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Etés de la Danse 2018 : Robbins, un hommage panoramique

Jerome Robbins. photography © Paul Kolnik. Courtesy of Les Etés de la Danse.

Les Etés de la Danse. Hommage à Jerome Robbins, programme 1. New York City Ballet et Joffrey Ballet. Lundi 25 juin 2018 à la Seine musicale.

Voilà déjà la quatorzième édition des étés de la danse ! Cette année, le festival est encore délocalisé à la Seine musicale, une salle difficilement accessible. À la sortie du métropolitain, à l’extrême bout ouest de la ligne 9, le gros œuf en proue de l’Île Seguin semble tout proche. Il vous faut pourtant contourner tout un pâté d’immeubles et une passerelle par-dessus le fleuve pour enfin arriver au théâtre. La salle elle-même n’est pas spécialement adaptée à la danse. Depuis les places de balcon, la scène ressemble à une petite boîte dans une boîte. On se console en se disant qu’on s’est rendu ici pour assister à un programme américain et qu’à New York, on ne verrait guère mieux du haut du Fourth Ring de l’ex-State Theater ou encore du Met.

Au vu des nombreuses promotions qui ont couru sur internet, la feuille de location est un peu tristounette. C’est injuste. En dépit de l’éloignement de la salle et d’affiches publicitaires particulièrement moches (Les Étés de la Danse nous avaient habitués à beaucoup mieux), la programmation du festival est vraiment alléchante. Elle combine cette année un hommage à Jerome Robbins, qui aurait eu cent ans cette année, et la venue de pas moins de cinq compagnies connues ou moins connues du public parisien.

Le programme 1, qui réunissait le New York City Ballet et la Joffrey Ballet est de surcroît fort bien construit. Il rassemble en un panorama très complet cinq décennies de création du grand Jerry, alternativement Ballet man et Broadway man. La présentation -non chronologique- des pièces offrait une bonne respiration au public : d’abord invité à une heure suspendue sur la musique de Chopin (Dances at a Gathering, la décennie des 70), puis, après l’entracte, titillé par les accents jazzy de Morton Gould (Interplay, la décennie des années 50-60, où le chorégraphe se partage entre la création d’un répertoire de ballets américains et les musicals) avant de retourner à Bach (Suite of Dances, créé à l’orée des années 90 pour un Mikhaïl Baryshnikov en quête d’un renouveau de son répertoire). La soirée se terminait par le très roboratif Glass Pieces, réflexion du chorégraphe vieillissant sur les possibilités expressives de la danse classique sur des partitions d’abord utilisées par des chorégraphes contemporains (le ballet de 1983 intervient après la célèbre production d’Einstein on the Beach, l’opéra dansé du compositeur).

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L’interprétation de ces pièces par les deux compagnies invitées réserve son lot de découvertes, de bonnes surprises, mais aussi de déceptions.

«Dances At A Gathering» a été créé pour le New York City Ballet en 1969. Il est entré au répertoire de l’Opéra de Paris en 1991 dans une version légèrement altérée par le chorégraphe. Dans la version d’origine la danseuse en mauve, qui n’apparaît qu’après le premier tiers du ballet à Paris, danse le pas de deux avec le danseur vert dévolu à la danseuse en jaune à Paris (abricot à New York). Cette simple translation de pas change l’alchimie entre les danseurs : le couple mauve-vert semble plus fixe que dans la version parisienne où le garçon semble plus volage et où les possibilités d’intrigues entre les protagonistes de cette assemblée d’un après-midi d’été sont plus nombreuses.

C’est hélas Sara Mearns qui occupe le rôle « augmenté » de la danseuse mauve. L’interprète semble avoir un statut tout à fait privilégié dans sa compagnie d’origine. Les photographies fournies par le New York City Ballet pour Dances At A Gathering vous la proposent sur tous les clichés, en danseuse mauve mais aussi en abricot… Est-ce pour cela que son interprétation des pas de la ballerine parme apparaît si interchangeable ? Gros chignon, pieds particulièrement bruyants sur la première entrée, bras et jambes qui font flip flap dans toutes les directions autour d’un buste d’airain, elle n’apporte aucune psychologie à son personnage ni aucune interaction autre que physique avec ses partenaires.

Tiler Peck, en rose, ne convainc guère plus en dépit de qualités plus immédiatement discernables. Sa danse est efficace et son phrasé parfois intéressant. Mais il manque à son personnage cette évanescence de pétale frais qu’on attend de ce rôle. Du coup, les passages dramatiques semblent être sur le même plan que les interactions romantiques. Le dernier pas de deux avec le danseur violet – l’élégant et véloce Tyler Angle, excellent partenaire – manque de sentiment élégiaque et, par ricochet, de drame.

Avec deux trous pareils dans la distribution (et le danseur vert de Chase Finlay, tolérable mais fade), on n’échappe pas à quelques longueurs. Néanmoins, on goûte le duo du danseur en brique (Joseph Gordon) avec la danseuse en abricot (Lauren Lovette) : un moment de danse pizzicati sans le traditionnel staccato trop souvent observé aujourd’hui au New York City Ballet. Elle a de très jolis bras et une vitesse qui ne verse jamais dans la précipitation. Lui déploie une prestesse qui n’est pas exempte de moelleux. Maria Kowroski, en vert amande, liane élégante, danse délicieusement entre les tempi : c’est tout chic et charme. Il me manquera certes toujours les moulinets de poignets de Claude de Vulpian à la fin du badinage avec les danseurs violet, vert et brique mais la ballerine s’en sort avec les honneurs. La salle rit.

Et puis il y a la présence solaire de Joaquin De Luz dans le danseur en brun, aux antipodes de l’interprétation parisienne du rôle. Ici, pas de poète en recherche de muse. Concentré d’énergie explosive, il évoque immanquablement Edward Vilella, créateur du rôle. Petit gabarit (parfois même un peu trop pour ses partenaires féminines : on regrette l’absence de Megan Fairchild avec laquelle il s’accorde si bien), il joue la mouche du coche dans son savoureux duo de rivalité avec Tyler Angle. Sa variation finale est proprement jubilatoire. Soignant à l’extrême les pliés de réception de sauts, il met du coup en valeur l’envol et prend le temps de montrer les directions par des épaulements exaltés mais précis. Rien que pour lui, on ne regrette pas le périple qui nous a conduit sur l’île Seguin.

NewYorkCityBallet-Dances At A Gathering02-Photo © Paul Kolnik

« Interplay », est le ballet idéal pour approcher Jerome Robbins, « the broadway man ». Conçu pour des danseurs classiques en 1945, il utilise la technique académique avec de petits twists sans pour autant verser dans la couleur locale de « Fancy Free » ou nécessiter que les danseurs sachent chanter comme dans « West Side Story Suite » : pieds ancrés dans le sol et marches en crabe mais pyrotechnie à tout va caractérisent la pièce. Les garçons font même des roulades soleil pour épater les filles dans le quatrième mouvement. On se prend à s’étonner que les danseurs portent chaussons et pointes quand on les imaginait porter des baskets. La musique de Morton Gould, tour à tour rythmique et primesautière, ferait bondir un mort de sa bière.

Le Joffrey Ballet, peu connu chez nous, déploie la bonne énergie dans cette pièce rarement montrée à Paris. Les quatre garçons retiennent particulièrement l’attention. Le premier mouvement est mené avec beaucoup d’énergie par Elivelton Tomazi (en vert). Yoshihisa Arai (en rouge) incendie le deuxième mouvement de sa belle ligne, de sa grande élévation et de ses petits frappés de mains presque baroques. Pendant le Pas de deux, le reste de la distribution prend des poses sensuelles en ombre chinoise. Une sensualité qui manque un peu au pas de deux lui-même. Le danseur en bleu, Alberto Velasquez déploie ce qu’il faut de mâle assurance mais sa partenaire en rose, Christine Rocas, semble un peu étrangère a l’action.

« Suite of Dances », sur des pièces pour violoncelle de Bach, qui succède à Interplay, en est finalement moins éloigné qu’on serait tenté de le penser de prime abord. On retrouve ce génie de Robbins pour la greffe de détails extérieurs à la tradition académique qui lui donnent une nouvelle vitalité. Ici, il ne s’agit pas de mouvements empruntés au jazz (Interplay) ou aux danses nationales polonaises (Dances) mais des tics de cabotinage d’un grand danseur (marche avec les hanches en-avant, petits tours jambes repliées, jeu sur les pertes de direction, etc…). Cette partition, taillée sur mesure pour Baryshnikov a néanmoins continué d’être interprété quand son créateur n’a lui-même plus été en mesure de l’interpréter. Anthony Huxley, nouvelle incarnation du danseur au pyjama rouge, est moelleux, musical et élégant. Il installe un dialogue avec sa partenaire instrumentiste. Mais il lui manque le fond de cabotinage qui met en valeur les incongruités de la chorégraphie. On assiste à un récital de – belles – danses savantes sans jamais vraiment atteindre un quelconque Nirvana. On aurait aimé voir Anthony Huxley dans le danseur en brique ou en brun de Dances at a Gathering. Et que d’inventions comiques aurait apporté Joaquim de Luz dans « Suite »… C’était hélas pour la seconde distribution…

Pour « Glass Pieces » qui concluait la soirée, on dresse le même constat que pour Interplay. Au Joffrey, les garçons sont globalement plus palpitants que les filles. Le premier mouvement sur le quadrillage en cyclo de fond a un côté plus humain et moins graphique qu’à Paris. Pourquoi pas : l’effet est moins cluster d’écran vidéo et plus piétons des rues. Dans le deuxième mouvement avec sa frise de filles en ombre chinoise (Robbins savait renouveler des effets qu’il avait déjà utilisés ailleurs), Miguel Angel Bianco est ce qu’il faut de sculptural pour figurer un haut relief de chair, mais aucune sensualité ne se dégage de son duo avec sa partenaire Jeraldine Mendoza. Pour le final, l’entrée des garçons est galvanisante. Il s’en dégage une énergique presque tribale. Mais ça s’essouffle avec l’entrée des filles en guirlande sur le thème de flûte. Dommage…

GlassPieces-JoffreyBallet-CompanyDancers–Photo © Cheryl Mann

Mais ne boudons néanmoins pas notre plaisir. Ce n’est pas souvent qu’à Paris, on assiste à un hommage aussi bien construit et complet.

[Le programme 2 de l’hommage à Robbins joue du jeudi 28 au samedi 30 juin à la Seine Musicale]

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Nutcracker au NYCB : plaisir coupable

P1040775Il est des plaisirs régressifs qui ne se questionnent pas. Et qu’importe si leur goût est discutable. Vous souvenez-vous de ces sucreries industrielles au goût chimique qui collaient aux dents et vous laissaient la langue d’une couleur douteuse? Ou alors le film sirupeux qui passait immanquablement à la télé au moment des fêtes ? Ils se parent de la nostalgie de l’enfance. Tous ces artefacts de la vie d’avant dépassent alors leur qualité intrinsèque. Aux USA, et tout particulièrement à New York, l’un de ces petits plaisirs coupables n’est autre que le Nutcracker. Là-bas, dites à quiconque que vous vous y rendez et vous verrez des lumières s’allumer dans les yeux et des récits d’enfance surgir tout naturellement. Quand, avec qui, dans quel accoutrement. Il y a aussi les innombrables ex-enfants (deux distributions de 63 par saison au New York City Ballet) qui y ont joué un rôle, même si c’était dans une production secondaire. À New York, le moment du ballet qui suscite le plus d’admiration est celui où l’arbre de Noël grandit. Rien, vous dira-t-on n’est, n’a été ou ne sera plus beau que cela.

Ce qui frappe d’emblée le balletomane extérieur à cette nostalgie, c’est, à sa grande tristesse, l’incontestable fête commerciale (George Balanchine’s The Nutcracker®, s’il vous plait!) à laquelle il est convié. Casse-noisettes, tee-shirts, photos avec un membre du corps de ballet en costume de flocon de neige qui vous sera envoyée par la poste ; tout se vend.

Dans la salle, on a vite fait de comprendre qu’il faut oublier le recueillement de l’art. Nutcracker est un spectacle familial où tout le monde se retrouve, comme autour d’une table à Thanksgiving. Et pourquoi pas ? Grand-mère répond à toutes les questions de sa tête blonde de quatre ans qui gigote sur son siège, mais elles semblent toutes deux tant apprécier le spectacle. Alors on ne va quand même pas faire chut !

C’est qu’en même temps, il n’y a pas grand-chose de sacré à défendre dans ce Nutcracker. Durant tout le premier acte, on se demande par exemple jusqu’à quel point on peut transformer de jeunes (très jeunes : ils ont entre 8 et 12 ans) danseurs en mauvais acteurs. La pantomime oscille en effet entre le stéréotypé et l’outré faisant de ces gamins des caricatures d’eux-mêmes. Les rares moments de danse de ce premier acte nous prennent « à froid ». Les deux premières marionnettes apportées par Drosselmeyer (qui fait une entrée si quelconque qu’il faut connaître le livret pour se rendre compte qu’il est le facteur de ces merveilles) confondent forcer les positions et jouer les automates. C’est mieux pour le soldat de Spartak Hoxha même si la chorégraphie qu’il sert est fort basique.

Après une bataille des rats bien plon-plon (entre plan-plan et flonflon), arrive enfin la danse des flocons. Le numéro est bien réglé, les seize danseuses en tutu romantique se répartissent parfaitement et avec grande célérité par escadrons de quatre. Mais sont-ce les petits sceptres à flocon qui soulignent cela ? La chorégraphie de Mr B. semble surtout hyper-active et les flocons, moins neige que grêlon. On aimerait parfois que la danse épouse le caractère crémeux de la partition au lieu de ne se concentrer que sur la vitesse d’exécution.

Ce défaut se retrouve au deuxième acte. Dans la danse arabe – un solo pour une danseuse à clochette de doigts que Balanchine appelait « the one for the daddies » (sic) – Alexa Maxwell projette trop ses sauts et passe à côté de la sensualité suggérée par la musique. S’il est difficile de dire quoi que ce soit des danses espagnoles et chinoises tant elles touchent à l’insipide, on remarque quand même qu’elles sont toutes dans une veine staccato qui tourne le dos à Tchaïkovski. Mais est-ce vraiment le fait de Balanchine ?

Car quelques interprètes attirent néanmoins l’attention. Le passage de mère gigogne où les huit enfants qui sortent de dessous la jupe géante se voient enfin offrir un passage de danse substantiel. Ils y font preuve d’une grande discipline et déploient une belle énergie. Dans Candy Cane, Devin Alberda saute dans son cerceau avec assurance et moelleux. Les jolies bergères de la pastorale (Marzipan), nous rapprochent d’un Balanchine plus familier. La chorégraphie additionne les groupes et les petits pas précieux qui conviennent bien à ce pastiche XVIIIe de Tchaïkovsky. Olivia MacKinnon, qui mène la danse, fait de charmantes gargouillades. Sa danse à une qualité mousseuse qu’on est heureux de retrouver après toutes ces démonstrations de force. Ashley Laracey qui dansait Sugar Plum Fairy a également des qualités qu’on attend d’une danseuse du New York City Ballet. Fine, longiligne, elle apporte élégance et sérénité aux combinaisons de faillis piqué-arabesque de sa variation (bizarrement séparée du pas de deux pour ouvrir le deuxième acte). Son pas de deux aux côtés de Zachary Catarazzo (beau physique, bon partenaire mais qui cochonne ses pas au point d’avoir atténué notre regret de voir la variation masculine coupée) donne envie de la voir dans Diamonds dont la partie centrale est très similaire.

La grande sensation chorégraphique de la soirée restera néanmoins la Dewdrop (soliste de la valse des fleurs) de Tiler Peck. Dans ce passage feu d’artifice basé sur le déploiement dans de grandes diagonales des difficultés techniques les plus diverses (tours piqués tenus arabesques, pirouettes finies développées à la seconde, petits pas de basques avec changements de direction) la ballerine garde toujours un buste vivant et serein. Ce calme met l’accent sur l’activité phénoménale des jambes. Tiler Peck peut ainsi décaler la tête à la fin d’une pirouette donnant à l’ensemble un fini encore plus dynamique. Ici, l’énergie est magnifiée par le moelleux. La vitesse d’exécution ne tourne jamais le dos à la musique.

Il est dommage que, dernièrement, les danseuses comme mademoiselle Peck se soient faites plus rares au New York City Ballet. Elles sont les seules à pouvoir ré-instiller un peu de crème fouettée dans la pâte désormais survitaminée du Nutcracker de Balanchine.

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NYCB: En dents de scie

nycbTournée à Paris du New York City Ballet, soiréees des 8 et 9 juillet

Revoir le programme « Balanchine en noir & blanc », avec une autre distribution, réserve son lot de surprises, bonnes et mauvaises. Parmi les secondes, Apollon musagète dansé par Chase Finlay, sérieux et inexpressif, hiératique et raide, gymnique et brutal (qui plus est, il étrenne des chaussons neufs qui couinent inopportunément). Hors-style dans cette pièce qui demande finesse, moelleux, élasticité et humour, l’interprète tombe dans le travers classique des mecs à qui on a trop dit qu’ils étaient beaux comme des statues grecques : se prendre pour du marbre. Au contraire, c’est quand on croit qu’elle va bouger qu’une statue est réussie. La danse de Finlay me déplaît tellement que j’ai du mal à apprécier le trio de filles (Sterling Hyltin dont j’attendais beaucoup en Terpsichore, Ashly Isaacs en Polymnie, Lauren Lovette en Calliope), physiquement mieux accordées que dans la distribution Fairchild (Mearns, Reichlen, Kowroski), mais qui jouent trop la carte girly à mon goût : les muses doivent inspirer, pas séduire. Distribuer Finlay en Apollo est pour moi une criante erreur de casting, mais le NYCB ne semble pas de mon avis : Peter Martins l’y a distribué très tôt, et le site de la compagnie publie fièrement sur la page du danseur un extrait qu’elle ferait mieux de cacher. Finlay est moins irregardable en Tony dans West Side Story, mais il ne passe vraiment la rampe non plus. Soyons philosophes : la promotion de danseurs quelconques existe sous toutes les latitudes. À Paris, on a longtemps appelé cela avoir l’œil de Brigitte. À New York, ça doit se nommer l’œil de Peter.

On est consolé de cette méchante première demi-heure par Les Quatre Tempéraments : le Mélancolique de Robert Fairchild dégouline de versatile (il abandonne tout son torse et le reprend en un clin d’œil), l’humeur de Sanguin va bien à la danse « pointe dure » de Sara Mearns  (avec Tyler Angle), Amar Ramasar en Flegmatique combine élasticité et mystère, avec des bras semblant faire signe vers une symbolique sacrée connue de lui seul (et qui donne furieusement envie de le voir en Apollon), et dans Colérique, une Teresa Reichlen bigger than life déborde du cadre et mange la scène jusqu’à la scène finale.

Le Duo concertant prend lui aussi une toute autre dimension avec Megan Fairchild et Anthony Huxley, qui semblent improviser plus qu’interpréter les pas. C’est jubilatoire. En revanche, je passe toujours mon tour devant Symphony in Three Movements, surtout le final très Esther Williams.

Western Symphony, qui débute le programme Balanchine-Martins-Robbins, est dansé avec ce qu’il faut de tongue in cheek par les couples principaux (Lauren King et Taylor Stanley dans l’allegro,  Sterling Hyltin et Craig Hall dans l’adagio, qui m’a paru manquer un peu de mélancolie), ma préférence allant à Teresa Reichlen et Andrew Veyette, chics et dégingandés dans le rondo.

La Tarantella réunit Tiler Peck et Joaquin De Luz. Le napperon en dentelle sur la tête ne flatte pas la danseuse, qui n’a pas le physique du rôle : elle fait tout bien – et c’est une prouesse vu sa grande taille – sans pouvoir procurer au spectateur cette impression de naturel et de facilité qui fait le piment de la pièce. De Luz, au contraire, est tout à son affaire.

On reprend ses esprits après une courte pause : les sept minutes de The Infernal Machine, avec des portés tête en bas et une esthétique aérobic  (chorégraphie Peter Martins, sur une musique de Christopher Rouse), m’ont permis de battre mon record personnel de bâillements.  On trouve relativement plus d’intérêt au Barber Violon Concerto (toujours dû à Peter Martins), qui cite clairement ses sources d’inspiration (Balanchine/Robbins). La pièce donne l’occasion d’un chassé-croisé entre deux couples (la liane Megan Fairchild dansant de prime abord avec Jared Angle, la solide-qui-finit-par-se-lâcher-les-cheveux Sara Mearns avec Ask La Cour) et offre notamment un inventif troisième mouvement, qui voit Fairchild harceler La Cour d’une gestuelle hystérique qui finit par le contaminer. En clôture de programme, West Side Story Suite découpe à la hache la comédie musicale, sans apporter sans conteste la preuve de la valeur ajoutée d’une troupe classique dans ce répertoire. Heureusement il y a Robert Fairchild (rôle de Riff), qui sait aussi chanter, ce qui n’est pas le cas des ballerines commises à la séquence America (qui dans la comédie musicale comme dans le ballet perd pas mal de son sel d’être réduite à un débat exclusivement féminin).

Teresa Reichlen - Western Symphony - Photo Paul Kolnik - courtesy of Les Étés de la danse

Teresa Reichlen – Western Symphony – Photo Paul Kolnik – courtesy of Les Étés de la danse

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In Praise Of Peter Martins. No, really, I mean it…

P1040775Matinée du 5 Mai 2013 : All Rodgers

La matinée du 5 mai 2013 était consacrée au célèbre compositeur de Musicals, Richard Rodgers, qui, aux côtés du parolier Lorenz Hart, fit les beaux jours de la quarante deuxième rue de la fin des années vingt aux milieu des années 40. Cette thématique donne l’occasion de réunir trois chorégraphes qui, à des degrés divers, représentent le répertoire actuel de la compagnie.

Peter Martins, successeur de Balanchine dès 1983, fête cette année ses trente ans de direction. Pour nous Parisiens qui comptons les jours qui mettront fin au règne double « décadent » de notre directrice adorée, il y a matière à penser… Comment fait-il ? Comment font-ils ?

Au travers de ces trois décennies, Martins a pérennisé l’institution ; ce qui force le respect dans un pays où les subventions d’État sont quasi-inexistantes et où la notion de monument historique (Landmark) ne pèse jamais bien lourd face aux impératifs économiques.

En tant qu’œil, il s’est globalement montré averti. La première génération sous sa direction a mis quelques temps à trouver une identité propre après la mort du père fondateur mais elle a abrité d’excellents danseurs tels que Peter Boal (danseur noble par excellence), Damian Woetzel (élégant et primesautier), Miranda Weese (maîtresse de la ligne et pleine d’énergie), Albert Evans (vibrant élastique) ou encore Wendy Whelan (à la présence si étrange), aujourd’hui doyenne des principals.

En tant que chorégraphe ? Le bilan est largement moins positif. Peter Martins a créé un corpus d’œuvres dans la lignée de celles des deux chorégraphes emblématiques du New York City Ballet, George Balanchine et Jerome Robbins. Mais ses ballets manquent en général de tension. Ils démarrent sur une bonne idée, une image forte, mais s’épuisent ensuite dans la répétition du motif plutôt que dans sa construction.

Thou Swell (2003) est néanmoins l’un de ses opus les plus réussis. Est-ce la scénographie – quatre podiums lumineux supportant chacun un guéridon et deux chaises accueillent chacun un couple comme dans ces fantastiques décors des films de Ginger et Fred –, sont-ce les costumes évoquant la mode des années trente, ou encore les célèbres chansons de Rodgers (sur des paroles de Lorenz Hart) bien qu’un peu trop réorchestrée dans la veine d’Andrew Lloyd Weber par Glen Kelly ? Toujours est-il qu’on passe un excellent moment en compagnie de biens beaux danseurs. Sterling Hyltin, légère et mousseuse dans sa robe à fleur rouge est à la fois délicate et intrépide. Elle forme un très joli couple avec Robert Fairchild qui, décidément à un don inné pour regarder ses partenaires. Jenifer Ringer (peut-être la moins avantagée par son costume car elle porte des pointes noires) construit intelligemment son personnage de jolie brune capiteuse aux côté d’Amar Ramasar condensé d’énergie explosive. Teresa Reichlen, archétype farellien de la danseuse – qui se fait, soit dit en passant, de plus en plus rare dans cette compagnie – est à la fois chic et sexy aux bras d’un des plus récents principals de la compagnie, Ask la Cour. Enfin, Sara Mearns est sereine et musicale. Des qualités qui s’accordent parfaitement à celles de Jared Angle (capable de se mettre au piano à l’occasion).

Thou Swell n’échappe néanmoins pas totalement aux habituels défauts des ballets de Peter Martins. Les huit danseurs de corps de ballet (les serveurs et serveuses du dancing) sont plutôt sous-utilisés. Plus grave, la chorégraphie ne souligne pas assez l’identité des quatre couples car chacun d’entre eux a son moment romantique, sa minute funny, son pas de deux sexy. De plus, il n’y a pas assez d’interaction entre eux. L’éventualité d’un triangle amoureux ne pointe jamais à l’horizon.

Une qualité de Peter Martins-chorégraphe qu’on ne pourra lui contester aura été par contre de ne pas succomber au désir de demeurer le seul créateur maison après la mort de Jerome Robbins en 1994. Quand le britannique Christopher Wheeldon, formé à l’école de Royal Ballet puis soliste prometteur au New York City Ballet a été – trop vite, c’était un très joli danseur – chatouillé par la muse chorégraphique, il a trouvé dans son directeur artistique un appui qui lui a permis de se lancer tandis qu’il dansait encore. Avec Carousel (A dance) (2002), Wheeldon signe une pièce bien construite qui rend hommage aux séquences de « dream ballet » des comédies musicales des années 50 sans pour autant tomber dans le pastiche. Un corps de ballet mixte de vingt-quatre danseurs (l’effectif des Willis dans Giselle) sert à la fois d’écrin, de lumière (les costumes, sans être explicites, ont les couleurs foraines des guirlandes lumineuses suspendues au dessus des danseurs) et de décor à deux solistes. Andrew Veyette et Tiler Peck apparaissent séparés par le corps de ballet marchant lentement en formation de ronde. Lui, à l’intérieur du cercle, ressemble à un lion en cage (grand, dansant un peu sec, il est idéal pour évoquer le violent héros imaginé par Ferenc Molnar) ; elle, à l’extérieur du cercle, semble inquiète. Un jeu de cache-cache s’engage qui durera tout le temps du ballet tandis que les autres danseurs se muent, par le miracle d’une chorégraphie inventive et tournoyante en balançoire, en engrenages et enfin en manège : les danseurs se placent en deux cercles concentriques, les huit garçons portent chacun une fille placée en attitude devant sur leur épaule ; elles tiennent un tube doré dans leurs mains. Les autres filles du corps de ballet forment le cercle extérieur. Lorsque les deux rondes s’animent en sens inverse, les danseuses portées par les garçons semblent accrochées à leur tube et leurs jambes figurent celles des chevaux de bois sur lesquelles elles sont censées être installées.

Tiler Peck joue parfaitement la jeune fille flirtant au bord du précipice. À un moment, sous l’attraction de son partenaire prédateur, elle fait des jetés en arrière et saute de dos dans ses bras. Ses dons pour le tendu-relâché, déjà observés précédemment, la servent car ils sont un medium idéal pour exprimer les passions venues du corps.

Au fond, le seul reproche qu’on pourrait faire à Carousel (A dance) est d’être trop court. Après avoir suggéré l’interaction violente entre les deux solistes, Wheeldon termine son ballet sur une apothéose joyeuse ; juste quand on commençait à être captivé par le destin de ses solistes.

Peter Martins, directeur artistique du New York City Ballet aura su également gérer son principal fond de commerce : l’imposant corpus d’œuvre par le père fondateur de la compagnie, George Balanchine. Dans bien des cas et particulièrement à Paris, les œuvres de chorégraphes adulés passent trop vite dans la rubrique historique faute d’être représentés. La mémoire chorégraphique collective opère alors un choix et les chorégraphes eux-mêmes ne survivent plus que par un nombre réduit d’œuvres supposées représenter la quintessence de leur style. Le Balanchine Trust serait impuissant à garder en vie certains aspects de l’œuvre du chorégraphe si des directeurs de compagnie ne programmaient pas certaines pièces. Or au NYCB, rares sont les soirées qui ne comportent pas au moins une œuvre du maître disparu. Slaughter on Tenth Avenue (1936 puis 1968) est non seulement un logique contrepoint à Carousel de Wheeldon mais il représente également un jalon important dans la carrière de Balanchine ; celui où, à la recherche de fond pour créer une compagnie pérenne, il travailla à Broadway. Balanchine étant Balanchine, il ne pouvait que révolutionner ce domaine qu’il touchait de ses doigts d’or. On Your Toes (musique de Rodgers et Lyrics de Hart) est le premier musical dont les ballets sont peu ou prou intégrés à l’action. Il fut également le premier pour lequel le créateur des danses fut qualifié de « chorégraphe » sur les affiches et les distributions. Slaughter est le seul fragment qui a survécu des différents moments dansés de cette fantaisie mêlant danseurs russes, prétentieux à souhait, danseuses légères, gangsters d’opérette et policiers sortis tout droit d’un film muet burlesque dans un décor plus carton-pâte tu meurs. Au New York City Ballet, Balanchine a repris cette pièce, créé sur sa femme de l’époque, Tamara Geva, afin de mettre ses ballerines en situation d’inconfort et leur faire trouver d’autres facettes de leur personnalité. Maria Kowroski était à ce titre délicieusement décalée en stripteaseuse. Longiligne, avec un petit air de fille de bonne famille, elle aguichait par ses déhanchés, ses grands battements et ses cambrés le Hoofer entreprenant portraituré avec humour par Tyler Angle. Ce dernier, menacé par la jalousie d’un premier danseur noble atrabilaire (David Prottas, qui imite le rond de jambe affecté et le cambré maniaco-lyrique avec gourmandise) apprend par le cadavre opportunément ressuscité de sa belle qu’il va être assassiné par un tueur à gages assis dans la salle lorsqu’il mimera son propre suicide. Tyler Angle est irrésistible dans ce passage où il est contraint de bégayer son final jusqu’à l’arrivée de la police. Un grand finale fait suite où méchants comme gentils viennent ajouter leur écho à cette chorégraphie peu conforme aux habituels canons balanchiniens mais néanmoins efficace et plaisante.

Après ce programme, on ressort du théâtre extraordinairement alerte et gai.

Et quand on est accueilli sur la place du Lincoln Center par la douceur printanière et un soleil éclatant, on se prend à fredonner discrètement « Isn’t it Romantic ? ».

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Robbins : New York au second degré

P1040783Soirée Robbins, vendredi 3 mai

Dans Violette et Mr B de Dominique Delouche, la grande ballerine, alors qu’elle fait répéter une pièce de Jerome Robbins, se remémore une confidence que lui avait faite jadis Balanchine : « Tu sais Violette, le véritable chorégraphe américain dans tout ça, c’est quand même Jerry ». À la vue du programme « compositeurs américains » entièrement consacrée aux chorégraphies de Robbins, on ne peut qu’acquiescer. Question de génération sans doute. Mr B., est passé par Broadway, mais il l’a fait à l’époque des « Follies », ces revues à thème où le ballet s’interpolait plus qu’il ne s’intégrait dans l’action. Balanchine a certes fait avancer la place de la danse dans les Musicals mais ses pièces sur de la musique américaine vues l’autre soir ont gardé un petit côté divertissement classique saupoudré de couleur locale qui en fait le charme mais aussi la limite. Avec Jerome Robbins, on entre tout de suite dans l’énergie du sujet. Et cela commence par la musique.

P1040943Interplay (1945), de Morton Gould est un melting pot où la construction savante de la partition est infusée par les influences diverses de la culture vernaculaire. Il en est de même pour la chorégraphie. Un groupe de huit danseurs, quatre garçons et quatre filles vêtus de couleurs vives (les garçons en collants et tee-shirt sans manches, les filles en tuniques courtes) font assaut de rapidité et de réactivité, repoussant le sol avec une énergie vorace comme s’il était en train de concourir sur un terrain de jeu. La pureté classique n’est jamais loin mais elle est toujours court-circuitée par la fantaisie du chorégraphe. A deux occasions pendant le premier mouvement (« Free Play »), les danseurs se placent – presque – sagement en diagonale et font chacun leur tour deux pirouettes, mais ils terminent en grand plié à la seconde. Dans le second mouvement (« Horseplay »), Daniel Ulbricht, en compétition avec les autres gars de la compagnie, semble démultiplier la vitesse avec des séries de pirouettes en l’air et de jetés (même si c’est parfois au détriment de la ligne). Dans l’adage (« Byplay »), Quand la belle et sereine Lauren Lovette, éconduite par Ulbricht – épuisé par ses exploits, il dort à moitié allongé dans la coulisse – accepte l’invitation de Taylor Stanley c’est pour un pas de deux tendre mais non dénué de sensualité ou elle se retrouve en promenade arabesque sur les genoux. Les autres membres du corps, à l’avant scène, commentent le pas de deux (ou la partition) en claquant des doigts et en effectuant des déhanchements dignes d’une boîte à striptease. Enfin, dans le « Team Play », les garçons finissent le ballet en glissant à plat ventre sous les jambes des filles (La soirée du 3, c’est Ulbricht qui a gagné la course).

Avec Fancy Free (1944), le premier ballet emblématique de Robbins sur la musique de Léonard Bernstein, on retrouve avec joie les trois marins en goguette et les donzelles plus ou moins séduites. Là encore, il s’agit d’une compétition. Trois marins, pour deux filles. Et voilà que s’initie un hilarant jeu de chaise musicale. Les filles, Georgina (Pazcoguin), qui ne s’en laisse pas compter, et Tiler (Peck), tout en buste et en épaulements, ont toutes les difficultés du monde à départager Joaquin (de Luz), petit concentré de testostérone et acrobate de comptoir à ses heures, Robbie (Fairchild), maladroit charmant, romantique naïf, et Amar (Ramassar) qui danse la rumba avec des déhanchements veloutés et un sourire d’enfant. Elles déclarent finalement forfait alors que les trois amis s’administrent les uns aux autres une magistrale peignée. Mais l’orage est de courte durée. Il y a toujours un verre au comptoir pour faire la paix… Jusqu’à ce que la prochaine sirène blonde (Stephanie Chrosniak) ait fait son apparition, bien sûr.

Presque soixante dix-ans après sa création, et bien qu’inscrit dans son époque, ce ballet reste étonnement et merveilleusement frais. La flamboyance de la musique de Bernstein (superbement interprété par l’orchestre sous la direction de Daniel Capps), la simplicité de la chorégraphie de Robbins ont capté non seulement l’air du temps mais une sorte d’énergie propre à la ville qui, elle, est intemporelle.

Avec I’m Old Fashioned (1983), on entre dans une veine plus nostalgique et réflexive de Robbins. Le ballet se présente comme un hommage à Fred Astaire et à l’âge d’or des comédies musicales hollywoodiennes qui commence par la projection d’un extrait de « You Were Never Lovelier » où Astaire danse en compagnie de la superbe Rita Hayworth. La musique de ce pas de deux est une variation sur le thème de la chanson de Jerome Kern « I’m Old Fashioned » , que l’actrice (ou sa doublure) vient juste de chanter. Suivant le même principe, Morton Gould et Jerome Robbins ont créé un ballet en forme de Variation sur un thème pour un corps de ballet de 18 danseurs (soit 9 couples) entourant trois couples de solistes.

Le premier pas de deux, où le thème musical est encore clairement reconnaissable, utilise les tours en attitude basse qu’on a vu Astaire exécuter. Dans le second pas de deux, la longiligne et désormais suprêmement élégante Maria Kowroski (longtemps, j’ai trouvé que sa coordination de mouvement laissait à désirer; cela semble désormais faire partie du passé), aux bras efficients de Jared Angle (qui accomplit également une très jolie variation-dialogue avec un musicien de l’orchestre), évoque plutôt le partenariat de Fred avec sa sœur Adèle. Les chastes enroulements et déroulements de la chorégraphie font échos à ceux exécutés plus tôt par le couple Astaire-Hayworth à l’écran tandis qu’avec le couple Ashley Bouder-Tyler Angle (l’une presque caustique et l’autre précis, mâle et serein) on pense à la fois aux variations-compétition de Ginger et Fred dans « Follow the Fleet » (I’m putting all my eggs in one basket) et à la clôture de la scène filmée où Fred et Rita se cognent l’un dans l’autre pour passer une porte-fenêtre.

Le clou du spectacle reste la scène finale où l’extrait du film est rejoué en fond de scène avec les 11 couples reproduisant en synchronisation la chorégraphie. Pourtant, juste avant la fin, la compagnie s’arrête de danser et se tourne vers le « silver screen » pour contempler et saluer de la main les acteurs du passé.

Ému, on remercie Jerome Robbins pour son ballet au titre apologétique. Car avec lui, la célébration de la culture américaine est toujours teintée de tendresse et de second degré…

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Balanchine : Une introduction américaine

P1040775Dans le Playbill pour la soirée du 30 avril au New York City Ballet, un encart spécial était réservé au cofondateur de la compagnie, Georges Balanchine dont c’était le trentième anniversaire de la mort. Opportunément, cette soirée ouvrait également la « spring season » de la compagnie. Les saisons de ballet à New York, comme l’expliquait jadis notre cousine d’Amérique, sont radicalement différentes des saisons européennes : non pas des séries plus ou moins longues de programmes étalées entre septembre et juillet mais deux saisons principales où, en six semaines, on danse intensément et jusqu’à deux fois par jour en faisant tourner une trentaine d’opus réunis en bouquets divers.

Pour ouvrir la saison, le NYCB propose une série de spectacles sur des musiques de compositeurs américains. La soirée Balanchine alternera avec une soirée Robbins, une soirée Robbins-Balanchine et une soirée consacrée au compositeur Richard Rodgers.

Pour tout dire, Balanchine ne sort pas nécessairement grandi de cette soirée américaine. En réunissant dans un même programme des pièces créées dans le but d’achever des soirées de ballet sur une note légère et virtuose, on donne du spécialiste ès-magnification de Tchaikovsky, de l’unique chorégraphe ayant durablement collaboré avec Igor Stravinsky, l’image d’un homme qui a été trop souvent séduit soit par de la mauvaise musique (Souza pour Stars & Stripes), soit par des orchestrations douteuses (Gershwin revu et sucré par Hershy Kay pour Who Cares ?) ou enfin par de la musique plaisante mais facile (Gottschalk pour Tarentella), la présence de Charles Ives dans le programme (Ivesiana) était en cela une exception.

Les ballets eux-mêmes semblaient brosser la culture américaine populaire dans le sens du poil. Who Cares, qui ouvrait la soirée, rappelait que Balanchine avait travaillé un temps pour Broadway avant d’être en mesure de créer sa compagnie. Un corps de ballet d’une dizaine de danseuses, cinq demi-solistes masculins (en bleu électrique), cinq demi-solistes féminines (en rose fuchsia), un soliste masculin et trois ballerines, exécutent une chorégraphie sur-vitaminée à l’architecture furieusement classique mais émaillée d’emprunts aux danses théâtrales comme on les pratique autour de la 42e rue. Les garçons sont entreprenants et les filles développent la jambe avec l’assurance de Rockettes. Quand c’est bien interprété, cela peut-être roboratif à défaut d’offrir beaucoup de matière à penser. Mais hier soir, il était évident que la pièce n’était pas encore rentrée dans les jambes du corps de ballet. Les lignes étaient assez imprécises, les jambes pas toujours très tendues et les déboulés descendaient un peu trop souvent de pointes. Les numéros qui se succèdent n’ont pas été sans apporter quelques bonheurs. L’assurance à la fois mâle et juvénile de Robert Fairchild est à compter parmi ceux-ci. Cet artiste a véritablement progressé depuis la dernière fois qu’il m’avait été donné de le voir en 2009 ; l’aimable garçon, technicien efficace, s’est mué en un véritable Leading Man. Outre sa propreté technique et son rayonnement personnel, on a apprécié les subtiles variations qu’il introduisait dans son partenariat avec les trois étoiles féminines. Très sexy avec Tiler Peck (une danseuse d’aspect solide mais dotée d’un saut très réactif et experte du relâché lascif), gentleman avec Ana Sophia Scheller (à la jolie ligne délicate, au phrasé précis à défaut d’être varié) ou encore grand frère avec Abi Stafford.

On ne boude jamais son plaisir devant une représentation de Tarentella ; et quand ce pas de deux humoristique est dansé par un des plus jolis couples de la compagnie – Megan Fairchild et Joaquin de Luz – celui-ci est à son comble. De Luz ne se contente pas de faire feu des quatre fers, enchaînant pirouettes multiples et jetés en tout genre saupoudrés de clin d’yeux au caractère napolitain. Il parvient à être drôle sans être bouffon et distille ainsi ce genre de mâle assurance qui constituait l’aura du créateur du rôle, Edward Villella. Megan Fairchild, quant à elle, danse très « tongue-in-cheek » (ou second degré, si vous préférez) : lorsque vient le moment d’amorcer le fameux grand plié exacerbé sur pointe, en dépit de la musique de Gottchalk qui fait la course avec les danseurs, elle prépare son effet, semblant dire : « vous l’attendez ?… » [Attente suspendue] « … Le voilà ! ».

C’est toujours à la fois émouvant et exaltant de voir des danseurs tutoyer un répertoire.

Avec Star & Stripes, on retourne au folklore américain (comme son nom l’indique, le ballet est un hymne à la bannière et à l’armée américaines). Sur de célèbres marches de Philip Sousa, là encore boursouflées par Hershy Kay, une quarantaine de danseurs des deux sexes mènent cinq campagnes vêtus de croquignolets uniformes colorés. Les filles portent des gants blancs (impitoyables pour les lignes du corps de ballet) et des chaussettes de la même non-couleur dans leur pointes pour figurer des guêtres (impitoyables pour la ligne). Erica Pereira, en rouge, parvient à jouer la majorette sans perdre une once de l’élégance que lui confère son joli corps de liane. On aimerait pouvoir en dire autant de Savannah Lowery (2eme campagne, en bleu), qui danse sa variation à la trompette la tête dans les épaules et, plus grave, avec la délicatesse d’une division blindée – j’ai horreur des anachronismes. Son partenariat avec Daniel Ulbricht (le triomphateur bondissant et moelleux de la quatrième campagne) lors du final était des plus disgracieux. Heureusement, la quatrième campagne était menée par Ashley Bouder qui jouait les risque-tout pour notre plus grand plaisir. Sa danse a du chien et cette pointe de second degré qui garde sa fraîcheur à un ballet qui, sans cela, pourrait paraître tonitruant. Son partenaire, Andrew Veyette, a fait une démonstration de force à défaut d’une démonstration de style.

P1040777Ivesiana faisait doublement figure d’O.V.N.I. en plein milieu de cette soirée truffée de bonbons sucrés. D’une part, le choix musical contrastait violemment avec celui des autres ballets, le compositeur Charles Ives mélangeant les influences musicales au shaker et flirtant avec l’atonalité. D’autre part, l’ambiance ésotérique de la pièce était aux antipodes de l’aimable climat de pochade des autres pièces. Le premier tableau, « Central Park in the Dark » voit une jeune fille aux cheveux lâchés (la très longiligne et poétique Ashley Laracey) évoluer, telle une somnambule, dans une sorte d’inquiétante flore-faune (un corps de ballet féminin vêtu d’académiques aux tons automnaux, allant du mauve pâle au vert d’eau saumâtre). Un garçon (Zachary Catazaro, ténébreux) fait irruption. La rencontre est brève et brutale. On croirait assister au pas-de-deux central d’Agon (qui ne sera créé que trois ans plus tard) joué en avance rapide. La jeune fille tente de s’échapper, jouant à saute-mouton avec le corps de ballet. Le garçon quitte finalement la somnambule, la laissant chercher son chemin dans la nuit au milieu des végétaux humains qui l’entourent, absorbée bientôt comme eux par l’obscurité. Dans le second mouvement, « The Unanswered Question », créé pour Allegra Kent, Janie Taylor (aux longs cheveux de sirène), élusive, portée par quatre danseurs en noir, échappe sans cesse à son partenaire Anthony Huxley. Ce mouvement, sans doute le plus irréductiblement moderne du ballet, gagnera à être répété. Trop souvent la question a vacillé sur son fondement, ce qui a gêné mon sens cartésien. Mais voila que, tel un clair de lune révélé enfin par l’espacement des nuées nocturnes, intervient un pas de deux enjoué : « In the Inn » où Amar Ramasar, précis, élégant et primesautier est aux prises avec une nymphette entreprenante – la vision balanchinienne de la fille américaine ? –  en la personne de Sara Mearns, hélas pas au meilleur de sa forme. L’éclaircie est de courte durée, dans  le bref « In the Night », le corps de ballet, fantomatique, semble mécaniquement retourner à la tombe… Better to stay in the inn…

Dois-je l’avouer, en dépit de certains aspects datés, c’est ce Balanchine un peu abscons que je préfère.

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