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Variations royales et écossaises

Ballo della Regina – La Sylphide

Royal Opera House – Ballo della Regina (George Balanchine / Giuseppe Verdi) ; La Sylphide (August Bournonville / Herman Løvenskiold; production de Johan Kobborg).

26 mai 2012 – matinée : Laura Morera & Federico Bonelli (Ballo) ; Tamara Rojo & Dawid Trzensimiech (Sylphide) ; – soirée : Marianela Nuñez & Nehemiah Kish (Ballo) ; Roberta Marquez & Steven McRae (Sylphide)

À quoi reconnaît-on une ballerine balanchinienne ? À ce qu’elle s’amuse vraiment. Il ne s’agit pas d’une sourire sur ordonnance, censé exprimer une ineffable « joie de danser » (concept creux autant qu’usité). Mais de qualités de présence scénique, d’aisance du mouvement, de facilité dans la vitesse, si pleines et entières, qu’elles en deviennent jubilatoires. Pour le public, mais – on en jurerait – pour la danseuse aussi. Ashley Bouder, dans Rubies ou dans Tarantella, donne cette impression. Marianela Nuñez aussi. Dans Ballo della regina, on gagerait qu’elle rit d’avoir tourbillonné sans effort apparent, laissant son public bouche bée. Sa maîtrise semble contagieuse, puisqu’on avait rarement vu Nehemiah Kish aussi précis et assuré. Balanchine a utilisé la musique du ballet de Don Carlo pour un grand pas riche en rebondissements ; à un moment, on pense que c’est fini, et la procession reprend, en route pour le vrai finale. Le couple vedette est accompagné de quatre semi-solistes (Yuhui Choe y brille sans conteste, suivie de Beatriz Stix-Brunell) et d’un ensemble de douze danseuses qu’on souhaiterait plus à l’aise. En matinée, Laura Morera remplace Lauren Cuthbertson, blessée, aux côtés de Federico Bonelli. Elle tricote joliment, sans atteindre le chic de Nuñez. Lui, propre et éloquent, ressemble à un type qui serait prince à vie. Dans cette œuvre, ils font figure de charmants impétrants face au couple royal Nuñez/Kish.

La Sylphide de Bournonville a été précieusement conservée depuis 1836, et à peu de choses près, la longueur de chaque acte correspond à la durée d’une chandelle. Il n’y a pas un gramme de graisse dans cette chorégraphie. On comprend tout de suite que James n’est pas fait pour Effie : ce n’est pas seulement que leurs tartans jurent, c’est aussi que leurs aspirations ne sont pas du même ordre. Il rêve d’ailleurs, d’absolu, d’infini ; elle est mignonne mais son monde est borné. Quand bien même une sylphide ne viendrait-elle pas l’envoûter, il finirait par se barber entre quatre murs. Mais l’esprit léger qui vient le titiller n’est pas non plus pour lui : elle lui échappe, et quand il parvient à l’immobiliser, il signe involontairement sa mort. L’idéal est, par définition, inatteignable. Steven McRae a le regard charbonneux des romantiques ; sa danse est d’une précision ahurissante. Face à lui, Roberta Marquez fait mouche en papillon. Elle a un côté gracile, fragile, qui attendrit d’emblée. Son agonie fait signe vers celle d’une Giselle, si l’on veut bien admettre que la folie et l’animalité se touchent.

Officiant quelques heures avant en Sylphide, Tamara Rojo avait des bras très jolis, et des équilibres planants (superbe double tour attitude en pointe au deuxième acte), mais faisait trop humaine pour émouvoir vraiment. Dawid Trzensimiech, qui n’est encore que « First Artist » (l’équivalent des coryphées parisiens), danse à la place de Rupert Pennefather. Il campe un James naïf, plus rêveur que sombre, plus blond, plus jeune. Il réussit particulièrement son premier solo, semblant s’immobiliser un instant en l’air, les deux jambes en attitude.

Dans les seconds rôles, Deirdre Chapman en Madge est une sorcière subtile, plus crédible que Gary Avis (qui charge trop son rôle en matinée). On reste loin cependant de la caressante cruauté que déploie Sorella Englund dans la vidéo de 1988. Gurn, rival de James auprès d’Effie, est incarné par les solides Johannes Stepanek (en matinée, avec Romany Padjak en Effie) et Alexander Campbell (en soirée, avec Sabina Westcombe). Le corps de ballet est tout à son affaire dans la gigue écossaise du premier acte, et les sylphides du second enchantent par la douceur de leurs développés. Bournonville va mieux aux danseuses londoniennes que Balanchine.

Marianela Nunez and Nehemiah Kish in Ballo della Regina - Photo Bill Cooper, courtesy of ROH

Marianela Nunez and Nehemiah Kish in Ballo della Regina – Photo Bill Cooper, courtesy of ROH

Steven McRae in La Sylphide - Photo Bill Cooper, courtesy of ROH
Steven McRae in La Sylphide – Photo Bill Cooper, courtesy of ROH

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Une récréation en apesanteur

La Fille Mal Gardée – Frederick Ashton (chorégraphie), Ferdinand Hérold (musique, arrangements John Lanchbery), Jean Dauberval (livret) ; Osbert Lancaster (décors) – Royal Ballet – Royal Opera House – Alina Cojocaru (Lise), Johan Kobborg (Colas), Alastair Marriott (Widow Simone), Alain (Paul Kay) – Représentation du 24 avril

La reprise de La Fille mal gardée à Londres est dédiée à Alexander Grant, décédé le 30 septembre 2011. L’ancien Principal du Royal Ballet était le créateur du rôle d’Alain, le naïf et maladroit prétendant de Lise, qui lui préfère le plus dégourdi Colas. On devine un peu, grâce à une vidéo de 1976, ce que Grant apportait au rôle. Il fait répéter le trio du pique-nique, durant lequel les deux amoureux se jouent du fiancé que la mère de la jeune fille veut lui imposer. Alain est censé danser avec Lise, mais Colas s’immisce entre eux et l’évince sans qu’il s’en rende compte. La réussite du pas de trois tient à ce qu’on est autant charmé par les roués qu’attendri par le berné. Raide comme un piquet, imperméable à toute notion de partenariat, il tend son bras à la parallèle du battement arabesque de Lise (à partir de 1’45’’). Il n’est pas idiot, il est ailleurs. Admirez l’expressivité du visage de Grant (0’14’’), et notamment à la toute fin de l’extrait (à partir de 2’20’’), quand il se promène main dans la main avec Lise, alternativement la tête en l’air et le menton voilé dans le poing. Voilà un personnage qui n’a besoin de rien – sauf un parapluie –pour être content.

Tout le monde est heureux, d’ailleurs, dans la campagne française où se déroule La Fille. L’amour de Lise et Colas est réciproque, guère menacé par Alain, et la mère Simone est un obstacle débonnaire et peu efficace. L’œuvre, véritable récréation bucolique, est au ballet ce que certains opéras de Rossini sont à l’opéra : un moment euphorisant de virtuosité. Sans parler des emprunts musicaux d’Hérold et Lanchbery (qui reprennent le Barbier de Séville, la Cenerentola et Elizabeth), la rapidité du travail du bas de jambe et la minutie des épaulements y sont aussi ébouriffants qu’une vocalise du compositeur italien.

La trois-cent-trente-huitième représentation du ballet d’Ashton par le Royal Ballet réunissait Alina Cojocaru, Johan Kobborg, Paul Kay et Alastair Marriott. La première est aérienne, et surprend toujours par sa capacité à insuffler de l’âme au mouvement, aussi petit soit-il. Ici, le sentiment est léger, mais cela n’enlève rien au plaisir ni à l’art : Mlle Cojocaru a des mimiques si expressives que, même quand elle ne danse pas, on ne détache pas ses yeux d’elle, de peur d’en perdre une miette. C’est le cas pendant le premier solo ridicule d’Alain, où pourtant Paul Kay fait de remarquables étincelles, composant un personnage comique, attachant, très bien dansant. Bien des étoiles du même âge peuvent envier la forme technique de Johan Kobborg, qui campe un Colas très amoureux, et séduit, comme à l’habitude, par la précision du mouvement, la légèreté (sujet du bac : on peut être léger sans élévation, et élevé sans légèreté) ainsi que l’attention à sa partenaire. Parmi les trucs à elle qui font le bonheur du spectateur, Alina Cojocaru a le chic pour une diagonale de petits pas en pointe si menus qu’elle paraît avancer comme par magie (à l’inverse, dans le DVD publié par le Royal Ballet, Marianela Nuñez danse sa variation du Fanny Essler pas de deux en accentuant le petit battement en ciseaux, ce qui donne une impression toute différente). Alaistar Marriott aborde le rôle de Widow Simone avec truculence, et on retrouve avec bonheur le jeune James Hay dans le petit solo à entrechats de la flûte.

D’autres couples sont distribués dans la série de représentations du Royal Ballet : Laura Morera avec Ricardo Cervera, Yuhui Choe avec Brian Maloney, et Steven McRae en compagnie de Roberta Marquez. Ces deux derniers danseront le 16 mai, jour où la représentation sera diffusée en direct dans 475 cinémas dans le monde entier (et 68 en France). L’Opéra de Paris présentera aussi La Fille dans la version d’Ashton à compter du 20 juin. Les distributions ne sont pas encore connues, donc tous les espoirs sont permis.

Alina Cojocaru / Johan Kobborg - La Fille mal gardée - Photograph Tristram Kenton, courtesy of ROH

Alina Cojocaru - Fille - Photograph Tristram Kenton, courtesy of ROH

Alina Cojocaru - La Fille mal gardée - Photograph Tristram Kenton, courtesy of ROH

Johan Kobborg - La Fille mal gardée - Photograph Tristram Kenton, courtesy of ROH

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On Ballet and Pop Culture Part II: Occupy the Ballet, We Are the 2.5% (No, really, please buy a ticket)

The spike we explored in the last post comes at a very convenient time for ballet companies. The US is still in a recession which means fewer people are willing to shell out the cash to spend an evening watching ballet and even less willing to donate hard earned money that could be going towards things like rent and food. Less money coming in means that ballet companies, which are overwhelmingly dependent upon donations from their audiences to function, are desperately trying to increase their fan base. To make matters even more difficult, they need to increase their fan base among the young. According to The National Endowment for the Arts’ Arts 2008 Audience Participation Report, “Performing arts attendees are increasingly older than the average U.S. adult.  Since 1982 [when the study began], young adult (18–24-year-old) attendance rates have declined significantly for jazz, classical music, ballet, and non-musical plays “(NEA 5).  To be specific, in 2008 only 2.5% of young adults attended the ballet (down 36% from 1982, when 3.5% of adults in that category attended. EEK!)

This report is from 2008; BS premiered in 2010 and was nominated for 5 Oscars and started the pop culture spike we’ve just talked about. Compare this to The Turning Point, which came out in 1977 and earned 11 Oscars nominations. The age of the average ballet patron in 1977? 33  (NEA 17). To be fair, that number is well within the median age of the American population at the time, so it’s not as if The Turning Point actually caused a huge upswing in ballet attendance; the patrons were already there. The movie was a reaction to ballet’s existing popularity, but what made people pay attention in the first place? Russians.

In 1961 Rudolph Nureyev defected from the Soviet Union and made the world start paying attention. His partnership with Margot Fonteyn is legendary, but I’m not going to go into Nureyev’s dance career (you know it, and if you don’t, here), this is just a very quick sum up of his presence in pop culture. When he wasn’t busy dancing, he was known to socialize with Gore Vidal, Freddie Mercury, Mick Jagger, Liza Minnelli and Andy Warhol among others. In 1971, Nureyev appeared on episode 213 of The Muppet Show. Up to this point, the show had struggled to attract celebrity guests but after the success of Swine Lake among other sketches the show’s popularity skyrocketed. He also starred in the 1972 documentary I Am a Dancer.  It’s fair to think of Nureyev as ballet’s reigning bad boy of the era. So at this point (early 70s), the public at large is pretty interested in ballet, making the atmosphere ripe for another ballet phenomenon. With impeccable timing, Mikhail Baryshnikov defected from the USSR on June 29, 1974 while on tour in Canada.  After a brief stint with The Royal Winnipeg Ballet, he moved to ABT and was a principal dancer there until 1978 when he hopped across the plaza to NYCB. Box office sales soared, and his performances were consistently sold out.  Public fascination with Baryshnikov is well documented. On May 19, 1975 he was on the cover of Time Magazine, which dubbed him “Ballet’s new idol.” He parlayed this success into movies with The Turning Point (1977), White Nights (1985), and Dancers (1987) among others. Audiences that had never cared about ballet before suddenly wanted to see the star, and all they had to do was spend $30 on a ballet ticket.

Hoping against hope that imported guest stars would continue to sell tickets when their own seem to flop, companies like American Ballet Theatre currently rely on a rotating panel of who’s who in the ballet world: Ivan Vasiliev and Natalia Osipova (Bolshoi, now both with the Mikhailovsky), Johan Kobborg and Alina Cojocaru (Royal), and Polina Semionova (Berlin) were all guest stars at ABT last year, and all of them are returning this season. While this does attract patrons and I certainly love the idea of sharing dancers and international collaboration (Kings of the Dance, YES!), the system does absolutely nothing to get new audience members into the theater, and it damages the company in the long run by not supporting and promoting its own company members. Unless companies like ABT want to become totally dependent on foreign imports, they need to start nurturing the talent at home.

So if all you need to create a ballet mania are ballet stars and movies, why didn’t we have a surge in the early 2000’s when Center Stage and Save The Last Dance came out? Well for one, Baryshnikov and Nureyev were already celebrities in the ballet world thanks to their very public defections from the USSR. The movies, articles and TV appearances added to their fame, which in turn added to ballet’s general popularity, but simply making a movie about ballet isn’t necessarily going jump start a specific dancer’s career. Look at Amanda Schull: poor Jody Sawyer is doing McDonald’s commercials now! Sasha Radetsky is still stuck as a soloist at ABT (a crime against ballet) and Ethan Steifel is mostly known because he just accepted the artistic director position at the Royal New Zealand Ballet, and those who don’t know that fact still think of him as Cooper Nielson. What those movies did cause is an upswing in dance movies like Save the Last Dance 2, Step Up, (and its three sequels) and, of course, a parody of all the ballet meets hip-hop movies, Dance Flick. The genre even got a mention on Family Guy (sorry for the terrible video quality on that one, but YouTube was not cooperating). So how could Black Swan avoid that trap and cause all this brouhaha? Well, Black Swan was critically acclaimed, had excellent actors, and a much hyped lesbian scene that convinced even guys who hated the very idea of a ballet movie to give it a chance. Center Stage, if we’re being honest, was a pretty cheesy movie (with some admittedly great one-liners).

Here’s why I think I’m right about all this: David Hallberg. If you watched that interview with Stephen Colbert that I posted earlier (and you really really should), then you know that Hallberg is the probably the biggest ballet star since Baryshnikov. He’s the first EVER westerner to be invited to join the Bolshoi, and having seen his performance as Rothbart in ABT’s Swan Lake, I can assure you that he is simply magnificent to behold. My jaw dropped. Literally. That combination of talent and work does exist in the US; all we need to do is support it. So really, please, go buy a ticket for the ballet this season and drag your friends along for the ride. You won’t be sorry!

Next time: Great, so now what do we do?

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Romeo and Juliet: O Happy Dagger

I would like to add one observation to Cleopold’s description of Cojocaru’s stage presence. She used her own way of moving, down to fluttering fingertips, to illustrate that quasi-animalistic/quasi-tamed state which girls live through circa age fourteen. At that moment in life a physical intelligence is there, but impulses — mostly rebellious – control their behavior.

Throughout, Cojocaru used MacMillan’s splendid choreographic outline for dancer-actors in order to strech her bodily contours into a repeated La Sylphide-like « let me escape from this flat world » gesture: a delicately thrusting up-or-outward movement of those flexible arms and fingers and toes. [MacMillan, even if he hated it, always did paradoxically encourage dancers to make parts their own. Not change the steps, mind you. But from the waist up was different and encouraged.
Interpretation reconciled with the steps he loved].Cojocaru kept reminding me of those kinds of girls who decide with a friend to leap out of a window together in some kind of wierdly exhalted state.

Juliet’s fluttering hands had been reaching yearningly towards Romeo ever since they met. Yet she also kept making gestures towards…escape. She’d clearly wanted to run away with him ever since that moment of stillness you described. Now in the last scene, as her fingers fluttered down towards him after stabbing herself her body seemed to be singing that they would find each other in a better world. That one which exists only in teenager’s dreams. The gestures made me think of a Gilda deluded enough to imagine that Rigoletto could actually find consolation in the idea that his dying daughter would meet her mother in heaven.

You, Cleo, never use binoculars, for you want the movement to speak and not the « grimaces. » I couldn’t resist at this point…I needed to be sure of what I was witnessing. For after stabbing herself she did something I’ve never, ever, seen done by a dancer or an actress in this role. This Juliet died with a radiant and ecstatic smile on her face for, clearly, she believed she was about to be reunited with the one she loved more than life itself.

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Roméo et Juliette. Juliet & Romeo … and others…

3 mars 2012, matinée ROH. Romeo & Juliet (Kenneth MacMillan, 1965)

Voilà donc cette production de Roméo et Juliette qui, pour une bonne partie du monde, est la version définitive de ce ballet sur la musique de Prokofiev et qui, pour moi parisien, est « l’autre version », celle que Noureev n’a fait que danser, celle dont il a pris le contrepied avec ses différentes moutures de la chorégraphie créée originellement pour l’English National Ballet. Bien sûr, je la connaissais par des captations télévisées, bien sûr, le pas de deux du balcon est un evergreen des soirées de pas de deux. Mais rien ne vaut néanmoins l’épreuve de la scène pour juger d’une œuvre. A l’issue de cette représentation, je comprends mieux ce que j’aime dans la version Noureev avec laquelle j’ai grandi (sa cohérence dramatique, son parti pris de la tragédie : tous les protagonistes sont agis par des traditions qui les dépassent. -il n’y a pas de méchants et de gentils-; ses scènes de rues très chorégraphiées) mais, malgré mes réserves sur la version de référence de MacMillan (beaucoup de pantomime, la rivalité entre les femmes « comme il faut » –avec balais !- et les prostituées échevelées qui sont, néanmoins, invitées à danser à la noce d’un couple de patriciens à l’acte 2; des détails éludés tels l’explication de la méprise qui conduit Roméo au suicide, ou enfin le personnage trop monolithique campé par Tybalt), je comprends aussi ce qui fait que cette version soit celle qui ait recueilli le plus de succès auprès du public. Dans la version Noureev, l’Amour qui passe au second plan, comme éclipsé par l’Eros, est une idée séduisante qui peut parfois vous éloigner des protagonistes. Dans la version MacMillan, les pas de deux sont là pour vous ramener à une question qui nous taraude tous, celle de la découverte du parèdre. C’est ainsi qu’on retrouve les mêmes ingrédients dans certains pas de deux dansés par Juliette avec Paris puis Roméo mais avec des inflexions significatives : par exemple, un demi-tour piqué depuis l’arabesque tombé dans les bras du partenaire qui replace sa partenaire sur son axe avant de la soulever en l’air à l’écart. Avec Paris, l’exercice est périlleux, le jeté sec est athlétique, avec Roméo, il respire comme dans un pas de deux de ballet blanc.

Ceci nous mène aux interprètes. A cette matinée du 3 mars, Alina Cojocaru et Johan Kobborg étaient les amants de Vérone. Le verbe « être » s’applique tout particulièrement à ces deux interprètes tant, même si c’est de manière fort différente, ils donnent chair, sang et cœur à leurs personnages. Comment décrire ces interprétations ? C’est une tâche difficile car ils dépassent la somme des qualités techniques et des intentions de l’artiste de scène. Pour Alina Cojocaru, la qualité technique, c’est l’absolue flexibilité. Et parlant de flexibilité, je ne parle pas de cette définition mécanique par laquelle on rabougrit trop souvent cette notion. La flexibilité d’Alina Cojocaru n’est pas celle des jambes, du bassin ou du bas du dos, c’est une ductilité incroyable qui convoque toutes les parties du corps, du bout du pied au sommet de la tête, le tout infusé par une énergie vibrante qui rend signifiante l’arabesque haut placée la plus acrobatique. Les mains, les bras, les épaules participent à ce mystérieux tout qu’est le génie d’Alina. À cela, qui est déjà presque tout, il faut ajouter un autre don qu’elle partage avec son partenaire : la juvénilité. Melle Cojocaru et Mr Kobborg semblaient réellement avoir l’âge du rôle (c’est-à-dire entre 14 et 17 ans). Chez Roméo-Kobborg, on retrouve la même densité du mouvement que chez Juliet-Alina. Son atout technique, c’est le plié ; un plié moelleux et généreux qui lui permet, lui qui n’a pas l’âge de ses compères de scène (Un Riccardo Cervera bondissant mais un peu juste dramatiquement dans le rôle de Mercutio et Kenta Kura dans Benvolio), de dégager une impression d’aisance même dans les passages les plus tarabiscotés du ballet.

Pas si paradoxalement que cela pourrait le sembler à première lecture, ce qui me restera de ce  Roméo et Juliette, ce sont des moments fort peu chorégraphiés : la première rencontre Juliette et Roméo, où l’immobilité des deux protagonistes semblait arrêter le temps avant que Roméo ne recule avec une maladresse compassée à la fois ridicule et charmante, et la scène du mariage où Juliette ne peut contenir sa fougue amoureuse et prend un baiser à Roméo avant même les sacrements. L’immobilité même du couple Cojacaru-Kobborg vibre de toute l’énergie du mouvement impétueux…

Il est un peu injuste de ne pas citer l’excellent groupe réuni autour de ce couple d’exception (en tête le Paris de Johannes Stepanek couvert d’un fin verni d’élégance n’endiguant pas le flot de violence lorsqu’il se sait repoussé) mais, pour moi, hier, il n’était question que de Roméo et Juliette à moins que ce ne soit de Juliet & Romeo.

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