Archives de Tag: Sofia Rosolini

La Belle au bois dormant à l’Opéra : l’aurore d’un prince

La Belle au bois dormant. Ballet de l’Opéra de Paris. Représentation du 11 avril 2025.

A la mi-temps de cette première série de Belle au bois dormant à l’Opéra, la fatigue commençait à se faire sentir. Au prologue, le concert des fées de ce 11 avril, qu’on avait beaucoup apprécié presque un mois auparavant, nous semblait un peu « fatigué ». Rien de bien grave : de petits tremblements sur pointe ou des tempi émoussés. Seule Célia Drouy en fée aux doigtés et Héloïse Bourdon en septième fée restaient au parfait. L’ensemble avait beau être réveillé par la Carabosse vindicative à souhait, à la bouche amère, de Sofia Rosolini face à la fée Lilas d’Emilie Hasboun et sa pantomime bien accentuée, on se demandait bien encore si la soirée n’allait pas être longuette.

La princesse d’Aurore du jour ne fait pas particulièrement partie de notre panthéon personnel. Sae Eun Park a su nous émouvoir l’an dernier en Giselle, mais le fait reste encore suffisamment exceptionnel pour que le doute demeure.

Mais à l’acte 1, la danseuse mérite amplement un accessit. Sae Eun Park effectue une entrée très légère. L’adage à la rose est confiant. Sans être affolants, les équilibres sont assurés. En revanche, la variation aux piqués arabesque nous a semblé manquer de relief : mademoiselle Park, toujours efficiente techniquement et dernièrement de plus en plus musicale, retombe parfois encore, pour ses soli, dans le mode automatique qui fut trop longtemps sa marque personnelle. Mais tout cela est rattrapé par la coda avant la piqûre traîtresse, interprétée avec du ballon, de jolis double ronds de jambe sur les temps levés et des renversés dynamiques.

Mais pour tout dire, on attendait impatiemment l’acte 2. Par le hasard des blessures, Paul Marque, que l’on apparie trop souvent avec Sae Eun Park alors que l’un comme l’autre ne s’apportent pas grand-chose, avait laissé la place à la sensation du moment, un jeune italien du nom de Lorenzo Lelli, récemment promu au grade de sujet.

Monsieur Lelli, brun, de taille moyenne, un sourire épinglé digne d’un emballage pour tube dentifrice, partage une caractéristique avec mes autres Désirés (messieurs Docquir et Diop) : celle de faire une entrée à la chasse complètement anodine. On n’est pas impressionné d’emblée.

Et puis Lorenzo Lelli commence à danser… Il est doté d’un très beau temps de saut, d’une arabesque qui s’élève sans effort au-dessus de la ligne du bas du dos. Mais d’autres sont doués de ces qualités plastiques enviables. Ce qui marque surtout, c’est son incroyable musicalité ; c’est le phrasé de sa danse. Lelli introduit en effet des variations de vitesse : les préparations de pirouettes par exemple sont calmes, leur exécution à proprement parler est preste et les fins se font comme au ralenti. Désiré-Lorenzo n’oublie pas l’histoire non plus, semblant revenir vers la porte où était apparue la fée Lilas comme pour y chercher une réponse. La variation lente, qu’on avait surtout trouvée longue lors des précédentes représentations, redevient le moment de poésie introspective conçu par Noureev et non un simple exercice de – grand – style.

Sae Eun Park (Aurore) et Lorenzo Lelli (Désiré)

Du coup, la scène des dryades commence plutôt bien avec une Aurore-Sae Eun, très sereine et royale. Le jeu de cache-cache au milieu des bosquets mouvants du corps de ballet féminin est à la fois allégorique et dramatique. La demoiselle retourne bien un tantinet en mode automatique au milieu de sa variation et le jeune homme pourra parfaire ses tours à la seconde mais, au final, on s’est reconnecté à l’histoire contée dans le ballet.

À l’acte 3, les qualités de Lorenzo Lelli s’appliquent à merveille au grand pas de deux d’Aurore et Désiré. Lelli est bon partenaire. Il regarde sa partenaire et lui donne confiance au moment des redoutables pirouettes-poissons pour un rendu impeccable. La pose finale de l’adage est finement amenée, conservant un élément de surprise bienvenu. Dans son solo, le danseur exécute sa batterie d’une manière aiguisée, domine parfaitement ses tours en l’air et, par ces variations de tempi dont il a le secret, sait mettre en exergue un épaulement ou une arabesque. Sae Eun Park joue en contraste avec la pyrotechnie de son partenaire en accentuant, l’air de rien, le crémeux de son écot.

Ajoutez à cela un quintette de pierres précieuses bien réglé – Keita Bellali montre ses belles qualités dans les pliés et les directions de l’Or et Alice Catonnet est très élégante en Argent. Le trio qui les entoure est bien assorti et scintille. Considérez une belle surprise dans l’Oiseau bleu : Rémi Singer-Gassner a une batterie limpide et du ballon à côté de la très délicate Luna Peigné. Terminez par un duo de Chat primesautier : Eléonore Guérineau, à la fois taquine et aguicheuse et Isaac Lopes Gomes en incarnation même de la dignité offusquée. Vous aurez alors le récit d’une soirée en forme de tourbillon ascensionnel.

Ce diaporama nécessite JavaScript.

Mais on ne se refait pas ; l’esprit inquiet et chagrin que je suis ne peut que s’inquiéter du fait que l’authentique sensation de la soirée soit un artiste qui est entré dans la compagnie par le concours externe. Il y a chez monsieur Lelli un flair et une liberté d’interprétation qu’on espère que l’Opéra, très obsédé par la correction philologique, ne cherchera pas trop à aplanir et à formater.

2 Commentaires

Classé dans Humeurs d'abonnés, Retours de la Grande boutique

Les Italiens de l’Opéra de Paris : transmission, création, émotion

Les Italiens de l’Opéra de Paris. Photographie Ula Blocksage

Toujours avides d’expériences extra-muros avec les danseurs de la Grande Boutique, les Balletonautes ont envoyé une paire d’yeux avertis doublés d’une plume aguerrie à la rencontre des Italiens de l’Opéra de Paris en visite à Suresnes les 14 et 15 octobre dernier. Voilà de quoi il en retourne…

Parce qu’il a remarqué que, sur les 16 membres d’origine étrangère du Ballet de l’Opéra de Paris, 11 étaient Italiens, le Premier Danseur Alessio Carbone s’est penché sur la longue histoire des relations entre la France et l’Italie dans le domaine de la danse. Nombreuses furent les ballerines italiennes  jusqu’au début du 20e siècle à faire les belles heures de la scène nationale, telle Carlotta Zambelli pour n’en citer qu’une. Cette tradition perdura jusqu’au « dernier italien » Serge Peretti ; puis, il fallut attendre 1997 pour qu’un certain Alessio Carbone marque le retour des danseurs italiens à l’Opéra de Paris.

Après un spectacle inaugural à Venise l’an dernier, les Italiens de l’Opéra de Paris ont donné leur premier spectacle en France le week-end dernier, au Théâtre de Suresnes, sous la direction artistique d’Alessio Carbone lui-même. Figure talentueuse et extrêmement sympathique parmi les solistes de l’Opéra, il a eu à cœur de choisir de très jeunes éléments du ballet afin de leur transmettre toutes ses valeurs. A première vue le résultat pourrait sembler un peu hétéroclite avec de très jeunes et d’autres danseurs beaucoup plus expérimentés tels Letizia Galloni, Valentine Colasante, Simon Valastro et Alessio Carbone. Le résultat en est encore plus bluffant, bien loin de ces galas traditionnels qui, alignant les pas de deux à la suite, ne font pas preuve d’une grande imagination artistique, c’est le moins que l’on puisse dire.

Le programme mêlait des pas de deux classiques judicieusement choisis car, justement,  éloignés des sentiers battus : le Grand Pas classique d’Auber et Diane et Actéon. Ils furent vaillamment défendus par une jeune ballerine au visage à peine sorti de l’enfance, Ambre Chiarcosso, qui montre des équilibres impressionnants ! Avec ses partenaires tout aussi jeunes qu’elle (Giorgo Fourès dans le Grand Pas Classique et Francesco Murra dans Diane et Actéon), ces redoutables démonstrations de style furent réussies malgré les embûches des chorégraphies grâce, entre autres, à un extrême sens de la mesure, rare aujourd’hui chez d’aussi jeunes danseurs.

Alessio Carbone lui-même avait ouvert le spectacle avec Letizia Galloni pour l’un des Préludes de Ben Stevenson, jolie entrée en matière grâce à la présence d’Andrea Turra au piano. On les retrouva ensuite dans Together Alone, un pas de deux de Benjamin Millepied où on les sentait extrêmement à l’aise, fluides, musicaux et inspirés. Dans la même veine plus originale, Valentine Colasante défendit avec assurance et beaucoup de charme un solo de Renato Zanella, Alles Walzer.

Ce diaporama nécessite JavaScript.

 

La véritable richesse de ce programme fut une création originale de Simon Valastro. Les habitués de l’Opéra de Paris connaissent bien ce Sujet et ont pu déjà suivre son évolution comme créateur. Ici Mad Rush (musique de Philip Glass, jouée au piano par Andrea Turra) réussissait l’exploit de réunir toute la compagnie. Ce ballet était une commande du Festival de Ravello en juillet dernier et le thème en avait été imposé : l’immigration. Simon Valastro a réussi une pièce extrêmement aboutie qui mêle solo aussi sobre qu’expressif (Sofia Rosolini, aux bras suggestifs, déjà remarquée en première partie pour son excellent In the Middle Somewhat Elevated avec Antonio Conforti ) que parties de groupe, démontrant que, même très jeune, bien dirigé et motivé, un danseur de l’Opéra peur s’imposer en scène autrement que par sa technique ! L’ensemble, à la chorégraphie affutée et poignante sans jamais tomber dans le pathos, augure bien des possibilités de ce groupe et de son chorégraphe.

Ce diaporama nécessite JavaScript.

*

 *                                     *

Sofia Rosolini pendant la rencontre organisée avec les danseurs le 15/10

Dans une rencontre avec le public organisée juste après le spectacle, Alessio Carbone a très gentiment répondu aux questions du public, parfois néophyte, faisant même intervenir ses danseurs qui l’entouraient. Il a longuement insisté sur le sentiment de transmission qui l’animait en dirigeant ce groupe. Le meilleur exemple en est Aunis qui clôturait la première partie. Bénéficiant lui aussi de l’accompagnement des musiciens sur scène ce trio mêlait deux jeunes danseurs (Francesco Mura et Andrea Sarri) à Simon Valastro et il était passionnant de voir comment chacun d’entre eux maîtrisait cette difficile succession de pas, rythmée sur des musiques traditionnelles vendéennes. Sans conteste ce fut la meilleure interprétation depuis le trio mythique Jean-Claude Chiappara, Kader Belarbi et Wilfried Romoli; d’ailleurs c’est ce dernier qui a fait travailler lui-même les interprètes italiens. Transmission toujours…

Ce spectacle se révéla donc une très bonne surprise. Connaissant les exigences artistiques d’Alessio Carbone et de Simone Valastro, on ne pouvait que s’attendre à un résultat de haut niveau et on n’a pas été déçus mais en plus totalement séduits par l’intelligence du programme et sa fraîcheur, l’émotion et/ou l’énergie générées par les pièces dansées et… par leur humilité à tous.

« Aunis », Jacques Garnier. Andrea Sarri, Francesco Mura et Simon Valastro. Photographie Ula Blocksage

Commentaires fermés sur Les Italiens de l’Opéra de Paris : transmission, création, émotion

Classé dans Blog-trotters (Ailleurs), France Soirs

Boucles hostiles

P1010032Les Applaudissements ne se mangent pas (Maguy Marin, 2002). Opéra Garnier, soirée du 27 avril 2016.

À part le rideau multicolore, fait de rubans de plastique encadrant la scène, rien n’est gai dans la pièce de Maguy Marin. La musique de Denis Mariotte, oppressante, évoque tantôt le vrombissement d’un moteur tantôt le vacarme d’une chaîne d’assemblage, et enferme le spectateur dans sa boucle sonore. Les danseurs – quatre filles et quatre garçons – apparaissent ou disparaissent à travers le rideau, traversent la scène en marchant, en courant. Se toisent, s’évitent, s’affrontent.

La tension est palpable. Elle irrigue la gestuelle, les regards, et explose dans les rapports entre les personnes. Dans Les applaudissements ne se mangent pas, le corps est un instrument de combat. Les portés sont hostiles : l’autre est un appui, un moyen de scruter l’horizon de plus haut ; on l’escalade, puis l’on s’en détache sans un regard. Chaque interaction semble empreinte d’hostilité ou de défiance.

On se chiquenaude, on s’attrape par les tempes, on se repousse. Les positions sont interchangeables – tel oppresseur devient oppressé – mais pesamment répétitives. Par moments, un danseur s’effondre, convoquant une image de mort. Un autre vient le porter hors de scène. À de très rares moments – une accolade entre deux danseurs vers la vingtième minute, trois pas de deux au sol vers la quarantième – l’idée de la coopération pointe le bout de son nez. Fausse piste, vain espoir. Au final, l’apaisement ne semble jamais que le sous-produit de l’épuisement.

Je découvre après le spectacle que la pièce, créée en 2002 pour la Biennale de Lyon, qui avait pour thème l’Amérique latine, fait écho à Las venas abiertas de América Latina (1971), d’Eduardo Galeano.  L’arrière-fond politique de l’œuvre s’éclaire, sans chambouler l’impression d’ensemble, car tout dans la chorégraphie parle de suspicion, de domination, bref, de tension dans les relations humaines.

Les applaudissements sont mous, et durent 90 secondes à tout casser. Heureusement qu’on n’en nourrit pas les danseurs, qui paient injustement le prix de l’âpreté du propos.

1 commentaire

Classé dans Retours de la Grande boutique