L’Opéra a joué de malchance cette saison avec Rubis puisque deux de ses étoiles masculines majeures ont dû déclarer forfait ; tout d’abord Josua Hoffalt, qui n’a même pas pu défiler le soir de la première, puis Mathias Heymann qui a abandonné une à une ses dates, non seulement sur Rubis mais également sur Diamants. Il a fallu se passer du charme un peu macho de l’un et de la féline élasticité de l’autre.
Cela est d’autant plus dommageable que Rubis, comme le disait Edward Villella son créateur, est le seul authentique chef-d’œuvre des Joyaux. Pourquoi ? Cela vient sans doute du fait que le ballet est le seul des trois à avoir été composé sur une partition intégrale d’un compositeur (vivant de surcroît). La cohérence du « Capriccio pour orchestre » a resserré l’inspiration de MrB. et l’a obligé à la concision quand Émeraudes parait assez informe et Diamants plutôt inégal dans l’inspiration.
Balanchine contestait l’idée de Clive Barnes selon qui Rubis représentait la danse américaine, néanmoins, la tradition, les danseurs et répétiteurs ont fini par intégrer l’assertion du célèbre critique. Il est très difficile aujourd’hui de présenter ce ballet au public américain. Cet été, même les danseurs du Bolchoï qui, outre Atlantique, marchent habituellement sur l’eau, n’ont pas trouvé grâce aux yeux de la critique. C’est que le danger est réel ; l’écueil étant justement de vouloir « danser américain ».
Lors de ma distribution trois quarts répartie sur trois soirées, c’est hélas le travers dans lequel tombe Léonore Baulac (soirée du 22 septembre). Appuyant le trait du côté nymphette « cute-cute », elle se trompe de sens de l’attaque et scande sa chorégraphie à coups d’arabesques violentes, comme décochées au lance-pierre. Son partenariat avec Paul Marque est également trop heurté. Le jeune danseur, catapulté encore une fois en urgence dans un Balanchine, délivre une exécution honnête mais désespérément scolaire, du leader masculin. Il n’y a pas de jazz chez la demoiselle et encore moins chez son damoiseau. Pour compléter l’effet, ce qui, si on voulait voir le bon côté des choses avait le mérite de la cohérence, l’orchestre Pasdeloup était d’une platitude remarquable. Seule Alice Renavand, qui avait cependant commencé un peu lourd sur pointes, réveillait la salle durant le troisième mouvement avec ses jetés incisifs.
La clé de Rubis, plutôt que la « danse américaine », c’est de se raconter une histoire. Edward Villella revivait ses après-midis de bad teen boy dans Queens, mais il était Edward Villella. François Alu a, lui, l’intelligence de nous raconter son histoire et pas celle d’un autre. Il fait donc feu de tous bois avec sa puissance habituelle (ainsi que son certain manque de lignes) et cabotine en parfait Marlou (le soir du 29). Valentine Colasante joue l’intello de la classe de terminale qui s’encanaille auprès du trublion des cours, du séduisant rustaud, mais qui déploie des trésors de ruse pour garder sa dignité de bonne élève. Elle semble vouloir gagner sur les deux tableaux et y parvient. Le soir du 29, Hannah O’Neill est une grande soliste au chic indéniable et à la ligne découpée au laser. Le corps de ballet s’en donne à cœur joie ; les garçons sont tous épatants. Mais c’est pour la soirée du 7 octobre qu’on atteint l’acmé. François Alu en disait presque plus de lui dans les quelques minutes du final que dans les deux heures de son spectacle « Hors cadre » dont la première avait lieu le lendemain. Villella se voyait comme un « chef de meute » conduisant les quatre garçons. Avec François Alu, on a le sentiment que, censé rentrer dans le rang, marcher au pas, il passe son temps à s’échapper pour faire des pieds de nez à l’autorité. Ce duo enthousiasmant était renforcé par l’interprétation cette fois-ci admirable de bout en bout, jazzy sexy et gourmande à souhait d’Alice Renavand.
Même l’orchestre semblait moins mauvais. C’est dire que ce soir là un miracle avait lieu dans la salle.
Et voilà mon billet matinal! Ah, quel délice! Et j’ose même espérer quelque chose du côté de Diamants….! 🙂
Il y aura bien un billet sur Diamants, Valérie. Mais je crains bien qu’il vous faille patienter jusqu’à vendredi 🤗
Ah, formidable! En attendant, je relirai avec délectation Emeraudes et Rubis! 🙂
Merci pour ce billet !
Je regrette de ne pas avoir vu Francois Alu et Hanna O’Neill!
J’ai eu de la peine pour Leonore Baulac et Paul Marque qui avait l’air de ne pas y arriver. Ils avaient l’air coincé dans une pièce qui ne leur ressemble pas. Même s’ils étaient techniquement très bon.
Au contraire, quel bonheur J’ai eu de voir 3 jeunes se lancer. Pablo Legasa, Silvia St Martin et Roxane Stojanov n’ont pas eu cette perfection mais la joie de danser, le jeu de scène et un côté « on s’encanaille » qui m’ont transporté
Merci pour ce retour. L’une d’entre nous a vu la distribution avec Legasa mais n’a pas eu le loisir d’écrire dessus. Nous avions eu un retour mitigé de la matinée du 7 (sans doute celle que vous avez vu puisque Roxane Stojanov faisait la grande soliste) mais le 11, le danseur a vraiment emporté la salle (c’était Ida Viinkikoski qui était grande soliste).