Le Lac des cygnes. Ballet de l’Opéra de Paris. Mercredi 14 décembre 2016.
C’était l’une de ces soirées où l’on va à reculons : mauvaise journée, fatigue de fin d’année et revues mitigées de la distribution annoncée glanées de ci de là. On ronchonne en montant les escaliers, on s’installe à sa place. Le chef arrive, démarre l’ouverture. On entend des canards avant de voir des cygnes. Siegfried-Ganio dort profondément dans son fauteuil et Princesse-Albisson, belle et « statuesque » le contemple pensivement. Un petit frisson qui ne trompe pas traverse l’échine. Sommes-nous sur le point d’assister à une grande soirée ?
Cela commence pourtant par un accroc sur la prise de la toute première pirouette, mais Mathieu Ganio se reprend ensuite avec panache. Contrôlant sa technique et sa longue ligne, il nous permet de goûter pleinement, sans arrière-pensées, sa belle coordination de mouvements, sa présentation du pied et ses épaulements subtils qui en font habituellement un prince idéal. Une petite pointe d’indécision rajoute ici à la vraisemblance de ce prince qui se coince la psyché et a du mal à s’affirmer face à une maman raidie dans ses principes et un tuteur amical mais assurément omniprésent. Arrivé à la variation lente, on oublie désormais toute considération technique. Ganio installe définitivement l’atmosphère qui convient à l’acte blanc.
Dans cet acte, Amandine Albisson joue très délibérément « la carte du cygne ». Les bras sont ondoyants, le buste frémit sur la corole du tutu un peu tombant comme celui de Pavlova pour la Mort du cygne. Le prince rencontre assurément un volatile tout en plumes et une femme de chair et de cœur. L’adage est cotonneux, la variation du cygne soyeuse. L’écrin que forme le corps de ballet de l’Opéra autour de ce couple grand style reste très beau en dépit d’une vilaine et récurrente incurvation de la ligne des cygnes côté jardin.
À l’acte trois, Odile-Albisson sur-joue son cygne blanc du deux avec une délectation évidente au risque de donner du prince l’image d’une grande baderne. Mais on lui pardonne tout au vu de l’assurance, du brio chic de son intrada et de sa variation. Les fouettés simples, menés avec une belle assurance et un joli fini, avaient été introduits par des piétinés impatients pendant la série de tours hallucinés du prince. Il y a des moments où certains pas de transition donnent tout leur sens au plus attendu et prosaïque des tours de force.
Cette considération nous conduit tout naturellement à parler de François Alu. Le Rothbart de cette soirée n’est pas tant impressionnant par ses sauts (qui atteignent pourtant des sommets) que par sa capacité à varier la vitesse d’exécution et à toujours rester en situation. Durant sa variation, il est l’un des rares Rothbart à avoir le temps de jeter des regards de connivence à certains danseurs de l’assemblée en particulier, renforçant ainsi l’impression que le sombre magicien ne faisait sans doute qu’un avec le précepteur Wolfgang. La veille, distribué dans la Czardas, il avait créé tout un scénario-pantomime en introduction, derrière le corps de ballet, proposant le mariage – sans succès – à Léonore Baulac avant de se lancer dans son court solo.
Son Rothbart flamboyant laissait cependant une place au Siegfried de Ganio. L’énergie de l’un mettait en valeur la ravissante clarté de ligne et le suspendu des sauts de l’autre : Ganio, « prince blanc », portant les couleurs de sa dame, était confronté non pas à un mais à deux noirs volatiles.
À l’acte quatre, il ne restait plus qu’à se laisser porter. Albisson-Odette, résignée, touchante et pathétique magnifiait le très bel adage final de Noureev. L’opposition des lignes « aspiration-résignation » fonctionnait à merveille.
Le final fut bien un peu terni par Alu s’emberlificotant dans sa cape et s’agrippant ensuite à son casque comme un chauve à sa moumoutte. Ce souci d’intendance eut pu être réglé de manière plus élégante. Mais le désespoir de Ganio, comme englué dans la nuée de fumigènes, vint tout de même terminer sur une note de perfection cette bien belle représentation.
Eh bien! Je me trouve, pour la première fois depuis que je lis ce blog, en désaccord total avec une revue. Notamment sur notre Odette/Odile. Je ne suis pas un grand fan de Mlle Albisson, mais jusqu’à présent, sa plastique statuesque était parvenue à mes yeux à combler la faiblesse de ses interprétations et sa manière de danser si petit et si scolaire. Elle a notamment cette habitude de passer constamment ces bras par la première position, ce qui , pour le Lac, est rédhibitoire. Je n’ai pas vu une seule aile, pas un seul bec, pas un soupçon de sensibilité dans son Odette, et son Odile est tombée dans le même piège que beaucoup: réduite à une caricature de femme fatale qui fait passer Siegfried pour le dernier des abrutis, ou des aveugles. Celui de Mathieu Ganio, d’ailleurs, propose certes une belle intériorité, mais sa faiblesse technique l’empêche de se libérer complètement. François Alu en Rothbart ne propose peut-être pas la lecture du rôle la plus fidèle, mais au moins il propose quelque chose; et effectivement, alors que sa puissance technique est actuellement supérieure à celle de bien de ses collègues, ce n’est pas plus cela qu’on retient, mais une interprétation forte, dérangeante et personnelle.
Je regrette aussi que cette revue ne fasse point menton du corps de ballet féminin, tant il est celui qui, à mon avis, mérite tous les honneurs et toutes les fleurs: un ensemble parfait, inspiré, des petits et grands cygnes impeccable: oui, mes plus grandes émotions ce soir-là sont venus de ces 32 femmes, similaires mais uniques, sacrifiant leur gloire personnelle à l’anonymat du « corps », et créant quelques choses de plus grand qu’elles , un unique et immense cygne peut être, qui fascine et… apaise.
Noureev, il me semble, demandait à ses ballerines de passer par la première. Après, vous avez le droit de ne pas adhérer à l’interprétation d’Amandine Albisson.
Je ne comprends pas bien votre remarque sur Alu. Il me semble avoir montré que son interprétation était intéressante. sa gestion balourde du problème de cape à la fin n’en était que plus surprenante.
Je fais mention du corps de ballet. Les deux soirs où je l’ai vu (le 13 et le 14), les lignes côté jardin étaient légèrement incurvées. C’était gênant.
Joyeuses fêtes et bons prochains Lacs!