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La Bayadère fait son cinéma

Représentation du 22 mars : Aurélie Dupont (Nikiya), Josua Hoffalt (Solor), Ludmila Pagliero (Gamzatti)

Le cru Bayadère 2012 est des plus chamboulés. L’enchaînement des blessures chez les titulaires du rôle de Gamzatti propulse Ludmila Pagliero en remplaçante de dernière minute, et au statut d’étoile…

Du côté des deux premiers rôles, ça tient bon. Aurélie Dupont se montre plus expressive et déliée que le soir de la première : cette fois, Nikiya a l’air de connaître le chasseur qui la porte, elle lui sourit et on peut même croire qu’elle l’aime. Dans l’acte blanc, où l’on attend un moelleux suprême, des sauts secs contrebattent l’idée enfumée qu’on se faisait d’une ombre. Mais qu’importe, car il y a Josua Hoffalt. Au lieu de rater ses doubles tours en l’air, il fait autre chose et le public n’y voit que du feu. Pour le reste, c’est beau. Les deux grands jetés par lesquels il entre en scène sont dignes d’un prince. Le turban ne lui va pas très bien, mais il a la légèreté et l’autorité. Au milieu des ombres, on lui voit aussi plus d’abandon. Malheureusement, quand il quitte la scène à la suite de sa danseuse retrouvée, la lumière s’évanouit si vite qu’on ne voit presque pas son grand cambré.

Ludmila Pagliero n’était pas programmée cette année sur le rôle de Gamzatti, qu’elle avait abordé au printemps 2010. Difficile dans ces conditions de porter un jugement sur sa prestation. Sans répétition préalable (en tout cas, pas avec l’orchestre), elle fait ce qu’on attend d’une danseuse solide : sauver les meubles. Du coup, sa nomination a tout du cadeau empoisonné: relève-t-elle de la gestion des ressources humaines en période de bras cassés ou s’agit-il d’une profession de foi artistique? Ou bien encore, l’occasion en cinémascope fit-elle simplement le larron ?

Autre remplaçant de dernière minute, Florimond Lorieux campe une idole dorée pâlichonne. Ce danseur, excellent en professeur de danse gourmé dans Cendrillon, n’avait pas ce soir l’aisance surnaturelle. Charline Giezendanner enchaîna une danse Manou effrontée et une musicale 2e variation des ombres. La descente des ombres fut un beau moment hypnotique. La flûte solo choisit le pire moment – l’apparition de l’ombre de Nikiya en fond de scène – pour faire un affreux canard. Que d’impondérables pour une seule soirée !

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La Bayadère dans un aquarium : drame horloger.

La Bayadère. Soirée du 19/03/2012 [Cozette, Magnenet, Gilbert]

Difficile de parler d’une soirée lorsqu’on a connu, après de longues années de ponctualité, l’expérience du retard qui vous laisse à la porte pour un acte entier. Grand prince, l’Opéra de Paris vous place devant un écran plat où une caméra vous délivre une image en plan fixe. De petites allumettes méconnaissables figurent les danseurs. Après un moment, je suis allé demander une distribution car je ne parvenais pas à identifier qui était la princesse Gamzatti. Il s’agissait de Dorothée Gilbert. La distribution initiale [Cozette, Paquette, Hecquet] a décidément été très remaniée. Voyons les choses du côté positif, devant l’écran, j’ai pu apprécier l’effet d’ensemble des danseurs du corps de ballet sans être distrait par la reconnaissance d’un visage familier et l’impression est très satisfaisante. Les lignes du corps de ballet féminin dans la Djampo sont incisives et les garçons parfaitement rangés pour leur court passage d’introduction de la scène 2 (en dépit d’un accroc par l’un des danseurs du premier rang dans la réception des doubles pirouettes en l’air). Pour les solistes, l’intérêt est plus limité. Je regrette par exemple de ne pas pouvoir dire grand-chose du Fakir de Sébastien Bertaud dont j’allais découvrir au deuxième acte qu’il s’était teinté la peau en noir afin de faire plus « couleur locale ». L’effet était assez réussi mais du coup, ses comparses avaient l’air bien pâlichon. Sébastien Bertaud aurait bien fait de socialiser son fond de teint avec les autres membres de sa caste. De loin, j’ai pu apprécier aussi la force de la pantomime de Dorothée Gilbert. Elle introduit par exemple dans son geste de vengeance final une inflexion que j’avais déjà remarquée lors de la première soirée. Après avoir désigné la bayadère enfuie, elle lève brusquement le bras en l’air et ferme le poing d’une manière assez théâtrale pour être visible depuis la lucarne de fortune qui était mon lot. Puis, après une pause, elle descend lentement son bras en signe de vengeance.

Pour le couple principal, les sentiments étaient peu discernables d’aussi loin. Par contre, il me parut évident que la pesanteur, qui avait été trop longtemps la regrettable marque personnelle d’Emilie Cozette, avait bel et bien disparu de sa danse. Techniquement, ce premier acte semblait adéquat.

Pour les actes suivants, où j’étais effectivement dans la salle, l’impression s’est confirmée. Emilie Cozette a su se montrer touchante et nuancée dans sa variation de l’acte 2. Son lamento était sur le fil entre danse sacrée rituelle et regards suppliants à Solor. Son presto à la corbeille était bien enlevé. Sa scène du contre poison bien pensée. Sa mort touchante. C’est hélas tous ce qu’on pourra dire de son interprétation. Par le hasard des blessures, le partenaire prévu de Mlle Cozette était remplacé par Florian Magnenet qui n’était prévu que dans une semaine aux côtés de Myriam Ould-Braham. Tendu à l’extrême, Monsieur Magnenet n’a pas, du moins on l’espère, donné toute sa mesure dans Solor. On le reverra le 28, dans une forme qu’on espère meilleure. Dommage pour Emilie Cozette ; son acte blanc avait des qualités techniques (une jolie entrée, des jetés à la seconde raccourcis très enlevés et une variation du voile bien contrôlée). Mais la tension était palpable dans tous les portés avec son partenaire de fortune (ou d’infortune, c’est selon).

Durant cette soirée, Charline Giezendanner et Mathilde Froustey avaient fait un échange standard. Mlle G. était une charmante Manou qui, contrairement à sa devancière, jouait avec les deux petites de l’école de danse. Mlle F., dans la deuxième ombre, s’est taillé un franc succès. Sa variation faisait scintiller les qualités de la danse française : prestesse, chic et humour.

Le service des distributions pourrait-il éviter de donner à Guillaume Charlot, le rôle du Grand Brahmane ? Même avec le crane rasé, on se demandait bien pourquoi Nikiya avait refusé ses avances…

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Vingt ans après : la Bayadère cru 2012

La série de Bayadère s’est ouverte, le mercredi 7 mars, sous les auspices d’une nomination d’étoile masculine; celle de Josua Hoffalt. James, Cléopold ou encore Fenella relateront leurs impressions des soirées auxquelles ils auront assisté. Nous les reproduirons fidèlement ici en rafraichissant régulièrement cet article.

Soirée du 7 mars 2012 : Aurélie Dupont (Nikiya), Josua Hoffalt (Solor), Dorothée Gilbert (Gamzatti)

Avant de repartir courir le guilledou dans la lande écossaise, James nous a livré ses impressions de la première :

Une fois n’est pas coutume, rendons hommage à la direction musicale: avec Fayçal Karoui à la baguette, l’orchestre de l’Opéra national de Paris fait son boulot sérieusement, et donne à entendre les impulsions dramatiques de la partition. Malheureusement, Aurélie Dupont a oublié de prendre appui sur la musique : à la fin du pas de l’esclave, ses bras prennent la pose finale à contretemps, et dans l’acte blanc, sa danse semble totalement indifférente au lyrisme du violon. Visiblement, son partenaire ne réveille pas non plus sa sensualité. Il est là, elle danse avec, mais ne lui demandez pas en plus de le regarder. Le hiératisme d’étoile froide de Mlle Dupont correspond peut-être à l’idée qu’une partie du public se fait des ballerines de l’Opéra de Paris, mais Nikiya n’est-elle pas une amoureuse? Techniquement, ça passe, mais l’émotion n’est pas là. Le moelleux est absent – dans le saut comme dans le buste -, l’expression du visage a oublié d’être variée et les doigts d’être vivants.

À l’automne dernier,  Josua Hoffalt avait été très attachant en Djémil dans La Source. Il avait l’éloquence de l’impétrant qui doit conquérir sa belle. Mais Solor est un guerrier pour qui les filles se battent. La jeunesse ne suffit pas: il faut l’assurance virile (nettement plus sensible le soir du 7 mars dans la scène du mariage que lors du troisième acte), mais aussi l’abandon à la transcendance (que ce soit l’amour d’une vivante ou l’apparition d’une ombre). Espérons que la nouvelle étoile masculine, passé le stress de la première et d’une nomination sans doute dès longtemps actée en coulisses, affinera rapidement son incarnation. Pour l’instant, il y a déjà le lyrisme.

Dorothée Gilbert est une Kitri, une Lise, une Paquita ou une Swanilda. Excellente dans les personnages de fille, elle est moins dans son élément en princesse Gamzatti, ce qui ne l’empêche pas de jouer sa partition avec intelligence.

Cléopold, qui partage pour l’essentiel la vision du trio de tête délivrée ici par James, s’est concentré sur d’autres aspects de cette représentation. Les voici ici reproduits.

Quand on assiste à une représentation de la Bayadère sans une Nikiya qui ait su vous toucher, il est difficile de ne pas se sentir un peu étranger à ce qui se passe sur scène. Mais rien n’est jamais perdu. On peut alors porter un regard extérieur et analytique sur l’ensemble du spectacle. L’autre soir, j’ai pu par exemple goûter le style « noureevien » du corps de ballet féminin dans un acte des ombres qui tendait à la perfection (n’était une jambe tremblante dans les arabesques tenues, quelque part au troisième rang). La descente des ombres et sa répétition d’un posé – arabesque penchée – passé cambré peut paraître similaire à celle des compagnies russes. Elle est pourtant fort différente dans ses accentuations. Les Russes privilégient en effet le penché arabesque (avec des dos très cambrés) et l’effet nébuleux. Cette approche, parfaitement payante sur la descente du praticable rend cependant le reste de l’entrée des ombres un peu émoussé et accessoire. A Paris, l’accent est moins mis sur le penché que sur le cambré ; il découle de ce changement d’accent une impression plus minérale qu’atmosphérique. Les Bayadères parisiennes ressemblent plus à ces théories d’apsaras sculptées sur les temples khmers qu’à des ectoplasmes, soeurs orientales des Willis. Dans le reste de la scène, la métaphore du relief animé est maintenue par l’alternance de moments d’une immobilité quasi photographique avec d’autres très mousseux. Le corps de ballet y retrouve son rôle d’écrin précieux. C’est important, un écrin précieux ; surtout quand celui-ci est vide…

Cette perfection du corps de ballet féminin, on en avait déjà eu les prémices dans l’impeccable ensemble des danseuses Djampo, avec leur voile accroché à la cheville haut placée en attitude devant, ou encore chez les filles aux perroquets de l’acte des fiançailles. On aurait aimé pouvoir en dire autant de l’ensemble des Bayadères devant le feu sacré ou des filles aux éventails.

Les garçons ne déméritent pas. Mais leurs passages sont plus subreptices (les 8 Kshatriyas de la scène 2 de l’acte 1 et les porteurs de lance qui se sont vus attribuer par Noureev des séries de brisés de volés et des cabrioles absents des autres versions) ou alors la perfection des lignes n’est pas aussi nécessaire. On imagine en effet mal les fakirs en transe menés par le facétieux Allistair Madin s’écorcher la peau rangés en rang d’oignons. Le ballet, pour les hommes est plutôt le domaine de quelques solistes. A tout seigneur, tout honneur, monseigneur l’idole dorée, doit passer en premier. Emmanuel Thibault, fait une courte mais toujours mémorable apparition dans ce passage hérité d’une relecture russe des années 20, à mi-chemin du ballet Shéhérazade (l’esclave créé par Nijinsky) et du super-héros soviétique. Avec Thibault, on n’est cependant pas dans le stakhanovisme du double assemblé. En à peine plus d’une minute, on voit un objet précieux s’animer d’une vie miraculeuse. Lorsqu’il rentre en coulisses, on ne doute pas un seul instant que des mains respectueuses le remplaceront dans un coffre marqueté jusqu’à la répétition du prochain miracle. Courte également, l’apparition Julien Meyzindi dans la danse indienne aux côtés de Sabrina Mallem. Trop courte devrait-on dire. Le passage est si enlevé, qu’on se sent des fourmis sous les pieds. Enfin, il faut saluer la belle noblesse d’Alexis Renaud dans le pas de l’esclave à l’acte 1, scène 2 : rarement voit-on autre chose qu’un porteur plus ou moins aguerri dans ce rôle. Ici, Alexis Renaud campait un véritable danseur sacré.

Chez les demi-solistes féminines, les rôles sont plus nombreux et les fortunes nécessairement plus diverses. Le quatuor des petites amies violettes de Gamzatti (Melles Bance Clément, Giezendanner et Kamionka –les deux dernières déjà fort remarquables par leur ballon dans la danse Djampo) surclasse les grandes solistes en vert qui, en ce soir de première, semblaient avoir besoin de quelques heures supplémentaires de répétition (parmi elles, malheureusement, deux des trois ombres principales de l’acte 3, l’une comme l’autre ayant également besoin de peaufiner leur partie en vue de la captation filmée du ballet). Mathilde Froustey, dans la danse Manou, déploie tous ses nombreux charmes avec dextérité. Sa gestion de la cruche est totalement maîtrisée. On pourrait simplement lui reprocher de ne pas assez interagir avec les deux petites de l’école de danse. Cela prive le passage d’une grande part de sa saveur. Enfin, au troisième acte, telle une « âme heureuse », se détache Charline Giezendanner dans la variation allegro ; on regrette amèrement que ce ne soit pas à cette artiste authentique et naturelle qu’on ait confié une précieuse et unique représentation dans le rôle de Nikiya.

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Histoires de Bayadères (3.2)

Les deux autres distributions de la création.

A cette merveilleuse époque de la création, le nombre des talents promus à bon escient était tel qu’on pouvait aller quasiment les yeux fermés (jusqu’au théâtre) ouvrir sa feuille de distribution et se préparer à un grand moment. Mais le public des habitués est ce qu’il est ; et il a toujours ses préférés. Pour ma part, j’ai été sans conteste un partisan de la première distribution.

Il me semblait que, bien qu’il ait pris le parti pris du « drame » et de la couleur locale en choisissant Isabelle Guérin, Noureev avait tout de même réuni un trio homogène représentatif de ce « style Noureev » si particulier (une synthèse entre la bravura de l’école russe, la fougue de Rudy lui-même et la tenue de la danse française). Car si peu de pas ont été changés excepté la variation et la coda de Gamzatti, c’est dans l’impulsion donnée au mouvement qu’on reconnaissait la Bayadère parisienne. Il y avait dans le trio de la création une façon similaire d’offrir le mouvement pur, un mouvement qui renvoie non seulement au beau mouvement mais aussi à la véracité des intentions du mouvement. Laurent Hilaire sans surjouer, sans froncer du sourcil, savait par exemple suggérer son basculement dans le monde de l’au-delà en sortant de la scène dans un cambré du dos, les bras grands-ouverts qui semblait ne jamais devoir cesser de s’étirer. On pouvait à la fois s’extasier sur la beauté intrinsèque du geste ou y apposer une interprétation personnelle -ce que je viens de faire-. Il y avait une qualité « second degré » dans cette interprétation. On pouvait se prendre à l’histoire mais on était surtout convoqué à une célébration de la grande danse d’école. Il en était de même pour le corps de ballet. Au deuxième acte, par exemple, dans la danse indienne, qui se résume trop souvent à un simple cancan en costume chatoyant, Virginie Rousselière, à l’entrain communicatif, m’a surtout sensibilisé à la beauté de l’attitude en 4e devant.

La seconde distribution choisie par Noureev avait ses thuriféraires. Monique Loudières, à la danse délicate, Manuel Legris, déjà au sommet de sa technique et Elisabeth Maurin, un concentré d’énergie explosive. Cette distribution avait ses qualités, mais elle me paraissait moins pure. Monique Loudières, que j’adorais dans tous les ballets courts et tout spécialement dans les Robbins, ne m’a que très rarement captivé dans des ballets d’une soirée entière. Son interprétation avait quelque chose de trop excessif pour mon goût ; trop de fioritures dramatiques, de froncement de sourcils, de projection en avant du menton pour appuyer l’exaltation spirituelle ; tout ceci me donnait l’impression qu’on couvrait le corps bien fait de la chorégraphie d’une surabondance de rubans et autre colifichets. J’ai néanmoins connu une représentation, lors d’une reprise à Bastille où, en dépit de quelques excès (qui conduisirent Nikiya à tâter du postérieur le feu sacré et de manquer de peu une rencontre inopinée et désastreuse avec une colonne du palais du Radjah), Monique Loudières a su m’émouvoir en Nikiya. Son acte blanc avait été un régal de légèreté : une ombre silencieuse avait suspendu le temps.

Manuel Legris était sans conteste le Solor le plus impérial techniquement de cette série. Dans la variation-Coda du troisième acte, je pense qu’il était le seul à faire les doubles assemblés avec les jambes en retiré. Mais bien que Legris en plus d’être un danseur superlatif, fût bon acteur, sa personnalité restait plus pâle que celle de son collègue Hilaire. Il lui manquait un soupçon d’attraction charnelle … Oui, l’époque était si riche qu’on pouvait pinailler à la vue d’une interprétation de Manuel Legris !

Enfin, si j’ai beaucoup aimé Elisabeth Maurin pendant toute sa carrière, rarement je l’ai si peu goûtée que dans le rôle de la princesse Gamzatti. Son interprétation était l’exact négatif de celle de Platel. Son jeu suggérait plus une amoureuse délaissée et vindicative qu’une princesse défendant ses prérogatives et surtout, son grand pas de deux manquait de l’ampleur de parcours que déployait sa consœur. Son grand moment était en revanche la série des fouettés attitude. Elisabeth Maurin a été plus tard, je crois, une touchante Nikiya. Je ne l’ai pas vue. Je le regrette.

Enfin, l’annonce de la troisième distribution avait créé la surprise (peut-être même chez les principaux concernés) puisqu’elle mettait en avant deux premiers danseurs d’une part –il était rare à l’époque de mettre deux simples solistes ensemble sur un grand ballet- et d’autre part deux danseurs qu’on n’associait pas nécessairement au sérail de Noureev. Clothilde Vayer était une danseuse « de caractère » dans tous les sens du terme : entendez par là qu’elle savait donner chair et esprit aux personnages qu’elle interprétait mais aussi qu’elle excellait dans les rôles d’Espagnoles, de Hongroises ou de Polonaises des actes à divertissement. Mais sa physionomie (un corps mince mais dépourvu d’une taille marquée, des épaules un peu carrées) ne se prêtait guère au port du tutu et la giration ne semblait guère faire partie de son répertoire technique. Or, à l’acte 3, dans la variation du voile, la ballerine exécute dans les deux sens deux tours arabesque suivis de deux pirouettes sur pointe en dedans achevées pointé devant, tout cela en tenant un morceau de tarlatane sensée évoquer le lien spirituel qui s’est retissé entre les deux protagonistes…

De son côté, Wilfrid Romoli, bien que très solide, n’était pas un technicien aussi impressionnant qu’Hilaire ou Legris. Karin Averty semblait un choix plus adéquat pour Gamzatti mais elle traversait, à cette époque, une mauvaise période. Le résultat fut néanmoins intéressant sur les deux actes dramatiques. Vayer fut capiteuse et vibrante (son visage, très expressif, exprimait une large palette de sentiments contradictoires dans la scène de la corbeille) et Romoli fut fougueux à souhait. D’Averty, qui interpréta ultérieurement ce rôle dans une bien meilleure forme technique (et qui dira qu’elle n’était pas une incroyable technicienne !) j’ai gardé tout particulièrement le souvenir de sa scène de rivalité. Sa pantomime sonnait alors comme une impitoyable cravache. Malheureusement, le troisième acte, surtout la fameuse variation du voile, provoquait des émotions fortes qui n’avaient rien à voir avec la pyrotechnie habituelle de l’école française.

Et lors des premières reprises

Pour des reprises ultérieures, c’est Carole Arbo qui dansa aux côtés de Romoli et d’Averty. Elle était également Gamzatti en face d’Elisabeth Platel qui avait récupéré Nikiya et le dansait tout en continuant à interpréter le rôle de la fille du Rajah en face de Guérin et d’Hilaire. Arbo et Platel avaient la commune particularité de faire fi de la couleur locale. Le teint très blanc, des bas de soie clairs et des pointes rose saumon, elles se mettaient à l’unisson de la production, un subtil commentaire sur l’orientalisme XIXe siècle. Arbo n’avait peut être pas une amplitude de mouvement aussi poussée que certaines de ses consœurs, mais elle avait du parcours (un avantage pour la variation de Gamzatti) et une incomparable coordination de mouvement. A l’aise dans les passages dramatiques, elle savait donner un parfum de mystère à son acte blanc rien que par la délicate poésie de ses bras. Carole Arbo semblait également avoir toujours du temps sur la musique. Jamais rien n’était pressé. Il se dégageait donc de sa danse une sensation de plénitude et de sérénité. Elisabeth Platel eut été la meilleure des Nikiya si seulement le ballet avait commencé à l’acte II. Au premier, elle ne semblait jamais à l’aise dans l’adage avec l’esclave (un ajout de Sergeev pour sa femme Doudinskaïa dans les années 50) et sa scène de rivalité ne supportait pas la comparaison avec celle de Guérin. Par contre, son acte à la robe orange était fascinant. Une qualité particulière de sa peau pour prendre la lumière, ses arabesques développées depuis un retiré sur pointe effectuées sans aucun tremblement, son profil élégant, tout cela faisait d’elle une image de la beauté outragée. Et il y avait l’acte III… Platel y était dans son élément. Ses lignes ne s’arrêtaient pas au bout de ses membres, elles semblaient se prolonger à l’infini, dessinant dans l’espace toute une géométrie de courbes et de droites à la fois éphémères et inoubliables. Sa variation du voile, cette saison en particulier, était exécutée avec des planés et des ralentis que je n’ai plus jamais revus depuis. La communication spirituelle des deux héros malheureux par-delà la mort ne pouvait être mieux rendue. Tamara Karsavina, dans les années 60, disait regretter que l’écharpe ne s’envolât plus dans les airs par un jeu de machinerie à la fin de la variation. Il me semblait qu’avec Elisabeth Platel, un tel procédé n’était pas nécessaire.

Mais voilà bientôt vingt que cela a eu lieu. Certains des danseurs qui se trouveront sur scène le soir de la première n’étaient peut-être pas nés lorsque leurs ainés dansaient ces rôles.

Adieu l’Histoire… Et vive l’actualité !

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Histoires de Bayadères (3.1)

Les Devadasi parisiennes de la création (1992-93)

La distribution de la première (eh oui, si vous ne le savez pas déjà, j’y étais !)

À Paris, Noureev, qui avait déjà monté le seul acte blanc en 1974, avait voulu pour sa Bayadère en trois actes, mettre l’accent sur le drame. Isabelle Guérin était incontestablement une interprète pour Théophile Gautier. Le teint assombri d’une nuance cuivrée, collants et pointes assortis à l’ensemble du maquillage, elle rappelait à s’y méprendre les tableaux orientalistes de Delacroix. Sa Nikiya était sous le signe du drame. Le grand Rudolf avait tout fait pour qu’il en soit ainsi. Il annonçait fièrement dans le magazine « Danser » qu’il avait voulu commencer les répétitions par la scène de rivalité entre la Bayadère et la princesse Gamzatti, un passage entièrement mimé. On gage que cette première séance de travail a été fort tendue. Elisabeth Platel, la seule ballerine à avoir dansé la version intégrale du ballet –en invitée au Bolshoï, s’il vous plait !-, habituée des créations de rôles titre dans les relectures de Noureev, n’écopait, pour la première série d’octobre, « que » du rôle de Gamzatti. Sans doute, cela a-t-il donné un fond de véracité à cette empoignade d’étoiles au sommet de leur carrière.

Laurent Hilaire, Acte III, sc. 1

Les points forts de l’interprétation d’Isabelle Guérin étaient donc les deux premiers actes. Le premier adage avec Solor, devant le temple, émanait d’une sensualité contenue mais palpable aux côtés d’un Laurent Hilaire rayonnant d’élégance et de virilité (les grands jetés de sa première entrée ainsi que sa variation de l’acte II resteront toujours un souvenir cher à ma mémoire de balletomane). Sa scène de la corbeille, au deuxième acte, était très personnelle. Il s’y mêlait fort peu de danse rituelle. La première partie était un monologue, une plainte intériorisée où tout et tous, même Solor, semblaient abolis.

Isabelle Guérin. Acte II

Le presto à la corbeille, avec ses inégalables déhanchés sur pointe étaient exécutés sans le sourire traditionnel de la version russe ; un peu comme si Nikiya agissait déjà sous l’effet du venin. Piquée par le serpent, sa pantomime de rébellion faisait l’effet d’une vraie malédiction. Il aurait fallu un quatrième acte à cette interprète pour la mener à bien. Le troisième acte d’Isabelle Guérin était absolument ciselé. Les lignes étaient pures, la danse absolument silencieuse, les redescente de pointe ralenties, grâce à des pieds à la fois flexibles et forts. Il entrait néanmoins peu d’exultation dans cette réunion posthume. Isabelle Guérin gardait sur son visage l’expression d’infinie tristesse qu’elle avait eu lorsque, prête à mourir, elle avait vu Solor donner la main à sa rivale. Ce troisième acte était-il la réunion des amants ? Peut-être pas. Le pardon de Solor, sans doute, mais pas sa rédemption. Même si c’est ce rôle de Nikiya qui me convertit à Isabelle Guerin, que je goûtais peu auparavant, je suis resté toujours un peu hermétique émotionnellement à son acte blanc.

Elisabeth Platel, dans le rôle de Gamzatti, jouait de contraste avec la Nikiya d’Isabelle Guerin, au moins pour l’usage de l’exotisme. La peau très blanche et l’œil très noir, rutilante d’or, elle semblait sortit plutôt d’un tableau préraphaélite (pour la carnation) ou de Gustave Moreau (pour l’esprit).

Sa Gamzati était une princesse consciente de son rang qui punissait sans état d’âme la coupable de lèse majesté. Il perçait cependant une pointe d’humanité dans son tête à tête désolé avec le portrait de Solor. On imaginait qu’elle était presque tombée amoureuse du bel inconnu, son promis. Par la suite, cependant, elle ne défendait pas son amour, elle réclamait son dû. Après que Nikiya ait tenté de la poignarder, son regard implacable me donnait le frisson. Sa pantomime de vengeance (un poing refermé lentement en même temps que le bras s’abaisse) avait une telle autorité qu’elle semblait réellement commander au rideau de scène qui s’abaissait lui aussi. Le timing était pourtant le même tous les soirs et avec tous les interprètes. Je n’ai pourtant jamais eu cette impression qu’avec elle.

Elisabeth Platel, Acte II. Copie d'écran de la captation filmée de 1993.

Elisabeth Platel, Acte II. Copie d’écran de la captation filmée de 1993.

Je ne sais cependant si Elisabeth Platel a gardé un excellent souvenir de ce rôle. D’une part, il était lié à la déception initiale de ne pas être choisie pour Nikiya (le rôle condense pourtant une part considérable des rares altérations et complications que Noureev, alors très mal en point, avait eu la force de placer dans ce ballet).D’autre part, le grand pas d’action où elle excellait pourtant (Intrada et variation), lui résistait au moins sur un point : La Coda. On y voit en effet Gamzatti arriver par le fond du somptueux décor de Taj Mahal tandis que l’ensemble du corps de ballet féminin exécute un pas de pas de valse rangé en arc de cercle. La ballerine commence alors ce grand final par une série de tours fouettés en dedans achevés, fixés devrait-on plutôt dire, en attitude. (en lieu et place des traditionnels fouettés à l’Italienne -Grand battement, fouetté, attitude- qu’on peut voir à la fin de la variation de la Dryade dans Don Quichotte). A cette complication de la chorégraphie, Elisabeth Platel rajoutait une exigence personnelle (aucune autre Gamzatti n’a jamais semblé s’en préoccuper) : se régler sur le tempo de l’orchestre. Platel voulait fixer l’attitude en l’air avant le fouetté suivant là ou les autres assuraient juste un mouvement giratoire continu. Mais nombreux étaient les soirs où le dernier fouetté attitude ne passait pas. Heureusement, après quelques piétinés pour combler le hiatus, la ballerine commençait sa série des tours fouettés en dehors (traditionnels, ceux là) qui soulevait littéralement la salle. Je me souviens d’avoir entendu dire dans une loge voisine de la mienne. « Mais elle fouette aussi facilement que je bât une mayonnaise ! » Ce que la formulation perdait en élégance, elle le gagnait en acuité.

Que de souvenirs … Il est regrettable que la captation de 1994 (j’étais dans la salle) n’en donne qu’un pâle reflet. La meilleure des prises, faite un soir où l’une des trois ombres principales avait été remplacée par un sujet (pourtant de grande qualité), n’a pas été retenue et le placement de la caméra frontale, vraisemblablement trop basse sur pieds, écrase les sauts des protagonistes dans le grand pas d’action de l’acte des fiançailles.

Bon… Une chose est sûre, je vais avoir besoin d’un « Histoire de Bayadère 3.2 » pour finir ces réminiscences d’un temps révolu.

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J’ai gagné à la loterie

Grâce à ma capacité à cliquer plus vite que mon ombre, j’ai sécurisé il y a des semaines des tas de places pour la Bayadère, spectacle aujourd’hui archi-complet. À présent que les distributions sont publiques, il me faut organiser leur répartition. J’avais onze places sur huit dates. Je me suis déjà délesté, au profit d’un idolâtre, de mon billet « Zakharova » du 2 avril. Restent donc sept dates, qui, sous réserve de changements, se répartiront comme suit:

– trois soirs différents – ô volupté de la surabondance ! – avec Aurélie Dupont dans le rôle de la danseuse sacrée, Josua Hoffalt pour sa prise de rôle en Solor et Dorothée Gilbert pour camper l’éruptive Gamzatti ;

– deux soirs – diantre, c’est presque autant de trop – avec Émilie Cozette, Karl Paquette et Laura Hecquet ;

– une soirée et une matinée avec une triple prise de rôle pour Myriam Ould-Braham, Florian Magnenet et Mathilde Froustey.

La vie étant relativement bien faite, le nombre de places disponibles n’est pas en rapport avec l’attractivité des distributions. J’ai au total quatre places pour la première distribution, quatre pour la deuxième, et seulement deux pour la troisième. Comme de bien entendu, ma place la plus chère est pour la distribution qui m’émoustille le moins.

Grâce au retard pris par l’Opéra de Paris dans la publication des distributions, j’ai autour de moi une pléthore de malheureux qui n’ont pas voulu acheter, lorsqu’il en était encore temps, de places à l’aveuglette. Je pourrai les faire ramper devant moi en échange d’un de mes doublons. Je me sens comme un Brahmane en passe d’abuser de sa danseuse sacrée.

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A very biased plot summary for La Bayadere

LA BAYADERE [the temple dancer]
Choreography by Rudolf Nureyev (1992) after Marius Petipa (1877)
Music (not that bad, if not lazily played) by Ludwig Minkus

L’article en Français

Even before he would create the great trilogy with Tchaikovsky – Swan Lake, Sleeping Beauty, and The Nutcracker – the French-born choreographer Marius Petipa produced several classic ballets in Russia all using the same formula: an exotic setting, a dramatic love triangle (as in most operas), and an acclaimed “dream scene” (which the French call a ballet blanc) where the hero sees his beloved multiplied into 32 ballerinas clad in identical tutus. This particular ballet had never been shown outside of Russia until the Kirov troupe brought its production to Paris in 1961 (along with Rudolf Nureyev).
Try to not take the “orientalist” aspects of this melodrama too seriously. Let yourself enjoy this fruity depiction of “local color” set in some kind of fantasy India, created by artists who had never been there except in their imaginations. Get swept away by passion as it was experienced in the 19th century!

ACT I (48 minutes)
SCENE 1: AT THE TEMPLE OF FIRE AND WATER
The noble warrior Solor sends his companions off to catch a tiger for the Rajah. It’s only an excuse to be alone, for Solor summons the Fakir and orders him let Solor’s beloved, the virginal temple dancer Nikiya [aka LA Bayadère] know that he will be waiting for her in the garden. Their love is secret and forbidden: they belong to different castes.
Solor hides and watches the entry of the Grand Brahmin, keeper of the sacred flame. He summons the priests and the bayadères (dancers of the sacred temple), as the fakir and fire-worshippers lacerate themselves before the altar. Finally, Nikiya performs her ritual dance. When she and her sisters bring water to the exhausted faithful, the Fakir passes along Solor’s message.
The Brahmin clenches his fist. Not Good... Francis Malovik.But first…the Brahmin corners Nikiya. He offers her his crown (and, yuk, the bald head beneath it). She uses the excuse that they are of different castes to try to get him to go away: she is only a lowly servant (pantomime gesture of lifting a water jug to her shoulder). But finally she has to just push him away.
When all depart, the lovers can finally meet and dance ecstatically. Unaware that the Brahmin is spying on them, Solor swears eternal love and fidelity on the sacred fire. The Brahmin clenches his fist and swears to crush his rival.

The Rajah clenches his fist. Really not good... Jean-Marie Didière.

SCENE 2: AT THE PALACE OF THE RAJAH
Less sacred girls dance to please the Rajah and his court. He calls for his daughter, Gamzatti, to tell her that she is to be married, if she agrees, to the handsome man in a portrait on display: Solor. Gamzatti likes what she sees and exits. Solor enters, but is horribly surprised by the news. He cannot admit that he is already betrothed to another (to a dancer, no less); nor can he bring himself to disobey his sovreign. Nodding, he decides to figure this one out later.
Nikiya has been summoned to perform her usual ritual dance to bless an event at court. Carried about by the Slave (in the pas d’esclave), she strews flowers upon the princess. Neither Nikiya nor Gamazatti realizes that she is facing “the other woman.”
The Brahmin arrives and demands to see the Rajah. He spills the beans, as Gamzatti eavesdrops: Solor is in love with…that dancer. To the Brahmin’s horror the Rajah clenches his fist and pushes them downwards. He still wants Solor as a son-in-law, so Nikiya must be crushed instead.
The princess clenches her fist. It's Baaaaad!Gamzatti, toying with her bridal veil, summons the impertinent dancer. After first pretending to be her new friend she gets into action: “see that portrait of Solor? Well he’s mine now! Take this necklace, you pathetic worm, it’s worth more than you could earn in three lifetimes! Leave him to me!” Nikiya cannot believe that the love of her life could betray her like this and finally explodes. Just in time, the nursemaid grabs the knife from Nikiya’s hand. Gamzatti clenches her fist and swears to crush her rival.

INTERMISSION (20 minutes)

ACT II (43 minutes)
THE ENGAGEMENT PARTY AT THE PALACE
Baya IndièneGrand pageantry. All make spectacular entrances, especially Solor on an elephantine contraption (less spectacular is the droopy stuffed tiger his companions carry in). The conceit of a party allows for a series of colorful dances: with fans, with parrots, by the bridesmaids; by the airborne Golden Idol; by the Manou who balances a water jug on her head; by the “Indian fire dancers” who do a kind of can-can

…and finally it’s time for the:
Grand Pas de Deux, the celebration of Gamzatti and Solor’s engagement. It is a chance for the audience to enjoy glorious unabashed pyrotechnics. (Originally in Act IV, see note below)
Baya mortTheir dance just ended, Nikiya arrives to do her duty: yet another dance to consecrate a festive event. Distraught, she, keeps trying to catch Solor’s gaze. “Can this really be true? Can you abandon me just like that?” Gamzatti’s ayah gives the girl a basket of flowers – “from him.” The poor girl’s joy – he still loves me! – is shattered when the serpent hidden amongst the flowers bites her. Gamzatti sent the flowers, after first placing an asp in them. The lovelorn Brahmin offers Nikiya an antidote to poison, but Nikiya finally understands that Solor will never dare to renounce his caste and position for her sake. She prefers to die.
Only now does Solor realize what he has done.

INTERMISSION (20 minutes)

ACT III (40 minutes)
IN A PERFUMED GARDEN
Distraught, ashamed, still in love, Solor takes a giant dose of opium.
As he drifts to sleep the vision of an infinite number of idealized Nikiyas, clad in pristine white tutus and chiffon veils, waft into the garden. They are the Shades, bayadères who died for love and are fated to wander between this world and the next. You should be as stunned as Solor by the corps de ballet: dozens of soloist-caliber women sublimate their egos in order to achieve this kind of kaleidoscopic harmony. (Watch for three solos, given to the most talented young dancers). When Solor dances with the ghost of Nikiya each touch, each turn, brings them closer together. At one point, a long veil stretched between them symbolizes their connection. Solor literally jumps for joy in his solo. The act ends in triumph: Nikiya has forgiven him, therefore they shall never be parted.

Baya ombres

Notes:
Act III — “The Kingdom of the Shades” — serves as a starter or touring version for many companies.  Boiled down and sans elephant, all you need are: a ramp, a guy, a gal, and 24 to 32 pairs of thighs topped by white tutus ready to plié until they « feel the burn. »
Originally, there was even an Act IV! In it, Solor returns to earth and marries Gamzatti after all. This makes the gods angry, who then bury the entire wedding party under the the rubble of the imploding palace. This Samsonesque act has rarely been staged since WWI. Dramatically,  let’s be honest, anything is a letdown after Act III.  Solor comes off as a real creep for going back to his fiancée. But most of all, a collapsible set costs a fortune!

All pictures in this article are screenshots from the 1994 film with the original cast (Isabelle Guérin, Laurent Hilaire, Elisabeth Platel, Francis Malovik, Jean-Marie Didière, Lionel Delanoë, Virginie Rousselière, Gil Isoart).

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Histoires de Bayadères (1)

Pour tromper l’attente de la reprise du dernier blockbuster de Noureev, dont on attend toujours que l’Opéra en publie les distributions, remontons un peu le temps et traçons l’Histoire ou plutôt les histoires de ce ballet…

Bayadère, exotisme et papier peint.

Voilà, très bientôt, les danseurs de l’Opéra évolueront de nouveau dans la somptueuse production Frigerio-Squarciapino voulue par Rudolf Noureev pour sa Bayadère. Une production qui, élégamment, convoque, tout en le commentant, l’orientalisme romantique du XIXe siècle. Car à l’époque même de sa création, Bayadère est l’expression d’un goût presque révolu pour un orient de coloriste.

Elle est la fille posthume de Théophile Gautier. En 1837, celui qui déplorait les « Bayadères café au lait » aux figures « négligemment barbouillées d’ocre ou de jus de réglisse » portant aux mains « des gants de soie ou de coton d’une teinte inqualifiable » de l’Opéra-ballet « le Dieu et la Bayadère » monté par Filippo Taglioni pour sa fille Marie qui, pour sa part, « svelte, diaphane et blanche », « avec un complet dédain de la couleur locale », « se contentait d’être la Sylphide et de danser, comme elle dansait, d’une façon adorable et pudique » était à quelques mois du choc « Amany », l’authentique devadasi de Pondichéry venue avec une troupe de danseuses sacrées et de musiciens se produire à Paris pour 28 représentations en août-septembre 1838. Avec son flair d’artiste Gautier avait humé goulument , pour mieux se l’approprier, le parfum de couleur locale des visiteuses : « un large pantalon à l’Orientale, retenu au dessous des hanches par une courroie de cuir vigoureusement sanglée, descend à grands plis jusqu’aux chevilles […] Entre cette brassière et le pantalon, il reste un assez grand espace entièrement nu, et qui n’est pas le moins paré. On ne saurait rien voir de plus charmant que cette peau blonde et dorée […] sur la quelle la lumière joue et frissonne en luisants bleuâtres ».

De ce choc culturel, naitra vingt ans plus tard, sous la plume de l’homme au gilet rouge, le prototype de La Bayadère, « Sacountala » : la « forêt sacrée de l’Inde », peinte par Hugues Martin (qui y avait vécu), remplit alors le poète d’aise avec « tout son luxe de végétations bizarres, pour nos yeux du moins, accoutumés à des frondaisons plus sages ». Assurément, on était loin de la production du Dieu et la Bayadère ; la forêt « ne ressembl[ait] ni au Bas-Bréau ni au Bois de Vincennes ».

La couleur locale des peintres orientalistes entrait à l’Opéra… Le ballet était chorégraphié par Lucien, frère de Marius Petipa ; il y avait là un prince amoureux d’une Bayadère, un brahmane et une méchante princesse Hamsati. Nul doute que Théophile Gautier aura eu le sentiment d’être plus fidèle aux devadasis avec son argument s’inspirant de la genèse du Maha barata. Et tant pis s’il se trompait, lui qui comparait l’une des danse d’Amany à une jota arragonese. Sacountala est aujourd’hui disparue et qui connait la partition de Reyer ? La Bayadère, sa cadette, demeure.

La production de l’Opéra de Paris, loin d’une redite servile des fastes scéniques du XIXe, porte un regard distancié sur cette couleur locale de l’époque romantique dont la Bayadère est une tardive et ultime inflorescence.

Le plateau, comme c’est souvent le cas chez Ezio Frigerio, est un espace unique et fermé –ici par l’impressionnante coupole dans l’esprit du Taj Mahal-. Cet espace funéraire de luxe est encadré par des pendrions de feuillages exotiques que Gautier se serait sans doute employé à détailler comme dans sa critique de Sacountala. Rompant avec une tradition instaurée en 1900 par Petipa lui même pour une reprise du ballet avec Mathilda Kshessinska, Noureev a voulu que la scène des ombres soit présentée non pas devant un fond uni et sombre mais comme partie d’un exubérant décor de jungle qui rappelle furieusement les précieux papiers peints au pochoir et finis à la main qu’on trouvait dans les demeures bourgeoises depuis la fin du XVIIIe siècle et qui connurent une vogue particulière sous le Second Empire.

Un papier peint de la maison Zuber

Il y a un petit côté jardin peint de la vieille salle Labrouste (BNF) ou encore jardin d’hiver, impression renforcée par les vitraux fortuny qui figurent le palais de Solor pour la scène de l’Opium introduisant l’acte des ombres.

On pourrait se croire aussi un instant dans la somptueuse demeure de la Kchessinska, épouse du Grand duc André et recréatrice de Nikiya en 1900 ;

Maison de Kschessinska à Petersbourg.

On pourrait enfin se sentir, tel un spectateur du XIXe siècle, immergé dans un décor peint de rotonde panoramique -ces grandes salles circulaires aux parois aveugles tellement en vogue au XIXe siècle. Tel un momument, le Monde y était présenté, pour reprendre une formule de Viollet-le-Duc, « rétabli dans un état complet qui peut n’avoir jamais existé à un moment donné »

Paysage de rotonde panoramique

On aime cette esthétique de papier peint. Plongés dans un orient improbable fait d’éléphants à roulettes, de petits esclaves nubiens et d’idoles animées, mais assurément pas dans une Inde de pacotille, nous sommes justes invités à assister, dans un contexte réinventé, à l’enchantement de la naissance du ballet académique.

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