Casse-Noisette: encore et toujours

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Dorothée Gilbert (Clara) et Guillaume Diop (Drosselmeyer/Le Prince).

On ne voit jamais la même chose. À l’occasion de cette reprise de Casse-Noisette, je m’aperçois, pour la première fois, de la noirceur du premier tableau : les huit patineurs de balancent de sonores torgnoles, enlèvent trois donzelles qui passent dans la rue, et se battent en meute contre Drosselmeyer ; les parents ne veulent pas acheter de marrons chauds à leurs enfants ni donner la pièce au joueur d’orgue de barbarie. L’intérieur de la maison est moins anxiogène, du moins en apparence. Tout de même, Fritz brise le Casse-Noisette de Clara, et les adultes en uniforme (la moquerie est genrée, si je ne m’abuse) raillent l’affection de Clara pour son nouveau jouet. Certaines séquences de la fête trouvent son écho dans le cauchemar qui suit : agglutinés autour de Clara, les enfants lui arrachent brutalement son déguisement de poupée mécanique, préfigurant la séquence où les rats la dépouillent de sa robe bleue (enlevant, ainsi, une couche de plus). D’autres enchaînements entre la réalité et le songe sont plus distendus : les garçons singent avec cruauté l’arthrose et la sénilité des deux grands parents (acte I), mais quand on retrouve ces derniers lors de la danse arabe (acte II), la séquence évoque davantage la pingrerie et l’inégale répartition des aliments entre les convives.

On n’est jamais blasé. Même platement jouée, la musique de Tchaïkovski m’émeut toujours, et le moment magique où le petit hussard Casse-Noisette est remplacé par le prince, épée au vent en 5e parfaite, réveille à tout coup mon côté fleur bleue (oui, Maman, je veux le même pour Noël). Quand, en plus, les protagonistes sont à l’unisson, comme le sont Guillaume Diop et Dorothée Gilbert, mon petit cœur fond. Clara a trouvé son âme-sœur : mêmes longues lignes, même musicalité, même facilité dans l’arabesque et dans la petite batterie. C’est donc bien un rêve, et pourtant on le voit… (16 décembre). Chacun des deux interprètes brille dans sa partie – au royaume des neiges, Damoiseau Diop a le manège éblouissant, lors de sa variation de bal, Mlle Gilbert a un calme souverain dans le battement raccourci -, mais c’est la qualité du partenariat – enthousiasmante synchronicité, grisantes accélérations dans les tours – entre les deux protagonistes qui retient l’attention. On ne peut pas en dire autant de la connexion entre Germain Louvet et Sae Eun Park : sans doute desservis par un temps de préparation plus court (Mlle Park remplace Myriam Ould-Braham), les deux danseurs ont parfois des décalages, mineurs, mais qui font sortir du rêve. Et puis, chacun des deux retrouve ses penchants : il y a toujours un moment où Louvet donne l’impression de danser pour lui seul (alors qu’il y a neuf ans son partenariat avec Léonor Baulac était charmant), et où Park reprend des bras mécaniques et s’absente du rôle (22 décembre). Un défaut que n’a pas Héloïse Bourdon : pour sa seule représentation la première danseuse régale de bras liquides et fait preuve d’une présence de tous les instants. Et le partenariat avec Thomas Docquir, sans être techniquement époustouflant, convainc par sa fluidité (matinée du 1er janvier).

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Héloïse Bourdon (Clara) et Thomas Docquir (Drosselmeyer/Le Prince).

Il y a toujours quelque chose à aimer dans les rôles secondaires. Dans la danse arabe, Roxane Stojanov et Jérémy-Loup Quer ébahissent par la pureté des lignes et tirent leur partenariat vers l’abstraction (16 décembre) ; Camille Bon, que ce soit avec Sébastien Bertaud (22 décembre) ou Florimond Lorieux (1er janvier), sont plus incarnés et du coup plus sensuels et vivants (Bertaud a des piétinés très réussis). Sans se départir de l’élégance, Chun-Wing Lam et Ambre Chiarcosso confèrent à la danse espagnole un petit côté surjoué, c’est léger et ravissant (1er janvier). Le danseur originaire de Hong Kong se montre aussi remarquable de précision dans la pastorale, composant un trio de style avec Inès McIntosh et Marine Ganio (16 décembre). C’est lui aussi qui, habillé en petit hussard, rejoint Clara à la fin de l’acte I, alors qu’on attendait Germain Louvet (on a cru à un instant à un forfait pour blessure ; 22 décembre). En attendant de plus grands rôles ?

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