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Mainly from New York City. As often as possible.

Le pouls d’une cité

P1040775La soirée du 10 mai proposait de confronter les deux monstres sacrés du New York City Ballet, George Balanchine et Jerome Robbins, dans leur approche de la musique et des thèmes américains. La comparaison entre les deux soirées entièrement consacrées à chacun des chorégraphes avait plutôt tourné à l’avantage de Robbins. Là, même s’il faut une fois encore passer par les orchestrations tonitruantes d’Hershy Kay, cette fois-ci pour Western Symphony (1954), on peut mieux comprendre et apprécier la démarche de Mr B. qui créait à une période – la Guerre Froide – où être né Russe n’était pas nécessairement une position confortable et où le ballet devait encore prouver sa capacité à s’américaniser. Avec Western Symphony, un ballet sans argument sur des thèmes célèbres du Far West, Balanchine introduit certes des références au square-dance américain mais c’est dans une structure classique truffée de références aux grands ballets du répertoire. L’Adagio est à ce titre exemplaire. Un cowboy arrive entraîné par quatre danseuses emplumées, mi-déesses d’Apollo, mi attelage. Il rencontre sa Sylphide qui danse avec la précision d’une poupée mécanique à la Coppélia au milieu des quatre filles se transformant à l’occasion en fées de la Belle au Bois dormant. Finalement, la belle disparaît à la manière d’Odette au deuxième acte du lac des Cygnes laissant son James en Jeans modérément contrarié et déjà prêt à partir pour de nouvelles aventures. Ce passage est porté haut par Megan Fairchild dont la danse est un sourire et Jared Angle qui tient les rênes humoristiques d’une main aussi ferme et assurée que celles de ses quatre compagnes de trait. L’Allegro qui débute le ballet était bien enlevé par Rebecca Krohn et Jonathan Stafford tandis que le Rondo, le plus américain de tous, jadis créé par la longiligne Tanaquil Le Clerc, était interprété par Teresa Reichlen (physique idéal mais manquant de coordination entre le haut et le bas du corps). Andrew Veyette endossait son habituel rôle de « Monsieur Sur-mâle ».

On est heureux de pouvoir constater qu’en cette fin de deuxième semaine, le corps de ballet a pleinement pris contrôle de la scène et des chorégraphies. Cependant, dois-je l’avouer, les danseurs du City Ballet ne m’ont pas fait oublier la flamboyante interprétation de ce même ballet par la troupe de Miami en 2011 au Châtelet – les danseurs new-yorkais, sous la direction de Peter Martins, auraient-ils perdu le monopole de l’excellence balanchinienne ? J’ai également regretté l’absence du Scherzo et son palpitant déploiement de bravura. J’aurais aimé voir ce que Lauren Lovette en aurait fait au lieu d’être réduite à jouer les utilités dans le grand Finale aux côtés d’Allen Peiffer.

La pièce suivante, N.Y. Export : Opus Jazz (1958), s’inscrit bien dans une soirée sur le thème de l’américanisation du ballet. À l’approche « pédagogie par surprise » de Balanchine (je vous le sers avec l’assaisonnement que vous attendez mais c’est quand même du ballet) s’oppose celle de Robbins, plus immédiatement vernaculaire. Un groupe de 8 garçons et 8 filles vêtus de collants, de pulls courts aux couleurs acidulées et leurs sneakers assortis, rejouent en version danse de concert des variations sur le thème de West Side Story (créé l’année précédente au Winter Garden). On claque des doigts dans le « Group Dance », et le mouvement « Improvisations » a des petits airs de « Dance at the Gym ». Dans « Statics », les filles ne s’en laissent pas conter par les garçons («America» ?). Georgina Pazcoguin a le « contrapposto sexy » naturel et Justin Peck trouve ici le meilleur emploi pour son physique solide. On remarque également dans le corps de ballet Taylor Stanley (très à l’aise dans les battements énergiques suivis de soudains arrêts sur image). « Passage for Two » réunit la très jolie Ashley Laracey (déjà remarquée dans le premier mouvement d’Ivesiana) et Chase Finlay, le plus jeune des principals de la compagnie. Monsieur Finlay, blond, parfaitement proportionné, ne semble pas encore avoir acquis les qualités nécessaires pour instaurer une connexion avec une partenaire. Le pas de deux tourne court et nous laisse un peu perplexe.

C’est que N.Y. Export, recréé en 2005 pour le NYCB (il l’avait été initialement pour l’éphémère Ballet USA, dirigé par Robbins) n’est guère, à l’instar de sa musique plus jazzy que jazz (Robert Prince), de ses costumes délicieusement datés et de ses rideaux de fond de scène d’une époque (Ben Shahn), qu’une aimable curiosité, parfaite pour jouer les intermèdes dans un triple programme.

P1040935Avec Glass Pieces (1983), on est assurément dans une sphère différente. Robbins fait une incursion dans le ballet en académique (une spécialité de Balanchine dont nous avons été un peu sevré avec ce programme américain). Par là-même, il prend le pouls new-yorkais d’une manière plus intemporelle que dans Opus Jazz sur les motifs obsédants de la musique de Philip Glass. Le décor de quadrillage lumineux schématise le plan de Manhattan d’une manière magistrale tandis que le corps de ballet (36 garçons et filles) traverse l’espace scénique semblable à des clusters doués de vie. La chorégraphie met l’accent sur la marche, rapide, efficace et glaçante. Trois couples (vêtus de couleur tendre : doré, saumon, rosé) semblent vouloir s’arracher à l’anonymat (Adrian Danchig-Waring fait preuve d’une incontestable densité tandis que Finlay reste une page blanche). Le répertoire de pas est réduit – marches, temps levés, quelques piqués et torsion de buste – mais les changements de direction et l’incongruité des ports de bras découpent l’espace au scalpel. Dans « Façades », le corps de ballet féminin assemblé en une gracieuse guirlande d’Apsaras vue à contre-jour répète une combinaison gracieuse à base de pas de bourrée en tournant et de révérences tandis qu’un couple danse un adage à la fois géométrique et lyrique. Dans ce pas de deux, Maria Kowroski s’allonge à l’infini aux bras d’Amar Ramasar, authentique danseur noble à la peau sombre, sorte d’Apollon exotique (on rêverait de le voir dans le ballet éponyme de Balanchine). À la différence des danseurs parisiens, les New-yorkais ne mettent pas tant l’accent sur la géométrie anguleuse des lignes que sur l’élégiaque rencontre de deux individus au beau milieu d’un monde uniformisé. Le final, sur une réduction pour orchestre d’Akhnaten (funérailles d’Aménophis III), avec ses marches sur les talons, ses temps levés dans la pose stylisée du coureur de Marathon, ses rondes de filles dignes du sacre du printemps, est à la fois archaïque et profondément moderne. Il capte l’énergie intrinsèque d’une cité et de ses habitants. Peut-on rêver plus idéale façon de dire au revoir à New York et à sa compagnie éponyme ?

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In Praise Of Peter Martins. No, really, I mean it…

P1040775Matinée du 5 Mai 2013 : All Rodgers

La matinée du 5 mai 2013 était consacrée au célèbre compositeur de Musicals, Richard Rodgers, qui, aux côtés du parolier Lorenz Hart, fit les beaux jours de la quarante deuxième rue de la fin des années vingt aux milieu des années 40. Cette thématique donne l’occasion de réunir trois chorégraphes qui, à des degrés divers, représentent le répertoire actuel de la compagnie.

Peter Martins, successeur de Balanchine dès 1983, fête cette année ses trente ans de direction. Pour nous Parisiens qui comptons les jours qui mettront fin au règne double « décadent » de notre directrice adorée, il y a matière à penser… Comment fait-il ? Comment font-ils ?

Au travers de ces trois décennies, Martins a pérennisé l’institution ; ce qui force le respect dans un pays où les subventions d’État sont quasi-inexistantes et où la notion de monument historique (Landmark) ne pèse jamais bien lourd face aux impératifs économiques.

En tant qu’œil, il s’est globalement montré averti. La première génération sous sa direction a mis quelques temps à trouver une identité propre après la mort du père fondateur mais elle a abrité d’excellents danseurs tels que Peter Boal (danseur noble par excellence), Damian Woetzel (élégant et primesautier), Miranda Weese (maîtresse de la ligne et pleine d’énergie), Albert Evans (vibrant élastique) ou encore Wendy Whelan (à la présence si étrange), aujourd’hui doyenne des principals.

En tant que chorégraphe ? Le bilan est largement moins positif. Peter Martins a créé un corpus d’œuvres dans la lignée de celles des deux chorégraphes emblématiques du New York City Ballet, George Balanchine et Jerome Robbins. Mais ses ballets manquent en général de tension. Ils démarrent sur une bonne idée, une image forte, mais s’épuisent ensuite dans la répétition du motif plutôt que dans sa construction.

Thou Swell (2003) est néanmoins l’un de ses opus les plus réussis. Est-ce la scénographie – quatre podiums lumineux supportant chacun un guéridon et deux chaises accueillent chacun un couple comme dans ces fantastiques décors des films de Ginger et Fred –, sont-ce les costumes évoquant la mode des années trente, ou encore les célèbres chansons de Rodgers (sur des paroles de Lorenz Hart) bien qu’un peu trop réorchestrée dans la veine d’Andrew Lloyd Weber par Glen Kelly ? Toujours est-il qu’on passe un excellent moment en compagnie de biens beaux danseurs. Sterling Hyltin, légère et mousseuse dans sa robe à fleur rouge est à la fois délicate et intrépide. Elle forme un très joli couple avec Robert Fairchild qui, décidément à un don inné pour regarder ses partenaires. Jenifer Ringer (peut-être la moins avantagée par son costume car elle porte des pointes noires) construit intelligemment son personnage de jolie brune capiteuse aux côté d’Amar Ramasar condensé d’énergie explosive. Teresa Reichlen, archétype farellien de la danseuse – qui se fait, soit dit en passant, de plus en plus rare dans cette compagnie – est à la fois chic et sexy aux bras d’un des plus récents principals de la compagnie, Ask la Cour. Enfin, Sara Mearns est sereine et musicale. Des qualités qui s’accordent parfaitement à celles de Jared Angle (capable de se mettre au piano à l’occasion).

Thou Swell n’échappe néanmoins pas totalement aux habituels défauts des ballets de Peter Martins. Les huit danseurs de corps de ballet (les serveurs et serveuses du dancing) sont plutôt sous-utilisés. Plus grave, la chorégraphie ne souligne pas assez l’identité des quatre couples car chacun d’entre eux a son moment romantique, sa minute funny, son pas de deux sexy. De plus, il n’y a pas assez d’interaction entre eux. L’éventualité d’un triangle amoureux ne pointe jamais à l’horizon.

Une qualité de Peter Martins-chorégraphe qu’on ne pourra lui contester aura été par contre de ne pas succomber au désir de demeurer le seul créateur maison après la mort de Jerome Robbins en 1994. Quand le britannique Christopher Wheeldon, formé à l’école de Royal Ballet puis soliste prometteur au New York City Ballet a été – trop vite, c’était un très joli danseur – chatouillé par la muse chorégraphique, il a trouvé dans son directeur artistique un appui qui lui a permis de se lancer tandis qu’il dansait encore. Avec Carousel (A dance) (2002), Wheeldon signe une pièce bien construite qui rend hommage aux séquences de « dream ballet » des comédies musicales des années 50 sans pour autant tomber dans le pastiche. Un corps de ballet mixte de vingt-quatre danseurs (l’effectif des Willis dans Giselle) sert à la fois d’écrin, de lumière (les costumes, sans être explicites, ont les couleurs foraines des guirlandes lumineuses suspendues au dessus des danseurs) et de décor à deux solistes. Andrew Veyette et Tiler Peck apparaissent séparés par le corps de ballet marchant lentement en formation de ronde. Lui, à l’intérieur du cercle, ressemble à un lion en cage (grand, dansant un peu sec, il est idéal pour évoquer le violent héros imaginé par Ferenc Molnar) ; elle, à l’extérieur du cercle, semble inquiète. Un jeu de cache-cache s’engage qui durera tout le temps du ballet tandis que les autres danseurs se muent, par le miracle d’une chorégraphie inventive et tournoyante en balançoire, en engrenages et enfin en manège : les danseurs se placent en deux cercles concentriques, les huit garçons portent chacun une fille placée en attitude devant sur leur épaule ; elles tiennent un tube doré dans leurs mains. Les autres filles du corps de ballet forment le cercle extérieur. Lorsque les deux rondes s’animent en sens inverse, les danseuses portées par les garçons semblent accrochées à leur tube et leurs jambes figurent celles des chevaux de bois sur lesquelles elles sont censées être installées.

Tiler Peck joue parfaitement la jeune fille flirtant au bord du précipice. À un moment, sous l’attraction de son partenaire prédateur, elle fait des jetés en arrière et saute de dos dans ses bras. Ses dons pour le tendu-relâché, déjà observés précédemment, la servent car ils sont un medium idéal pour exprimer les passions venues du corps.

Au fond, le seul reproche qu’on pourrait faire à Carousel (A dance) est d’être trop court. Après avoir suggéré l’interaction violente entre les deux solistes, Wheeldon termine son ballet sur une apothéose joyeuse ; juste quand on commençait à être captivé par le destin de ses solistes.

Peter Martins, directeur artistique du New York City Ballet aura su également gérer son principal fond de commerce : l’imposant corpus d’œuvre par le père fondateur de la compagnie, George Balanchine. Dans bien des cas et particulièrement à Paris, les œuvres de chorégraphes adulés passent trop vite dans la rubrique historique faute d’être représentés. La mémoire chorégraphique collective opère alors un choix et les chorégraphes eux-mêmes ne survivent plus que par un nombre réduit d’œuvres supposées représenter la quintessence de leur style. Le Balanchine Trust serait impuissant à garder en vie certains aspects de l’œuvre du chorégraphe si des directeurs de compagnie ne programmaient pas certaines pièces. Or au NYCB, rares sont les soirées qui ne comportent pas au moins une œuvre du maître disparu. Slaughter on Tenth Avenue (1936 puis 1968) est non seulement un logique contrepoint à Carousel de Wheeldon mais il représente également un jalon important dans la carrière de Balanchine ; celui où, à la recherche de fond pour créer une compagnie pérenne, il travailla à Broadway. Balanchine étant Balanchine, il ne pouvait que révolutionner ce domaine qu’il touchait de ses doigts d’or. On Your Toes (musique de Rodgers et Lyrics de Hart) est le premier musical dont les ballets sont peu ou prou intégrés à l’action. Il fut également le premier pour lequel le créateur des danses fut qualifié de « chorégraphe » sur les affiches et les distributions. Slaughter est le seul fragment qui a survécu des différents moments dansés de cette fantaisie mêlant danseurs russes, prétentieux à souhait, danseuses légères, gangsters d’opérette et policiers sortis tout droit d’un film muet burlesque dans un décor plus carton-pâte tu meurs. Au New York City Ballet, Balanchine a repris cette pièce, créé sur sa femme de l’époque, Tamara Geva, afin de mettre ses ballerines en situation d’inconfort et leur faire trouver d’autres facettes de leur personnalité. Maria Kowroski était à ce titre délicieusement décalée en stripteaseuse. Longiligne, avec un petit air de fille de bonne famille, elle aguichait par ses déhanchés, ses grands battements et ses cambrés le Hoofer entreprenant portraituré avec humour par Tyler Angle. Ce dernier, menacé par la jalousie d’un premier danseur noble atrabilaire (David Prottas, qui imite le rond de jambe affecté et le cambré maniaco-lyrique avec gourmandise) apprend par le cadavre opportunément ressuscité de sa belle qu’il va être assassiné par un tueur à gages assis dans la salle lorsqu’il mimera son propre suicide. Tyler Angle est irrésistible dans ce passage où il est contraint de bégayer son final jusqu’à l’arrivée de la police. Un grand finale fait suite où méchants comme gentils viennent ajouter leur écho à cette chorégraphie peu conforme aux habituels canons balanchiniens mais néanmoins efficace et plaisante.

Après ce programme, on ressort du théâtre extraordinairement alerte et gai.

Et quand on est accueilli sur la place du Lincoln Center par la douceur printanière et un soleil éclatant, on se prend à fredonner discrètement « Isn’t it Romantic ? ».

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Robbins : New York au second degré

P1040783Soirée Robbins, vendredi 3 mai

Dans Violette et Mr B de Dominique Delouche, la grande ballerine, alors qu’elle fait répéter une pièce de Jerome Robbins, se remémore une confidence que lui avait faite jadis Balanchine : « Tu sais Violette, le véritable chorégraphe américain dans tout ça, c’est quand même Jerry ». À la vue du programme « compositeurs américains » entièrement consacrée aux chorégraphies de Robbins, on ne peut qu’acquiescer. Question de génération sans doute. Mr B., est passé par Broadway, mais il l’a fait à l’époque des « Follies », ces revues à thème où le ballet s’interpolait plus qu’il ne s’intégrait dans l’action. Balanchine a certes fait avancer la place de la danse dans les Musicals mais ses pièces sur de la musique américaine vues l’autre soir ont gardé un petit côté divertissement classique saupoudré de couleur locale qui en fait le charme mais aussi la limite. Avec Jerome Robbins, on entre tout de suite dans l’énergie du sujet. Et cela commence par la musique.

P1040943Interplay (1945), de Morton Gould est un melting pot où la construction savante de la partition est infusée par les influences diverses de la culture vernaculaire. Il en est de même pour la chorégraphie. Un groupe de huit danseurs, quatre garçons et quatre filles vêtus de couleurs vives (les garçons en collants et tee-shirt sans manches, les filles en tuniques courtes) font assaut de rapidité et de réactivité, repoussant le sol avec une énergie vorace comme s’il était en train de concourir sur un terrain de jeu. La pureté classique n’est jamais loin mais elle est toujours court-circuitée par la fantaisie du chorégraphe. A deux occasions pendant le premier mouvement (« Free Play »), les danseurs se placent – presque – sagement en diagonale et font chacun leur tour deux pirouettes, mais ils terminent en grand plié à la seconde. Dans le second mouvement (« Horseplay »), Daniel Ulbricht, en compétition avec les autres gars de la compagnie, semble démultiplier la vitesse avec des séries de pirouettes en l’air et de jetés (même si c’est parfois au détriment de la ligne). Dans l’adage (« Byplay »), Quand la belle et sereine Lauren Lovette, éconduite par Ulbricht – épuisé par ses exploits, il dort à moitié allongé dans la coulisse – accepte l’invitation de Taylor Stanley c’est pour un pas de deux tendre mais non dénué de sensualité ou elle se retrouve en promenade arabesque sur les genoux. Les autres membres du corps, à l’avant scène, commentent le pas de deux (ou la partition) en claquant des doigts et en effectuant des déhanchements dignes d’une boîte à striptease. Enfin, dans le « Team Play », les garçons finissent le ballet en glissant à plat ventre sous les jambes des filles (La soirée du 3, c’est Ulbricht qui a gagné la course).

Avec Fancy Free (1944), le premier ballet emblématique de Robbins sur la musique de Léonard Bernstein, on retrouve avec joie les trois marins en goguette et les donzelles plus ou moins séduites. Là encore, il s’agit d’une compétition. Trois marins, pour deux filles. Et voilà que s’initie un hilarant jeu de chaise musicale. Les filles, Georgina (Pazcoguin), qui ne s’en laisse pas compter, et Tiler (Peck), tout en buste et en épaulements, ont toutes les difficultés du monde à départager Joaquin (de Luz), petit concentré de testostérone et acrobate de comptoir à ses heures, Robbie (Fairchild), maladroit charmant, romantique naïf, et Amar (Ramassar) qui danse la rumba avec des déhanchements veloutés et un sourire d’enfant. Elles déclarent finalement forfait alors que les trois amis s’administrent les uns aux autres une magistrale peignée. Mais l’orage est de courte durée. Il y a toujours un verre au comptoir pour faire la paix… Jusqu’à ce que la prochaine sirène blonde (Stephanie Chrosniak) ait fait son apparition, bien sûr.

Presque soixante dix-ans après sa création, et bien qu’inscrit dans son époque, ce ballet reste étonnement et merveilleusement frais. La flamboyance de la musique de Bernstein (superbement interprété par l’orchestre sous la direction de Daniel Capps), la simplicité de la chorégraphie de Robbins ont capté non seulement l’air du temps mais une sorte d’énergie propre à la ville qui, elle, est intemporelle.

Avec I’m Old Fashioned (1983), on entre dans une veine plus nostalgique et réflexive de Robbins. Le ballet se présente comme un hommage à Fred Astaire et à l’âge d’or des comédies musicales hollywoodiennes qui commence par la projection d’un extrait de « You Were Never Lovelier » où Astaire danse en compagnie de la superbe Rita Hayworth. La musique de ce pas de deux est une variation sur le thème de la chanson de Jerome Kern « I’m Old Fashioned » , que l’actrice (ou sa doublure) vient juste de chanter. Suivant le même principe, Morton Gould et Jerome Robbins ont créé un ballet en forme de Variation sur un thème pour un corps de ballet de 18 danseurs (soit 9 couples) entourant trois couples de solistes.

Le premier pas de deux, où le thème musical est encore clairement reconnaissable, utilise les tours en attitude basse qu’on a vu Astaire exécuter. Dans le second pas de deux, la longiligne et désormais suprêmement élégante Maria Kowroski (longtemps, j’ai trouvé que sa coordination de mouvement laissait à désirer; cela semble désormais faire partie du passé), aux bras efficients de Jared Angle (qui accomplit également une très jolie variation-dialogue avec un musicien de l’orchestre), évoque plutôt le partenariat de Fred avec sa sœur Adèle. Les chastes enroulements et déroulements de la chorégraphie font échos à ceux exécutés plus tôt par le couple Astaire-Hayworth à l’écran tandis qu’avec le couple Ashley Bouder-Tyler Angle (l’une presque caustique et l’autre précis, mâle et serein) on pense à la fois aux variations-compétition de Ginger et Fred dans « Follow the Fleet » (I’m putting all my eggs in one basket) et à la clôture de la scène filmée où Fred et Rita se cognent l’un dans l’autre pour passer une porte-fenêtre.

Le clou du spectacle reste la scène finale où l’extrait du film est rejoué en fond de scène avec les 11 couples reproduisant en synchronisation la chorégraphie. Pourtant, juste avant la fin, la compagnie s’arrête de danser et se tourne vers le « silver screen » pour contempler et saluer de la main les acteurs du passé.

Ému, on remercie Jerome Robbins pour son ballet au titre apologétique. Car avec lui, la célébration de la culture américaine est toujours teintée de tendresse et de second degré…

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Balanchine : Une introduction américaine

P1040775Dans le Playbill pour la soirée du 30 avril au New York City Ballet, un encart spécial était réservé au cofondateur de la compagnie, Georges Balanchine dont c’était le trentième anniversaire de la mort. Opportunément, cette soirée ouvrait également la « spring season » de la compagnie. Les saisons de ballet à New York, comme l’expliquait jadis notre cousine d’Amérique, sont radicalement différentes des saisons européennes : non pas des séries plus ou moins longues de programmes étalées entre septembre et juillet mais deux saisons principales où, en six semaines, on danse intensément et jusqu’à deux fois par jour en faisant tourner une trentaine d’opus réunis en bouquets divers.

Pour ouvrir la saison, le NYCB propose une série de spectacles sur des musiques de compositeurs américains. La soirée Balanchine alternera avec une soirée Robbins, une soirée Robbins-Balanchine et une soirée consacrée au compositeur Richard Rodgers.

Pour tout dire, Balanchine ne sort pas nécessairement grandi de cette soirée américaine. En réunissant dans un même programme des pièces créées dans le but d’achever des soirées de ballet sur une note légère et virtuose, on donne du spécialiste ès-magnification de Tchaikovsky, de l’unique chorégraphe ayant durablement collaboré avec Igor Stravinsky, l’image d’un homme qui a été trop souvent séduit soit par de la mauvaise musique (Souza pour Stars & Stripes), soit par des orchestrations douteuses (Gershwin revu et sucré par Hershy Kay pour Who Cares ?) ou enfin par de la musique plaisante mais facile (Gottschalk pour Tarentella), la présence de Charles Ives dans le programme (Ivesiana) était en cela une exception.

Les ballets eux-mêmes semblaient brosser la culture américaine populaire dans le sens du poil. Who Cares, qui ouvrait la soirée, rappelait que Balanchine avait travaillé un temps pour Broadway avant d’être en mesure de créer sa compagnie. Un corps de ballet d’une dizaine de danseuses, cinq demi-solistes masculins (en bleu électrique), cinq demi-solistes féminines (en rose fuchsia), un soliste masculin et trois ballerines, exécutent une chorégraphie sur-vitaminée à l’architecture furieusement classique mais émaillée d’emprunts aux danses théâtrales comme on les pratique autour de la 42e rue. Les garçons sont entreprenants et les filles développent la jambe avec l’assurance de Rockettes. Quand c’est bien interprété, cela peut-être roboratif à défaut d’offrir beaucoup de matière à penser. Mais hier soir, il était évident que la pièce n’était pas encore rentrée dans les jambes du corps de ballet. Les lignes étaient assez imprécises, les jambes pas toujours très tendues et les déboulés descendaient un peu trop souvent de pointes. Les numéros qui se succèdent n’ont pas été sans apporter quelques bonheurs. L’assurance à la fois mâle et juvénile de Robert Fairchild est à compter parmi ceux-ci. Cet artiste a véritablement progressé depuis la dernière fois qu’il m’avait été donné de le voir en 2009 ; l’aimable garçon, technicien efficace, s’est mué en un véritable Leading Man. Outre sa propreté technique et son rayonnement personnel, on a apprécié les subtiles variations qu’il introduisait dans son partenariat avec les trois étoiles féminines. Très sexy avec Tiler Peck (une danseuse d’aspect solide mais dotée d’un saut très réactif et experte du relâché lascif), gentleman avec Ana Sophia Scheller (à la jolie ligne délicate, au phrasé précis à défaut d’être varié) ou encore grand frère avec Abi Stafford.

On ne boude jamais son plaisir devant une représentation de Tarentella ; et quand ce pas de deux humoristique est dansé par un des plus jolis couples de la compagnie – Megan Fairchild et Joaquin de Luz – celui-ci est à son comble. De Luz ne se contente pas de faire feu des quatre fers, enchaînant pirouettes multiples et jetés en tout genre saupoudrés de clin d’yeux au caractère napolitain. Il parvient à être drôle sans être bouffon et distille ainsi ce genre de mâle assurance qui constituait l’aura du créateur du rôle, Edward Villella. Megan Fairchild, quant à elle, danse très « tongue-in-cheek » (ou second degré, si vous préférez) : lorsque vient le moment d’amorcer le fameux grand plié exacerbé sur pointe, en dépit de la musique de Gottchalk qui fait la course avec les danseurs, elle prépare son effet, semblant dire : « vous l’attendez ?… » [Attente suspendue] « … Le voilà ! ».

C’est toujours à la fois émouvant et exaltant de voir des danseurs tutoyer un répertoire.

Avec Star & Stripes, on retourne au folklore américain (comme son nom l’indique, le ballet est un hymne à la bannière et à l’armée américaines). Sur de célèbres marches de Philip Sousa, là encore boursouflées par Hershy Kay, une quarantaine de danseurs des deux sexes mènent cinq campagnes vêtus de croquignolets uniformes colorés. Les filles portent des gants blancs (impitoyables pour les lignes du corps de ballet) et des chaussettes de la même non-couleur dans leur pointes pour figurer des guêtres (impitoyables pour la ligne). Erica Pereira, en rouge, parvient à jouer la majorette sans perdre une once de l’élégance que lui confère son joli corps de liane. On aimerait pouvoir en dire autant de Savannah Lowery (2eme campagne, en bleu), qui danse sa variation à la trompette la tête dans les épaules et, plus grave, avec la délicatesse d’une division blindée – j’ai horreur des anachronismes. Son partenariat avec Daniel Ulbricht (le triomphateur bondissant et moelleux de la quatrième campagne) lors du final était des plus disgracieux. Heureusement, la quatrième campagne était menée par Ashley Bouder qui jouait les risque-tout pour notre plus grand plaisir. Sa danse a du chien et cette pointe de second degré qui garde sa fraîcheur à un ballet qui, sans cela, pourrait paraître tonitruant. Son partenaire, Andrew Veyette, a fait une démonstration de force à défaut d’une démonstration de style.

P1040777Ivesiana faisait doublement figure d’O.V.N.I. en plein milieu de cette soirée truffée de bonbons sucrés. D’une part, le choix musical contrastait violemment avec celui des autres ballets, le compositeur Charles Ives mélangeant les influences musicales au shaker et flirtant avec l’atonalité. D’autre part, l’ambiance ésotérique de la pièce était aux antipodes de l’aimable climat de pochade des autres pièces. Le premier tableau, « Central Park in the Dark » voit une jeune fille aux cheveux lâchés (la très longiligne et poétique Ashley Laracey) évoluer, telle une somnambule, dans une sorte d’inquiétante flore-faune (un corps de ballet féminin vêtu d’académiques aux tons automnaux, allant du mauve pâle au vert d’eau saumâtre). Un garçon (Zachary Catazaro, ténébreux) fait irruption. La rencontre est brève et brutale. On croirait assister au pas-de-deux central d’Agon (qui ne sera créé que trois ans plus tard) joué en avance rapide. La jeune fille tente de s’échapper, jouant à saute-mouton avec le corps de ballet. Le garçon quitte finalement la somnambule, la laissant chercher son chemin dans la nuit au milieu des végétaux humains qui l’entourent, absorbée bientôt comme eux par l’obscurité. Dans le second mouvement, « The Unanswered Question », créé pour Allegra Kent, Janie Taylor (aux longs cheveux de sirène), élusive, portée par quatre danseurs en noir, échappe sans cesse à son partenaire Anthony Huxley. Ce mouvement, sans doute le plus irréductiblement moderne du ballet, gagnera à être répété. Trop souvent la question a vacillé sur son fondement, ce qui a gêné mon sens cartésien. Mais voila que, tel un clair de lune révélé enfin par l’espacement des nuées nocturnes, intervient un pas de deux enjoué : « In the Inn » où Amar Ramasar, précis, élégant et primesautier est aux prises avec une nymphette entreprenante – la vision balanchinienne de la fille américaine ? –  en la personne de Sara Mearns, hélas pas au meilleur de sa forme. L’éclaircie est de courte durée, dans  le bref « In the Night », le corps de ballet, fantomatique, semble mécaniquement retourner à la tombe… Better to stay in the inn…

Dois-je l’avouer, en dépit de certains aspects datés, c’est ce Balanchine un peu abscons que je préfère.

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Ballet de l’Opéra à New York. Le temps du bilan 2/2

Je ne prétends pas que la critique anglo-saxonne ait été unanimement négative à l’encontre du ballet de l’Opéra (voir notamment Dance Tab ou le Huffington Post) mais quand on fait le compte, la réception de la tournée française à New York, quoi qu’en dise une certaine presse nationale qui s’est soudainement senti pousser la fibre cocardière, est plus que mitigé du côté de certains grands et respectés organes de presse. Elle a correspondu à un schéma bien rôdé. Tant que le Box Office était un enjeu, les réactions écrites ont été plutôt positives. Ce n’est qu’à la fin du cycle de Giselle que les critiques ont commencé à se durcir.

Alors, que tirer de cette expérience pour le moins contrastée ?

Le retour sur la critique ou … Il n’y a pas de fumée sans feu.

Contrairement à ce qu’a prétendu un article au vitriol du Nouvel Observateur en ligne qui parle d’un vrai problème (l’interminable fin de règne de Brigitte Lefèvre) mais tombe à côté de la plaque dans tous ses diagnostics, la directrice de la Danse ne laisse pas la compagnie dans l’état d’excellence où elle l’a trouvé. Le moment n’était pas nécessairement idéal pour présenter le ballet de l’Opéra sous son meilleur jour.

La critique américaine a surtout été impressionnée par la discipline du corps de ballet mais a noté le manque de projection des solistes.

Certes, il y a « la faute à pas de chance ». Le Festival de Lincoln Center a lieu en Juillet quand la compagnie joue encore à Paris. La question a déjà été abordée dans le bilan sur la Fille mal gardée. Les rangs des rôles demi-solistes étaient donc fort clairsemés. Chez les filles, seule Charline Giezendanner semble avoir vraiment retenu l’attention. Quand j’ai demandé à Mini Naïla pourquoi elle n’avait pas parlé des Myrtha dans son compte rendu la réponse a été

« J’ai préféré Nolwen Daniel –avec Le Riche/Osta- Laura Hecquet, c’était un peu une Willi comme une autre à qui on avait mis une couronne » (sic).

Chez les garçons, c’est Vincent Chaillet qui tire son épingle du jeu. Pour les autres, on note trop souvent des retombées de sauts sèches. J’aimerais pouvoir dire que je suis étonné. Il y a eu également des blessures ; en tout premier lieu celle de Mathias Heymann qui a propulsé un Josua Hoffalt un peu vert pour le rôle d’Albrecht (un compte rendu le décrit comme bon technicien mais peu expressif), mais aussi celles de Letestu et de Pujol.

Partant de là, on peut regretter que la programmation ait été construite en fonction de certains danseurs qu’on voulait mettre en valeur dans leur registre de prédilection plutôt que dans l’optique de faire briller l’ensemble de la compagnie. Jérémie Bélingard, qui ne danse pour ainsi dire plus les rôles longs du répertoire, a donc été vu dans L’Arlésienne. Mais si la critique a apprécié le danseur, elle n’a absolument pas adhéré au ballet dont le thème lui était étranger (on pourrait, au passage se montrer étonné que cette marque d’ignorance se soit étalée dans les critiques. Une petite recherche préalable ne fait jamais de mal). Le Riche, quant à lui, est monté sur la table du Boléro mais, aux USA, Boléro c’est Jorge Donn et personne d’autre. De même, si l’Opéra voulait mettre en valeur la toute relative notoriété d’Aurélie Dupont aux USA, fallait-il alors présenter Giselle ? Melle Dupont incarne sans doute ce que les Américains pensent de la danse française : une technique à la correction élégante et froide. Le premier acte de Giselle n’est donc pas dans ses cordes. Le résultat ne s’est pas fait attendre. Au mieux, on a dit que cette Giselle mûre (sic) avait une approche traditionaliste, au pire (le NYTimes) qu’elle « n’habitait pas son rôle mais qu’elle l’exhibait ». Le pauvre Mathieu Ganio en a subi l’onde de choc. Pendant ce temps, Isabelle Ciaravola passait en troisième distribution (au bras de Karl Paquette…) et Dorothée Gilbert et Josua Hoffalt en quatrième. La grande presse écrite a peu documenté leurs prestations. Orphée enfin était sans doute un véhicule de prédilection pour Marie-Agnès Gillot, dont le répertoire se réduit chaque jour un peu plus, mais encore eût-il fallu avoir un Orphée. Choisir Stéphane Bullion, c’était peut-être mettre un peu trop la priorité sur des considérations de morphologie. Pour se tenir immobile dos au public pendant une grande scène de désespoir, il faut avoir un dos expressif. C’est un niveau artistique que n’a pas encore atteint ce danseur. La réaction de Mini Naïla concorde exactement avec celle de la Presse :

« Bullion : bon … Je dirais que je n’étais pas surprise. Qu’y a-t-il en lui qui échoue à inspirer ? Je ne comprends guère. Il a tout exécuté tolérablement bien (des pirouettes un peu tremblantes, je peux passer par-dessus ça), mais qu’il m’a paru barbant »

Ces erreurs de programmations, mélange de considérations économiques (Suite en Blanc, Arlésienne et Boléro ne sont pas des productions lourdes), d’une certaine paresse (présente-t-on le même type de programme à New York qu’à Biarritz ?) et d’un laxisme certains à l’égard des desiderata de certains interprètes, auraient dû être évitées à tout prix. Car contrairement aux Russes qui ont appris la danse aux Américains ou aux Danois que Balanchine a constamment invités au NYCB et qui se sont illustrés régulièrement à ABT (Jadis Brunn, aujourd’hui encore Kobborg), les danseurs français, à l’image des Français eux même, ne bénéficient pas d’un a priori favorable.

Pour qui fréquente des Américains, il n’est pas difficile de comprendre ce qui va suivre car chaque représentant d’une nation est confronté à sa propre image à l’étranger, cette lumière d’étoile morte. La nôtre a été forgée par quelques charmants films hollywoodiens des années 50. Paris, c’est Rive Gauche, Paris, c’est la Mode (Fashion) et surtout « French Women don’t get fat » (les Françaises ne sont jamais grosses). Dans ce tableau idyllique, le ballet n’entre guère justement parce que les années 50, c’est aussi l’époque de l’après-Guerre, de l’épuration et, pour le ballet, de l’éviction temporaire de Serge Lifar pour actes de collaboration. Or, la critique américaine a la fâcheuse tendance d’intégrer des a priori du passé dans ses comptes-rendus toujours très circonstanciés et souvent bien écrits. Qu’on se détrompe si l’on pense qu’il aurait fallu présenter un Lifar moins aride que Suite en Blanc. Lors de la visite de 1986 (après 38 ans d’absence…), Mirages n’avait pas obtenu plus de succès. Dans un article américain ou anglais, le nom de Lifar est immédiatement suivi du mot collaborateur ; sans doute pas la meilleure des cartes de visite. Le temps passant, les souvenirs de l’interprète glissant doucement dans l’oubli de l’Histoire, la situation s’aggrave. Pour la critique américaine, Lifar a toujours été un mauvais chorégraphe (Balanchine a passé sa vie à le dire), mais maintenant, on commence à lire qu’il était également un mauvais danseur. On aurait envie de rappeler à cette critique que Fils prodigue et Apollon n’ont jamais été re-chorégraphiés par Balanchine. Ils ont pourtant été créés sur Lifar. Le ballet de l’Opéra doit-il pour autant cesser de présenter l’œuvre de Lifar aux USA… Non, en principe. Mais pour le défendre, encore faudrait-il le danser plus régulièrement à Paris.

Et … La critique de la critique

Bien des choses vraies ont donc été dites sur ces articles lors de cette tournée. Il ne fait aucun doute que la critique de danse américaine – et anglo-saxonne en général – est infiniment supérieure à son homologue hexagonale, qui trop souvent se contente de trois formules à l’emporte-pièce enrobant un dossier de presse partiellement digéré (c’est l’abonné au Monde qui parle). Mais on peut légitimement se demander si l’analyse circonstanciée à l’anglo-saxonne est forcément garante d’impartialité… et répondre par la négative.

La réaction de cette critique au corps de ballet de l’Opéra dans Giselle est à ce titre exemplaire. Si les journalistes ont reconnu, comme le public, la rigueur et l’unisson (souvent qualifié d’incomparable) du ballet de l’Opéra, passé l’émerveillement premier, cette qualité a été finalement considérée trop répressive pour laisser émerger des personnalités chez les solistes. Dans son article d’adieu, Wendy Perron qui « versait des torrents de larmes » pendant la scène de la folie de Ciaravola a tout de même écrit : « beaucoup d’Américains ont pensé que la danse en général était un peu stérile ». Pas exactement un compliment. Dans l’article de ce même Dance Magazine, Lynn Garafola, joue même les Cassandre en concluant que le fait qu’elle ait préféré l’Orphée de Bausch « n’augure rien de bon pour le ballet de l’Opéra en tant qu’entité classique ».

Le splendide corps de ballet empêcherait l’éclosion de solistes ?

Fenella a déjà écrit en réaction à cela :

«je suis profondément préoccupée par le roulement sur deux à quatre ans dans le corps de ballet d’ABT depuis des années maintenant. Cela se voit sur scène. C’était autrefois une compagnie de solistes qui ne voyaient pas d’inconvénients à participer aux ensembles car ils savaient qu’ils auraient leur chance de promotion. Cela a été perdu : vous avez maintenant des stars sur fond de brouhaha, pas une famille. […]

« Bien sûr les stars m’intéressent, mais ceux qui subliment leur ego et remplissent ardemment l’espace afin de créer une œuvre d’art vivante et unifiée qu’ils partagent avec le public restent mes héros. Le corps de ballet, ma définition de la performance artistique. »

Pourquoi fallait-il qu’une qualité soit ainsi tournée en défaut ? C’est qu’il fallait sans doute que tout rentre dans un schéma préétabli. Le subtil jeu des mots fait son office : il n’y a qu’un pas entre « homogénéité » et « uniformité ». Et quand on a prononcé ce mot, on a presque écrit « monotonie ».

Alastair Macauley est sans doute l’exemple le plus achevé de cette critique anglo-saxonne qui parvient à distribuer des prix tout en exécutant un travail de sape :

« Ces danseurs portent l’arabesque, l’entrechat et les cabrioles – la langue du ballet – comme un mannequin porte la haute couture. Alors pourquoi cet inventaire de vertus n’apporte-t-il rien de plus ? ».

Curieusement, je me suis posé une question similaire à son égard. Comment se faisait-il, qu’en dépit de la qualité du texte et des artifices d’analyse, aucune de ses allégations sur le ballet de l’Opéra ne m’a surpris. Sans doute car la problématique des articles de Macaulay sur le ballet de l’Opéra était écrite avant même les spectacles. Pour la trouver, il suffisait de se reporter à son article tardif sur « la Danse » de Wiseman. Faut-il s’en contrarier ? Sans doute non. Cet observateur pointilleux et acerbe capable de vous faire palper certains instants d’une soirée par des descriptions ciselées est aussi celui qui a décrété la primauté de Ratmansky sur ses autres confrères chorégraphes et a asséné que le corps de ballet d’ABT était supérieur à celui du Royal Ballet. Alastair Macauley est à la critique contemporaine de danse ce que fut à l’époque romantique, un Charles Maurice : le talentueux technicien qui trouva la distinction entre les styles ballonné de Taglioni et taqueté d’Elssler venu éclairer l’équivalent poétique inventé par Gautier (Chrétien pour Taglioni et Païen pour Elssler). Maurice avait un talent descriptif certain qui rend plus palpable pour le lecteur actuel la danse des gloires du passé que les évocations savoureuses de Gautier. Mais Charles Maurice a sombré dans l’oubli pour avoir trop souvent cédé à la tentation du brio qui lui permettait, tel un bon avocat, de démontrer l’excellence d’un artiste ou son manque de talent avec le même aplomb.

La critique est facile, l’art est difficile. Ce vieil adage est valable aussi pour la critique de la critique. Alors que devrait-on souhaiter ? Personnellement, je suis plus attiré par les critiques « techniciens » descriptifs que par les sensualistes poétiques (car n’est pas Gautier qui veut. Quand elle est ratée cette critique a le goût d’un sirop trop sucré. Je suis contre les torrents de larmes étalés sur le papier). Mon idéal, au fond, c’est André Levinson, un critique russe écrivant dans un très beau français qui a su transcender ses a priori pour se laisser séduire par celui qu’il considérait tout d’abord comme un imbuvable sauvage, Serge Lifar. C’était à l’occasion d’une Giselle avec Spessivtseva.

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Le Ballet de l’Opéra à New York : Le temps du bilan 1/2

La tournée aux États-Unis, et particulièrement à New York; nous a intéressé plus qu’une autre car l’une d’entre nous était aux premières loges (si l’on peut dire car il n’y a pas de loge à l’ancien State Theater). Mini Naïla a assisté à quatre soirées et les a relatées en anglais. Nous en faisons un petit bilan accompagné de la traduction de quelques passages pour nos lecteurs non-anglophones.

Le programme Français

Mini Naïla n’était pas particulièrement excitée à l’idée de voir ce programme, en particulier parce qu’elle déteste la musique du Boléro.

Mais elle a eu un coup de cœur pour Suite en blanc :

« De la première à la dernière pose, je suis restée collée à mon siège et j’ai aimé ».

Un ballet comme Suite nécessite beaucoup de solistes ; l’homogénéité ne semblait pas exactement aux rendez-vous mais elle a particulièrement aimé Dorothée Gilbert dans la Flûte, le couple Aurélie Dupont-Benjamin Pech (Adage) et Nolwenn Daniel qui confirme l’excellente impression qu’elle nous a laissée cette saison. Au passage, notre Balletonut remarque une particularité stylistique de la danse française :

«Nolwenn Daniel a donné une qualité légère et pétillante à la « Sérénade » (qui a fini sans doute par être ma partie favorite de la chorégraphie). Elle n’a pas fait des fouettés un tour de force, ils étaient un pas comme un autre pour elle et elle les a intégrés à l’ensemble. Le public ne savait pas trop quoi faire à ce moment précis ; nous sommes tellement habitués à applaudir à la moindre sollicitation qu’au moment où tout le monde a réalisé « hé, des fouettés ! » elle était déjà passée à autre chose. »

Cette spécificité n’a pas nécessairement impressionné la critique américaine.

L’Arlésienne ne restera pas un de ses favoris malgré les qualités du couple central, Isabelle Ciaravola et Jérémie Bélingard. Est-ce le thème du ballet qui est trop obscur ou le ballet lui-même ?

Pour Boléro, Mini Naïla garde ses préventions sur la musique de Ravel mais s’avoue vaincue par la force d’interprétation de Nicolas Le Riche :

« J’ai adoré Nicolas Le Riche qui en un mot était… intense. Ses mouvements étaient tellement puissants qu’il avait presque l’air de se contenir pendant les mouvements tangués puis soudain s’échappait de lui-même et semblait désormais hors de contrôle. »

Notre jeune reporter nous en a avoué « une bien belle » au début de son article sur les Giselle.

Elle n’aimait pas ce ballet et s’était bien gardé de s’en ouvrir à ses collègues. Mais le ballet de l’Opéra s’est chargé de la faire changer d’avis. Ce combat victorieux, c’est surtout le corps de ballet qui l’a remporté :

« L’ensemble était à couper le souffle. Ce qui était encore mieux, c’est que comme je n’étais pas distraite pas tel bras ou telle jambe, j’ai pu me concentrer sur combien ils étaient musicaux et, pour tout dire, obsédants. Leur synchronisation donnait l’illusion d’une forêt emplie de Willis ; car chaque mouvement de chaque danseur était en parfaite harmonie, la scène ne semblait montrer qu’une fraction de spectre. J’aurai pu jurer que ces alignements de fantômes faisaient des kilomètres. Je ne vais pas me remettre de tant de beauté avant très longtemps ».

Dans sa description des interprétations du rôle titre, MN nous a parfois surpris. Dorothée Gilbert a accompli un premier acte assez en accord avec sa personnalité (une scène de la Folie plutôt vériste). Par contre, son second acte correspondait plus au souvenir que nous avions de celui d’Osta : une Giselle vraiment spectrale qui n’a qu’un sens très vague qu’elle est en relation avec son amant parjure. Clairemarie Osta, quant à elle, fut, pour sa soirée d’adieux, une Giselle lucide et terre à terre au premier acte et un spectre farouchement protecteur au deuxième.

Orphée et Eurydice de Pina Bausch

Ce ballet tenait une place toute particulière dans le cœur de Mini Naïla puisque, vu à Paris en 2008, il avait été prémonitoire de son « retour en danse ». A la revoyure, notre Blog trotter n’est pourtant pas aussi enthousiasmée qu’elle l’aurait voulu.

J’ai aimé, vraiment. Néanmoins, je ne pense pas que c’est une pièce que je serai excitée de revoir tous les ans. D’un point de vue émotionnel, c’est lourd et difficile à surmonter. On ne sort absolument pas exalté du théâtre. Oui, la danse était superbe mais personnellement, j’étais trop prise par l’ambiance générale de la pièce pour remarquer la chorégraphie. Le plus frappant étant : y a-t-il dans l’esprit de Bausch une différence entre le deuil et la paix ?

[…] Il était étrange de voir ce « paradis » rempli d’âmes certes apaisées mais également vides ; surtout après avoir vu combien les enfers étaient terribles. Eurydice ne faisait pas exception ; elle reconnait Orphée et prend sa main mais ce n’est pas avant la mi-chemin entre l’au-delà et le monde des mortels qu’elle commence à se sentir concernée. Oh ! mais quand elle se sent concernée… Il y a quelques authentiques et superbes moments de danse.

Marie-Agnès Gillot semble recueillir tous les suffrages, même ceux de notre cousine d’Amérique peu convaincue par sa prestation dans la Cigarette de Lifar :

« Gillot est une distribution parfaite ; avec ses longs membres, elle m’a fait penser à un arachnide, dans le sens positif du terme, vraiment. Ses lignes sont tout simplement interminables et la façon dont elle a interprété les mouvements de Bausch m’ont fait croire que ce rôle avait été chorégraphié pour elle. En un mot, sensationnelle. Si seulement Eurydice dansait davantage. »

Un Bilan ?

La réception du public, à l’image celle de Mini Naïla, semble avoir été chaleureuse. De la première, notre balletonaute dit :

« Les applaudissements pour Suite en blanc étaient OK, mieux que polis mais pas enthousiastes, pour l’Arlésienne, ils étaient chaleureux et après Boléro c’était l’ovation ».

D’autres échos semblent aller dans le même sens :

«les ovations étaient incroyables – Six rappels, je crois. », mentionne une amie de Fenella lors d’une Giselle, tandis qu’une autre parle de petits cris étouffés pendant les représentations.

Le gagnant incontesté semble là encore avoir été le corps de ballet plus que les solistes :

« Nous avons particulièrement aimé le second acte –Le corps de ballet était proprement incroyable ! Je n’avais jamais vu Giselle sur scène mais mon amie Cathy l’a vu de nombreuses fois et pense que ce corps de ballet était extraordinaire et de loin le meilleur qu’elle ait vu dans n’importe quel ballet. »

La réception critique ? Vaste programme. Cela devra être l’objet d’un autre article.

A suivre, donc….

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Ballet de l’Opéra à New York. Orphée et Eurydice de P. Bausch : Circles

Ballet de l’Opéra en tournée à New York. Lincoln Center Festival, Friday July 20th. Eurydice : Marie-Agnès Gillot; Orphée : Stéphane Bullion; Amour : Muriel Zusperreguy.

It is not possible for me to be unbiased when it comes to Pina Bausch’s Orpheus and Eurydice. I first saw it when I was one of those third year girls. “You know, American college kids. They come over here to take their third year and lap up a little culture… They’re officious and dull. They’re always making profound observations they’ve overheard.” Yeah, guilty on all counts, BUT I did manage to “lap up a little culture” as Jerry Mulligan so dryly notes in An American in Paris. I fell in love with Paris, and more specifically but certainly not exclusively, its ballet. Orpheus and Eurydice was the first time I saw the Paris Opera Ballet, my first opera, and the first time I saw a performance at the Opera Garnier; obviously Orpheus and Eurydice holds a very special place in my heart. Honestly, though, I don’t remember a lot about the ballet itself; at this point I had stopped dancing completely for three years (it would be another two before I was forced back into class kicking and screaming… another reason to love Paris) and hadn’t begun my ballet history education. I hadn’t heard of Pina Bausch; more seriously, I can’t swear to even knowing who George Balanchine was. Yeah, that level of ballet history education. Here’s what I do remember thinking: “This is awesome.” Also, I was so distracted by the beauty of the building that I almost fell down the main staircase on the way out. Well, I’m still that clumsy, but I’d like to think I know a bit more about ballet now than I did four years (seriously?! Four years?!) ago.

So, the verdict from years later? I loved it, really. However, I don’t think this is something that I would get excited about seeing every year. Emotionally, it’s heavy and sometimes hard to get through; you do not come out of that theater uplifted, at all. Yes, the dancing was gorgeous (for the most part, more on that in a moment) but, at least personally, I was way too caught up in in the overall feeling of the piece to notice a lot of choreography. Most strikingly, in Bausch’s mind, is there a difference between mourning and peace? Because that choreography seemed eerily similar. For Bausch, it seemed like peace is more the absence of external stimuli than an emotional state originating from a person. Everyone in the Elysian Fields was a zombie. I could more readily accept that idea in Mourning; that level of grief (for a dead spouse, just for example) can numb you completely and take you out of this world, but peace? The Elysian Fields are where the ‘good’ souls go. Growing up with the idea of Heaven and Hell (paradise vs. eternal torture) it was strange to see a ‘Heaven’ filled with yes, peaceful, but also empty souls, especially after seeing how awful Hades was. Eurydice was no exception to this; she recognized Orpheus and took his hand, but it wasn’t until halfway between the underworld and the mortal world that she started caring. Oh, but when she cared… That was some truly gorgeous dancing.

What I really did love was the idea of circles. We begin with Mourning, moving through violence and peace (both stages in the mourning process) and end with? Death, more mourning. You could almost take the whole ballet as a meditation on the grieving process and even on the life’s cyclical nature. We begin with grief of the deepest nature; in the opera Orpheus literally uses his wife’s name as a cry of pain. We see the Violence (second movement) and anger of losing someone, and in this case, Orpheus’s determination to get them back. Peace, at least for Eurydice, when tragedy is accepted; Orpheus knows no peace until he, too, dies. Is this Bausch’s view of life? True peace only in accepting death? Finally, death, a final one for Eurydice and Orpheus’s first. One part of this movement that I really loved was that it was Orpheus’s singer (since he is a musician, I took this to be his soul) that embraced Eurydice when he’s ready to die while Bullion hunched with his back to the audience. At that point, his body didn’t matter; it was his soul that was still bound to life. Once the soul gave in, the body/dancer was allowed to die. When he did die, the choreography from Mourning was repeated, but by one of the dancers playing Cerebus, suggesting that even the guardian of death was grief stricken. Yes, I loved this ballet, but maybe give me another four years?

Gillot as Eurydice was perfect casting; with her long limbs she reminded me of a spider, but in a good way, the best way really. Her lines simply do not end, and the expression she gave to Bausch’s movement made me believe the ballet had been choreographed just for her. In short, glorious. I wish Eurydice danced more.

Bullion, well… I’ll just say I was unsurprised. What is it about him that fails to inspire? I don’t quite understand it. He did everything tolerably well (wobbly pirouettes but whatever, I can overlook that), but he just felt so blah. This ballet is about the most beautiful musician ever to live who loves his wife so much that he literally goes through Hell to find her and bring her back, only to lose her again. Plus, he does it all wearing beige underwear. There is no part of that description that should make anyone go ‘eh’ and yet, he did! That’s actually kind of perversely impressive.

To make the evening a bit more challenging, The State Theater is not an opera house anymore, which means there were no sub or supertitles. Thank goodness I had a cheat sheet for the plot, because I think I would have been very lost (Everyone in Hades yelling NEIN! was pretty obvious, but my German stops there.) However, as much as I would have loved to know the exact words, not having a translation made me really focus on what was trying to come through in the choreography and how the music was sung. The singer for Orpheus repeating ‘Eurydice’ over and over in the beginning was touching and Eurydice’s singer was as close to an absolute meltdown as you can get while remaining beautiful, and Gluck’s music really is beautiful. I almost like not having the words flashing in front of me as it would have been much harder to simply watch and absorb everything. All in all, a wonderful finale to the summer ballet season here in New York. See you all for NYCB on September 19.

Incredibly appropriately, I’m seeing the Greek trilogy: Apollo, Orpheus and Agon before jetting off for Paris to see the Paris Opera Ballet do… Balanchine. How perfect a circle is that?

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Ballet de l’Opéra à New York. Giselle : This Mortal Coil

« Giselle », Ballet de l’Opéra de Paris en tournée à New York. Soirée du 18 juillet (Gilbert, Hoffalt, Hecquet). Soirée du 19 juillet (Osta, Leriche, Daniel).

Giselle has never been my cup of tea. I know, I’m sorry, please don’t yell at me.  I mean, I understood why so many people are obsessed with it: it’s the epitome of romantic ballet, one of the greatest classics ever, the most challenging role for a ballerina, etc. etc. Fine, whatever. For me, it was boring. The whole ballet felt like the story had to be there as an excuse for dancing, and the second act especially seemed like it had no plot. Consequently, I was bored.   Last night I saw the Paris Opera Ballet’s production for the first time, and that part of my ballet life is over. The Paris Opera’s tour has been the biggest ballet gift I’ve received since moving back to New York; ABT has absolutely exquisite moments every season but something usually seems a bit off. NYCB is fantastic at what it does: Balanchine, Robbins, Wheeldon, etc. but telling stories has never been their thing; even The Nutcracker (as much as I adore it) is really a series of self-contained segments that don’t really connect to an overarching narrative.  Paris Opera Ballet gave me the best of both worlds. They have the technique, that’s never even a question, but they also know how to be in the story, how to make the steps serve the narrative; they know how to make a ballet come alive, even if everyone in it is dead. I’ve said that New York audiences love to applaud when a dancer does something technically brilliant, and that’s true, but every time they did during Giselle it felt superfluous. Like, of course they can hop on their pointes, their pirouettes are perfect and they can balance forever. Who cares? That’s missing the point entirely. I’m not going to write about technique, it’s unnecessary. Instead, let’s focus on how the dancers used it.

First, a word on the corps de ballet. I’m pretty hard on various companies’ corps; for me, soloists and stars simply cannot shine as brightly if the corps is a mess. It’s very distracting if there’s an arm out of place or varied timing and, frankly mistakes like that make the entire company look bad. The Paris Opera Ballet is the reason I feel like it’s not only appropriate, but necessary to insist on proper corps work. Look! This is what you could be! This is what you’re aiming for! They were together and musical, proving that those values do not have to exist in a vacuum! Instead of individual members competing for audience attention by dancing separately, they worked together and as a result the group was breathtaking as a whole. The best part about this is that because I wasn’t distracted by various legs and arms, I could focus on how very musical and, well, haunting they were (sorry, but that’s the right word). Their synchronicity gave the illusion of a forest full of Willis; because every movement of every dancer was in perfect harmony, the stage could only show a tiny fraction of the ghosts. I could almost swear that those lines went on for miles.  I’m not going to get over how truly beautiful this was anytime soon.

My two Giselles were Dorothée Gilbert and Clairemarie Osta (in her final performance). Both dancers were lovely and both are largely responsible for why I now actually enjoy this ballet. They did have slightly different approaches to the character which I’d like to address through their respective ‘mad scenes’ and second acts.

Gilbert, I felt, was the dancer that really showed Giselle losing her mind. She wavered back and forth on her pointe shoes, and instead of letting her hair fall down gracefully, she pulled half of it out of the bun, making her appear deranged. This, for her, was not supposed to be pretty. As she remembered time spent with “Loys,” Gilbert had a smile on her face and eyes that were completely glazed over while her body, almost without her realizing it, reenacted the daisy and the promise.  She ran maniacally through the crowd of villagers, but she wasn’t saying “help me, help me.” Rather, she didn’t seem to realize she was running.  As a Wili, Gilbert made the decision to keep her face completely blank; she kept her eyes glazed over. Mentally, she was dead, she didn’t consciously recognize Albrecht, and yet she knew him. Everything the girl Giselle wanted to say to Albrecht was expressed through the Wili’s movements. She couldn’t really see him or talk to him, but some small glimmer of recognition buried deep down made her protect him.

Osta, by contrast, gave her Giselle more lucidity. In act one she knew exactly what was going on but she didn’t want to believe it. When she remembered Loys’s promise and their morning together, it looked like she was going through everything to reassure herself that it actually happened. “No, I’m not crazy, he said this, he promised me… how is this happening? This can’t be real.” Osta reached out for help as she ran and when she finally got to Albrecht, it was the final realization that he would never be the man she thought (aka Loys) that killed her.  Her act two was the opposite of Gilbert’s but just as gorgeous. Her Giselle knew Albrecht; she actively wanted to protect him, but she was incorporeal and could not physically do as much as she wanted to. Physically, she was more ghostly, though her soul and mind were completely intact. She seemed to fight, to try to push beyond what she had become and break back into the mortal world in order to save Albrecht. Her interpretation made me doubt at times that Albrecht could see her; he sensed her as a protective spirit, but I’m not sure that he actually saw her as a ghost. When he woke up in front of her grave, he almost believed the entire thing had been a dream. It certainly was for me.

Shockingly, I didn’t cry either night. Normally, I’m a huge crybaby at ballets, but I was far too busy thanking God/Louis XIV/Terpsichore/ whatever deity you pray to for allowing this ballet to exist. I think that sums it up.

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Ballet de l’Opéra à New York. « Programme français » : Warming Up

Wednesday night saw the opening of the Paris Opera’s stint in New York on their US tour. They haven’t been in New York for sixteen years, and I don’t think the audience knew quite what to expect. The program was called « French Masters of the 20th Century » and included Suite en Blanc (Lifar) L’Arlésienne (Petit) and Boléro (Béjart). Initially, this was the night I was least excited about. I’ve wanted to see Suite en Blanc for a long time (and how nice to finally see some Lifar in New York, in Balanchine’s theater no less!) but I didn’t really know that much about L’Arlésienne, and I’ve never liked the music for Boléro, so I must admit to having been less than psyched about seeing Bejart’s version. In a happy turn of events, I cannot imagine a better opening night; it was a triumph (with some very minor complaints).

Suite en Blanc was incredible. From the opening pose to the last one, time didn’t seem to exist; I just sat there and loved it. Now to details! « La Sieste », for me, seemed to be more about the choreography than the dancers. Aurelia Bellet, Marie-Solene Boulet, and Laura Hecquet were nice, but none of them made me go ‘wow!’ Seen as a whole though, it did feel very dreamy. « Thème Varié » united Cozette, Paquette and Bullion, and it went about as well as expected given that particular line up. But let’s move on. Nolwenn Daniel gave a light and bubbly quality to her « Sérénade » (which turns out to be possibly my favorite part choreography-wise). She didn’t turn the fouettés into a trick, they were just another step for her and she made them blend in. The audience didn’t know quite what to do here; we’re so used to clapping at the least provocation that by the time everyone realized that ‘Hey! Fouettés!’ she had moved on.  The « Pas de Cinq » I loved as well. Alice Revanand is definitely a dancer I want to get to know more. She reminded me a bit of a fairy, as if the steps were so natural for her that she could just sort of play and be flirty and enjoy herself. Gillot replaced Letestu in « La Cigarette ». Of course her technique is flawless, but I didn’t love her in the role. It just didn’t work with the rest of the ballet. I think I feel the same about her as I do about Sara Mearns at NYCB.  I really would have loved to see Letestu do this. Thank goodness for YouTube! Does anyone know why Letestu was replaced? Is she injured? Ganio did the Mazurka which I thoroughly enjoyed; everything was big without being too heavy, which is no small feat considering the music! Dupont and Pech did the Adage which was lovely. My problem with Dupont is lack of expression (which is weird since she “loves to act”) but here it works; she can just be pretty, that’s fine. No acting required. What was really fun to see though, is that she and Pech clicked. There were moments on stage where they looked at each other and grinned a bit; I think they were having fun, which is wonderful because I really found it wonderful too! OK, last was La Flute with Gilbert, which couldn’t have been better. When little girls say they want to be a ballerina princess when they grow up, this is what they mean. By the finale I was ecstatic; this is why I love ballet.

L’Arlesienne I loved a bit less. Ciaravola was a great Vivette; very pretty and did a convincing job of comforting poor, desperate, Belingard’s Frédéri…but he sometimes forgot to act. Don’t get me wrong, technically there are no complaints or anything but his expressions kind of went in and out. I will say that his suicide scene was masterful. People around me gasped, which is always a good sign!

Finally, Bolero. I cannot be an impartial judge here; I really -really- dislike the music so there was a snowflake’s chance in Hell that this one would become one of my favorites. I will say that I loved Nicolas Le Riche who was, in a word, intense. His movements were so powerful that it almost seemed like he was trying to hold himself back during the rocking movements and suddenly he would escape and burst out of control. This might be because of the red table and the spotlight, but he made me think of a solar storm. In any case the audience loved it.

I think I understand what the Paris Opera was trying to do with this program: Show the US that they can do everything: classical, contemporary, you name it, they’re masters both in choreography and performing. That’s going to be hammered in with Giselle and Orpheus and Eurydice, but this was their introduction and it was big. I think once the audience kind of got a feel for the company they loved it. Applause for Suite en Blanc was OK, more than polite but less than enthusiastic; for L’Arlesienne it was warm; and after Bolero there was a standing ovation. As far as introductions go, this was perfect. I think New York is more than excited to see what else they’ve brought. Oh, this is exactly the way I wanted to end my ballet season! More please!

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Romeo & Juliet : What is a Youth?

Romeo and Juliet, June 18 and 20, American Ballet Theatre

Natalia Osipova, David Hallberg/Alina Cojocaru, Johan Kobborg

OK, I know I’m late (again). Apologies all round.

Anyway, I saw two Romeo and Juliets last week; they were both amazing… and totally different.

First, I have to share a revelation I had while watching the ballet. You know the ballroom scene, the one where our heroes see each other for the first time? It’s supposed to be from their perspective. Hear me out, and if this is oh-so-obvious to you, please humor me because I just got it. I love the music that the “adults” dance to. It’s big and heavy (and my absolute favorite for doing grand battements at the barre) but the dancing is Just. So. Boring. It’s a series of poses that really doesn’t merit the term ‘dancing,’ so why would Kenneth MacMillan, one of the most idolized ballet choreographers to date, make his dancers do this? Because that is exactly the way Romeo and Juliet see the party. The adults are dressed in heavy formal clothes that weigh down their bodies and don’t allow them to move, the women are all beautiful but identical, while the men do little more than hold their partner’s hand. It’s the way every kid sees adult parties: they’re torture! The internal monologue of every kid at every adult gathering is this: “All you guys do is talk to people I don’t know about things I don’t care about, yet somehow everyone knows who I am and wants to pinch my cheek! I’m bored!” Can anyone blame Romeo and Juliet for rejecting that path in favor of one they make themselves? They may be young, but they know enough to run in the opposite direction of what they see at that party. Fortunately, or unfortunately, they run into each other. Those quiet moments in the music are when Romeo and Juliet meet for the first time. The adults are still because they don’t matter, they’re just background noise. Watching how the characters react to each other in what is for them a complete vacuum, gives you a very real sense of who they are. OK, now let’s get to the dancers!

Last year, the only time I saw Natalia Osipova was in Coppelia, and she was charming. Her technique really is amazing; the hype is true. In fact, I don’t know that I’ve seen anyone match her jumps, but her acting was just, well, cute. I honestly could not picture her as a romantic heroine, but I get it now. She doesn’t try to age herself, she just makes the character young. For Juliet, this works beautifully (though I wouldn’t want to see Nikya or Odette on her quite yet). Her version of Juliet is a sarcastic young teen. She still kind of plays with dolls and adores her nurse, but she understands what her parents are trying to do with this annoying Paris character that keeps showing up. This is a girl that runs, climbs trees, and generally amuses herself by being an adorable pest. She’s a pretty savvy kid and is loath to give up that life. When she meets Romeo at the ball, she honestly doesn’t know what to do; you can actually see her go “wait… what?” Romeo is the first boy she’s ever met that doesn’t have cooties. In Sasha Waltz’s version of Romeo and Juliet excitement and youth are expressed through movements that everyone makes naturally (well, more or less) but here acting becomes much more important. Any technician can do the steps properly, but it takes an artist to portray a character through them. Every step is joyful, every movement expands, as if she couldn’t possibly contain everything she’s feeling. She celebrates. I have goose bumps just writing about it. That scene was gorgeous.

Now, at least half the credit goes to David Hallberg. (Are you sick of me writing about him yet?) I’ve been staring at my computer screen for a good five minutes trying to think of a way to explain why his dancing merits this much adoration, and I can’t. You just have to see him; he is simply beyond my writing ability. He has flawless technique, but he doesn’t depend on it to get through a show; he uses it as a tool. He doesn’t do the steps and then try to slap a character on top; he is whatever character he dances. There, that’s as close as I’m going to get. It felt as if he and Osipova were made to dance with each other. When the curtain closed on act one the audience would not stop applauding; they forced (a somewhat bewildered) Hallberg and Osipova to bow during intermission. It really was that good.

Cojocaru was much more nuanced. Her Juliet matures and grows throughout the ballet. At the start she’s painfully shy and not a little confused about everything happening around her. The first time we see her, Juliet is still a child and likes it that way, or rather, she sees no reason why life would ever change. She doesn’t know who Paris is or why he’s there until her nurse points it out. She’s excited but very nervous to go to her first grown up party. The first time she meets Romeo, Cojocaru’s Juliet is quietly happy, but it’s more like she just relaxes. Somehow she’s completely enamored and comfortable at the same time. Her world is changing: everyone around her is pushing her to grow up (Paris, parties), but when she meets Romeo she allows herself to be still, which allows her to grow into herself, instead of the person her family wants and expects her to be. He’s the eye of the storm; everything else in her world is becoming strange, and yes, he is the main source of everything horrible that happens to her, but when the two of them are together, all is calm. Their balcony pas de deux wasn’t explosively joyful, it was as if they’d known each other their entire lives.

Kobborg is a lovely actor, and watching him and Cojocaru together was altogether a treat. Technically speaking he was more than adequate if not absolutely exquisite, but the man is over 40, and is still able to put on a lovely performance. Their performance together was touching.

I do, briefly, want to mention the Tybalts that I saw that week: Sasha Radetsky and Gennadi Saveliev. Like Osipova and Cojocaru, these two had radically different interpretations. Let’s begin by stating the obvious: Radestsky is criminally under-used at ABT. We, the audience, never know why the Capulets and Montagues are fighting, but Radetsky’s Tybalt seems to be the only one who takes it seriously. Romeo and his friends just like messing around and playing pranks. (Give a teenage boy a sword and see what he does with it. Probably exactly that.) Even when Mercutio and Tybalt are fighting to the death, it feels like a game, right up until Tybalt runs him through without any sense of remorse. During the ball, he has to be restrained from killing Romeo and co. on sight, and his last act as he lays on the ground dying is to grab his sword and launch himself at Romeo in a last-ditch attempt at revenge. The story’s problems are summed up in Tybalt’s character. He represents both past conflict (blood thirsty from the beginning) and the reason Romeo and Juliet have zero chance of reconciling their families (I imagine it’s difficult to accept a son-in-law that murdered your nephew). Why is this man not a principal dancer? He was incredible and had a grand total of what? 10 minutes of dancing? Saveliev, by contrast could not have seemed more bumbling. I’m willing to forgive messing up the sword-toss (you know, the part when Tybalt uses his sword to throw another sword?) as that could happen to anyone. There are some difficult physics at work here and it’s just not going to work every time. Fine. I get it. I also understand that it’s a legitimate interpretation  to have Tybalt accidentally stab Mercutio, but if that’s the dancer’s choice, then that dancer absolutely needs to be able to act. Saveliev seemed to say « whoops! My bad! » instead of « oh my God, I just killed him. » Not acceptable. 

For all my complaints, I did love both nights. The two couples were (generally) stupendous in their respective interpretations. I didn’t talk about their death scenes because this article was getting a bit long, but they were incredible! It’s also fun to go from NYCB’s generally minimalist/modern approach to something as lavish as MacMillan for a bit, and the corps continues to make me cautiously impressed. I know I mention the audience A LOT, so I’m sorry for this, but I’m not exaggerating when I tell you that there was a lady sitting a few rows behind me on Monday (Hallberg/Osipova) that literally beat the man in front of her with a sweater while screaming what I can only assume was some amazingly creative Russian profanity. What was his crime? He dared to stand up and applaud… during curtain call. She couldn’t see, so obviously the most reasonable choice she could possibly make was to beat him with her sweater. Although, that reaction is about as reasonable as six deaths caused by one romance. Clearly, she was just as touched as I was.

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