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La Fille mal gardée : jeune souveraine en robe de gaulle

P1200115En juillet 1789, lors de sa création à Bordeaux, le ballet de Dauberval était tout sauf un ballet contestant les privilèges. Il était même tout l’inverse et ses personnages étaient clairement des paysans de fabrique. Dans La Fille d’Ashton, cela n’est guère différent. Osbert Lancaster, le décorateur a joué la carte du carton-pâte comme au Hameau de Versailles où de fausses traces de décrépitude avaient été peintes sur les façades des maisons. Le rideau de scène lui-même n’est pas sans évoquer un jardin à l’anglaise, le modèle même du parc de Marie-Antoinette à Trianon. Le paysage champêtre qui y est représenté est encadré à Cour par des attributs du monde rural mais à Jardin par une imposante déité dont le sein exagérément en poire, retenant une tenture, a alarmé un soir l’une de mes aimables voisines. C’est exactement le schéma pensé par l’architecte Richard Mique qui avait ménagé dans le parc un premier point de vue du hameau, dans les lointains, lorsque les visiteurs faisaient face au très néoclassique temple de l’Amour.

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Ces réflexions me sont venues lors de ma dernière de La Fille mal gardée, le 31 mars, où il m’a semblé avoir été transporté, comme par magie, au Hameau de la reine. Bleuenn Battistoni, nommée étoile quelques jours plus tôt dans le même rôle, ressemble en effet à une jolie souveraine qui se serait affublée d’un coquet costume de paysanne. Elle évoquait un peu le portrait de Marie-Antoinette en robe de gaulle par Vigée-Lebrun qui fit tant scandale à l’époque de son exposition. Finesse des attaches, ligne de l’arabesque parfaite, jetés aériens, la nouvelle étoile est une Lise de porcelaine fine qu’on verrait bien exposée sur un dessus de commode marquetée.

Qu’on ne pense pas cependant que cela est un commentaire sur l’inadéquation de la ballerine au rôle de la jolie paysanne du « Ballet de la paille » ; bien au contraire. La pérennité de la Fille au répertoire vient du fait qu’elle aborde des thèmes qui concernent toutes les époques, à savoir le conflit de générations et l’énergie irrépressible que déploie la jeunesse pour vivre sa vie comme elle l’entend. A partir de là, toutes les configurations sont possibles. On a eu des Lise terre à terre courtisées par des petits marquis (le ballet de l’Opéra en a fourni beaucoup), ici, en ce 31 mars, on voyait une jeune fille bien née courtisée par un entreprenant gaillard.

Marcelino Sambé est un Colas solide et tout en ronde-bosse. Ses sauts sont pris profondément dans le sol et permettent une élévation spectaculaire. Ce qu’il fait n’est pas nécessairement toujours « joli » mais c’est indéniablement efficace (par exemple son renversé après les pirouettes attitude et avant le développé 4e dans le pas de deux Elssler).

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Marcelino Sambé (Colas) et Bleuenn Battistoni (Lise).

Ce qui est fabuleux, c’est d’observer combien ces deux présentations de la danse, l’une ciselée l’autre modelée, ont su communiquer de manière si harmonieuse. Car ce qui touche dans cette soirée, c’est bien le partenariat des deux danseurs qui  parviennent à nous faire croire à leur histoire d’amour. Bleuenn Battistoni est allée répéter à Londres avec Marcelino Sambé sous la direction de Lesley Collier. Cela en valait vraisemblablement la peine. La concordance des lignes, les enlacements, les portés et les baisers, tout parle de complicité et d’intimité. Durant l’acte 2, la scène aux bottes de paille montre ainsi un Colas très tactile face à une Lise qui offre sa main tout en faisant une très cocasse moue boudeuse.

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Hugo Vigliotti (Mère Simone).

Face à ce couple, Hugo Vigliotti incarne une excellente marâtre  colérique et bouffonne qui « sabote » avec une énergie peu commune (au risque de perdre un bonnet qui s’agite furieusement) et ferme les tiroirs avec le popotin à vous en décrocher le décor. Les interactions de Lise-Bleuenn avec Simone-Hugo sont adorables. La nouvelle étoile rend très drôle la scène de la fausse mouche et dépeint avec subtilité son agacement à l’égard de sa maternelle. Elle gratifie son Alain de tout un répertoire de regards tour à tour interloqués ou agacés. Dans ce rôle, Aurélien Gay nous a semblé plus efficace techniquement que réellement drôle ou émouvant. Heureusement que les gags ont été inscrits dans le marbre par le chorégraphe…

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En dépit de ce petit bémol et d’un arbre de mai désespérément brouillon, on passe assurément une excellente soirée. Paul Mayeras est un très élégant flutiste et Hyuma Gokan un coq survolté. L’ensemble du corps de ballet semble galvanisé par la présence solaire de l’invité et par la grâce naturelle de sa nouvelle étoile.

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La Fille mal gardée : fortunes variées sous le mai

P1200115Ballet de l’Opéra de Paris. La Fille mal gardée (Herold/Ashton). Représentations des 20 et 25 mars 2024.

A l’Opéra, la Fille mal gardée sert souvent à essayer des sujets prometteurs dans des rôles de premier plan. Cette mouture 2024 n’échappe pas à la règle, bien au contraire, puisqu’un seul couple d’étoile est mis sur les rangs et que moult Lise et Colas n’ont pas dépassé encore le grade de sujet. A quelques soirées de distance, deux jeunes demi-solistes de la compagnie à l’ascension météorique ont donc fait leur prise de rôle dans Le Ballet de la Paille (le nom de la Fille mal gardée dans ses premières années) aux côtés de partenaires certes jeunes mais plus expérimentés.

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Le 20 mars, Clara Mousseigne, entrée dans la compagnie en 2020 et déjà récipiendaire du prix de l’AROP et du prix Carpeaux se montre à la hauteur des enjeux techniques du rôle. Efficace (nous gratifiant notamment une impressionnante série de pas de basque dans la coda de l’acte 2), elle semble n’avoir peur de rien. Cette démonstration de force lasse pourtant sur toute une soirée. Le jeu de la danseuse est unidimensionnel : elle arbore deux expressions clairement visible au-delà de la rampe ; l’une souriante, l’autre boudeuse. Rien ne paraît vraiment incarné. Il faudra que la jeune danseuse gagne en profondeur afin de délivrer un sous-texte qui soutienne l’ensemble de l’équipe qui évolue autour d’elle. En l’état, son partenaire Antonio Conforti n’avait pas vraiment en face de lui le répondant qui lui aurait permis de mettre en valeur ses qualités habituelles de partenariat. Il est fin, subtil et musical. On restait du coup confronté à certaines de ses faiblesses techniques (notamment sur les tours en l’air). Longtemps injustement oublié au fin fond du corps de ballet et de sa hiérarchie, il se retrouve projeté sur le devant de la scène bien tard et il aura encore du chemin à faire pour prendre réellement possession du plateau. On l’en sait capable.

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Antonio Conforti (Colas) et Clara Mousseigne (Lise).

Pour soutenir l’attention de cette soirée, il fallait donc se raccrocher aux branches. La mère Simone de Florimond Lorieux a un charme presque Drag Race et dodeline passionnément du popotin. Sa sabotière manque néanmoins un peu de souffle comique. Andrea Sarri est en revanche un Alain entièrement abouti. Il parvient à donner du charme à son grand-godiche. A l’acte deux, lorsqu’il dévale les escaliers de la chambre de Lise, on croirait littéralement voir un cartoon de Tex Avery qui épouserait de son corps la forme de chaque marche.

Hélas, cela ne suffit pas pour sauver une soirée. L’ennui installé, on commence à noter tous les petits manques de la production. On s’agace tout particulièrement de la danse du mât aux rubans toujours aussi brouillons après plus d’une semaine de représentations.

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Cinq jours plus tard, cela ne s’est guère arrangé mais on n’en a cure. Hortense Millet-Maurin, entrée dans la compagnie en 2022, dessine une Lise d’une fraîcheur absolue. La technique est aussi limpide que le jeu est évident. Les grands jetés sont à 180°, les pirouettes sont maîtrisées de même que les équilibres mais jamais au détriment du charme. C’est sans doute que cette Lise engage une véritable interaction avec son partenaire. Le premier pas de deux avec Colas, celui des rubans, est ainsi respiré et émouvant. Une histoire d’amour s’inscrit déjà dans ce touchant badinage fait de gestes de tendresse et de taquineries. On imagine que les deux tourtereaux se connaissent et se sont promis l’un à l’autre depuis l’enfance. Colas-Antoine Kirscher est un jeune farceur qui fouette gaillardement sa Lise dans l’épisode « petit-poney » avant de lui-même se transformer en équidé avec humour et délectation. On imagine bien que mère Simone, Simon Valastro, toujours aussi pertinent, ne voie dans ce jeune homme facétieux que le côté godelureau. Kirscher, qui fut Alain avec la distribution de la première n’est pas toujours irréprochable techniquement (notamment sur certaines réceptions de sauts dues à une petite pointe de sécheresse dans le plié) mais jamais il ne laisse ces détails prendre le pas sur l’énergie de ses variations, ni rompre le jeu de son personnage.

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Antoine Kirscher (Colas) et Hortense Millet-Maurin (Lise).

On est donc gratifié de bien jolis moments à l’acte 1 où Millet-Maurin exécute une très pure variation dans le « Fanny Elssler pas de deux » et réalise la plus satisfaisante promenade attitude aux rubans de la série. Kirscher provoque l’adhésion par le feu qu’il met dans sa coda.

L’acte 2 file presque à trop grande vitesse. Dans cette scène plus intimiste, on remarque cependant l’arabesque jaillissante presque infinie de Lise-Hortense, aussi spirituelle qu’un trait d’esprit, ou encore certains grands ronds de jambes développés sous la jupe à la suspension presque réflexive. Cette jeune ballerine a déjà la technique signifiante. Le monologue matrimonial de Lise et la scène des baisers aux bottes de paille sont à la fois attendrissants, drôles et enlevés.

La scène de la révélation est quant à elle merveilleusement bouffonne. Jean-Baptiste Chavignier, Thomas pour cette série, a la colère éruptive. Il ressemble à un Alain monté en graine et perclus de rhumatismes. Et justement, dans le rôle du fiancé à pébroc, on découvre avec intérêt Théo Ghilbert, qui dessine un Alain entre poupon lunaire (lorsqu’il est présenté à Lise) à l’acte 1 et pantin articulé en bois à l’acte 2 (quand il dévale les escaliers en ricochant sur les marches).

Le dernier pas de deux de Lise et Colas clôt de manière magistrale cette très belle soirée. Hortense Millet-Morin apparaît comme en apesanteur aux côtés d’un Antoine Kirscher peaufinant ses ports de bras pour un effet digne d’une gravure de l’époque romantique.

On quitte le théâtre heureux, la tête emplie des pimpants accents de la partition d’Hérold ainsi des éclats de couleur vives du rideau de scène d’Osbert Lancaster.

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La Fille mal gardée à l’Opéra : les promesses du printemps

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La Fille mal gardée; Représentation du 15 mars. Simon Valastro (mère Simone), Guillaume Diop (Colas), Léonore Baulac (Lise), Antoine Kirscher (Alain), Jean-Baptiste Chavignier (Thomas).

La Fille mal gardée (Herold / Ashton). Ballet de l’Opéra national de Paris. Représentation du vendredi 5 mars 2024.

C’est le retour de la Fille mal gardée de Frederick Ashton, un favori des programmations depuis la saison 2006-2007. Encore ? On s’étonne toujours de continuer à prendre des billets. D’une certaine manière, la Fille d’Ashton pourrait être en effet emblématique d’une certaine regrettable uniformisation des répertoires dans le monde du ballet. À l’Opéra, l’œuvre en est déjà à sa cinquième reprise et, de surcroit, de très nombreuses compagnies européennes l’ont désormais à leur répertoire. Ma dernière Fille était ainsi à Bordeaux en 2022 pour deux représentations… On prend des billets cependant, se disant qu’on le fait pour « les danseurs ». Et puis on s’assoit dans la salle, l’orchestre entonne les premières mesures de la partition – reconstruite – d’Hérold, le rideau se lève sur la peinture humoristiquement naïve et acidulée d’Osbert Lancaster, et on ne peut contenir sa joie. La Fille mal gardée est une œuvre joyeuse et sans prétention, facile à aimer dans toutes ses versions ; on en a vu plus d’une. Mais celle de Frederick Ashton a un attrait supplémentaire : l’efficacité de sa chorégraphie, la façon dont les différents rôles sont bien servis en accord avec les emplois, la métaphore filée des rubans et même … le poney nain qui tire la carriole de Thomas, le père du stupide et touchant Alain.

En ce soir de première, on aura eu quelques déconvenues du côté de la ménagerie de scène et de l’accessoire. En effet, le petit équidé s’était mis en grève et le véhicule était tiré par deux paysans. On a eu à déplorer quelques manques dans les rubans : la promenade attitude de Lise entraînée par les demoiselles du corps de ballet ainsi que la danse du mât de cocagne manquaient de clarté. Le corps de ballet, où l’on voit beaucoup de noms nouveaux, et sans cela bien réglé, n’a peut-être pas encore bien la main.

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Guillaume Diop et Léonore Baulac (Colas et Lise).

Le leading man, Guillaume Diop, qui lors de la dernière reprise ne faisait pas encore partie du corps de ballet, s’est lui-même un peu emmêlé les rubans pendant l’aimable badinage « petit cheval » avec sa partenaire Léonore Baulac.

Mais qu’importe, le couple Lise Baulac – Colas Diop est frais, même si un peu vert sous certains aspects. Elle, déjà une habituée du rôle, déploie tout son charme comme à chaque fois qu’elle évolue avec un partenaire de confiance, ce qu’est assurément Guillaume Diop. La technique de la demoiselle est claire et ses épaulements respirés. Le damoiseau a quant à lui une superbe ligne et un ballon suprême. Quelques points techniques restent cependant à peaufiner.

Dans la première variation, le danseur, qui a des jambes extrêmement longues, a l’arabesque un chouïa sautillante sur la réception des entrelacés. Dans la variation du pas de deux « Fanny Elssler », les pirouettes attitudes finies en développé quatrième devant, imaginées pour des danseurs plus compacts, sont un peu tremblotées. Rien cependant qui ne puisse s’améliorer au cours de cette série de représentations.

Mais le couple fonctionne très bien. On est gratifiés de bien jolis portés notamment pendant la première confrontation avec mère Simone ou encore à la fin du grand pas de deux. Le jeu des deux danseurs est naturel et vif. À l’acte 2, la scène de cache-cache affolé au retour de mère Simone est savoureuse. Diop semble vraiment déterminé à rentrer dans un tiroir du buffet et trouve le temps de houspiller Baulac qui s’employait à le jeter au feu.

Mais une bonne représentation de La Fille ne serait pas complète sans une mère Simone de qualité et un Alain du même acabit. Dans le rôle de la marieuse défaite, Simon Valastro déploie une science du timing qui faisait jadis merveille dans le rôle d’Alain. Sa mère Simone serait plutôt une aïeule grognonne qu’une maman inquiète. On sent poindre le conflit de générations dans toutes ses interactions avec Lise. Antoine Kirscher donne d’Alain l’image d’un pantin désarticulé notamment quand il dégringole l’escalier à l’acte 2 ; une sorte de « Petrouchka bouffe ». C’est inusité mais néanmoins émouvant. On se prend à le plaindre lorsqu’il est poursuivi par le coq atrabilaire de Huyma Gokan.

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On passe donc une soirée agréable et divertissante même si elle ne s’inscrira pas dans la liste des représentations d’anthologie au sein de notre petit panthéon chorégraphique. Mais on y voit bien des promesses.

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La Fille mal gardée à Bordeaux : la récolte est bonne

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La Fille mal gardée. Photographie Julien Benhamou

La Fille mal gardée (Ashton / Hérold / Lanchberry). Ballet de l’Opéra de Bordeaux. Représentations des 27 et 28 février 2022.

Le ballet de Bordeaux redonne en ce moment une série de La Fille mal gardée de Frederick Ashton. Ce ballet a une résonance particulière pour la compagnie puisque La Fille mal gardée ou il n’y a qu’un pas du mal au bien a été créé au Grand Théâtre de Bordeaux même en juillet 1789. Qu’on n’aille pas chercher une symbolique trop séditieuse dans cette incidence historique. Pour avoir été créé aux prémices de la Révolution dans la patrie des Girondins, la Fille de Dauberval n’a jamais rien eu d’un ballet révolutionnaire. Dauberval était plutôt soutenu par la partie conservatrice du public bordelais et venait d’ailleurs d’obtenir contre un de ses rivaux une lettre de cachet, privilège judiciaire royal honni qui, on le sait, fut l’une des justifications de l’attaque et de la prise de la Bastille. Dans la Fille, l’histoire d’une mère dont les ambitieux plans matrimoniaux sont déjoués par sa fille, Lise, amoureuse de Colas, aussi beau qu’impécunieux, la paysannerie est représentée dans toutes les grâces supposées de la vie champêtre. Tout le monde est bien habillé, la récolte est bonne et l’orage a même la bonne grâce de se déclencher seulement après que la moisson a été menée à son terme. C’est une campagne d’aristocrates, une campagne de « fabrique », à l’image du hameau de la Reine de Versailles où la décrépitude des maisons est peinte artistement en trompe-l’œil. C’est ce qu’a compris Osbert Lancaster qui donne aux décors et aux rideaux de scène une esthétique de livre d’images. Le rideau principal présente d’ailleurs un paysage agreste mis en perspective par une incongrue statue de déesse, un peu comme à Versailles où le premier point de vue que l’on a du Hameau se fait depuis le néoclassique temple de l’Amour de Richard Mique.

Le retour de la Fille mal gardée sur la scène bordelaise a lieu dans un contexte incertain pour la compagnie. Le précédent directeur, Charles Jude, avait été escamoté pour avoir déplu au nouveau directeur musical qui, n’aimant pas le ballet, avait décidé de couper à vif dans les effectifs. Les « repreneurs » ne se bousculaient pas au portillon – certains avaient même publiquement annoncé qu’ils se retiraient de la course – et ce fut Eric Quilleré, le maître de ballet de Bordeaux qui accéda à la direction de la danse avec un projet malin de collaborations avec d’autres compagnies, notamment celle d’Angelin Preljocaj et de l’Opéra de Paris, qui prête justement ses costumes pour cette production.

On avait passé son tour lors de l’entrée au répertoire en novembre 2018. Cette Fille mal gardée avait été représentée tant de fois à l’Opéra de Paris qu’on craignait d’avoir l’œil un peu émoussé. À l’époque, une « distribution opéra » réunissant Léonore Baulac et Paul Marque avait d’ailleurs complété les rangs de la troupe bordelaise. Pour cette reprise post-covid, on pouvait donc légitimement se demander si Bordeaux était en mesure de remonter correctement ce ballet. En effet, les effectifs plafonnent à 35 danseurs et, depuis le départ de Roman Mikhalev et d’Oksana Kucheruk (aujourd’hui maîtresse de ballet), on ne compte plus qu’une étoile d’ailleurs absente des distributions pour cette reprise. La compagnie est à flux tendu sur cette série comme elle l’était pour La Sylphide dont un tiers des représentations ont été annulées en décembre pour cause de cas positifs au covid. En cette fin du mois de février, la pandémie nous aura apparemment privé de l’orchestre : la fosse serait trop petite pour respecter les distances de sécurité entre musiciens du ballet. Qu’en est-il pour l’opéra ?

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Et pourtant, la troupe (complétée de quelques surnuméraires) rend parfaitement justice au ballet d’Ashton. Les ensembles sont bien réglés. La chorégraphie coule de manière fluide et l’esprit joyeux de la pièce vous emporte encore une fois. Le coq (Leo Mauro Velasquez) rudoie ses poulettes avec autorité et truculence et les rubans, faucilles et autres fifres sont tous présentés à leur avantage.

Le ballet de Bordeaux parvient de plus à aligner, sans addition extérieure, trois couples de solistes. On en aura vu deux.

La Fille mal gardée. Lise (Vanessa Feuillate), mère Simone (Alvaro Rodriguez Pinera) et Colas (Oleg Rogachev). Photographie Julien Benhamou

Le soir de la première, Vanessa Feuillate, première danseuse, incarne une Lise qui a peut-être passé une saison des moissons de trop avec sa maternelle. Elle supporte vaillamment ses accès de colère mais ne cache pas son impatience quand celle-ci dépasse les bornes. Toute cette histoire de mariage avec le benêt plein aux as Alain la barbe prodigieusement. Vanessa Feuillate est impayable dans la carriole quand elle boude ostensiblement les richesses du père d’Alain que sa mère contemple, elle, avec les yeux de l’amour. Dans la scène au rouet de l’acte 2, sa Lise étrangle sa mère avec le fil moins par maladresse que par préméditation. La technique du rôle est maîtrisée à part quelques sautillés-relevés sur pointe (le rôle de Lise en regorge) un peu tremblotants et certaines pirouettes légèrement sorties de l’axe. Mais le charme est indéniablement là.

Si Oleg Rogachev, son Colas, n’accomplit pas une représentation toujours « parfaite » techniquement (notamment dans sa coda du pas de deux de l’acte 1 et dans certains portés), l’énergie est la bonne. Sa variation du pas de deux « Fanny Elssler » est, par exemple, très bien exécutée avec un mélange d’élégance princière (il a des lignes superbes et des jetés aériens) et d’assurance bravache. De plus, son jeu est extrêmement vivant. Son Colas sait ce qu’il veut et se montre empressé, entreprenant, parfois même audacieux et matois dans ses stratégies pour obtenir un baiser. La fin justifie les moyens. Cela rend par exemple le passage des bottes de paille à l’acte 2 où Colas surprend Lise dans ses rêves matrimoniaux à la fois drôle (« Tu dis trois enfants ? Mais je veux bien t’en faire …dix ! Allez, viens que je t’embrasse ! ») et touchant (la scène « des foulards »). Le Colas d’Oleg Rogachev est moins un paysan désargenté qu’un cadet d’une famille de notables qui est peut-être trop populaire auprès des villageois de peu de conséquence aux yeux de mère Simone (Rogachev communique constamment avec tous les membres du corps de ballet) pour lui inspirer confiance.

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La Fille mal gardée. Colas (Oleg Rogachev) et Lise (Vanessa Feuillate) Photographie Julien Benhamou

Alvaro Rodriguez Piñera tire sa mère Simone du côté de la matriarche qui porte des pantalons sous ses jupes en tartan. C’est Bernarda Alba version Bouffe ! Gare à Colas, si sa Lise devient un jour comme sa maternelle : il devra filer droit. Simone-Alvaro fesse sa Lise avec l’air résigné du « c’est-i pas possible, qu’est-ce que j’ai fait pour mériter une gourdasse comme ça » mais est finalement plus sévère que méchante. Sa nature facétieuse se révèle dans la sabotière (la scène aux champs) conduite à la manière d’une meneuse de revue. La dentelle tuyautée du bonnet devient par les tressautements qui lui sont imposés une protagoniste du pas au moins aussi importante que les sabots. Alvaro-Simone remue du croupion avec une régularité de coucou suisse pour un effet des plus hilarants. On est triste d’apprendre que cette série de représentations marque la fin de sa carrière au ballet de Bordeaux. Ce danseur versatile, à la fois technicien accompli (Rothbart dans le Lac et Tybalt dans Roméo de Charles Jude) et subtil interprète des styles (le Faune de Serge Lifar ou Quasimodo dans le Notre Dame de Petit) nous manquera cruellement.

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La Fille mal gardée. Mère Simone (Alvaro Rodriguez Piñera). Photographie Julien Benhamou

Alexandre Gontcharouk, qui interprétait le benêt Alain sur les deux représentations se tire avec honneur du rôle marqué à l’Opéra de Paris par de nombreuses personnalités exceptionnelles (Valastro, Madin ou Couvez). Il oriente son personnage sur un registre plus mélodramatique que bouffon quand, à la fin, il présente l’anneau des noces au public dans la salle moins pour trouver une autre prétendante que nous prendre à témoin de son malheur. Pourquoi pas…

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La Fille mal gardée. Photographie Julien Benhamou

Le soir du 28 février, mis à part l’Alain d’Alexandre Gontcharouk, la distribution est différente et contrastée.

Marc-Emmanuel Zanoli est ainsi une mère Simone-vieille coquette qui a le tempérament explosif et la claque facile. Simone Zanoli est bien décidée à se débarrasser de l’encombrant tendron qui contrecarre ses plans. Depuis la carriole, elle fait des grands signes tempétueux à Colas pour qu’il débarrasse le plancher. La sabotière de Zanoli est interprétée dans une tonalité burlesque plus traditionnelle. On lui donne sans conteste le prix du glissé de sabots. Mère Simone, compétitive et un peu vaine, monte sur la pointe de ses savates de bois parce qu’elle a lorgné la jeune génération et qu’elle ne veut se retrouver en reste. Simone/Marc-Emmanuel s’adoucit au deuxième acte, non sans piquer encore d’authentiques colères, dans le contexte plus intimiste de son intérieur. Elle accepte avec moins de difficultés que matriarche de la veille l’échec de ses tractations « matrimonio-patrimoniales ». Ses embrassades avec Colas n’en sont que plus cocasses.

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La Fille mal gardée. Lise (Diane Le Floc’h). Photographie Julien Benhamou

De son côté, Diane Le Floc’h est une Lise toute en fraîcheur. Dans l’épisode de la carriole, elle ne boude pas son plaisir et c’est à peine si la mention du mariage par sa maman Simone assombrit un instant le bon moment qu’elle passe. À l’acte 2, elle se montre plus ingénue dans l’épisode du rouet et on la voit presque désolée devant la déception de sa maman quand le pot aux roses est découvert. Elle a, ce qui ne gâche rien, un joli temps de saut et des retombées silencieuses. Dans le pas de deux Elssler, elle accomplit une variation immaculée avec une jolie prestesse sur les tours à la fin terminés par une pose en 4e une main délicatement posée sur l’épaule qu’elle sait rendre inattendue. L’interprétation et la technique se marient en un tout homogène et fluide.

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La Fille mal gardée. Colas (Neven Ritmanic) Photographie Julien Benhamou

Neven Ritmanic est un Colas définitivement plus campagnard, plus « solide garçon », que son prédécesseur. Sa première scène où il cherche le ruban-signal de Lise est bien accentuée : attente, impatience, déception, dépit et enfin joie sans partage du succès lorsqu’il voit enfin le ruban rose accroché à un anneau de la grange. Ses variations sont en revanche toujours axées sur l’exécution technique au risque de vous faire sortir le spectateur de l’histoire. Neven Ritmanic a un ballon impressionnant et il est bien décidé à le montrer. Il y a de la prise de risque souvent enthousiasmante (son partenariat solide, « à la soviétique » réserve de bien jolis moments dans le pas de deux Elssler ou encore ses tours à la seconde de la coda) mais on tremble aussi parfois. Le danseur ne connecte pas aussi bien avec l’ensemble du corps de ballet que le faisait Rogachev.

On est néanmoins séduit par la cohésion du couple Le Floc’h-Ritmanic qui nous mène joyeusement et naturellement au dénouement heureux de l’intrigue.

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La Fille mal gardée. Lise (Diane Le Floc’h) et Colas (Neven Ritmanic). Photographie Julien Benhamou

On passe donc de fort bons moments en compagnie du ballet de Bordeaux et on sort réjoui du Grand Théâtre. Que pouvait-on demander de mieux en cette période incertaine ?

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La Fille mal gardée : deux dernières pour la route et bilan

La Fille mal gardée. Soirée du 10 juillet. Saluts.

La série des « Fille mal gardée » s’est achevée le 14 juillet à l’occasion d’une représentation non ouverte au public régulier. Entre temps, les Balletotos avaient complété leur bouquet de distributions. Le 10 juillet, Cléopold allait découvrir le couple Baulac-Marque et le 11, Fenella allait se régaler de la communion dansée du couple majuscule de l’Opéra, Myriam Ould-Braham et Mathias Heymann.
Voici leurs impressions respectives.

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Cléopold : représentation du 11 juillet 2018. Léonore Baulac, Paul Marque, Mallory Gaudion, Axel Magliano.

Mis au défi par un de nos insolents rédacteurs sur les réseaux sociaux lors de mon dernier article, je commencerai par vous parler de la volaille. Au soir du 10 juillet, le coq (Jack Gasztowtt), entouré de sa basse-cour dans la charmante scène d’ouverture de La fille mal gardée nous a transporté un instant dans la scène d’ouverture de Singing in The Rain où Don Lockwod explique à une foule énamourée ses débuts dans le show-biz. Le procédé comique de cette scène réside dans le décalage entre le récit doré de l’acteur (« Dignity, Dignity, always dignity ! ») et les images de ses débuts sur des théâtres improbables et dans des saynettes loufoques (et diablement bien réglées). Le petit numéro de tap dance de monsieur Gasztowtt avait cette grâce un peu absurde et a fait rire la salle de bon cœur.

En cette fin de série, un des intérêts de cette représentation était de voir dans le corps de ballet, à l’instar de Jack Gasztowtt, quantité de têtes inhabituelles. L’essentiel des effectifs de la troupe – le Crystal Pite étant, oh combien, consommateur de gambettes – était parti en tournée à Novosibirsk.

Deux autres sujets de contentement étaient les prestations de deux nouveaux venus dans les rôles de Mère Simone et d’Alain. Elles prouvaient, une fois encore, combien le ballet d’Ashton est à classer dans la catégorie des chefs-d’œuvre offrant de multiples options d’interprétation aux artistes. Impossible en effet d’imaginer rendus du texte original plus différents de ceux de Simon Valastro et Adrien Couvez (le 27/06) que ceux choisis par Mallaury Gaudion et Axel Magliano en cette soirée du 10 juillet. Gaudion-Simone joue à fond la carte du travesti. Sa mère Simone est une drag queen délicieusement déjantée qui maîtrise son burlesque avec une précision diabolique (on pense notamment à son effondrement, les quatre fers en l’air, à l’ouverture de la porte découvrant Lise et Colas enlacés). A l’inverse de Couvez, dont une grande part du charme repose sur ses mimiques, Axel Magliano, avec son visage inexpressif comme celui d’une poupée de porcelaine, portraiture un adorable pantin désarticulé (doté, on ne s’en plaint pas, d’un très beau ballon). Ces deux interprétations de mère Simone et d’Alain, sans doute un peu plus extérieures, moins émouvantes, fonctionnaient cependant parfaitement.

Pour ce qui est du couple principal, l’expérience est moins probante. Léonore Baulac sera sans doute dans l’avenir une excellente Lise. Elle est très fraîche avec une pantomime claire et vive. Ses mimiques de dispute avec Mère Simone sont drôles et elle fait claquer le ruban sur le postérieur de son Colas-canasson avec ardeur. Mais il lui faudra abandonner cette tendance qu’elle a développé, depuis qu’elle est étoile, de vouloir à tout prix montrer qu’elle atteint les critères techniques exigés par ses rôles en forçant les positions : dans sa variation Elssler, certaines d’entre-elles sont tellement marquées qu’elles font ressembler la danseuse à un automate.

Paul Marque, en Colas, est plutôt satisfaisant dans le jeu, mais, mis à part sa grande variation de la scène deux de l’acte 1, exécutée avec suffisamment de brio, on regrette quantité de petits vasouillages mineurs (réajustements de positions, pirouettes non tenues…) qui font sortir du ballet. Au premier acte, le danseur n’est vraiment intéressant que lorsqu’il danse avec sa partenaire (ce qui, je le concède, n’est déjà pas mal) : son solo aux bouteilles devant le rideau d’avant-scène frôle l’insipidité. Paul Marque, récemment promu premier danseur, a dansé comme un honnête et timide sujet. Tout talentueux qu’il soit, il aurait pu encore attendre une saison ou deux dans le corps de ballet afin de gagner en solidité technique et en subtilité du partenariat.

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July 11, 2018 : Myriam Ould-Braham, Mathias Heymann, Alexis Renaud.

The Paris management has long clung to refusing Sibley/Dowell-like partnerships. Yes, couples can grow stale. But couples can grow too, through experience, to the point of perfect symbiosis. Going in, I had thought I’d oohed at Myriam Ould-Braham and Mathias Heymann together often enough. It couldn’t get any better. But the pair keeps working on its onstage relationship – the way they look at each other! — and nothing could have been more natural and warm than the flow of this technically-impeccable performance. The shy gazelle-like arch of the nape of her neck, her tendrilled arms, and the tender and  stretched way he opened his chest and épaulement to her, to us, and to those on stage, infused everything .  Their partnering was a miracle of easy banter – the trickiest thing to control and project without seeming to. This duo brought to mind that of William Powell and Myrna Loy in 1934’s classic black and white movie about a couple, swift and sleek, just made for each other, “The Thin Man.” [Minus the sarcasm].Every arm in an arabesque reached towards its object, every attitude turn sought to pull in the other even more strongly than the ribbons. Heymann even hugged one of the startled chickens, the way Powell once casually and lovingly pulled the dog Asta into his arms.  In both cases, the animal was near enough to his woman to be the most precious thing around.

So as in the Thin Man: silky ease. “I really don’t have to worry about this anymore. We’ve been playing at these silly one-armed lifts in the barnyard since we were six, after all.”  Each gets energy from the other, and you never have that moment when you see one or the other go “oof, we got the hard part out of the way, so now I can concentrate my own stuff.”  I confess, I stopped thinking about how to describe the steps or to take notes, and just wallowed in the moment like a teenager at the movies, totally absorbed, incapable of critical distance.

A final note must be devoted to the supporting actor Alexis Renaud, who put a lifetime of stage smarts into his debut as yet another of the vivacious Mother Simones we were lucky enough to see this season.  (And it would be his swan song since he would retire from both the role and the company only three days later).  The haughty chic and nonchalence of the clog dance – and the street-smarts that slipped out when she defended Alain from the Rooster — made me wonder whether this mother hen incarnation of Ashton’s “Widow” Simone didn’t know more about the birds and bees than she was letting on.

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Au total, voilà donc une série un peu décevante qui montre les limites du casting « tout soliste » de l’actuelle direction puisque seul le couple de « vétérans » a su pleinement satisfaire aux exigences du ballet. Dorothée Gilbert ne s’accordait pas nécessairement très bien aux qualités de Germain Louvet, de même que le couple Renavand-Alu n’évoluait pas dans le même registre. Etait-il pertinent de distribuer une récente étoilée encore en recherche de sa réelle personnalité avec un premier danseur trop vert (Baulac-Marque) ? Voilà des problèmes qui resteront sans doute sans résolution, la direction actuelle n’étant pas connue pour sa capacité à se remettre en question.

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La Fille mal gardée : coquette paysanne cherche petit marquis

Le Coq (Milo Avèque)

La Fille mal gardée (Ashton/Herold). Ballet de l’Opéra de Paris. Palais Garnier. Représentation du mercredi 27 juin 2018.

La Fille mal gardée, un des piliers actuels du répertoire du ballet de l’Opéra de Paris depuis son introduction en 2007, est un ballet étonnant. On peste un peu à l’annonce d’une nouvelle saison lorsqu’on le retrouve inscrit au mois de juillet – « encore ! » – mais on prend tout de même des billets. Et à la revoyure, c’est toujours le même enchantement. Il y a un mystère indéfinissable dans les pièces de génie, qui leur donne non pas tant une jeunesse éternelle qu’un esthétique intemporelle. Ici, on connaît toutes les surprises, tous les gags et pourtant on les goûte toujours avec un plaisir renouvelé. Les coquetteries de ruban, les parapluies igloo, les cocottes atrabilaires ou les mèches de cheveux récalcitrantes, tout se fond dans la belle technique post-Bournonvilienne en un tout harmonieux et jubilatoire.

Lors de la dernière reprise, en 2015, Benjamin Millepied, alors directeur de la Danse, avait joué la carte de la jeunesse. De nombreux espoirs de la compagnie avaient pu s’essayer aux rôles de Lise et de Colas. Ce n’est pas la vision de l’actuelle directrice qui a décidé de s’appuyer sur la hiérarchie. Les distributions de cette Fille sont donc très largement « étoilées ». Las ! Les blessures qui semblaient s’être raréfiées depuis la direction éclair de Millepied se sont réinvitées à la fête, nécessitant un jeu de chaises musicales.

La distribution du 27 juin est à ce titre exemplaire. Dorothée Gilbert, créatrice du rôle à l’Opéra mais qui l’avait lâché après la reprise de 2009, a dû reprendre du service. Elle devait danser avec François Alu. On s’en réjouissait. Mais entre temps, Hugo Marchand, qui devait danser la première avec Alice Renavand s’était blessé, Alu commis à le remplacer et Germain Louvet, non prévu au départ, appelé à la rescousse pour servir de partenaire à Dorothée Gilbert.

On ne pouvait imaginer pairage plus radicalement différent. Alors qu’en est-il ?

La Lise de Dorothée Gilbert est pleine de qualités. Elle est plus naturelle, moins « technicienne » sans doute qu’il y a 10 ans. Mais sa danse manque un peu de glacis, notamment dans sa variation « Elssler » durant la scène 2 de l’acte 1. C’est finalement  Myriam Ould-Braham qui aura imprimé sa marque à ce rôle à l’Opéra.

Le partenariat avec Germain Louvet demande encore à être travaillé. Dans le porté répété deux fois dans le ballet où Colas porte Lise à bout de bras, l’arabesque de Dorothée Gilbert reste un peu chiche, comme si les deux danseurs n’avaient pas trouvé le bon point d’équilibre. La pose finale du grand pas de deux « Fanny Elssler » (Lise saute sur l’épaule de Colas) est manquée.

Le danseur, avec sa ligne superbe et ses sauts aisés, n’a pas nécessairement le gabarit qui convient pour les variations de Colas, conçues pour des danseurs plus compacts (notamment les petits pas de bourrée Bournonville et les pirouettes achevées par un fouetté en 4e devant). Il dépeint un paysan très « hameau de la reine ». On a du mal à prendre au sérieux ce joli aristocrate lorsqu’il débouche des bouteilles de pinard avec les dents. Cela fait néanmoins sourire. Mais, en dépit de petites tensions – presque imperceptibles – au début avec le charmant mais redoutable jeu des rubans, le danseur a déjà plein de bonnes idées dramatiques. Il parvient, juché dans la grange, à attirer l’attention pendant la querelle Lise-Mère Simone.

Le couple met un peu de temps à se former mais il trouve finalement toute sa réalisation à l’acte 2. La pantomime d’hymen de Gilbert est charmante et l’irruption de Colas s’extrayant des bottes de paille est bien minutée. Louvet donne la réplique avec beaucoup d’esprit (« 3 enfants? 10 si tu veux »!). Le bras tendu de Lise, faussement éplorée, fait rire de bon cœur la salle. Après cela, le pas de deux final, très « Sylphide » de Taglioni, coule comme de l’eau de source.

Dorothée Gilbert et Germain Louvet (Lise et Colas).

On passe donc un très agréable moment. D’autant que les seconds rôles ne sont pas en reste.

Simon Valastro. Mère Simone.

Après nous avoir enchanté des années dans le rôle d’Alain, Simon Valastro s’essaie avec succès au rôle de Mère-Simone. Il joue avec sa perruque portée un peu haut sur le front avec deux chignons de côté qui s’agitent. Sa silhouette est considérablement augmentée par ses jupes qui lui donnent un aspect plus large que haut. Sa Mère Simone se déhanche ainsi d’une manière inénarrable. Simon-Simone fesse et claque allégrement sa fifille qui, en retour, étrangle au rouet sa maternelle avec délectation. Adrien Couvez retrouve le rôle d’Alain avec succès. Il est délicieusement cucul-la-praline. Il accomplit deux montées-dévalements d’escalier au timing parfait, hilarants et … musicaux. Alexandre Carniato portraiture un père Alain bourru, conscient de la stupidité de son fils mais le défendant comme une poule son poussin (le contrat déchiré d’un coup de canne). Le notaire et son clerc (Francesco Vantaggio et Léo de Busseroles) ont également un bon sens du minutage. Ils attirent l’attention sur deux rôles mineurs qui passent habituellement assez inaperçus à l’Opéra.

Aviez-vous encore besoin de bonnes raisons pour vous laisser tenter par la Fille mal gardée ?

Adrien Couvez. Alain

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La Fille mal gardée. Serait-ce l’été?

La Fille mal gardée d’Ashton a eu sa première lundi soir à l’Opéra de Paris. Voici un classique de la Grande Boutique pour les années 2010. Vous maugréez peut-être de la voir reprise « encore une fois ! ». Mais ne boudez pas votre plaisir. Dans dix ans, elle sera sans doute partie aux oubliettes et vous la regretterez. Et puis il faut reconnaître qu’à chaque revoyure, le charme opère de nouveau. On ne se lasse pas des aventures et péripéties qui conduisent aux noces de Lise et Colas.

Depuis 2012, c’est la troisième fois que les Balletotos vont se pencher sur cette œuvre.

Pour briller à l’entracte, vous pouvez consulter un article de Cléopold daté de 2012 et disserter à n’en plus finir sur le thème du ballet révolutionnaire (eh oui, La Fille eut sa première en juillet 1789 !). Pour vous acclimater au style du chorégraphe Frederick Ashton, nous vous conseillons de vous gargariser de la variation de Colas du premier acte interprétée par Mathias Heymann (qui d’autre?) et découpée en petit morceaux par notre antique rédacteur.

En 2015, on vous explique encore « Pourquoi il ne faut pas manquer La Fille mal gardée, preuve à l’appui ». Certes, la preuve (la scène finale extraite de la captation de la distribution d’origine en 1962) a disparu. Mais l’analyse qui en est faite reste éclairante. Et puis vous pouvez en saisir un fragment toujours disponible : le pas de deux final entre Nadia Nerina et David Blair.

Pour finir, butinez sur le site des Balletonautes (en Français ou en English). Ils ont vu à peu près toutes les distributions de ce ballet à chaque reprise. Que de ballerines ont dévalé un escalier sur leur popotin. Vous n’imaginez pas !

Bons spectacles et bon été champêtre !

 

 

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J’aime les Filles!

P1050181«La Fille mal gardée» (Ashton), Ballet de l’Opéra de Paris. Représentations du 3 juillet (Ould-Braham/Hoffalt) et du 8 juillet (Galloni/Heymann).

Revoir «la Fille mal gardée», c’est toujours s’émerveiller de l’évidente, de l’authentique simplicité de sa conception. On se surprend à rire aux même gags qu’on a pourtant vu moult fois et on garde le même sourire béat (voire, dans mon cas, un peu niais) devant certaines de ses trouvailles enrubannées (la carriole d’Alain à l’intermède de l’acte 1 et l’échange des foulards à l’acte 2 font partie de mes grands favoris).

On juge aussi de l’universalité d’un ballet à la façon dont il s’adapte aux personnalités et aux aptitudes des différents interprètes qui l’incarnent.

La distribution du 3 juillet qui réunissait Myriam Ould-Braham, Josua Hoffalt, Simon Valastro et Aurélien Houette ne peut être vue d’un même œil que celle du 8 qui rassemblait autour de Mathias Heymann une distribution de « débutants », pour certains très jeunes. Pourtant, chacune délivrait son lot de satisfaction.

Avec la première distribution, on apprécie la maturation des personnages. Myriam Ould-Braham et Josua Hoffalt avaient déjà dansé ensemble en 2012. Et chacun, depuis 2007 a eu loisir d’approfondir et de revoir sa vision des personnages. Ould-Braham garde la même pureté cristalline de la technique mais son jeu gagne dans le registre incisif. Sa pantomime et ses ports de bras s’accentuent pour donner de Lise une image plus directement effrontée et gentiment manipulatrice. Hoffalt aussi accentue avec un évident plaisir les temps en bas quand l’orchestration est Oum Papa, dressant ainsi de Colas le portrait d’un paysan à la fois terre à terre et charmeur.

Ce couple prend un plaisir, sans arrière pensée, à déjouer les projets matrimoniaux de mère Simone. Ils ont, semble-t-il, beaucoup de pratique. Dans ce rôle, Aurélien Houette ne cesse de progresser. Ici le registre des gags et de la connivence avec la salle est merveilleusement millimétré ce qui n’empêche pas la folie. Sa sabotière fait mouche. Mais la tendresse surtout, absente jusqu’ici de son interprétation, a fait son apparition, même lorsqu’il fesse sa récalcitrante fifille. Quand Lise essaye de lui échapper à l’acte 1-scène 1 en se cachant, croit-elle, derrière ses camarades, mais en fait en se jetant directement dans la gueule du loup, Simone-Houette secoue la tête, l’air de dire : « C’est-ti pas Dieu possible que c’est moi qui ai fait cette godiche ! ». Par contre, la scène du rouet à l’acte 2 est empreinte de tendresse filiale. Simon Valastro, pour sa part, restera sans doute mon Alain de référence à l’Opéra : jamais une rupture entre la technique, le jeu et la pitrerie. Son désappointement lors de la découverte du pot aux roses arrive à être à la fois ridicule et charmeur.

Avec la distribution du 8, on est dans la fraîcheur même si Mathias Heymann est – déjà ! – un vétéran de cette production. Celui-ci réitère le miracle de ses prestations de 2007, notamment la variation de la scène 2. Mathias-Colas n’est assurément pas un jeune paysan. Il y a dans son jeu un petit côté Albrecht courtisant Giselle. Letizia Galloni en Lise ne joue pas forcément sur le même ton ni dans la même catégorie que Mathias Heymann. Elle s’attache à ciseler sa chorégraphie – presque un peu trop dans la variation Fanny Elssler où elle fait des oppositions têtes-couronnes accentuées au-delà du naturel. Mais il y a une prestesse dans sa danse qui rend sa paysanne plausible. Letizia-Lise, c’est un peu comme ces fruits un peu verts qu’on cueille de dessus l’arbre. On fronce les yeux sous l’effet du petit goût acidulé mais c’est le fruit d’été dont on se souviendra.

Pour autant, l’harmonie du couple n’est jamais dissonante. A l’acte 2, Galloni se montre irrésistible dans la scène des mouchoirs lorsqu’elle se le met sur la tête pour cacher sa honte après avoir fait des confidences aux bottes de paille. Heymann la console gentiment. Voilà sans doute la clé de leur couple : il la trouve piquante et drôle, elle le trouve attentionné et spirituel.

Le reste de la distribution n’était peut-être pas si abouti dans  son interprétation. Antoine Kirscher, lui aussi, veut tout faire et tout montrer. Mais en Alain, il limite son personnage à un pantin au visage de porcelaine. On ne s’émeut pas de ses déboires. Yann Saïz devra quant à lui arrondir les angles de sa mère Simone, encore trop portée du côté « travesti survolté ».

En revanche, dans le rôle mimé de Thomas, père d’Alain, on apprécie la subtile composition de Pierre Rétif, non pas tant rustaud aviné que parvenu un peu suffisant toutes chaînes de montre à gousset dehors.

« La Fille mal gardée », sous son apparente simplicité, ouvre décidément des champs d’exploration infinie à ses interprètes. C’est à cela qu’on reconnaît les grands ballets.

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“Now run along, and don’t get into mischief.” (Old Mrs. Rabbit)

P1100212La Fille mal gardée, Palais Garnier, Saturday, July 4, 2015

While the program notes speak of how Constable and Wordsworth inspired Sir Frederick Ashton’s vision of “La Fille mal gardée,” Saturday night’s performance made me rush home to dig up my worn little volumes of Beatrix Potter.

The first thing you can’t help noticing about Eléonore Guerineau/Lise are her unusually pliant big bunny feet which in the course of the evening will effortlessly propel her into soaring grand jétés which seem to hover mid-air. With a most supple back and softly precise – never cookie-cutter – épaulement, her huge and open arabesques delight the eye. I’ve rarely seen more buttery and skybound temps-levé fouettés. The choreography really tests just about all facets of a ballerina’s technique and this debutante seems to have not only that but the gift of expression. From way up there, I didn’t need my binoculars.

P1100210Osbert Lancaster must have borrowed Colas’s costume from Peter Rabbit. As he sneaks into this forbidden garden the music says “rascally rabbit.” Fabien Révillion’s characterization, however, feels more like “joyous country gentleman.” His elegant dance varies in attack and works through phrases that often slightly decelerate at the end to call your eyes to one last flourish, as in the “wine bottle” turns in attitude. While he can turn slightly in at times, he always catches that and pulls himself back into place with flair.

When these two got together, their lines and musical timing fit so naturally that I hope Paris will keep casting this adorable couple. They share the same poise and ballon, have that same feeling for letting energy out and pulling it back in, for a rallentando that lets steps breathe. They hear the same music, their arms float into matching shapes, they even tilt their heads the same way. The ribbon metaphor – where are they heading if not to “tie the knot?” – gets expressed through the lilting partnering itself. They spool and unspool in endless ways. I particularly admired how he whooshed her delightful arabesques across the floor.

It comes as no surprise that this Colas keeps tenderly nibbling bits of Lise at every opportunity. He’ll make a most attentive husband and most reliable son-in-law.

Aurélien Houette has used the years to peel away at how Widow Simone, with all the spanking and slapping and ear-pulling she indulges in, can be kind of creepy. Mrs. Samuel Whiskers has been refined into a Mrs. Tiggywinkle with a touch of mischief. Dreadfully nostalgic about once having been the life of the party, you do feel she is related to her daughter (this is not always the case). Both brim with life.

Our Alain, Mathieu Contat, was less of a dorky clown and more of a cross between a dandy and Mr. MacGregor’s scarecrow. His arms hung really loose and the strings that attached his flapping hands were stretched to the breaking point. Intentionally stiff, small, almost abortive, plies and really tiny steps unexpectedly added a touch of dignity. This Alain, while faithful to his umbrella, clearly wants Lise…if only to add her to his menagerie. I am convinced this one’s bedroom at the manor is stuffed full of birdcages, goldfish bowls, and hamster wheels. The only thing he doesn’t have yet is a soft little bunny to call his own.

At the very end, Révillion’s gentleness in readjusting Lise’s dress before the final pose provoked a whispered “awwwh” from my neighbor. This couple really does deserve to be blessed with a litter of ten. Before James can beat me to it, I award them the “bread and milk and blackberries for supper” Balleto d’or.

P1100214

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Pourquoi il ne faut pas manquer « La fille mal gardée », preuve à l’appui.

Nerina Fille

La Fille mal gardée, Edited by Ivor Guest. The Dancing Times Limited, 1960.

Un plaisir, on vous dit !

La preuve, tout d’abord. Il s’agit de la scène finale du ballet filmé en janvier 1962 pour la BBC.  Elle bénéficie de la présence lumineuse des interprètes de la création, Nadia Nerina (Lise), David Blair (Colas), Alexander Grant (Alain) et Stanley Holden (Simone). Ne vous laissez pas rebuter par le noir et blanc car le jeu et l’action sont captés de manière tellement intelligente par le réalisateur que l’œil réinvente spontanément les couleurs des décors et des costumes. C’est l’avantage des versions filmées comparées aux captations de représentations même lorsque les distributions y sont excellentes (le Royal Ballet a récemment fixé le couple Nuñez-Acosta et Marquez-McRae traîne également un peu partout sur youtube).

Ici, à 53 ans de distance, la mise en scène inspirée de Frédérick Ashton montre toute ses facettes.

L’argument : Mère Simone croit voir arriver le moment de son triomphe. Le benêt Alain est venu demander Lise en mariage accompagné de son papa, le gros Thomas, et d’un duo de scribouillards notariaux. Mais Lise, qu’elle croyait avoir sûrement verrouillée dans sa chambre, l’était en fait avec Colas, le garçon de ses rêves. Et, au tour d’écrou, Alain redescend de haut. Passé le choc et la déception, mère Simone se résigne d’assez bonne grâce à cette union qu’elle avait jusqu’ici passionnément contrecarrée. Tout est bien qui finit bien, même pour Alain qui retrouve finalement son âme soeur.

C’est justement le personnage d’Alain qui caractérise à merveille les qualités du ballet d’Ashton et de sa captation. C’est en effet un délicieux mélange : du jeu-pantomime tout d’abord, qui oscille entre le bouffon (l’entrée et le « jeu de bague » avec mère Simone 0’42 à 1’12) et le  touchant (regardez entre 2’31 et 4’30. Si vous n’avez pas la larme à l’œil – et le sourire en coin -, consultez votre médecin). C’est aussi de la routine de clown utilisée à bon escient (la « montée-dégringolade » de l’escalier 1’58=>2’30 est inénarrable et rarement aussi réussie sur scène). C’est enfin une intelligente infusion de tous ces éléments dans le pur langage classique (Alexander Grant, au milieu de toutes ses pitreries, accomplit de très belles cabrioles et des pirouettes à conclusion « inattendues » qui ont dû inspirer MacMillan lorsqu’il créa le duo soulographe de Lescaut et sa maîtresse dans Manon 1’10=>1’42).

Même s’ils dansent moins, les autres seconds rôles font preuve de qualités similaires. Le quatuor Simone-les deux notaires est proprement jubilatoire (dans leur quadrille 0’44=>1’10, chacun garde sa caractérisation : Simone – Holden – facétieusement bonasse et praline ; le notaire dansant comme un vieillard cacochyme).

Tout cela est encadré par le corps de ballet qui, lorsqu’il ne joue pas, commente le tourbillon de l’action par ses rondes à la fièvre communicatrice.

Et puis au milieu de tout cela, il y a le dernier pas de deux entre Lise et Colas (5’40=>8’29). Dans la veine romantique (un hommage à l’époque de la partition), il commence par de simple portés latéraux et s’achève  par une pose très « sylphide » (la danseuse agenouillée et le danseur debout derrière elle, le port de bras en anse de panier). En dépit de quelques inflexions aujourd’hui un peu désuètes mais charmantes (les cambré en arabesque de Nerina) on reste époustouflé par les qualités très modernes de la technique : regardez les pirouettes attitude de Blair à 7’10. À cette époque, tous les danseurs ne tendaient pas tous aussi bien leurs pointes de pied. Les posés jetés en tournant de Nerina dans la coda à 9’40 passeraient tout à fait le contrôle technique de notre période obsédée  par les prouesses gymniques.

Et oh joie! L’intégrale du ballet est désormais disponible dans le commerce sans le cadrage à la guillotine de cette vidéo YouTube. Si vous aimez La fille mal gardée à l’Opéra et voulez prolonger le plaisir, ne négligez pas cette pépite.

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