première rencontre avec Siegfried ferait presque de l’ombre à ses bras pourtant admirablement ondoyants et expressifs. La frayeur d’Odette est ainsi rendue particulièrement poignante. Dans le grand adage, aidé par l’effacement respectueux de son partenaire, Odette semble se tenir toute seule en apesanteur. Les arabesques haut placées au-dessus de la ligne du dos donnent l’image d’un cygne quasi calligraphique. Et pourtant, Odette/Ould-Braham, autrefois trop « idée de cygne » à mon goût, a gagné en chaleur et en animalité.

Myriam Ould-Braham et Paul Marque. Pas de deux du cygne noir. Saluts.

À l’acte 3, son cygne noir, avec son plié d’un grand moelleux, a la consistance d’un blanc en neige bien monté. La peau de la ballerine, à l’éclat laiteux, rentre en contraste avec le noir du costume et renforce l’impression de surnaturel. Cette Odile exsude une forme d’innocence dans la perversité.

C’est peut-être durant l’acte 3 que le couple avec Paul Marque est le plus probant. Les deux danseurs étourdissent par leur belle démonstration de maîtrise. Ould-Braham conduit bien sa variation. Ses tours attitude en dehors se décentrent bien un peu mais la réception attitude est stoppée avec une telle netteté que cela rajoute au frisson technique. Paul Marque se montre très à l’aise dans ce registre plus démonstratif. Ses jetés sont bien projetés, ses conclusions de pirouette dans la variation sont élégantes et musicales. Les fouettés d’Ould-Braham, simples, très réguliers et sereins, dépeignent une magicienne sûre de son triomphe qui parachève son œuvre de séduction. La remonté en sautillés arabesque-relevé, très suspendue, traduit l’emprise de la magicienne sur le prince.

À l’acte 4, Odette-Myriam, par ses piétinés et ports de bras frémissants de désespoir, émeut profondément. Elle n’est pas encore morte mais son côté sans poids donne l’impression qu’elle n’est plus tant le cygne que la plume d’un cygne. Ses membres palpitent sous la tempête orchestrale qui se déchaîne. Sa pantomime à Siegfried « Moi, je dois mourir. Qu’importe. Mais, ne plus voir ton visage » est déchirante. Quel dommage qu’après l’adage des adieux, fort beau, avec des bonnes oppositions des lignes, Paul Marque, partenaire attentionné, lorsqu’il propose la fuite à sa belle, n’ait l’air que de lui désigner la triviale coulisse comme échappatoire à son cruel destin.

Myriam Ould-Braham. Le Cygne ou la Plume?

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Le Lac Albisson-Ganio : la classe et le classique

Bastille salleLe Lac des cygnes. Ballet de l’Opéra de Paris. Mercredi 14 décembre 2016.

C’était l’une de ces soirées où l’on va à reculons : mauvaise journée, fatigue de fin d’année et revues mitigées de la distribution annoncée glanées de ci de là. On ronchonne en montant les escaliers, on s’installe à sa place. Le chef arrive, démarre l’ouverture. On entend des canards avant de voir des cygnes. Siegfried-Ganio dort profondément dans son fauteuil et Princesse-Albisson, belle et « statuesque » le contemple pensivement. Un petit frisson qui ne trompe pas traverse l’échine. Sommes-nous sur le point d’assister à une grande soirée ?

Cela commence pourtant par un accroc sur la prise de la toute première pirouette, mais Mathieu Ganio se reprend ensuite avec panache. Contrôlant sa technique et sa longue ligne, il nous permet de goûter pleinement, sans arrière-pensées, sa belle coordination de mouvements, sa présentation du pied et ses épaulements subtils qui en font habituellement un prince idéal. Une petite pointe d’indécision rajoute ici à la vraisemblance de ce prince qui se coince la psyché et a du mal à s’affirmer face à une maman raidie dans ses principes et un tuteur amical mais assurément omniprésent. Arrivé à la variation lente, on oublie désormais toute considération technique. Ganio installe définitivement l’atmosphère qui convient à l’acte blanc.

Dans cet acte, Amandine Albisson joue très délibérément « la carte du cygne ». Les bras sont ondoyants, le buste frémit sur la corole du tutu un peu tombant comme celui de Pavlova pour la Mort du cygne. Le prince rencontre assurément un volatile tout en plumes et une femme de chair et de cœur. L’adage est cotonneux, la variation du cygne soyeuse. L’écrin que forme le corps de ballet de l’Opéra autour de ce couple grand style reste très beau en dépit d’une vilaine et récurrente incurvation de la ligne des cygnes côté jardin.

À l’acte trois, Odile-Albisson sur-joue son cygne blanc du deux avec une délectation évidente au risque de donner du prince l’image d’une grande baderne. Mais on lui pardonne tout au vu de l’assurance, du brio chic de son intrada et de sa variation. Les fouettés simples, menés avec une belle assurance et un joli fini, avaient été introduits par des piétinés impatients pendant la série de tours hallucinés du prince. Il y a des moments où certains pas de transition donnent tout leur sens au plus attendu et prosaïque des tours de force.

Cette considération nous conduit tout naturellement à parler de François Alu. Le Rothbart de cette soirée n’est pas tant impressionnant par ses sauts (qui atteignent pourtant des sommets) que par sa capacité à varier la vitesse d’exécution et à toujours rester en situation. Durant sa variation, il est l’un des rares Rothbart à avoir le temps de jeter des regards de connivence à certains danseurs de l’assemblée en particulier, renforçant ainsi l’impression que le sombre magicien ne faisait sans doute qu’un avec le précepteur Wolfgang. La veille, distribué dans la Czardas, il avait créé tout un scénario-pantomime en introduction, derrière le corps de ballet, proposant le mariage – sans succès – à Léonore Baulac avant de se lancer dans son court solo.

Son Rothbart flamboyant laissait cependant une place au Siegfried de Ganio. L’énergie de l’un mettait en valeur la ravissante clarté de ligne et le suspendu des sauts de l’autre : Ganio, « prince blanc », portant les couleurs de sa dame, était confronté non pas à un mais à deux noirs volatiles.

À l’acte quatre, il ne restait plus qu’à se laisser porter. Albisson-Odette, résignée, touchante et pathétique magnifiait le très bel adage final de Noureev. L’opposition des lignes « aspiration-résignation » fonctionnait à merveille.

Le final fut bien un peu terni par Alu s’emberlificotant dans sa cape et s’agrippant ensuite à son casque comme un chauve à sa moumoutte. Ce souci d’intendance eut pu être réglé de manière plus élégante. Mais le désespoir de Ganio, comme englué dans la nuée de fumigènes, vint tout de même terminer sur une note de perfection cette bien belle représentation.

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Swan Lake: Get Your Story Here. A plot summary.

cygne-rougeThe basic story is so ridiculous even Freud would break out in giggles. A mama’s boy falls for a female impersonator really into feathers who goes by the moniker #QueenOfTheSwans. He digs her divine Virgin in White get-up but can’t stop making googly eyes at a sexy fashionista in black who turns out to be her -get this – Evil Twin. Then there’s the problem of their pimp. Since our hero has also demonstrated from the outset that he’s a limp noodle when it comes to standing up to father figures, he’ll…oh never mind. I mean, would you keep a straight face if late one night a middle-aged guy suddenly jumped out of the bushes, ripped open his Bat-cape, and exposed you to…his sequined green bodysuit?
But every time I’m actually experiencing Swan Lake, my snarkiness about the plot just evaporates. This ballet – like the best of operas — simply lets you cry in the dark over how you yourself, younger and softer and in better shape, had once been a fool for love.
What’s really weird, though, is that most people with bucket-lists think that if you’ve seen one Swan Lake you’ve seen ‘em all. Wrong. So if you don’t go see Rudolf Nureyev’s 1984 version for the Paris Opera Ballet, still fresh and juicy after all these years, you will miss out on something big: a dramatically coherent and passionately danced dreamscape. This production, for once, succeeds in forcing the tired threads of the generic story into real narrative. To boot, it gives the male dancers of the corps – sans les plumes de ma tante — as much to do as the female ones.
Many, many, versions of this ballet exist. All of the steps of the first one from 1877, created in tandem with Tchaikovsky’s music and famed as a colossal flop, seem to have been lost. Every production we see today claims to be « after the original » 1895 version as devised by Marius Petipa and Lev Ivanov for the Maryinsky Theater. Yet we probably should consider 1895’s as lost, too. Ballet, by definition, just keeps evolving.
Just imagine: not that long ago, the Prince only mimed and his bestie, Benno, did all the complicated partnering stuff. An annoying court jester still scampers about in some productions, boring everyone on either side of the footlights. Just imagine: in some productions, this big tearjerker comes to a happy end. Some constants: almost all the steps in Act II and Odile’s extended series of fouettés (where the ballerina whirls like an unstoppable top) in Act III. Imagine the challenge each leading ballerina faces: she must convince you that you must have seen two completely different leading ladies – one fragile and tender, the other violent and bad. But in some earlier versions, you did indeed see two different leading ladies…

Le Lac des Cygnes, Moscou, 1877. Une évocation du décor du 2e acte partiellement corhoborée par les sources journalistiques

Le Lac des Cygnes, Moscou, 1877. Une évocation du décor du 2e acte partiellement corroborée par les sources journalistiques

PROLOGUE (OVERTURE)
Prince Siegfried has a nightmare where he looks on helplessly as a beautiful princess falls into the clutches of a half-human bird of prey. Before his eyes, the evil succubus transforms her into a swan and carries her off into thin air.

ACT ONE: THE CASTLE
It is the prince’s birthday. A crowd of young people, Siegfried’s friends, burst into the room, along with the prince’s Tutor Wolfgang (who bears a striking resemblance to the monster in Siegfried’s dream). Siegfried, aroused from his slumber, somewhat half-heartedly joins in their revels. He’s a melancholy prince, a dreamer.
The revel is interrupted by trumpet fanfare and the Queen Mother makes her entrance. She has come to congratulate her son upon his coming-of-age, but also to remind him of normal stuff. Her birthday gifts comprise a crown (do your duty) and a crossbow (shooting could provide some pleasure perhaps in the Freudian sense). As she points to her ring finger, the Queen Mother make it clear to the prince that both objects mean it’s time he took a wife (duty and/or pleasure?). At the ball in his honor tomorrow night, he will have to choose a bride. Eew! Her son goes limp at the mere thought.
Once they are sure that momma has gone back upstairs, Siegfried’s friends try to cheer him up: two girls and a boy perform a virtuosic pas de trois. Then the Tutor tells all the girls to fluff off. He gives the prince a dance lesson that involves a strong undercurrent of aggression: it looks like a power struggle rather than an initiation to the idea of the birds and the bees. The chorus boys break into one more rousing group dance-off, full of exhilaratingly complicated combinations, as they take leave.
The prince dances a sad solo while the Tutor glares at him. He has zero right to disapprove, for he’s not the prince’s father nor even his step-father. After once more bringing the prince to his knees, this oddly dominant employee suggests Siegfried go shoot his crossbow. In most productions, the Tutor is just a fat patsy who has nothing to do with evil. I happen to appreciate how, by sneakily combining our doubts about two characters, Nureyev’s production will soon merge both the Oedipal complex and Hamlet’s troubled relationship with male authority figures into one Really Big Bird.

We hear the “Swan theme.” The stage empties.

... et la "Danse des coupes", préfiguration de la vision des cygnes.

… et la « Danse des coupes », préfiguration de la vision des cygnes.

WITHOUT A PAUSE

ACT TWO BEGINS: NIGHT AT THE LAKE. ODDLY, IT FEELS AS IF WE HAVEN’T LEFT THE CASTLE, JUST GONE INTO ANOTHER ROOM…

Le corps de ballet aux saluts de la soirée du 8 avril 2015.

Le corps de ballet aux saluts de la soirée du 8 avril 2015.

We see that creepy bird of prey again, rushing across the stage. But is it the wicked magician von Rothbart or…the Evil Twin of the Tutor? Siegfried enters, and takes aim at something white and feathery rustling in the bushes. To his astonishment, out leaps the most beautiful creature he has even seen in his life: the princess he had already discovered in his dream. But she moves in a strange fashion, like a bird. Terrified, she begs him not to shoot. But Siegfried cannot resist the urge to grab her and to ask: “who are you? Um, what are you?”
“You see this lake? It is filled with my mother’s tears, for I,” she mimes, “am Odette, once a human princess, now queen of the swans. That evil sorcerer cast a spell on us, condemning us to be swans by day but we return to almost-human form at night. The spell will only be broken when a prince swears his undying love for me and never breaks that vow.” They are interrupted, first by von Rothbart, then by the arrival of the swan maidens (a corps de ballet of thirty-two).
Surrounded by the swan maidens, Siegfried and Odette express their growing understanding of each other in a tender pas de deux, which is followed by a series of dances by the other swans. Siegfried swears he will never look at another woman. But as dawn approaches he watches helplessly as von Rothbart turns Odette back into a bird. Siegfried doesn’t know it, but the strength of his vow is about to be put to the test.

INTERMISSION

ACT THREE: THE NEXT EVENING, IN THE CASTLE’S GRAND BALLROOM
Lac détailIt’s time for the Prince’s birthday party. Guests who seem to have been called forth from the Habsburg empire – Hungary, Spain, Naples, Poland — perform provincial dances in his and our honor.
Six eligible princesses waltz about, and the Queen Mother forces Siegfried to dance with all of them. Siegfried is polite but cold: the princesses all look alike to him, and not one is his Odette. Tension increases when the prince tells his mother he doesn’t even like, let alone want, any of these dumb girls. Suddenly two uninvited guests burst into the ballroom. It’s the Tutor (or is it von Rothbart?) and a beautiful young woman, It’s Odette!
But something is odd: she’s dressed in black and much coyer and sexier than the demure and frightened creature he’d embraced last night. As they dance the famous Black Swan Pas de Deux, the fascinated prince finds himself increasingly blinded by lust. Convinced she is his Odette, simply a lot more macha today, he asks for her hand in marriage and, at the Tutor/von Rothbart’s insistence, swears undying love. [A salute with fore and middle finger raised]. At that moment, all hell breaks loose: the Black Swan bursts out laughing and points to another bird who’d been desperately beating at the window panes. “There’s your Odette, doofus!” The Black Swan is actually Odile, her evil twin! The foolish prince falls in a faint, realizing he has completely screwed things up.

PAUSE (DON’T LEAVE YOUR SEATS!)

ACT FOUR: BACK AT THE LAKE. OR STILL INSIDE THE PRINCE’S MIND?
Siegfried finds himself back at the lake, surrounded by the melancholy swan maidens. He rushes off to find Odette. She rushes in. Frantic and distraught, Odette believes that, if she wants to liberate her fellow swans, she now has no other option but to kill herself.
The swans try to comfort their queen, while the triumphant von Rothbart unleashes a storm. Odette tries to fly from him to die but our gloating villain grabs at her with his claws.
The prince finally finds Odette, barely alive. Her wings – like her heart – are broken. Nevertheless, she forgives him and they dance together one last time, their movements illustrating how lovers cling to each other even as fate and magic try to pull them apart.
In 1877, the pair just ended up drowned. What a bummer.
In 1895, choosing to jump into the lake and drown together as martyrs meant the two would be carried up to the heavens as befits a final orchestral apotheosis.
In 1933, the evil magician killed Odette. Poor prince got left with little to do. Another bummer.
In the USSR, 1945, the hero ripped off von Rothbart’s wig and the gals all dropped their feathers. Liberation narratives befitted those times, we must assume.
Tonight?
Odette looks on helplessly as Siegfried tries to do battle with the sadist that is von Rothbart. As in the “lessons” with the Tutor in the first act, the prince is brought to his knees. Is this for real? Has all of this been a dream? Do nightmares return? Bummer.

Le Lac des Cygnes. L'acte 3 et sa tempête...

Le Lac des Cygnes. L’acte final et sa tempête…

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Le Lac des cygnes : Par ici l’argument!

cygne-rougeL’histoire de base est tellement ridicule que Freud même en aurait eu un fou rire. Un fils à sa maman tombe raide pour un transformiste emplumé qui répond au pseudo de #ReineDesCygnes. Il en pince pour son attirail de vierge immaculée mais ne peut non plus s’empêcher d’écarquiller les yeux  à la vue de la sexy fashionista en noir qui, tenez-vous bien, se trouve être sa Jumelle Maléfique. Et puis il y a le problème de leur souteneur. Vu que notre héros s’est aussi avéré être depuis le début une chiffe molle quand il s’agit de s’opposer à une figure paternelle, il… Mais laissons tomber. Franchement, garderiez-vous votre sérieux si, en fin de soirée, un mec entre deux âges sautait hors des fourrés, écartait sa cape et vous révélait … son maillot à paillettes verdâtre ?

Mais il n’empêche qu’à chaque fois que j’assiste à un Lac des cygnes, mon esprit sardonique se dissout dans l’air. Ce ballet – comme les meilleurs opéras – vous fait pleurer dans le noir sur ce vous-même, plus jeune, plus vulnérable et en meilleure forme, qui s’est jadis ridiculisé par amour.

Ce que je trouve vraiment bizarre, en revanche, c’est tout ces gens trois étoiles guide Michelin, qui pensent que quand on a vu un Lac des cygnes on les a tous vus. Tout faux ! Donc, si vous n’allez pas voir la version Rudolf Noureev du Lac de 1984 pour le ballet de l’Opéra de Paris, encore fraîche et savoureuse après toutes ces années, vous manquerez quelque chose de rare : une production onirique dramatiquement cohérente qui, pour une fois, parvient à  tirer des ressorts usés de l’histoire un récit vrai. Par-dessus le marché, elle donne aux garçons du corps de ballet – My Tailor is Rich! – autant à danser qu’aux filles.

Beaucoup, beaucoup trop de versions de ce ballet existent. Les pas de la première de 1877, créés en même temps que la musique de Tchaïkovski et considérés comme un flop total, ont tous été perdus. Toutes les productions que nous voyons aujourd’hui clament être la réincarnation de « l’originale » de 1895 conçue par Marius Petipa et Lev Ivanov pour le Théâtre Marinsky. Peut-être d’ailleurs devrions-nous également considérer la version de 1895 comme perdue. Le Ballet est, par définition, en constante mutation.

Imaginez seulement qu’il n’y a pas si longtemps le prince mimait seulement et que son pote, Benno, se chargeait de toutes les difficultés du partenariat. Un ennuyeux bouffon batifole toujours dans certaines productions, rasant tout le monde des deux côtés de la rampe. Imaginez seulement : dans certaines productions, ce tire-larme finit par un happy end. Quelques constantes : presque tous les pas dans l’acte 2 et la série de fouettés d’Odile (quand la ballerine se met à tournoyer comme une irrésistible toupie) à l’acte III. Imaginez le défi pour chaque ballerine : elle doit vous convaincre que vous avez vu deux étoiles différentes – l’une, tendre et fragile, l’autre, violente et méchante. Il fut d’ailleurs un temps où on voyait effectivement deux danseuses différentes dans ces rôles.

Le Lac des Cygnes, Moscou, 1877. Une évocation du décor du 2e acte partiellement corhoborée par les sources journalistiques

Le Lac des Cygnes, Moscou, 1877. Une évocation du décor du 2e acte partiellement corroborée par les sources journalistiques

  PROLOGUE (OUVERTURE)

Le prince Siegfried fait un cauchemar où il assiste impuissant à la tombée d’une belle princesse dans les griffes d’un oiseau de proie à moitié humain. Devant ses yeux, le maléfique succube la transforme en cygne et se volatilise avec elle.

ACTE I : LE CHÂTEAU

C’est l’anniversaire du prince. Une foule de jeunes gens, les amis de Siegfried, font irruption dans la salle, accompagnés du tuteur du prince Wolfgang (qui ressemble étrangement au monstre du songe). Siegfried, tiré de son sommeil, se joint presque à contre cœur à leurs festivités. C’est un prince mélancolique. Un rêveur.

La fête est interrompue par une fanfare de trompettes et la reine-mère fait son entrée. Elle est venue féliciter son fils pour sa majorité mais pour lui rappeler aussi quelques fondamentaux. Ses cadeaux d’anniversaire se composent d’une couronne (fais ton devoir), d’une arbalète (la chasse peut procurer un certain plaisir, peut-être au sens freudien du terme). Lorsqu’elle désigne l’anneau à son doigt, la reine-mère exprime clairement que ces deux objets signifient qu’il est temps pour lui de prendre femme (devoir et/ou plaisir ?). Au bal donné en son honneur demain soir, il devra choisir une fiancée. Beurk ! Son fiston se ramollit rien qu’à l’idée.

Une fois surs que maman est remontée à l’étage, les amis de Siegfried essayent de lui remonter le moral : deux filles et un garçon interprètent un pas de trois virtuose. Puis, le tuteur dit aux filles d’aller batifoler ailleurs. Il donne au prince une leçon de danse qui comporte une forte charge d’agression sous-jacente : cela ressemble plus à une lutte de pouvoir qu’à une initiation au sujet des roses et des choux-fleurs. Les chorus boys se lancent alors dans une énième vibrante danse de groupe, pleine de grisantes combinaisons complexes, avant de se retirer.

... et la "Danse des coupes", préfiguration de la vision des cygnes.

… et la « Danse des coupes », préfiguration de la vision des cygnes.

Le prince danse un solo triste sous le regard réprobateur du tuteur. Il n’a aucun droit de désapprouver, n’étant ni le père ni même le beau-père du prince. Après avoir mis le prince sur les genoux encore une fois, cet employé étrangement dominateur suggère à Siegfried d’aller essayer son arbalète. Dans la plupart des productions, le tuteur est juste un gros pigeon qui ne ferait de mal à personne. Il se trouve que j’apprécie la manière dont, en combinant malignement nos doutes au sujet de deux personnages, la production de Noureev va bientôt fondre le complexe d’Œdipe et les relations troubles d’Hamlet avec les figures de l’autorité paternelle en un seul et même Grand Oiseau.

On entend le thème du cygne. La scène se vide.

SANS PAUSE

L’ACTE DEUX COMMENCE : NUIT SUR LE LAC. BIZARREMENT, IL SEMBLERAIT QUE NOUS N’AVONS PAS QUITTÉ LE PALAIS MAIS QUE NOUS SOMMES SEULEMENT PASSÉS DANS UNE AUTRE PIÈCE.

Le corps de ballet aux saluts de la soirée du 8 avril 2015.

Le corps de ballet aux saluts de la soirée du 8 avril 2015.

Nous voyons une fois encore cet inquiétant oiseau de proie, qui court à travers la scène. Mais s’agit-il du méchant magicien von Rothbart ou du jumeau maléfique du tuteur ? Siegfried entre et prend pour cible quelque-chose de blanc et de duveteux bruissant dans les buissons. À son grand étonnement, en sort la plus jolie créature qu’il ait jamais vue de sa vie : la princesse entrevue dans ses rêves. Mais elle se meut d’une étrange façon, comme un oiseau. Terrifiée, elle le supplie de ne pas tirer. Mais Siegfried ne peut résister au besoin de l’attraper et de lui demander : « Qui êtes-vous ? Euuuh. Qu’êtes-vous ? »

« Vous voyez ce lac ? Il a été rempli des larmes de ma mère, car Moi » mime-t-elle  « Je suis Odette, jadis une princesse humaine, aujourd’hui reine des cygnes. Ce méchant sorcier a jeté sur nous un sort, nous condamnant à être des cygnes le jour mais nous retournons à une forme presque humaine la nuit. Le sort ne sera brisé que si un prince me jure un amour éternel et qu’il ne se parjure pas ». Ils sont interrompus d’abord par von Rothbart, puis par l’arrivée de femmes-cygnes (un corps de ballet de trente-deux).

Entourés par ces femmes-cygnes, Siegfried et Odette expriment leur entente toujours grandissante par un tendre pas de deux suivi par une série de danses des cygnes. Siegfried jure qu’il ne posera jamais les yeux sur une autre femme. Mais alors que l’aurore pointe il regarde impuissant von Rothbart transformer a nouveau Odette en cygne. Siegfried ne le sait pas, mais son vœu va bientôt être soumis à un test.

ENTRACTE

ACTE TROIS : LE SOIR SUIVANT, DANS LA GRANDE SALLE DE BAL DU CHÂTEAU

Lac détailLe temps est venu pour la soirée d’anniversaire du prince. Les invités interprètent  des danses provinciales de l’empire des Habsbourg – Hongrie, Espagne, Naples, Pologne – en son honneur et pour notre plaisir.

Six princesses éligibles valsent dans les parages, et la reine force Siegfried à danser avec chacune d’entre elles. Siegfried est poli mais froid : ces princesses se ressemblent toutes pour lui, et aucune d’entre-elles n’est Odette. La tension monte quand le prince dit à sa mère qu’il n’apprécie ni ne veut d’aucune de ces oies blanches. Soudain, deux invités surprise font irruption dans la salle de bal. C’est le tuteur (à moins que ce ne soit von Rothbart ?) et une belle jeune femme, c’est Odette !

Mais quelque chose cloche : elle est habillée de noir et bien plus hardie et sexy que la créature sage et terrorisée qu’il avait étreinte l’autre soir. Alors qu’ils dansent le célèbre pas de deux du cygne noir, le prince se sent irrésistiblement aveuglé par la luxure.

Convaincu qu’elle est d’Odette, juste une peu plus macha aujourd’hui, il demande sa main et, à la demande insistante du Tuteur/von Rothbart, lui jure un amour éternel. [Un salut avec l’index et le majeur dressés]. À ce moment, les éléments se déchaînent : le cygne noir éclate de rire et désigne un autre oiseau frappant désespérément aux carreaux. « Voilà ton Odette, triple buse ! ». Le cygne noir n’est autre qu’Odile, son double maléfique! L’imprudent prince s’effondre évanoui, réalisant qu’il a vraiment tout gâché.

PAUSE (ON NE QUITTE PAS SON SIÈGE !)

ACTE QUATRE : DE RETOUR AU LAC. OU TOUJOURS DANS L’ESPRIT DU PRINCE ?

Siegfried se retrouve transporté au lac, entouré par les mélancoliques femmes cygnes. Il se précipite pour trouver Odette. Elle fait irruption. Affolée et  désespérée, Odette pense que, pour libérer ses camarades cygnes, elle n’a d’autre option que de se tuer.
Les cygnes tentent de consoler leur reine tandis que le triomphant von Rothbart déchaîne une tempête. Odette essaye de lui échapper mais notre ricanant vilain pose ses griffes sur elle.

Le prince trouve finalement Odette, presque morte. Ses ailes – comme son cœur – sont brisées. Néanmoins, elle lui pardonne et ils dansent ensemble une dernière fois, leurs mouvements illustrant la façon dont des amants se raccrochent l’un à l’autre même lorsque le destin et la magie essaient de les arracher l’un à l’autre.

En 1877, le couple finissait noyé. Quelle poisse.

En 1895, choisissant de se jeter dans le lac et de se noyer ensemble tels des martyrs, tous deux étaient emportés au paradis en une apothéose suggérée par les accords finaux de l’orchestre.

En 1933, le maléfique magicien tuait Odette. Le pauvre prince restait là avec bien peu à faire. Encore la poisse.

Dans l’URSS de 1945, le héros arrachait une aile à von Rothbart et toutes les filles tombaient leurs plumes. Les récits de libération convenaient à l’époque, semble-t-il.

Ce soir ?

Odette regarde Siegfried impuissante alors qu’il essaye de lutter contre le sadique qu’est von Rothbart. Comme dans la « leçon » avec le tuteur au premier acte, le prince finit à genoux. Est-ce pour de vrai ? Tout cela n’aurait-il été qu’un rêve ? Les cauchemars sont-ils récurrents ? La poisse, on vous dit.

Le Lac des Cygnes. L'acte 3 et sa tempête...

Le Lac des Cygnes. L’acte final et sa tempête…

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