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Ballet de Munich : un rêve de Songe

Ballet de Munich. Le Songe d’une nuit d’été. John Neumeier. Représentatin du samedi 1er avril 2023

Le Songe d’une nuit d’été de John Neumeier a été une vingtaine d’années au répertoire du Ballet de l’Opéra de Paris. Il y est entré en 1982, cinq ans seulement après sa conception pour le ballet de Hambourg, et a été repris quatre fois jusqu’en 2001. Depuis, Paris a opté pour la version poussiéreuse et inaboutie dramatiquement de Balanchine. Il nous faut donc aller en Bavière, à Munich, pour retrouver cette version qui a marqué nos jeunes années en balletomanie.

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Le Songe d’une nuit d’été. John Neumeier. Jinhao Zhang (Thésée-Obéron) et Maria Baranova (Hippolyte-Titania). Photographie Orlova Ksenia

Et c’est d’emblée une joie de retrouver cette version intelligemment construite à bien des points de vue.

Pour ce qui est de la narration, Neumeier décide en effet d’aller au-delà même de Shakespeare en resserrant le parallèle entre le monde des puissants (humains) et leurs parèdres magiques de la forêt. Hippolyte, la fière reine des amazones qui a des doutes sur l’investissement émotionnel de son coureur de fiancé, Thésée, se réincarne dans le monde des fées en fière Titania tandis que le duc d’Athènes devient Obéron. Philostrate, l’obséquieux majordome un tantinet entremetteur, n’est autre que Puck dans le royaume sylvestre.

La production, signée par Jürgen Rose, est une merveille d’économie de moyens. Les scènes dans le monde des humains sont situées à l’époque de Felix Mendelssohn qui a écrit la célèbre musique de scène pour la pièce de Shakespeare. Cela donne un petit côté Biedermeier au chassé-croisé des amoureux du prologue. Hippolyte dort sur une méridienne telle une Pauline Borghèse mélancolique devant un rideau bleu roi aux drapés à passementeries qui aurait pu être peint par Ingres. Ce rideau s’élèvera dans les airs avant de s’effondrer de toute sa hauteur comme une grande vague, révélant une scène toute noire, constellée de petites étoiles. Trois bosquets d’arbres iridescents montés sur roulettes suffisent à évoquer le paysage fantasmagorique du royaume des elfes et des fées (des danseurs vêtus d’académiques argentés et bonnets de bain assortis).

John Neumeier, à la différence de Balanchine ou encore d’Ashton, a décidé de marquer musicalement et chorégraphiquement les différents mondes qui s’entrecroisent et se côtoient dans la forêt. Mendelssohn caractérise le monde des nobles et leurs affres sentimentaux ; Verdi joué à l’orgue de barbarie évoque l’assemblée des artisans ; et la partition à la fois contemporaine et baroque de György Ligeti épouse merveilleusement l’étrangeté du monde des esprits sylvestres.

Ces différentes castes ne parlent pas non plus la même langue. Les aristos emploient l’idiome « néo-un peu plus-classique ». Ce vocabulaire châtié pimenté de décentrements et de décalés expressifs fait merveille dans la scène au bois où les quatre tendrons s’emmêlent la psyché, tête en bas et popotins en l’air, dans un délicieux mélange de prestesse technique et de truculence chorégraphique. Les artisans-prolos regardent un peu plus du côté de la modern dance américaine. On pense parfois à Paul Taylor. La chorégraphie des elfes est quant à elle directement inspirée du Balanchine des Quatre tempéraments (les portés classiques détournés pour Obéron et Titania), d’Apollon ou encore d’Agon. On note aussi un faux air de l’Ashton de Monotones I et II. Les corps se retrouvent dans des positions d’hyper-extension ou dans des imbrications étonnantes comme ce moment où Titania, comme suspendue en l’air, est bercé entre les jambes à 90° de gars du corps de ballet couchés au sol. Lorsqu’ils s’entrecroisent, les représentants des différents mondes semblent ne pas évoluer à la même vitesse.

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La compagnie de Munich, dirigée depuis peu par Laurent Hilaire, est tout particulièrement à l’aise dans ce vocabulaire qui regarde déjà vers la chorégraphie post classique. Ils ne déméritent pas non plus dans les ensembles plus traditionnels du prologue ou durant la scène des noces. Tout cela est bien réglé. La danse est crémeuse.

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Le Songe d’une nuit d’été. John Neumeier. Shale Wagman (Lysandre) et Carollina Bastos (Hermia). Photographie Katja Lotter

Mais ce qui séduit surtout lors de cette soirée, c’est la cohérence de la distribution de rôles principaux. Chaque danseur semble en effet avoir le physique et l’état d’esprit du rôle. Shale Wagman est un parfait Lysandre qui possède une véritable qualité de jeune premier. Ses pirouettes où sa tête se décentre marquent tout à fait l’enivrement amoureux qu’il ressent pour Hermia (la très énergique et primesautière Carollina Bastos). Ses coupés-jetés suspendus en l’air portraiturent avec acuité l’exaltation un peu premier degré du personnage. Ariel Merkuri est parfait en Demetrius, sorte de petit soldat de plomb en perpétuelle révolution autour de son salut militaire. Il déploie un charme qui rend aussi plausible l’infatuation d’Helena que l’agacement qu’il provoque chez Hermia. Dans le rôle d’Helena l’érotomane perdue sans ses binocles, Elvina Ibraimova, une danseuse à la jolie ligne très classique, sait faire rire à ses dépens. Son ridicule est pimenté d’une pointe de sensualité. Ibraimova-Héléna est très drôle pendant son moment de triomphe où, par le truchement de la fleur magique agitée par un Puck complètement désorienté, elle est courtisée par les deux garçons sous l’œil médusé d’Hermia. Elle n’a pas la revanche modeste.

Avec ce quatuor, les chassés-croisés amoureux des tendrons sont un délicieux mélange de prestesse technique et de bouffonnerie.

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Le Songe d’une nuit d’été. Antonio Antonio Casalinho (Puck). Photographie Katja Lotter

Les personnages à la croisée des deux mondes sont également bien choisis. Antonio Casalinho est aussi restreint en majordome Philostrate qu’il est léger et exubérant en Puck. C’est un danseur qui a du souffle sous le pied et un sourire ravageur. S’il ne me fait pas oublier Patrick Dupond dans la scène des lunettes, il dresse un portrait souvent enthousiasmant de son elfe facétieux.

Jinhao Zhang est quant à lui taillé comme une statue antique. Son Obéron déploie une authentique autorité scénique et c’est un partenaire solide. En Thésée, il reste hélas un peu fermé et sémaphorique même dans le pas de deux de réunion avec sa fiancée Hippolyte juste avant le mariage. Dommage, en Hippolyte-Titania, Maria Baranova a elle aussi beaucoup d’allure et d’autorité. Ses lignes très pures conviennent aussi bien à la reine des amazones domptée qu’à la souple mais néanmoins inflexible Titania. Cependant, au fur et à mesure qu’avance l’action, elle abandonne peu à peu son côté marmoréen pour devenir plus fragile et donc plus humaine. Cela rend d’autant plus plaisante sa rencontre avec son deuxième partenaire, le tisserand asinien contre son gré, Bottom. Dans ce rôle, Robin Strona, grand et élancé, parvient à faire d’un moment subreptice, un instant suspendu. Venu présenter sa requête avec ses compagnons de jouer une pièce de théâtre pour les noces du duc, il bouscule Hippolyte qui fait tomber la rose que le duc indifférent venait de lui offrir par l’intermédiaire de son majordome. Confus, il la ramasse. Baronova-Hippolyte et Strona-Bottom se figent comme s’ils pressentaient l’interaction bestiale qui va bientôt les réunir pendant la scène au bois. Jamais ce moment ne m’avait paru si marquant à Paris.

Dans la version Neumeier, le danseur transformé en âne ne porte pas une lourde tête en carton-pâte ; il a juste deux oreilles qui lui ont poussé et ses points sont refermés sur des poignets cassés. Il se dégage donc du court pas de deux entre Titania et Bottom un sentiment de désir trouble là où d’autres versions chorégraphiques ne retiennent que la farce.

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Le Songe d’une nuit d’été. Robin Strona (Bottom) et Maria Baranova (Hippolyte). Photographie Orlova Ksenia

Il faut bien l’avouer, l’un des attraits majeurs de cette expédition bavaroise était pour moi de revoir les inénarrables artisans imaginés par John Neumeier pour son adaptation du Songe de Shakespeare particulièrement lors de la pièce de théâtre loufoque, La tragique et lamentable histoire de Pyrame et Thisbé, qu’ils donnent lors des noces des héros. Complètement éludé dans la plupart des versions chorégraphiques de la pièce, cet épisode est ici pris à bras le corps. Deux zigues sont enserrés dans une couverture figurant l’intérieur et l’extérieur de la maison de Thisbé. Le lion (Giovanni Tombacco) ressemble à une vieille serpillère. Pyrame-Bottom, affublé d’un uniforme de général romain d’opérette, séduit sa belle en s’introduisant entre les jambes d’un des hommes-mur. Thisbé est un danseur monté sur pointes pour l’occasion : Konstantin Ivkin provoque l’hilarité de la salle avec son pied bien cambré et son incomparable façon de se prendre des gadins sur des cadavres.

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On aura passé un bien beau moment aux côtés des danseurs munichois. Sorti du théâtre, on ne peut s’empêcher d’espérer que notre nouveau directeur de la danse à Paris, José Martinez, qui semble vouloir pratiquer l’alternance des grands classiques (entendez faire rentrer d’autres versions que celles actuellement dansées) décidera de réintroduire Ein Sommernachtstraum de John Neumeier au répertoire.

Il n’est pas interdit de rêver quand on sort du Songe.

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