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Les Balletos d’Or de la saison 2022-2023

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Gravure extraite des « Petits mystères de l’Opéra » par Alberic Second. 1844

Ils sont chaud-bouillants d’un côté, pluvieux-venteux de l’autre, mais il ne s’agit pas des conditions météos du jour dans l’Hexagone. Ils sont cuits à l’extérieur et crus à l’intérieur, mais ce ne sont pas des canelés. Ils sont polis en apparence et piquants en vérité, mais ce ne sont pas des piments. Ce sont, ce sont… les Balletos d’Or de la saison 2022-2023. Ne vous bousculez pas, il y en aura pour tous les goûts.

Ministère de la Création franche

Prix Création/Collaboration : Wayne McGregor (chorégraphie), Thomas Adès (musique), Tacita Dean (décors et costumes), Lucy Carter, Simon Bennison (lumières) et Uzma Hameed (dramaturgie) pour The Dante Project (London/Paris)

Prix programmation : Kader Belarbi  pour l’ensemble de son œuvre au Ballet du Capitole de Toulouse.

Prix Relecture : Martin Chaix (Giselle, Opéra national du Rhin)

Prix Réécriture : Kader Belarbi et Antonio Najarro revoient les danses de caractère de Don Quichotte (Ballet du Capitole de Toulouse).

Prix du Chorégraphe Montant : Mehdi Kerkouche (Portrait)

Prix Logorrhée : Alan Lucien Øyen (Cri de cœur)

Prix Chi©hiant : Pit (Bobbi Jene Smith / Orb Schraiber)

Ministère de la Loge de Côté

Prix Maturité : Paul Marque (Siegfried)

Prix C’est Arrivé ! : Hannah O’Neill (la nomination)

Prix Mieux vaut tard que jamais : Marc Moreau (la nomination)

Prix Et moi c’est pour quand ? : la versatile Héloïse Bourdon (Mayerling, Lac des cygnes, Études, Ballet impérial)

Prix Jouvence : Sarah Lamb et Steven McRae (Cendrillon d’Ashton)

Ministère de la Place sans visibilité

Prix Humour : Pam Tanowitz (Dispatch Duet, Diamond Celebration à Covent Garden)

Prix Adorable : Amaury Barreras Lapinet (Sancho dans DQ de Kader Belarbi et Loin Tain de Kelemenis. Ballet du Capitole de Toulouse)

Prix Lianes animées : Marlen Fuerte et Sofia Caminiti (Libra de George Williamson. Ballet du Capitole de Toulouse)

Prix de l’Arbre Sec : Sae Eun Park et Silvia Saint-Martin (ex-aequo)

Ministère de la Ménagerie de scène

Prix Bête de scène : Martin Harriague (Starlight. Biarritz)

Prix Pour qui sonne le glas: Le trio de bergers/bovins du Proyecto Larrua. (Idi Begi /Biarritz)

Prix Chaton rencontre un lion : Antoine Kirscher et Enzo Saugar (Le Chant du Compagnon Errant. Programme Béjart. Ballet de l’Opéra de Paris)

Prix Roi des Animaux : Audric Bezard (Boléro, Béjart).

Prix Guépard : Mathias Heymann (première variation de Des Grieux dans L’Histoire de Manon)

Prix Chatounet : Guillaume Diop (interprète un peu vert sur l’ensemble de sa saison)

Prix Croquettes : les distributions masculines de l’Hommage à Patrick Dupond

Ministère de la Natalité galopante

Prix Enfance de l’Art : Myriam Ould-Braham et Mathieu Ganio, merveilles de juvénilité dans L’Histoire de Manon

Prix Déhanché : Charline Giezendanner (Do Do Do, Who Cares ?).

Prix Débridé : Camille de Bellefon et Chun-Wing Lam (S’Wonderful, Who Cares ?).

Prix Boudiou ces Marlous: le corps de ballet masculin du ballet national du Rhin (Giselle, chorégraphie de Martin Chaix)

Prix Je t’aime moi non plus : Ariel Mercuri et Elvina Ibraimova (Demetrius et Helena dans le Songe de Neumeier à Munich).

Ministère de la Collation d’Entracte

Prix Velouté : Amandine Albisson en Manon

Prix Consommé : Le jeu de Pablo Legasa dans Le Lac des cygnes (Rothbart/Siegfried)

Prix Bouillon tiède : Laura Hecquet incolore en Sissi (Mayerling)

Prix Mauvaise Soupe : Concerto pour deux (chorégraphie de Benoit Swan Pouffer, musique de Saint-Preux)

Prix Onctueux : Natalia de Froberville en Dulcinée-Kitri (Don Quichotte de Belarbi)

Prix Savoureux : Philippe Solano en Basilio (Don Quichotte de Belarbi)

Prix Spiritueux : Marc-Emmanuel Zanoli en Espada (Don Quichotte de Martinez).

Prix Régime sans sel: la plupart des danseuses dans la prostituée en travesti à l’acte 2 de Manon.

Ministère de la Couture et de l’Accessoire

Prix de la production intemporelle : Jurgen Rose (Le Songe d’une nuit d’été de Neumeier, Munich).

Prix Brandebourgs et postiches : la pléthore de personnages à costumes dans Mayerling.

Prix Un coup de vieux : les décors et costumes du Lac de Noureev

Prix Mal aux yeux : la nouvelle production pour la Cendrillon d’Ashton (Royal Ballet)

Ministère de la Retraite qui sonne

Prix Tu seras toujours Garance : Eve Grinsztajn (dernier rôle dans Kontakthof, mais on se souvient encore des Enfants du Paradis).

Prix Reviens, Alain ! : Adrien Couvez (les adieux).

Prix Saut dans le vide : François Alu depuis longtemps en roue libre

Prix Étoile filante : Jessica Fyfe, les adieux, dans Instars d’Erico Montes (Ballet du Capitole de Toulouse). Belle prochaine saison au Scottish Ballet !

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Ballet de Munich : un rêve de Songe

Ballet de Munich. Le Songe d’une nuit d’été. John Neumeier. Représentatin du samedi 1er avril 2023

Le Songe d’une nuit d’été de John Neumeier a été une vingtaine d’années au répertoire du Ballet de l’Opéra de Paris. Il y est entré en 1982, cinq ans seulement après sa conception pour le ballet de Hambourg, et a été repris quatre fois jusqu’en 2001. Depuis, Paris a opté pour la version poussiéreuse et inaboutie dramatiquement de Balanchine. Il nous faut donc aller en Bavière, à Munich, pour retrouver cette version qui a marqué nos jeunes années en balletomanie.

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Le Songe d’une nuit d’été. John Neumeier. Jinhao Zhang (Thésée-Obéron) et Maria Baranova (Hippolyte-Titania). Photographie Orlova Ksenia

Et c’est d’emblée une joie de retrouver cette version intelligemment construite à bien des points de vue.

Pour ce qui est de la narration, Neumeier décide en effet d’aller au-delà même de Shakespeare en resserrant le parallèle entre le monde des puissants (humains) et leurs parèdres magiques de la forêt. Hippolyte, la fière reine des amazones qui a des doutes sur l’investissement émotionnel de son coureur de fiancé, Thésée, se réincarne dans le monde des fées en fière Titania tandis que le duc d’Athènes devient Obéron. Philostrate, l’obséquieux majordome un tantinet entremetteur, n’est autre que Puck dans le royaume sylvestre.

La production, signée par Jürgen Rose, est une merveille d’économie de moyens. Les scènes dans le monde des humains sont situées à l’époque de Felix Mendelssohn qui a écrit la célèbre musique de scène pour la pièce de Shakespeare. Cela donne un petit côté Biedermeier au chassé-croisé des amoureux du prologue. Hippolyte dort sur une méridienne telle une Pauline Borghèse mélancolique devant un rideau bleu roi aux drapés à passementeries qui aurait pu être peint par Ingres. Ce rideau s’élèvera dans les airs avant de s’effondrer de toute sa hauteur comme une grande vague, révélant une scène toute noire, constellée de petites étoiles. Trois bosquets d’arbres iridescents montés sur roulettes suffisent à évoquer le paysage fantasmagorique du royaume des elfes et des fées (des danseurs vêtus d’académiques argentés et bonnets de bain assortis).

John Neumeier, à la différence de Balanchine ou encore d’Ashton, a décidé de marquer musicalement et chorégraphiquement les différents mondes qui s’entrecroisent et se côtoient dans la forêt. Mendelssohn caractérise le monde des nobles et leurs affres sentimentaux ; Verdi joué à l’orgue de barbarie évoque l’assemblée des artisans ; et la partition à la fois contemporaine et baroque de György Ligeti épouse merveilleusement l’étrangeté du monde des esprits sylvestres.

Ces différentes castes ne parlent pas non plus la même langue. Les aristos emploient l’idiome « néo-un peu plus-classique ». Ce vocabulaire châtié pimenté de décentrements et de décalés expressifs fait merveille dans la scène au bois où les quatre tendrons s’emmêlent la psyché, tête en bas et popotins en l’air, dans un délicieux mélange de prestesse technique et de truculence chorégraphique. Les artisans-prolos regardent un peu plus du côté de la modern dance américaine. On pense parfois à Paul Taylor. La chorégraphie des elfes est quant à elle directement inspirée du Balanchine des Quatre tempéraments (les portés classiques détournés pour Obéron et Titania), d’Apollon ou encore d’Agon. On note aussi un faux air de l’Ashton de Monotones I et II. Les corps se retrouvent dans des positions d’hyper-extension ou dans des imbrications étonnantes comme ce moment où Titania, comme suspendue en l’air, est bercé entre les jambes à 90° de gars du corps de ballet couchés au sol. Lorsqu’ils s’entrecroisent, les représentants des différents mondes semblent ne pas évoluer à la même vitesse.

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La compagnie de Munich, dirigée depuis peu par Laurent Hilaire, est tout particulièrement à l’aise dans ce vocabulaire qui regarde déjà vers la chorégraphie post classique. Ils ne déméritent pas non plus dans les ensembles plus traditionnels du prologue ou durant la scène des noces. Tout cela est bien réglé. La danse est crémeuse.

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Le Songe d’une nuit d’été. John Neumeier. Shale Wagman (Lysandre) et Carollina Bastos (Hermia). Photographie Katja Lotter

Mais ce qui séduit surtout lors de cette soirée, c’est la cohérence de la distribution de rôles principaux. Chaque danseur semble en effet avoir le physique et l’état d’esprit du rôle. Shale Wagman est un parfait Lysandre qui possède une véritable qualité de jeune premier. Ses pirouettes où sa tête se décentre marquent tout à fait l’enivrement amoureux qu’il ressent pour Hermia (la très énergique et primesautière Carollina Bastos). Ses coupés-jetés suspendus en l’air portraiturent avec acuité l’exaltation un peu premier degré du personnage. Ariel Merkuri est parfait en Demetrius, sorte de petit soldat de plomb en perpétuelle révolution autour de son salut militaire. Il déploie un charme qui rend aussi plausible l’infatuation d’Helena que l’agacement qu’il provoque chez Hermia. Dans le rôle d’Helena l’érotomane perdue sans ses binocles, Elvina Ibraimova, une danseuse à la jolie ligne très classique, sait faire rire à ses dépens. Son ridicule est pimenté d’une pointe de sensualité. Ibraimova-Héléna est très drôle pendant son moment de triomphe où, par le truchement de la fleur magique agitée par un Puck complètement désorienté, elle est courtisée par les deux garçons sous l’œil médusé d’Hermia. Elle n’a pas la revanche modeste.

Avec ce quatuor, les chassés-croisés amoureux des tendrons sont un délicieux mélange de prestesse technique et de bouffonnerie.

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Le Songe d’une nuit d’été. Antonio Antonio Casalinho (Puck). Photographie Katja Lotter

Les personnages à la croisée des deux mondes sont également bien choisis. Antonio Casalinho est aussi restreint en majordome Philostrate qu’il est léger et exubérant en Puck. C’est un danseur qui a du souffle sous le pied et un sourire ravageur. S’il ne me fait pas oublier Patrick Dupond dans la scène des lunettes, il dresse un portrait souvent enthousiasmant de son elfe facétieux.

Jinhao Zhang est quant à lui taillé comme une statue antique. Son Obéron déploie une authentique autorité scénique et c’est un partenaire solide. En Thésée, il reste hélas un peu fermé et sémaphorique même dans le pas de deux de réunion avec sa fiancée Hippolyte juste avant le mariage. Dommage, en Hippolyte-Titania, Maria Baranova a elle aussi beaucoup d’allure et d’autorité. Ses lignes très pures conviennent aussi bien à la reine des amazones domptée qu’à la souple mais néanmoins inflexible Titania. Cependant, au fur et à mesure qu’avance l’action, elle abandonne peu à peu son côté marmoréen pour devenir plus fragile et donc plus humaine. Cela rend d’autant plus plaisante sa rencontre avec son deuxième partenaire, le tisserand asinien contre son gré, Bottom. Dans ce rôle, Robin Strona, grand et élancé, parvient à faire d’un moment subreptice, un instant suspendu. Venu présenter sa requête avec ses compagnons de jouer une pièce de théâtre pour les noces du duc, il bouscule Hippolyte qui fait tomber la rose que le duc indifférent venait de lui offrir par l’intermédiaire de son majordome. Confus, il la ramasse. Baronova-Hippolyte et Strona-Bottom se figent comme s’ils pressentaient l’interaction bestiale qui va bientôt les réunir pendant la scène au bois. Jamais ce moment ne m’avait paru si marquant à Paris.

Dans la version Neumeier, le danseur transformé en âne ne porte pas une lourde tête en carton-pâte ; il a juste deux oreilles qui lui ont poussé et ses poings sont refermés sur des poignets cassés. Il se dégage donc du court pas de deux entre Titania et Bottom un sentiment de désir trouble là où d’autres versions chorégraphiques ne retiennent que la farce.

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Le Songe d’une nuit d’été. Robin Strona (Bottom) et Maria Baranova (Hippolyte). Photographie Orlova Ksenia

Il faut bien l’avouer, l’un des attraits majeurs de cette expédition bavaroise était pour moi de revoir les inénarrables artisans imaginés par John Neumeier pour son adaptation du Songe de Shakespeare particulièrement lors de la pièce de théâtre loufoque, La tragique et lamentable histoire de Pyrame et Thisbé, qu’ils donnent lors des noces des héros. Complètement éludé dans la plupart des versions chorégraphiques de la pièce, cet épisode est ici pris à bras le corps. Deux zigues sont enserrés dans une couverture figurant l’intérieur et l’extérieur de la maison de Thisbé. Le lion (Giovanni Tombacco) ressemble à une vieille serpillère. Pyrame-Bottom, affublé d’un uniforme de général romain d’opérette, séduit sa belle en s’introduisant entre les jambes d’un des hommes-mur. Thisbé est un danseur monté sur pointes pour l’occasion : Konstantin Ivkin provoque l’hilarité de la salle avec son pied bien cambré et son incomparable façon de se prendre des gadins sur des cadavres.

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On aura passé un bien beau moment aux côtés des danseurs munichois. Sorti du théâtre, on ne peut s’empêcher d’espérer que notre nouveau directeur de la danse à Paris, José Martinez, qui semble vouloir pratiquer l’alternance des grands classiques (entendez faire rentrer d’autres versions que celles actuellement dansées) décidera de réintroduire Ein Sommernachtstraum de John Neumeier au répertoire.

Il n’est pas interdit de rêver quand on sort du Songe.

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