Archives mensuelles : juin 2024

A Biarritz, Concours de jeunes chorégraphes #4 : convergences

A Biarritz, à la Gare de Midi, en ce dimanche de juin où le ciel était d’humeur chafouine, se tenait la finale de la quatrième édition du concours de jeunes chorégraphes de ballet, organisé par le Ballet de l’Opéra National de Bordeaux et le Centre Chorégraphique National Malandain Ballet Biarritz. Ce concours, avec pour les lauréats l’opportunité de remporter des résidences de création au Ballet de Bordeaux, au Ballet du Rhin et, cette année, au Ballett X de Schwerin en Allemagne ou encore d’obtenir des bourses (dont le très généreux prix de « Biarritz / Caisse des dépôts » : 15000€) est une occasion de tester le pouls de la création d’expression classique au sens large.

Finale Concours de Jeunes Chorégraphes de Ballet #4 © photo Olivier Houeix OHX_7272-2

Finale Concours de Jeunes Chorégraphes de Ballet #4 © photo Olivier Houeix

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Comme pour la troisième édition, il y a deux ans, on remarque et on apprécie le beau sens de la composition dont font preuve les finalistes. Toute cette jeune génération sait, sur ces pièces d’un peu plus d’une dizaine de minutes, pour 4 à 6 danseurs, organiser des entrées et des sorties de scène de manière fluide et créer des effets de masse mouvante avec leurs interprètes. C’est le cas par exemple pour la pièce du Suisse Benoît Favre (Prix du Public : 3000€), 30 ans, Second Nature où les trois couples, qui apparaissent d’abord dans une position statuaire très Rodin, les filles juchées sur l’épaule de leur partenaire, se retrouvent à un moment agglutinés en une sorte de magma mouvant ; une image assez efficace.

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Second Nature. Benoit Favre. Photographie Olivier Houeix.

Dans la pièce du Duo Créatif, réunissant la Tchèque Vera Kvarcakova et le Français Jérémy Galdeano, qui obtient le prix des professionnels (5000€) et la résidence 2024-2025 au CCN – Ballet de l’Opéra national du Rhin, Blíz, on apprécie particulièrement un moment où deux groupes de trois danseurs se lovent les uns sur les autres de part et d’autres d’un carré lumineux projeté au sol. Pour le reste la gestuelle employée est assez conforme à celle déjà observée chez Benoît Favre. Les finalistes utilisent tous une technique « post classique » héritée des expérimentations de William Forsythe dans les années 90 et du lyrisme sombre et acrobatique de Jiri Kylian durant la même période.

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Bliz. Le Duo créatif (Vera Kvarcakova – Jeremy Galdeano). Photographie Olivier Houeix.

Les six danseurs et danseuses en short bardés de cuir de Blíz développent une chorégraphie aux décentrements forsythiens, dansent parfois sur les genoux, oscillent entre souple liane (gracieux ports de bras)  et ballet mécanique à force de brusques changements de position. Le glissé au sol, l’alternance ou la juxtaposition de danses exécutées au ralenti ou très rapidement, les portés « astronaute » (où le partenaire semble flotter sans destination apparente) sont de mise. On remarque aussi une tendance issue de la danse contemporaine à demander aux danseurs de fixer leurs yeux dans le public pour briser la distance.

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Overload. Manoela Gonçalves.Photographie Olivier Houeix.

La  mouture 2024 du concours s’est également montrée particulièrement « à la pointe ». Trois des pièces présentées intégraient des interprètes qui utilisaient la technique des pointes, si attachée au ballet classique. A chaque fois, ces artistes se mélangeaient à d’autres sur demi-pointe : volonté d’opposition de techniques ou difficulté à trouver des professionnels assez avancés dans cette pratique ? Dans Overload, une pièce où les quatre danseurs adoptent des postures anxieuses, Manoela Gonçalves, récipiendaire du Prix jeune public et du Prix ville de Biarritz – Caisse des dépôts oppose une fille en noir sur pointes à une autre sur demi-pointes. La grammaire de la pointe nous semble un peu limitée. La jeune chorégraphe fait faire des piétinés et de lentes promenades arabesque à son interprète. C’est peu ou prou le même vocabulaire de base qu’emploie le très jeune Lasse Graubner, 24 ans, dans I am lost to the world, même s’il se propose courageusement de dégenrer la pointe en faisant danser un garçon au très beau cou de pied et au beau lyrisme. Sa pièce n’est pas sans promesses. Il fait rentrer une fille en nuisette qui marche très naturellement, le dos un peu voûté bien qu’elle porte des chaussons de pointe. Dommage que son ballet tombe à la fin dans ce lyrisme un peu grandiloquent qu’appellent souvent les lieder de Mahler qu’il utilise (le chorégraphe est aussi danseur à Hambourg chez Neumeier, passionné par ce compositeur).

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I am lost to the world. Lasse Graubner. Photographie Olivier Houeix.

Pour périlleux qu’il soit, le choix de Lasse Graubner d’utiliser Mahler était presque rafraichissant tant les autres concurrents usaient et abusaient des montages sonores à base de musique en ostinato et voix off. Ana Isabel Casqhuilho, la gagnante de la Résidence de création à Bordeaux, réunit un peu toutes les tendances observées pendant cette après-midi de découverte chorégraphique. A deriva, dansé notamment par une interprète sur pointes faisant face à une collègue sur demi, développant une belle gestuelle fluide, toute en oscillations des bras et du buste et prompte à la démonstration de la laxité de l’ensemble des interprètes, se pose sur une partition à mouvement perpétuel entrecoupée par la récitation en voix off d’extraits de la Déclaration universelle des droit de l’Homme de 1948.

On se demandera ce que ces beaux corps sanglés de coquets costumes rosés  ont à voir avec ce texte emblématique ainsi qu’avec la déclaration d’intentions du programme parlant d’émotion commune en dépit des différences extérieures.

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A deriva. Ana Isabel Casquilho. Photographie Olivier Houeix.

La déconnexion de la plupart des créations observées avec leur glose de programme nous a paru assez flagrante à l’exception peut-être du ballet de l’Italienne Lucia Giarratana, If you hold him close, you hear soft sweet sounds, qui colle à son sujet. Quatre gaillards en blanc adoptent une gestuelle mécanique, faite d’oscillations brusque du chef au son d’une machine à écrire remplaçant l’ordinateur qui, nous dit une voix off, « is broken ». La chorégraphie mécanique sait montrer également une certaine fluidité. Les danseurs semblent actionner les départs de mouvements de leurs partenaires. Le groupe ressemble parfois à des clusters qui cherchent à se recomposer dans le bon ordre pendant un reboot informatique.

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If you hold him close, you hear soft sweet sounds. Lucia Giarratana. Photographie Olivier Houeix.

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Le palmarès est annoncé après le visionnage de l’aimable film à  Dive, malin et arty, inspiré de la pièce Art de Yasmina Reza et du bleu d’Yves Klein, que Sophie Laplane, lauréate du prix du public et des professionnels il y a deux ans, a réalisé avec les danseurs du Scottish Ballet.

On souhaite à tous les participants une carrière fructueuse lorsqu’ils auront inventé, à force de créations pour des compagnies d’expression classique qui se font hélas de plus en rares, un univers personnel libéré des conventions et automatismes héritées de leur formation.

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Giselle : romances avec ou sans paroles

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Giselle. Saluts

Giselle. Ballet de l’Opéra de Paris. représentations du 27 et du 28 mai 2024.

Je ne pensais pas que cela puisse arriver, mais c’est arrivé. J’ai fait une overdose de Giselle ! Au bout de quatre représentations espacées de quelques jours, j’ai craint un moment de ne plus trouver les ressources émotionnelles nécessaires pour rester sensible à la pléthorique pantomime du premier acte et aux fumigènes du second. Il faut dire que la production de l’Opéra de Paris, au répertoire depuis 1998, n’aide pas. L’esthétique calendrier des postes, les maisons de toiles peintes, les costumes trop juponnés et les perruques de matrones des Willis au deuxième acte lassent.

Et depuis le début de la série, je grince des dents à la vue du stupide praticable en fond de scène par lequel rentrent de non moins stupides hallebardiers lorsqu’arrive la Chasse. Quelle cour chasserait en compagnie de lourdeaux en cuirasse, casque et cotte de maille ? De plus, pour cette reprise, les bords extérieurs de la pente sont inélégamment couverts d’un scotch très voyant visible dès le niveau des premières loges. La vraisemblance ne semble être requise que pour les spectateurs de l’orchestre et du balcon. Même assemblée de manière plus discrète, cette pente artificielle n’apporte pas grand-chose à l’action (elle demande à Wilfried, l’écuyer hyperactif, de courir dans tous les sens encore plus vite qu’à l’accoutumée, tel une gerbille en mal d’exercice dans sa cage à roue) et même la gêne : cet élément de décor rend trop prégnant le départ des figurants « nobles », bariolés de couleurs vives, pendant la scène de la folie.

Pour cette reprise enfin, les costumes masculins du premier acte commencent à accuser le poids des ans. Les pourpoints des Albrecht surtout, d’un beige aux coquets reflets irisés à l’origine (un contre-sens) commencent à prendre des reflets grisâtres dans leurs plis qui font sale.

Autant dire qu’avec la perspective d’encore deux représentations, je n’étais pas bien disposé. Dommage pensais-je, la représentation du 27 mai étaient l’une des plus attendues de la saison avec celle des adieux de Myriam Ould-Braham : Marianela Nuñez, la très célèbre ballerine du Royal Ballet venait y faire l’une de ses deux apparitions cette saison…

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Hugo Marchand et Marianela Nuñez et Valentine Colasante (saluts)

Mais en ce soir du 27, on oublie vite toutes ses réserves. Le couple que forment Marianela Nuñez et Hugo Marchand, sans recherche d’esbroufe, loge de petits trésors dans les détails. Dans un premier acte où il n’y a pas grand-chose techniquement pour l’étoile féminine, Nuñez offre une pantomime naturelle, à la fois ciselée et ouverte à l’improvisation du moment. Elle marque par exemple ses attentes et sa déception à sa sortie de la maison par de petits haussements d’épaule ou des hochements de tête qu’on ne s’étonnerait pas d’observer dans les rues aujourd’hui. C’est ce même naturel qu’avait déployé Hugo Marchand dès sa première entrée lorsqu’il se traitait lui-même de baderne pour avoir oublié de retirer son épée… La pantomime est suffisamment accentuée pour être vue de loin et sans jumelles depuis les inconfortables sièges de l’amphithéâtre. Le taquinage amoureux entre Giselle et Albrecht est donc captivant. Durant le final de la première danse avec le corps de ballet, Marianela Nuñez fait une petite torsion de côté inattendue lors du premier porté comme si elle allait déjà s’asseoir sur l’épaule de son partenaire. Cela donne du naturel à l’ensemble. La diagonale sur pointe est menée dans le même esprit de sérénité, sans rupture avec la psychologie ouverte et solaire du personnage principal. On apprécie les amples tours attitude qui précèdent les piqués arabesques.

Cette unique démonstration de technique pour la ballerine était préparée par le pas de deux des vendangeurs défendu avec beaucoup de chien par Andrea Sarri et Nine Seropian, deux partenaires qui, de prime abord, ne sont pas très assortis physiquement. Sarri, au beau ballon, parvient à transformer, en artiste consommé, ses rares petits accrocs en moments de théâtre. Nine Seropian, un peu trop grande pour Sarri, montre de jolies qualités de moelleux dans ses variations.

L’ambiance générale de ce premier acte, très insouciante, n’est assombrie que lorsque Albrecht-Hugo pose des yeux inquiets sur le médaillon armorié que lui présente Giselle-Marianela.

Après cette acmé de joie, la scène de la folie parvient à nous prendre par surprise. Marianela Nuñez trouve là encore de petits détails captivants. Lorsqu’elle se détache d’Albrecht figé dans une pose comme le reste du plateau, elle caresse la main gauche de son partenaire jusqu’au bout des doigts avant de s’arracher à lui et débuter sa Folie. Toute cette scène est marquée par une violence presque vériste qui contraste avec la douceur distillée pendant tout le reste de l’acte. Il y a beaucoup d’effets de cheveux que la ballerine porte très longs. Ses rires ont presque des accents cruels au moment de l’épisode de l’épée. On court à tombeau ouvert vers le funeste dénouement.

Comme pour toutes ces Giselle où l’acte 1 est réussi, il ne reste plus qu’à se laisser porter par l’acte 2. On retrouve la Myrtha pleine d’autorité de Valentine Colasante et on approuve l’exécution d’Hilarion par les Willis, tant son incarnation par Jeremy-Loup Quer en faisait au premier acte un personnage plus vindicatif qu’amoureux. Hugo Marchand fait une belle entrée noble et Marianela Nuñez est une Giselle aux très beaux piqués arabesque : l’arabesque elle-même n’est pas très haute mais le piqué à une qualité planée-flottée réellement fantomatique. Il y a ce très beau moment où Marchand reçoit la pluie de marguerites sur son visage ; on y voit comme l’ondoiement d’un nouveau-né. Giselle-Marianela est un véritable ange protecteur. Les deux danseurs dansent dans un parfait unisson. C’est pour cette série le seul couple où, durant la première rencontre, le garçon prend la peine d’atterrir en même temps que sa partenaire au moment des croisements en tombé – pas de bourré – assemblé.

Albrecht-Hugo, qui cisèle ses variations (tours attitudes rapides soutenus, entrechats très dessinés et mains semblant chercher l’oxygène), semble totalement à la merci de sa Giselle heureusement bienveillante. La réconciliation est faite. Lorsqu’il disparaît dans sa tombe, le doux fantôme semble même tenter d’enfin donner sa main à l’amant repentant. Elle lui échappe pourtant une dernière fois. Albrecht-Hugo n’a plus que ses marguerites comme preuve tangible de son ultime rencontre avec l’être aimé.

En sortant du théâtre, on se dit qu’au fond, cette distribution de grande classe arrivait à point pour relancer notre dernière ligne droite de représentations du ballet romantique par excellence…

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Hannah O’Neill (Giselle) et Germain Louvet (Albrecht)

Mais retourner voir Giselle dès le lendemain était tout de même une gageure et on traînait un peu des pieds pour s’y rendre. Après une soirée où la salle était tellement enthousiaste, comment allait-on revenir à des étoiles-maison sans être déçu ? On va cependant encore une fois faire l’expérience d’une bonne surprise.

Germain Louvet, qu’on avait déjà vu aux côtés de Sae Eun Park, recompose entièrement son Albrecht  pour sa nouvelle partenaire Hannah O’Neill. Pour elle, il est un prince qui ne cherche pas spécialement à dissimuler ses origines. Lorsqu’il rencontre Giselle, il ne lui fait pas le petit coup d’épaule traditionnel à l’Opéra de Paris ; il la lui touche délicatement puis s’agenouille et lui fait un baise-main. Tout le badinage avec O’Neill est empreint de ces bonnes manières. La Giselle d’Hannah O’Neill n’apparaît pas à proprement parler naïve, au moins du point de vue social. Elle flirte sans arrière-pensée avec un jeune homme dont elle sait qu’il n’appartient pas à son monde. Elle sait refuser ses baisers avec une forme de grâce primesautière. Le petit jeu des bises de la main – piqué attitude est plein de vivacité. Les interactions d’O’Neill avec les paysans sont naturelles. On lui pardonne donc une diagonale sur pointe avortée qui ne l’empêche pas de rester dans son personnage.

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Antonio Conforti (Hilarion) et Hannah O’Neill (Giselle)

Du côté des seconds rôles, Antonio Conforti est un émouvant trouble-fête en Hilarion. Il accentue bien la pantomime tout en fixant toujours sa Giselle avec des yeux ardents et un désespoir poignant. Les deux vendangeurs sont des nouveaux venus dans le rôle. Saki Kuwabara et Rubens Simon dansent affilés ; leur prestesse les rend aigus comme une jolie gravure.

Au moment des révélations, la gravure tourne à l’eau forte. Giselle-Hannah ne prend pas la peine de dire à Bathilde « mais c’est lui mon fiancé ». Elle regarde figée d’horreur la pierre scintillante de la bague de la noble dame. Il ne lui avait pas tout dit ! Pourtant Albrecht-Germain ne fait à aucun moment planer le doute. Il se montre froid avec sa fiancée officielle. O’Neill rend très violent l’épisode de l’épée. Sa chute après la reprise des pas qu’elle dansait avec son amant en compagnie des paysans est très brusque. Le désespoir d’Hilarion, figé dans une pose finale contournée, presque expressionniste, est frappant. On a été captivé par ce premier acte.

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Roxane Stojanov (Myrtha)

À l’acte 2, l’attente de la réunion des deux héros est magistralement entretenue par la Myrtha de Roxane Stojanov dont la danse poétique a quelque chose de liquide comme le lac où elle va précipiter ses victimes. Ses bras en revanche, très fluides, semblent saluer un ciel étoilé. Le corps de ballet et les deux Willis orchestrent la montée dans la tension maléfique.

Hannah O’Neill fait une entrée très preste avec son tourbillon de sautillés. Dans sa première variation, ses fouettés arabesque sur plié très profonds, très nuageux, suspendent le temps. Pendant tout l’acte, les deux amants communiquent silencieusement, par la danse et par l’harmonie des lignes. C’est une romance sans paroles là où la veille on avait assisté à une conversation. Les équilibres sont beaux dans l’adage : dans son grand rond de jambe où elle s’enroule en attitude autour de son partenaire, Hannah O’Neill est tellement en apesanteur que Louvet n’a pas besoin de la soutenir. Albrechr-Germain trouve des accents héroïques dans ses variations. Il contrôle les  rapides pirouettes attitude en dehors au point d’avoir le temps de faire des mouvements de tête vers Giselle.

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Hannah O’Neill et Germain Louvet (saluts)

À la fin, Giselle-Hannah glisse lentement vers la tombe. Son amant essaye de saisir le bas du tutu qui lui échappe comme s’il s’agissait d’un nuage immatériel. Il se couche sur le socle de la croix à la manière de ces pleureuses de bronze qu’on voit sur les tombes chic du Père Lachaise avant de tracer à reculons un chemin de lys ; un ultime hommage à la belle disparue.

On ne regrette pas d’être venu.

Une reprise, vite !

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