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Soirée Balanchine : Salades variées

Soirées Balanchine des 3, 13 et 17 octobre 

Oubliez tout ce qu’on vous a déjà dit. Sérénade raconte ce qui se passe à chaque fois que, dans un espace clos, on trouve plus de filles célibataires que de garçons à attraper. Quand il y en a un pour deux, voire pour trois, elles sont obligées de le partager. Ou alors elles dansent entre elles en faisant semblant de trouver ça plus gai. Il y a forcément au moins une grande déçue dans le lot, mais en jupe mousseline, la mélancolie reste légère et bleutée.
Des trois trios féminins que j’ai eu la chance de voir, le plus équilibré aura été, le soir du 3 octobre, celui réunissant Mlles Abbagnato (damoiselle lyrique au destin d’éplorée), Froustey (délicieuse jumping girl, précise, musicale et hardie) et Hurel (une nocturne cristalline). Dans le même rôle que cette dernière, Laëtitia Pujol convainc tout différemment, avec une danse beaucoup plus souple, un haut du corps tout de mobilité, qui font regretter qu’on ne l’ait pas distribuée en première soliste, d’autant que Laura Hecquet paraît trop sèche au soir de sa prise de rôle (13 octobre). L’élégance d’Hervé Moreau est sans pareille (3 et 13 octobre). Mais on peut aussi être séduit par la valse de Florian Magnenet dans son pas de deux avec Ludmila Pagliero (le 17 octobre).

Si j’ai bien vu, Agon est une histoire d’élastique étiré à un millimètre du point de rupture. Comme l’a remarqué mon collègue et néanmoins ami Cléopold, la troupe a mis quelque temps à trouver la bonne tension. Au soir du 17 octobre, c’était bien au point, grâce à un quatuor masculin punchy (MM. Duquenne, Le Riche, Paquette, Phavorin) et des filles comme montées sur ressort et pas en reste d’œillades spirituelles (Mlles Daniel, Zusperreguy, Ould-Braham et Dupont). La variation solo est enlevée par Karl Paquette avec une rugosité qui passe la rampe, là où la fluidité de Mathieu Ganio tombait à plat.

Jérémie Bélingard s’empare du rôle du Fils prodigue et il n’est pas disposé à le rendre. Voilà un danseur qui aurait pu devenir cascadeur. Le personnage, aveugle au risque, est emporté par son trop-plein d’énergie (là où Emmanuel Thibault était victime de sa naïveté). La courtisane campée par Agnès Letestu est une vraie vamp religieuse. Celle de Marie-Agnès Gillot manque trop de relief.

Le service de communication de l’opéra de Paris a fait bêtement disparaître Hervé Moreau de toutes les distributions en ligne de Sérénade, même aux dates où chacun sait qu’il a dansé. À force de creuser, ces gars-là finiront par trouver du pétrole.

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Balanchine à Garnier : Un point d’équilibre

Soirée Balanchine (Sérénade, Agon, Le Fils Prodigue). Jeudi 11 octobre.

Point n’est besoin parfois d’avoir un changement radical de distribution pour noter des améliorations substantielles dans une soirée de ballet. Dans Sérénade, Ludmila Pagliero était de nouveau la première soliste (de grande classe) et avait encore « des épingles à retordre » avec sa chevelure (cette fois-ci, son chignon a pris la poudre d’escampette pendant la coda), mais Mathilde Froustey était la fille aux sauts. Autant dire qu’il s’est créé un certain déséquilibre dans la distribution féminine. La demoiselle a associé une attaque au sol très incisive à un crémeux des bras sans pareil. Cette alliance de qualités si opposées lui a permis entre deux grands jetés plein de souffle de se faufiler entre les tempi de l’orchestre pour littéralement danser dans la musique. Un piqué le bassin décalé vers l’avant l’entraînait par exemple dans un équilibre dynamique lui laissant de temps de varier la délicatesse d’un port de bras. Au moment où on se prenait à penser « elle va se mettre en retard », une imperceptible accélération rétablissait la mesure. À voir Mathilde Froustey apparaître et disparaître au milieu des filles du corps de ballet, on avait le sentiment de voir une libellule irisée voleter au dessus d’une rivière envahie d’herbes folles. Tant pis alors si Mélanie Hurel, « ange nocturne » élégiaque, elle aussi si musicale, était un peu pâlichonne dans l’Allegro moderato et si Pierre-Arthur Raveau ne rendait pas tout à fait justice à la chorégraphie en raison de portés trop statiques.

Dans Agon, on retrouvait également un nombre conséquent d’interprètes de la première. Mais les quelques changements de distribution ont fini par donner un peu plus de caractère à l’ensemble. Mesdemoiselles Zusperreguy et Daniel ont trouvé un point d’entente entre leur style respectif. La première casse le poignet avec esprit, répondant aux bizarreries orchestrales de la partition, si bien rendues par l’orchestre sous la direction de Faycal Karoui. Karl Paquette a apporté une rugosité au solo du premier pas de trois qui manquait singulièrement à Mathieu Ganio. Dans le second trio, Stéphane Phavorin ajoutait une pointe acerbe dans le duo avec Christophe Duquenne. Les deux danseurs ne rivalisaient plus seulement d’élégance mais également d’humour. Leur pose finale ressemblait d’ailleurs à un pied de nez. Comble de bonheur, Myriam Ould-Braham avait ajouté une saveur poivrée à sa danse. L’élégance demeurait mais elle était comme vivifiée par quelques inclinaisons de la tête ou encore certaines projections canailles du bassin. Dans le pas de deux, Eve Grinsztajn impressionnait enfin par son autorité, la précision quasi-chirurgicale de ses directions, la tension intérieure qu’elle savait installer dans les passages acrobatiques. Cette même tension qui manquait cruellement à son partenaire, Stéphane Bullion, seul trou noir de cette distribution.

Dans le Fils Prodigue, enfin, c’était Agnès Letestu qui faisait face à Jérémie Bélingard. La sinuosité calligraphique de cette sirène, son absence de poids apparent, son évidente désinvolture dans cet acte sans doute mille fois répété, criait à l’assistance la fausseté initiale de ses intentions envers le jeune homme. Seul le fils semblait devoir être dupe de cette professionnelle frigide et calculatrice en forme de bas relief hiéroglyphique. Jérémie Bélingard, qui ne danse jamais ce rôle deux fois pareil, semblait avoir accentué le côté naïf de son personnage ainsi que sa solitude (ses deux « amis » étaient traités ici comme de simples serviteurs). Maltraité, dépouillé et avili, son repentir n’en était que plus poignant après tant d’inconséquence. Le père d’Eric Monin qui l’accueillait dans son giron après sa marche pathétique semblait bien frêle comparé à celui de Vincent Cordier, comme si l’ordre immuable des choses avait été salutairement secoué par le départ du rejeton exalté.

Sans révolution majeure par rapport à la première, l’alchimie des personnalités aura, semble-t-il, rétabli un point d’équilibre entre le style de l’Opéra et celui de Mr B.

… À notre plus grand soulagement.

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Cérémonie des Balletos d’or : les bœufs sur le toit

Comme prévu, le Tout-Paris balletonaute se pressait mercredi midi aux alentours du Palais-Garnier pour la cérémonie de remise des Balletos d’or de la saison 2011-2012. Les plus intrépides escaladèrent l’édifice par la face nord. Les plus malins passèrent par l’entrée des artistes, certains en rampant sous la loge du concierge, d’autres en sautant par-dessus. Sur le toit, les moins chanceux subirent l’attaque des abeilles. La sécurité était absente et les pompiers débonnaires. Brigitte Lefèvre, toute auréolée des dithyrambes de la presse française sur la tournée du Ballet de l’Opéra aux États-Unis (le staff et les autorités de tutelle ont résolu de ne pas savoir l’anglais), était d’humeur radieuse. Elle eut la bonté de rire à l’énoncé des surnoms affectueux que nous lui donnons en privé, et que nous lui avouâmes en rougissant. Nous sommes convenus, en l’échange d’une première loge de face à notre discrétion, de ne plus écrire que des critiques de bonne facture, quelquefois piquantes pour la forme, mais jamais méchantes.

De ce point de vue, le succès est complet. Pour le reste, force nous est d’avouer que très peu de récipiendaires firent le déplacement. La date du 15 août n’était peut-être pas propice à la mobilisation. Mais alors, pourquoi tant de personnalités non distinguées se sont-elles présentées ? C’est sans doute un trait de la nature humaine que de mépriser ce qu’on vous offre et d’envier ce qu’on vous refuse. On expliqua à Alina Cojocaru que son art était hors catégorie. Elle fit mine de surmonter sa déception. On dut promettre à Marie-Agnès Gillot qu’on adorerait par principe sa création de la saison prochaine. Karl Paquette réclama le prix du Pied intelligent qu’on avait entre-temps attribué à un méritant coryphée qui passait par là. Patrice Bart, dont les adieux n’avaient pas retenu l’attention du jury, traînait son spleen. Ghislaine Thesmar confia à l’assistance qu’elle n’avait repris l’anglais que pour mieux jouir des articles de Mini Naila. Une nouvelle revigorante qu’on twitta sans délai à l’intéressée, et par la même occasion à la terre entière.

Cléopold entama un dialogue érudit avec quelques sommités du monde du ballet. James, jaloux d’en être réduit à faire passer les petits fours, trépignait sans discontinuer et finit par marcher sur les pieds d’Émilie Cozette. « Il n’y a pas de mal », le consola-t-elle , le sourire crispé de douleur mais éloquent de courage.

Il était temps de faire venir à nous l’âme de Marius Petipa. Las, à l’appel du médium, c’est Poinsinet qui se pointa, glapissant qu’il était le seul fantôme assermenté de l’Opéra. L’histoire retiendra que, passé cet instant, le contrôle de la cérémonie échappa à ses organisateurs. Stéphane Phavorin, pourtant nanti de trois prix, vola à Aurélie Dupont sa statuette en glace à l’effigie de Marie Taglioni. Histoire de voir si elle avait un peu d’équilibre, Stéphane Bullion fit un croche-pied à Nathalie Portman, venue recevoir le prix Navet au nom de son époux. Sylvie Guillem trouva spirituel de lancer des cacahuètes en l’air en criant « va chercher! ». Cela déclencha une émeute de grands jetés la bouche ouverte. C’était à qui sauterait le plus haut. Fenella déclara que l’esprit olympique corrompait décidément tout.

Un hurluberlu dont nous tairons le nom tenta de décrocher la lyre d’Apollon. Le médium, pas découragé par son premier échec, réussit à faire apparaître les mânes du grand Rudolf. Monsieur Noureev nous fixa de son regard intense, et gronda, l’air faussement bienveillant : « Brravo à tous, mais vous ne m’arrrrivez pas à la cheville ». De désespoir, ceux qui se sentaient visés par cette saillie menacèrent de se jeter dans le vide. Un sot beugla: « mais faites donc! ». Bref, ce fut une bien belle journée.

L’année prochaine,  nous a-t-on déjà averti, les Balletos d’or seront remis dans les sous-sols de l’Opéra-Bastille, paraît-il très accueillants.

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J’ai gagné à la loterie

Grâce à ma capacité à cliquer plus vite que mon ombre, j’ai sécurisé il y a des semaines des tas de places pour la Bayadère, spectacle aujourd’hui archi-complet. À présent que les distributions sont publiques, il me faut organiser leur répartition. J’avais onze places sur huit dates. Je me suis déjà délesté, au profit d’un idolâtre, de mon billet « Zakharova » du 2 avril. Restent donc sept dates, qui, sous réserve de changements, se répartiront comme suit:

– trois soirs différents – ô volupté de la surabondance ! – avec Aurélie Dupont dans le rôle de la danseuse sacrée, Josua Hoffalt pour sa prise de rôle en Solor et Dorothée Gilbert pour camper l’éruptive Gamzatti ;

– deux soirs – diantre, c’est presque autant de trop – avec Émilie Cozette, Karl Paquette et Laura Hecquet ;

– une soirée et une matinée avec une triple prise de rôle pour Myriam Ould-Braham, Florian Magnenet et Mathilde Froustey.

La vie étant relativement bien faite, le nombre de places disponibles n’est pas en rapport avec l’attractivité des distributions. J’ai au total quatre places pour la première distribution, quatre pour la deuxième, et seulement deux pour la troisième. Comme de bien entendu, ma place la plus chère est pour la distribution qui m’émoustille le moins.

Grâce au retard pris par l’Opéra de Paris dans la publication des distributions, j’ai autour de moi une pléthore de malheureux qui n’ont pas voulu acheter, lorsqu’il en était encore temps, de places à l’aveuglette. Je pourrai les faire ramper devant moi en échange d’un de mes doublons. Je me sens comme un Brahmane en passe d’abuser de sa danseuse sacrée.

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