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La Fille mal gardée : le temps du bilan

Récapitulatif au menu.

Notre série des « Fille mal gardée » a commencé par une entrée très « British ». Pour s’ouvrir l’appétit, James, qui a des goûts de luxe, est allé admirer le couple Cojocaru-Kobborg à Londres ; une représentation d’hommage à Alexander Grant, le créateur d’Alain récemment disparu, sous des auspices radieux (Cojocaru), insolemment gaillards (Kobborg), étincelants (Kay) et truculents (Mariott). Rien que ça…

Après une telle mise en bouche, il fallait, pour patienter en l’attente du plat de résistance, quelques entremets. Cléopold s’est donc penché sur les sources « révolutionnaires » du ballet de Dauberval non sans s’interroger sur le mystère qui transforme un sujet fort trivial en une expression de pure grâce. Pour résoudre ce genre de question, rien de mieux que de se tourner vers la chorégraphie elle-même (ici la variation de Colas interprétée par Mathias Heymann, récent récipiendaire d’un Benois) ainsi que vers la personnalité des créateurs du rôle (Nerina, Grant, Holden). La chorégraphie d’Ashton est en effet un savant mélange entre solide tradition et conscience de l’Histoire, le tout saupoudré d’incongruités charmantes.

Quand les choses sérieuses ont commencé, fin juin, c’est James qui s’est servi en premier. Las, si sa distribution Ould-Braham-Hoffalt avait la saveur d’un printemps sans nuage, son deuxième couple (Zusperreguy-Magnenet) était un été parfois couvert (la technique intermittente de Colas). Plus tardif mais plus chanceux, Cléopold, a eu le meilleur de ces deux distributions. Il s’est régalé de l’expressivité technique de la première et a fort gouté l’évidente théâtralité de la seconde.

Au dessert, le même schéma fatal s’est confirmé pour James, premier servi. Sur la distribution Hurel-Carbone, l’expression était en place mais la technique trop souvent en berne. Il y avait néanmoins un délicieux digestif en la personne d’Adrien Couvez. Il est des plats qui sont meilleurs après avoir reposé. Pour la même distribution, Cléopold a été servi sur une nappe en dentelle.

Bilan étoilé

Sujets de satisfaction : Le menu des distributions a été globalement suivi, ce qui n’était guère arrivé de toute la saison 2011-2012. Chacun des quatuors dansés avait une saveur bien marquée. Les entremets (entendez le corps de ballet) étaient d’une absolue fraîcheur. L’enthousiasme de cette jeunesse faisait vraiment prendre la sauce. Quand l’Opéra montera-t-il des spectacles en France pour utiliser son vivier de jeunes talents au lieu de les laisser se durcir ou pire, s’avarier, en attendant de pouvoir poser un pied sur scène ?

Et surtout… Myriam est étoile. Ce n’est pas trop tôt, mais il est juste qu’elle ait été promue dans un rôle qu’elle a fait sien depuis 2007.

Petits regrets : Avoir manqué trois numéros à la carte. Mathilde Froustey s’est toujours montrée une Lise pétillante et Emmanuel Thibault … est toujours Emmanuel Thibault. On aurait bien testé les produits du jour (Pierre Arthur Raveau en Colas ou encore François Alu en Alain).

L’addition : Pour la plus grande joie des Parisiens, le reste de la compagnie s’est produit aux États-Unis sans une grande partie de ses vraies personnalités. Un pas de deux des vendangeurs sans Thibault, Carbone, Madin, Hurel ou Froustey ; une Suite en blanc sans ces mêmes danseurs et surtout sans Myriam Ould-Braham ; tous ces rôles de demi solistes enfin où auraient su briller Simon Valastro ou Adrien Couvez… Cette richesse est allée finalement se perdre dans les ensembles d’Orphée et Eurydice de Bausch. La critique américaine n’a pas tardé à se repaître de cette carence.

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Triple bill Ashton-Nijinska : Citron, azur et marron

Birthday Offering, A Month in the Country, Les Noces.

Soirée du 6 juillet: Marianela Nuñez & Thiago Soares (Birthday Offering), Alina Cojocaru & Federico Bonelli (A Month in the Country), Kristen McNally & Valeri Hristov (Les Noces) ;  Soirée du 7 juillet : Tamara Rojo & Federico Bonelli (Birthday Offering), Zenaida Yanowsky et Rupert Pennefather (A Month in the country), Christina Arestis et Ryoichi Hirano (Les Noces); Orchestre du Royal Opera House dirigé par Tom Seligman (Birthday) et Barry Wordsworth (Month & Noces).

À Londres samedi dernier, il y avait deux événements : la Pride, dont nous ne parlerons pas (we won’t develop the Queer view on ballet), et la dernière représentation de Tamara Rojo dans un rôle ashtonien en tant qu’étoile du Royal Ballet. Au rideau final, la danseuse espagnole réprima un gros sanglot et eut les yeux bien rouges.

Ce n’est sans doute pas un adieu définitif – il paraît qu’on la reverra ici même dans la reprise de Marguerite et Armand la saison prochaine – mais tout de même, Mlle Rojo tourne une page en partant diriger l’English National Ballet. Et mine de rien, danser Birthday Offering pour la dernière fois revient à aussi à dire au revoir à La Belle au bois dormant et ses promenades en attitude au bras d’un prince. Par la même occasion, elle remise au placard une tenue d’un jaune doré assez voyant. Si jamais elle en avait la nostalgie, je tiens à sa disposition un service à thé de la même teinte, que je n’ose jamais utiliser en société.

Dans cette pièce d’occasion où les garçons font longtemps tapisserie en fond de scène, Tamara Rojo a la danse brillante, un rien ostentatoire. Comme Cléopold, qui a donné un retour détaillé sur les deux distributions de Birthday, on peut lui préférer Marianela Nuñez. La première vous dit : « regardez-moi !». La seconde : « écoutez-moi ». L’impression ressentie à l’automne dernier dans Diamonds se confirme : même dans les pièces abstraites, la ballerine argentine a l’art de mettre du sentiment dans le mouvement. Et de raconter une histoire, n’importe laquelle. Ou, pour être exact, d’éveiller suffisamment la sensibilité du spectateur pour qu’il se raconte lui-même ce qu’il veut.

Dans A Month in the Country, l’histoire existe déjà, et Frederick Ashton entrelace si finement chorégraphie et émotions qu’il suffit de se laisser porter. Alina Cojocaru – qu’on aurait pu croire cantonnée aux rôles de petite gentille – étonne en Natalia Petrovna : elle sait être désagréable (avec son mari, incarné par Jonathan Howells), légère (quand elle délaisse Ratikin, son prétendant habituel, joué par Johannes Stepanek), injuste par jalousie (quand elle reproche à Vera, dansée par la très touchante Iohna Loots, d’avoir approché de trop près Beliaev), abandonnée à la passion (le pas de deux central avec Beliaev) et finalement désespérée (quand le tuteur de son fils quitte la maison après le scandale). Il faut dire que c’est Federico Bonelli qui déclenche la conflagration. Sa belle réussite dans le rôle de Beliaev tient à sa versatilité : à chaque moment du drame, son personnage semble une projection des attentes des autres. Avec le jeune Kolia (Paul Kay), c’est un camarade de jeu innocent, presque puéril. Le voilà aîné expérimenté et attentif en compagnie de Vera, puis simplement sensuel quand il badine avec la bonne (Tara-Brigitte Bhavnani), et enfin amoureux transi quand il s’adresse à  Natalia. Les inflexions dans le style de danse sont très marquées (du demi-caractère au lyrisme échevelé), et ces constants contrastes ajoutent au charme du personnage.

Rupert Pennefather, en revanche, est d’humeur plus sobre et plus égale. Il a la beauté froide, là où le Belaiev de Bonelli déployait un charme aussi naturel que ravageur. Et on regrette que certaines des pépites de la chorégraphie soient rabotées. Ainsi, dans le pas de quatre Natalia-Kolia-Vera-Beliaev, du passage de l’arabesque à la quatrième devant par un demi-tour inattendu du bassin, si bien réussi chez Bonelli, et escamoté chez Pennefather. Zenaida Yanowsky a un port altier, et danse avec autorité : c’est précis, découpé mais fluide. Natalia, femme forte d’autant plus touchante quand elle laisse paraître ses failles, est clairement un rôle pour elle.

Avec l’entracte, on passe du bleu pâle au marron carton. Nous voilà transportés dans une autre version de la Russie avec Les Noces : ici règnent le rituel, la répétition, l’empilement symbolique, la gestuelle codée. Les chanteurs solistes sont superbes (Rosalind Waters, Elizabeth Sikora, Jon English, Thomas Barnard). On aurait aimé une distribution réunissant Christina Arestis (samedi) et Valeri Hristov (vendredi). Mais tous les soirs, c’est Genesia Rosato qui pleure de voir partir sa fille, et c’est Dreirdre Chapman qui alterne développés en sautant et petits pas de souris lors de la fête du mariage.

Tamara Rojo and Federico Bonelli in Birthday Offering. Photo Tristram Kenton, courtesy of ROH.

Tamara Rojo and Federico Bonelli in Birthday Offering. Photo Tristram Kenton, courtesy of ROH.

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Romeo & Juliet : What is a Youth?

Romeo and Juliet, June 18 and 20, American Ballet Theatre

Natalia Osipova, David Hallberg/Alina Cojocaru, Johan Kobborg

OK, I know I’m late (again). Apologies all round.

Anyway, I saw two Romeo and Juliets last week; they were both amazing… and totally different.

First, I have to share a revelation I had while watching the ballet. You know the ballroom scene, the one where our heroes see each other for the first time? It’s supposed to be from their perspective. Hear me out, and if this is oh-so-obvious to you, please humor me because I just got it. I love the music that the “adults” dance to. It’s big and heavy (and my absolute favorite for doing grand battements at the barre) but the dancing is Just. So. Boring. It’s a series of poses that really doesn’t merit the term ‘dancing,’ so why would Kenneth MacMillan, one of the most idolized ballet choreographers to date, make his dancers do this? Because that is exactly the way Romeo and Juliet see the party. The adults are dressed in heavy formal clothes that weigh down their bodies and don’t allow them to move, the women are all beautiful but identical, while the men do little more than hold their partner’s hand. It’s the way every kid sees adult parties: they’re torture! The internal monologue of every kid at every adult gathering is this: “All you guys do is talk to people I don’t know about things I don’t care about, yet somehow everyone knows who I am and wants to pinch my cheek! I’m bored!” Can anyone blame Romeo and Juliet for rejecting that path in favor of one they make themselves? They may be young, but they know enough to run in the opposite direction of what they see at that party. Fortunately, or unfortunately, they run into each other. Those quiet moments in the music are when Romeo and Juliet meet for the first time. The adults are still because they don’t matter, they’re just background noise. Watching how the characters react to each other in what is for them a complete vacuum, gives you a very real sense of who they are. OK, now let’s get to the dancers!

Last year, the only time I saw Natalia Osipova was in Coppelia, and she was charming. Her technique really is amazing; the hype is true. In fact, I don’t know that I’ve seen anyone match her jumps, but her acting was just, well, cute. I honestly could not picture her as a romantic heroine, but I get it now. She doesn’t try to age herself, she just makes the character young. For Juliet, this works beautifully (though I wouldn’t want to see Nikya or Odette on her quite yet). Her version of Juliet is a sarcastic young teen. She still kind of plays with dolls and adores her nurse, but she understands what her parents are trying to do with this annoying Paris character that keeps showing up. This is a girl that runs, climbs trees, and generally amuses herself by being an adorable pest. She’s a pretty savvy kid and is loath to give up that life. When she meets Romeo at the ball, she honestly doesn’t know what to do; you can actually see her go “wait… what?” Romeo is the first boy she’s ever met that doesn’t have cooties. In Sasha Waltz’s version of Romeo and Juliet excitement and youth are expressed through movements that everyone makes naturally (well, more or less) but here acting becomes much more important. Any technician can do the steps properly, but it takes an artist to portray a character through them. Every step is joyful, every movement expands, as if she couldn’t possibly contain everything she’s feeling. She celebrates. I have goose bumps just writing about it. That scene was gorgeous.

Now, at least half the credit goes to David Hallberg. (Are you sick of me writing about him yet?) I’ve been staring at my computer screen for a good five minutes trying to think of a way to explain why his dancing merits this much adoration, and I can’t. You just have to see him; he is simply beyond my writing ability. He has flawless technique, but he doesn’t depend on it to get through a show; he uses it as a tool. He doesn’t do the steps and then try to slap a character on top; he is whatever character he dances. There, that’s as close as I’m going to get. It felt as if he and Osipova were made to dance with each other. When the curtain closed on act one the audience would not stop applauding; they forced (a somewhat bewildered) Hallberg and Osipova to bow during intermission. It really was that good.

Cojocaru was much more nuanced. Her Juliet matures and grows throughout the ballet. At the start she’s painfully shy and not a little confused about everything happening around her. The first time we see her, Juliet is still a child and likes it that way, or rather, she sees no reason why life would ever change. She doesn’t know who Paris is or why he’s there until her nurse points it out. She’s excited but very nervous to go to her first grown up party. The first time she meets Romeo, Cojocaru’s Juliet is quietly happy, but it’s more like she just relaxes. Somehow she’s completely enamored and comfortable at the same time. Her world is changing: everyone around her is pushing her to grow up (Paris, parties), but when she meets Romeo she allows herself to be still, which allows her to grow into herself, instead of the person her family wants and expects her to be. He’s the eye of the storm; everything else in her world is becoming strange, and yes, he is the main source of everything horrible that happens to her, but when the two of them are together, all is calm. Their balcony pas de deux wasn’t explosively joyful, it was as if they’d known each other their entire lives.

Kobborg is a lovely actor, and watching him and Cojocaru together was altogether a treat. Technically speaking he was more than adequate if not absolutely exquisite, but the man is over 40, and is still able to put on a lovely performance. Their performance together was touching.

I do, briefly, want to mention the Tybalts that I saw that week: Sasha Radetsky and Gennadi Saveliev. Like Osipova and Cojocaru, these two had radically different interpretations. Let’s begin by stating the obvious: Radestsky is criminally under-used at ABT. We, the audience, never know why the Capulets and Montagues are fighting, but Radetsky’s Tybalt seems to be the only one who takes it seriously. Romeo and his friends just like messing around and playing pranks. (Give a teenage boy a sword and see what he does with it. Probably exactly that.) Even when Mercutio and Tybalt are fighting to the death, it feels like a game, right up until Tybalt runs him through without any sense of remorse. During the ball, he has to be restrained from killing Romeo and co. on sight, and his last act as he lays on the ground dying is to grab his sword and launch himself at Romeo in a last-ditch attempt at revenge. The story’s problems are summed up in Tybalt’s character. He represents both past conflict (blood thirsty from the beginning) and the reason Romeo and Juliet have zero chance of reconciling their families (I imagine it’s difficult to accept a son-in-law that murdered your nephew). Why is this man not a principal dancer? He was incredible and had a grand total of what? 10 minutes of dancing? Saveliev, by contrast could not have seemed more bumbling. I’m willing to forgive messing up the sword-toss (you know, the part when Tybalt uses his sword to throw another sword?) as that could happen to anyone. There are some difficult physics at work here and it’s just not going to work every time. Fine. I get it. I also understand that it’s a legitimate interpretation  to have Tybalt accidentally stab Mercutio, but if that’s the dancer’s choice, then that dancer absolutely needs to be able to act. Saveliev seemed to say « whoops! My bad! » instead of « oh my God, I just killed him. » Not acceptable. 

For all my complaints, I did love both nights. The two couples were (generally) stupendous in their respective interpretations. I didn’t talk about their death scenes because this article was getting a bit long, but they were incredible! It’s also fun to go from NYCB’s generally minimalist/modern approach to something as lavish as MacMillan for a bit, and the corps continues to make me cautiously impressed. I know I mention the audience A LOT, so I’m sorry for this, but I’m not exaggerating when I tell you that there was a lady sitting a few rows behind me on Monday (Hallberg/Osipova) that literally beat the man in front of her with a sweater while screaming what I can only assume was some amazingly creative Russian profanity. What was his crime? He dared to stand up and applaud… during curtain call. She couldn’t see, so obviously the most reasonable choice she could possibly make was to beat him with her sweater. Although, that reaction is about as reasonable as six deaths caused by one romance. Clearly, she was just as touched as I was.

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Liliom : Un drame de la maladresse

Ballet de Hambourg – Chorégraphie, costumes et lumières de John Neumeier, d’après une pièce de Ferenc Molnár, musique de Michel Legrand, décors de Ferdinand Wögerbauer.

 

Il y a quelques jours, Alina Cojocaru, Carsten Jung et Michel Legrand ont été récompensés – chacun dans sa catégorie – par un Benois de la danse 2012 pour leur participation à la dernière création de John Neumeier. Liliom, créé en décembre 2011 à Hambourg, sera repris pour un soir à la fin du mois de juin, ainsi qu’à plusieurs occasions lors de la saison 2012/2013.

À l’origine, Liliom est une pièce de Ferenc Molnár, qui fit flop lors de sa création à Budapest en 1909, avant de remporter d’éclatants succès partout ailleurs, au théâtre, à l’écran, puis sous forme de comédie musicale (sous le nom de Carrousel). Molnár  explique avoir voulu porter sur scène « une histoire de banlieue de Budapest aussi naïve et primitive que celles qu’ont coutume de raconter les vieilles femmes de Josefadt. En ce qui concerne les figures symboliques, les personnages surnaturels qui apparaissent dans la pièce, je ne voulais pas leur attribuer plus de signification qu’un modeste vagabond ne leur en donne quand il pense à eux ».  Nous sommes à la fois chez les petites gens et dans les étoiles : Julie, bonne à tout faire, tombe amoureuse d’un bonimenteur de foire. Liliom a pour métier d’emballer : son bagout attire les filles vers le manège, il frôle à l’occasion et met tout le monde dans sa poche, y compris la patronne. Du coup, se mettre en ménage revient à perdre son emploi. Il se veut artiste, ne sera pas prolo. Notre vaurien, qui bat sa chérie à l’occasion, apprend qu’il sera bientôt père. Il se laisse entraîner à un braquage foireux, et préfère le suicide à la prison. L’administration céleste – de vrais gratte-papiers qui appliquent le règlement ! – l’expédie au purgatoire, d’où il ressort 16 ans plus tard pour passer un jour sur terre. Ses retrouvailles avec sa progéniture – chez Molnar c’est une fille, chez Neumeier, un fils – se passent mal : il veut offrir un cadeau, le gosse refuse et se fait gifler. Le coup ne fait pas mal. Liliom frappe faute de savoir exprimer ce qu’il ressent. « Comment c’est possible de recevoir un coup qui résonne si fort et qui ne fasse pas mal ? », demande Louise. « C’est possible… ma chérie. On te frappe… et… ça ne fait pas mal », répond Julie.

La pièce est écrite avec « le mode de pensée d’un pauvre gars qui travaille sur un manège dans le bois à la périphérie de la ville, avec son imagination primitive », dit encore Molnár. Comme Julie, on éprouve de la compassion pour ce personnage qui bout d’impuissante colère. Julie elle-même n’est pas non plus très causante, et dans la pièce elle peut se montrer butée. Chez Neumeier, l’interaction entre les deux personnages est un modèle de frustration du spectateur : n’osant ou ne sachant s’élancer l’un vers l’autre, leur réunion n’atteint presque jamais la plénitude. On éprouvera la même sensation poignante quand Julie dansera avec son fils Louis, ado tourmenté. Les autres personnages, au destin plus banal, savent ce qu’ils veulent, le disent sans détour et mènent mieux leur barque. Ainsi de Mme Muscat qui voudrait bien garder son bonimenteur à sa botte (duo jazzy), ou du couple d’amis qui réussit (petit duo de bonheur sans nuage).

Le cast de la création réunit Carsten Jung (Liliom), Alina Cojocaru (Julie), et Aleix Martínez (Louis, leur fils). Le contraste ne pourrait sans doute pas être plus vif entre l’anguleux Jung et la douce Alina (ceci n’est qu’une pensée de papier : le soir de décembre 2011 où je devais la voir, Mlle Cojocaru a été remplacée par Hélène Bouchet…). Outre une certaine ressemblance physique, Jung et Martínez dansent tous deux un personnage en colère.

La distribution numéro 2, tout aussi pensée que la première, rassemble Ivan Urban, Hélène Bouchet, et Alexandr Trusch.  Alors que le Liliom de Jung est un type qui fait de la gonflette pour plaire aux filles, avec Urban, il est le séducteur-né, surnaturel de beauté. Sa joie explose en bonds miraculeux de spontanéité. Le choix d’Urban est aussi très raccord avec la personnalité de son fils de scène Trusch, plus naïf et solaire. Hélène Bouchet est une liane aux bras interminables. Elle a peut-être un peu trop de distinction – c’est une Eurydice plutôt qu’une femme de chambre – mais son abandon, lors de la veillée mortuaire, prend à la gorge.

Grâce à des trucs très simples – des ballons gonflés à l’hélium – Neumeier réussit très bien le mariage du réel et de la féérie. Le principal reproche qu’on peut lui faire est d’avoir délaissé Budapest au profit de l’Amérique des années 1930. Ce qui fait de Liliom un chômeur comme un autre. Or, son histoire n’est pas un drame social au sens où on nous parlerait de la situation sociale, mais au sens où elle montre des gens simples qui se heurtent au monde réel avec leurs pauvres moyens.

Mais la transposition aux États-Unis était sans doute dictée par l’inspiration musicale qui anime Michel Legrand. Sa partition, très savante, s’étage sur trois niveaux : la fosse pour le lyrisme, l’orchestre de scène jazz pour la foire, l’accordéon sur le côté pour l’intime. Chapeau l’artiste!

Les citations sont extraites de la traduction parue aux Éditions Théâtrales en 2004.

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Une récréation en apesanteur

La Fille Mal Gardée – Frederick Ashton (chorégraphie), Ferdinand Hérold (musique, arrangements John Lanchbery), Jean Dauberval (livret) ; Osbert Lancaster (décors) – Royal Ballet – Royal Opera House – Alina Cojocaru (Lise), Johan Kobborg (Colas), Alastair Marriott (Widow Simone), Alain (Paul Kay) – Représentation du 24 avril

La reprise de La Fille mal gardée à Londres est dédiée à Alexander Grant, décédé le 30 septembre 2011. L’ancien Principal du Royal Ballet était le créateur du rôle d’Alain, le naïf et maladroit prétendant de Lise, qui lui préfère le plus dégourdi Colas. On devine un peu, grâce à une vidéo de 1976, ce que Grant apportait au rôle. Il fait répéter le trio du pique-nique, durant lequel les deux amoureux se jouent du fiancé que la mère de la jeune fille veut lui imposer. Alain est censé danser avec Lise, mais Colas s’immisce entre eux et l’évince sans qu’il s’en rende compte. La réussite du pas de trois tient à ce qu’on est autant charmé par les roués qu’attendri par le berné. Raide comme un piquet, imperméable à toute notion de partenariat, il tend son bras à la parallèle du battement arabesque de Lise (à partir de 1’45’’). Il n’est pas idiot, il est ailleurs. Admirez l’expressivité du visage de Grant (0’14’’), et notamment à la toute fin de l’extrait (à partir de 2’20’’), quand il se promène main dans la main avec Lise, alternativement la tête en l’air et le menton voilé dans le poing. Voilà un personnage qui n’a besoin de rien – sauf un parapluie –pour être content.

Tout le monde est heureux, d’ailleurs, dans la campagne française où se déroule La Fille. L’amour de Lise et Colas est réciproque, guère menacé par Alain, et la mère Simone est un obstacle débonnaire et peu efficace. L’œuvre, véritable récréation bucolique, est au ballet ce que certains opéras de Rossini sont à l’opéra : un moment euphorisant de virtuosité. Sans parler des emprunts musicaux d’Hérold et Lanchbery (qui reprennent le Barbier de Séville, la Cenerentola et Elizabeth), la rapidité du travail du bas de jambe et la minutie des épaulements y sont aussi ébouriffants qu’une vocalise du compositeur italien.

La trois-cent-trente-huitième représentation du ballet d’Ashton par le Royal Ballet réunissait Alina Cojocaru, Johan Kobborg, Paul Kay et Alastair Marriott. La première est aérienne, et surprend toujours par sa capacité à insuffler de l’âme au mouvement, aussi petit soit-il. Ici, le sentiment est léger, mais cela n’enlève rien au plaisir ni à l’art : Mlle Cojocaru a des mimiques si expressives que, même quand elle ne danse pas, on ne détache pas ses yeux d’elle, de peur d’en perdre une miette. C’est le cas pendant le premier solo ridicule d’Alain, où pourtant Paul Kay fait de remarquables étincelles, composant un personnage comique, attachant, très bien dansant. Bien des étoiles du même âge peuvent envier la forme technique de Johan Kobborg, qui campe un Colas très amoureux, et séduit, comme à l’habitude, par la précision du mouvement, la légèreté (sujet du bac : on peut être léger sans élévation, et élevé sans légèreté) ainsi que l’attention à sa partenaire. Parmi les trucs à elle qui font le bonheur du spectateur, Alina Cojocaru a le chic pour une diagonale de petits pas en pointe si menus qu’elle paraît avancer comme par magie (à l’inverse, dans le DVD publié par le Royal Ballet, Marianela Nuñez danse sa variation du Fanny Essler pas de deux en accentuant le petit battement en ciseaux, ce qui donne une impression toute différente). Alaistar Marriott aborde le rôle de Widow Simone avec truculence, et on retrouve avec bonheur le jeune James Hay dans le petit solo à entrechats de la flûte.

D’autres couples sont distribués dans la série de représentations du Royal Ballet : Laura Morera avec Ricardo Cervera, Yuhui Choe avec Brian Maloney, et Steven McRae en compagnie de Roberta Marquez. Ces deux derniers danseront le 16 mai, jour où la représentation sera diffusée en direct dans 475 cinémas dans le monde entier (et 68 en France). L’Opéra de Paris présentera aussi La Fille dans la version d’Ashton à compter du 20 juin. Les distributions ne sont pas encore connues, donc tous les espoirs sont permis.

Alina Cojocaru / Johan Kobborg - La Fille mal gardée - Photograph Tristram Kenton, courtesy of ROH

Alina Cojocaru - Fille - Photograph Tristram Kenton, courtesy of ROH

Alina Cojocaru - La Fille mal gardée - Photograph Tristram Kenton, courtesy of ROH

Johan Kobborg - La Fille mal gardée - Photograph Tristram Kenton, courtesy of ROH

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On Ballet and Pop Culture Part II: Occupy the Ballet, We Are the 2.5% (No, really, please buy a ticket)

The spike we explored in the last post comes at a very convenient time for ballet companies. The US is still in a recession which means fewer people are willing to shell out the cash to spend an evening watching ballet and even less willing to donate hard earned money that could be going towards things like rent and food. Less money coming in means that ballet companies, which are overwhelmingly dependent upon donations from their audiences to function, are desperately trying to increase their fan base. To make matters even more difficult, they need to increase their fan base among the young. According to The National Endowment for the Arts’ Arts 2008 Audience Participation Report, “Performing arts attendees are increasingly older than the average U.S. adult.  Since 1982 [when the study began], young adult (18–24-year-old) attendance rates have declined significantly for jazz, classical music, ballet, and non-musical plays “(NEA 5).  To be specific, in 2008 only 2.5% of young adults attended the ballet (down 36% from 1982, when 3.5% of adults in that category attended. EEK!)

This report is from 2008; BS premiered in 2010 and was nominated for 5 Oscars and started the pop culture spike we’ve just talked about. Compare this to The Turning Point, which came out in 1977 and earned 11 Oscars nominations. The age of the average ballet patron in 1977? 33  (NEA 17). To be fair, that number is well within the median age of the American population at the time, so it’s not as if The Turning Point actually caused a huge upswing in ballet attendance; the patrons were already there. The movie was a reaction to ballet’s existing popularity, but what made people pay attention in the first place? Russians.

In 1961 Rudolph Nureyev defected from the Soviet Union and made the world start paying attention. His partnership with Margot Fonteyn is legendary, but I’m not going to go into Nureyev’s dance career (you know it, and if you don’t, here), this is just a very quick sum up of his presence in pop culture. When he wasn’t busy dancing, he was known to socialize with Gore Vidal, Freddie Mercury, Mick Jagger, Liza Minnelli and Andy Warhol among others. In 1971, Nureyev appeared on episode 213 of The Muppet Show. Up to this point, the show had struggled to attract celebrity guests but after the success of Swine Lake among other sketches the show’s popularity skyrocketed. He also starred in the 1972 documentary I Am a Dancer.  It’s fair to think of Nureyev as ballet’s reigning bad boy of the era. So at this point (early 70s), the public at large is pretty interested in ballet, making the atmosphere ripe for another ballet phenomenon. With impeccable timing, Mikhail Baryshnikov defected from the USSR on June 29, 1974 while on tour in Canada.  After a brief stint with The Royal Winnipeg Ballet, he moved to ABT and was a principal dancer there until 1978 when he hopped across the plaza to NYCB. Box office sales soared, and his performances were consistently sold out.  Public fascination with Baryshnikov is well documented. On May 19, 1975 he was on the cover of Time Magazine, which dubbed him “Ballet’s new idol.” He parlayed this success into movies with The Turning Point (1977), White Nights (1985), and Dancers (1987) among others. Audiences that had never cared about ballet before suddenly wanted to see the star, and all they had to do was spend $30 on a ballet ticket.

Hoping against hope that imported guest stars would continue to sell tickets when their own seem to flop, companies like American Ballet Theatre currently rely on a rotating panel of who’s who in the ballet world: Ivan Vasiliev and Natalia Osipova (Bolshoi, now both with the Mikhailovsky), Johan Kobborg and Alina Cojocaru (Royal), and Polina Semionova (Berlin) were all guest stars at ABT last year, and all of them are returning this season. While this does attract patrons and I certainly love the idea of sharing dancers and international collaboration (Kings of the Dance, YES!), the system does absolutely nothing to get new audience members into the theater, and it damages the company in the long run by not supporting and promoting its own company members. Unless companies like ABT want to become totally dependent on foreign imports, they need to start nurturing the talent at home.

So if all you need to create a ballet mania are ballet stars and movies, why didn’t we have a surge in the early 2000’s when Center Stage and Save The Last Dance came out? Well for one, Baryshnikov and Nureyev were already celebrities in the ballet world thanks to their very public defections from the USSR. The movies, articles and TV appearances added to their fame, which in turn added to ballet’s general popularity, but simply making a movie about ballet isn’t necessarily going jump start a specific dancer’s career. Look at Amanda Schull: poor Jody Sawyer is doing McDonald’s commercials now! Sasha Radetsky is still stuck as a soloist at ABT (a crime against ballet) and Ethan Steifel is mostly known because he just accepted the artistic director position at the Royal New Zealand Ballet, and those who don’t know that fact still think of him as Cooper Nielson. What those movies did cause is an upswing in dance movies like Save the Last Dance 2, Step Up, (and its three sequels) and, of course, a parody of all the ballet meets hip-hop movies, Dance Flick. The genre even got a mention on Family Guy (sorry for the terrible video quality on that one, but YouTube was not cooperating). So how could Black Swan avoid that trap and cause all this brouhaha? Well, Black Swan was critically acclaimed, had excellent actors, and a much hyped lesbian scene that convinced even guys who hated the very idea of a ballet movie to give it a chance. Center Stage, if we’re being honest, was a pretty cheesy movie (with some admittedly great one-liners).

Here’s why I think I’m right about all this: David Hallberg. If you watched that interview with Stephen Colbert that I posted earlier (and you really really should), then you know that Hallberg is the probably the biggest ballet star since Baryshnikov. He’s the first EVER westerner to be invited to join the Bolshoi, and having seen his performance as Rothbart in ABT’s Swan Lake, I can assure you that he is simply magnificent to behold. My jaw dropped. Literally. That combination of talent and work does exist in the US; all we need to do is support it. So really, please, go buy a ticket for the ballet this season and drag your friends along for the ride. You won’t be sorry!

Next time: Great, so now what do we do?

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Edward & Melissa, Lauren & Federico

10 mars 2012, matinée & soirée, Romeo & Juliet (Kenneth MacMillan, 1965)

Il n’y avait pas de motif raisonnable pour retourner voir Romeo & Juliet après la prestation d’Alina Cojocaru et Johan Kobborg, dont Cléopold comme Fenella ont parlé ici même. Le souvenir encore frais des deux danseurs place la barre très haut. Et pourtant, on ne regrette pas le voyage.

À 23 ans, Melissa Hamilton est un des jeunes espoirs du Royal Ballet. Elle danse sa première Juliet en compagnie d’Edward Watson, qui remplace au pied levé son homologue Rupert Pennefather, forfait pour blessure. Elle est blonde, il est roux. Ces deux oiseaux-là ne feraient pas très couleur locale à Vérone, mais sur scène, leur coup de foudre est d’une évidence criante. Le longiligne Watson vole un peu la vedette à sa partenaire au premier acte : c’est à travers ses regards et sa danse respirée – notamment dans le solo à la mandoline à l’acte II, qui n’est pas prouesse mais adresse à l’aimée – qu’on perçoit la profondeur de son amour. Sa sensualité aussi, qui éclot dans le pas de deux du balcon. Mais Mlle Hamilton a du répondant: elle n’a pas que de belles lignes – et de surprenantes grandes mains -, elle a aussi des talents d’actrice prometteurs. Elle en fait notamment la preuve à l’acte III, quand Juliet doit danser avec l’homme que ses parents lui destinent : dans les bras de Paris, elle devient tout d’un coup végétative.

En soirée, Lauren Cuthbertson danse bien – très jolis sauts élastiques – mais aborde son rôle avec trop de réserve: quant la nounou lui fait valoir qu’une jeune fille aux seins qui pointent ne doit plus jouer à la poupée, au lieu d’une moue étonnée, elle nous gratifie d’un sourire en coin. Lorsqu’elle se rend compte de la mort de son aimé, elle pleure la bouche fermée. Dans ce rôle, c’est la seule danseuse à ce jour à ne pas hurler sa douleur sur le climax musical de Prokofiev. Le spectateur ne demandait pourtant qu’à mouiller son mouchoir. Federico Bonelli danse bien lui aussi, mais sa capacité de séduction est paradoxalement une faiblesse : on a l’impression qu’il charme Juliette parce qu’elle est charmante, pas parce qu’elle serait l’âme-sœur.

Ryoichi Hirano est un impeccable Paris (face à Melissa Hamilton) :  son personnage a la belle idée de voler une caresse à Juliet à chaque fois qu’il lui touche le bras. En Mercutio, Alexander Campbell meurt très bien, pointant avec autorité son doigt sur son meurtrier (Bennet Gartside en Tybalt) et sur son vengeur (Roméo incarné par Bonelli).

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Romeo and Juliet: O Happy Dagger

I would like to add one observation to Cleopold’s description of Cojocaru’s stage presence. She used her own way of moving, down to fluttering fingertips, to illustrate that quasi-animalistic/quasi-tamed state which girls live through circa age fourteen. At that moment in life a physical intelligence is there, but impulses — mostly rebellious – control their behavior.

Throughout, Cojocaru used MacMillan’s splendid choreographic outline for dancer-actors in order to strech her bodily contours into a repeated La Sylphide-like « let me escape from this flat world » gesture: a delicately thrusting up-or-outward movement of those flexible arms and fingers and toes. [MacMillan, even if he hated it, always did paradoxically encourage dancers to make parts their own. Not change the steps, mind you. But from the waist up was different and encouraged.
Interpretation reconciled with the steps he loved].Cojocaru kept reminding me of those kinds of girls who decide with a friend to leap out of a window together in some kind of wierdly exhalted state.

Juliet’s fluttering hands had been reaching yearningly towards Romeo ever since they met. Yet she also kept making gestures towards…escape. She’d clearly wanted to run away with him ever since that moment of stillness you described. Now in the last scene, as her fingers fluttered down towards him after stabbing herself her body seemed to be singing that they would find each other in a better world. That one which exists only in teenager’s dreams. The gestures made me think of a Gilda deluded enough to imagine that Rigoletto could actually find consolation in the idea that his dying daughter would meet her mother in heaven.

You, Cleo, never use binoculars, for you want the movement to speak and not the « grimaces. » I couldn’t resist at this point…I needed to be sure of what I was witnessing. For after stabbing herself she did something I’ve never, ever, seen done by a dancer or an actress in this role. This Juliet died with a radiant and ecstatic smile on her face for, clearly, she believed she was about to be reunited with the one she loved more than life itself.

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Roméo et Juliette. Juliet & Romeo … and others…

3 mars 2012, matinée ROH. Romeo & Juliet (Kenneth MacMillan, 1965)

Voilà donc cette production de Roméo et Juliette qui, pour une bonne partie du monde, est la version définitive de ce ballet sur la musique de Prokofiev et qui, pour moi parisien, est « l’autre version », celle que Noureev n’a fait que danser, celle dont il a pris le contrepied avec ses différentes moutures de la chorégraphie créée originellement pour l’English National Ballet. Bien sûr, je la connaissais par des captations télévisées, bien sûr, le pas de deux du balcon est un evergreen des soirées de pas de deux. Mais rien ne vaut néanmoins l’épreuve de la scène pour juger d’une œuvre. A l’issue de cette représentation, je comprends mieux ce que j’aime dans la version Noureev avec laquelle j’ai grandi (sa cohérence dramatique, son parti pris de la tragédie : tous les protagonistes sont agis par des traditions qui les dépassent. -il n’y a pas de méchants et de gentils-; ses scènes de rues très chorégraphiées) mais, malgré mes réserves sur la version de référence de MacMillan (beaucoup de pantomime, la rivalité entre les femmes « comme il faut » –avec balais !- et les prostituées échevelées qui sont, néanmoins, invitées à danser à la noce d’un couple de patriciens à l’acte 2; des détails éludés tels l’explication de la méprise qui conduit Roméo au suicide, ou enfin le personnage trop monolithique campé par Tybalt), je comprends aussi ce qui fait que cette version soit celle qui ait recueilli le plus de succès auprès du public. Dans la version Noureev, l’Amour qui passe au second plan, comme éclipsé par l’Eros, est une idée séduisante qui peut parfois vous éloigner des protagonistes. Dans la version MacMillan, les pas de deux sont là pour vous ramener à une question qui nous taraude tous, celle de la découverte du parèdre. C’est ainsi qu’on retrouve les mêmes ingrédients dans certains pas de deux dansés par Juliette avec Paris puis Roméo mais avec des inflexions significatives : par exemple, un demi-tour piqué depuis l’arabesque tombé dans les bras du partenaire qui replace sa partenaire sur son axe avant de la soulever en l’air à l’écart. Avec Paris, l’exercice est périlleux, le jeté sec est athlétique, avec Roméo, il respire comme dans un pas de deux de ballet blanc.

Ceci nous mène aux interprètes. A cette matinée du 3 mars, Alina Cojocaru et Johan Kobborg étaient les amants de Vérone. Le verbe « être » s’applique tout particulièrement à ces deux interprètes tant, même si c’est de manière fort différente, ils donnent chair, sang et cœur à leurs personnages. Comment décrire ces interprétations ? C’est une tâche difficile car ils dépassent la somme des qualités techniques et des intentions de l’artiste de scène. Pour Alina Cojocaru, la qualité technique, c’est l’absolue flexibilité. Et parlant de flexibilité, je ne parle pas de cette définition mécanique par laquelle on rabougrit trop souvent cette notion. La flexibilité d’Alina Cojocaru n’est pas celle des jambes, du bassin ou du bas du dos, c’est une ductilité incroyable qui convoque toutes les parties du corps, du bout du pied au sommet de la tête, le tout infusé par une énergie vibrante qui rend signifiante l’arabesque haut placée la plus acrobatique. Les mains, les bras, les épaules participent à ce mystérieux tout qu’est le génie d’Alina. À cela, qui est déjà presque tout, il faut ajouter un autre don qu’elle partage avec son partenaire : la juvénilité. Melle Cojocaru et Mr Kobborg semblaient réellement avoir l’âge du rôle (c’est-à-dire entre 14 et 17 ans). Chez Roméo-Kobborg, on retrouve la même densité du mouvement que chez Juliet-Alina. Son atout technique, c’est le plié ; un plié moelleux et généreux qui lui permet, lui qui n’a pas l’âge de ses compères de scène (Un Riccardo Cervera bondissant mais un peu juste dramatiquement dans le rôle de Mercutio et Kenta Kura dans Benvolio), de dégager une impression d’aisance même dans les passages les plus tarabiscotés du ballet.

Pas si paradoxalement que cela pourrait le sembler à première lecture, ce qui me restera de ce  Roméo et Juliette, ce sont des moments fort peu chorégraphiés : la première rencontre Juliette et Roméo, où l’immobilité des deux protagonistes semblait arrêter le temps avant que Roméo ne recule avec une maladresse compassée à la fois ridicule et charmante, et la scène du mariage où Juliette ne peut contenir sa fougue amoureuse et prend un baiser à Roméo avant même les sacrements. L’immobilité même du couple Cojacaru-Kobborg vibre de toute l’énergie du mouvement impétueux…

Il est un peu injuste de ne pas citer l’excellent groupe réuni autour de ce couple d’exception (en tête le Paris de Johannes Stepanek couvert d’un fin verni d’élégance n’endiguant pas le flot de violence lorsqu’il se sait repoussé) mais, pour moi, hier, il n’était question que de Roméo et Juliette à moins que ce ne soit de Juliet & Romeo.

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