Soirée du 13 octobre
Le programme néoclassique présenté à Garnier, sottement et faussement intitulé Étoiles de l’Opéra – sottement parce qu’un rang hiérarchique dans une distribution ne fait pas un projet, et faussement parce qu’on trouve, dans le lot, trois premiers danseurs – aligne paresseusement : deux entrées au répertoire de 2017 (Trois Gnossiennes d’Hans van Manen, le pas de deux d’Herman Schmerman de William Forsythe), deux reprises de la saison 2018/2019 (A suite of Dances de Robbins, un extrait de La Dame aux camélias), et deux pièces de gala également revues récemment (Lamentation de Graham, mobilisée par 20 danseurs pour le XXe siècle de Boris Charmatz il y a cinq ans, et La Mort du cygne de Fokine, présentée à l’occasion du mini-gala Chauviré). Seule nouveauté en ces lieux, le Clair de lune d’Alastair Marriott (2017) semble fait pour magnifier les qualités et la plastique de Mathieu Ganio, mais peine à élever sa nécessité au niveau du clair-obscur liquide de la musique de Debussy. À peine la pièce vue, tout ce dont j’étais capable de me souvenir était : « il me faut ce pantalon, idéalement aéré pour la touffeur des fonds de loge. »
Trois Gnossiennes réunit – comme la dernière fois – Ludmila Pagliero et Hugo Marchand, et on se dit – comme la dernière fois – qu’ils sont un peu trop déliés et élégants pour cet exercice de style. Et puis, vers le milieu du deuxième mouvement, on s’avise de leurs mains toutes plates, et on se laisse gagner par leur prestation imperturbable, leur interprétation comme blanche d’intention, presque mécanique – je t’attrape par la bottine, tu développes ton arabesque en l’air, n’allons pas chercher du sens.
Sae Eun Park exécute Lamentation sans y apporter une once d’épaisseur. On a l’impression de voir une image. Pas un personnage qui aurait des entrailles. Les jeux d’ombre autour du banc finissent par retenir davantage l’attention. Quand vient le pas de deux si joueur d’Herman Schmerman, l’œil frisote à nouveau pour les danseurs, mais l’interaction entre Hannah O’Neil et Vincent Chaillet manque un peu de piment ; c’est dommage, car le premier danseur est remarquable de style, alliant la bonne dose d’explosivité et de chewing-gummitude tant dans son solo que durant le finale en jupette jaune.
Ludmila Pagliero propose de jolies choses : son cygne donne l’air de lutter contre la mort, plus que de s’y résigner. Il y a, vers la fin, comme la résistance d’un dos blessé. Mais je vois plus l’intelligence dramatique de la ballerine qu’un véritable oiseau.
À ma grande surprise, dans A suite of Dances, Hugo Marchand me laisse sur le bord du chemin. Je le trouve trop élégant et altier dans ce rôle en pyjama rouge où se mêlent danse de caractère, désinvolture, jazzy et cabotinage. Mon érudit voisin Cléopold me souffle que l’interprète a l’intelligence de faire autre chose que du Barychnikov, et peut-être ai-je mauvais goût, mais le côté Mitteleuropa meets Broadway, entre caractère et histrionisme, me semble consubstantiel à l’œuvre, et mal accordé aux facilités et au physique de l’étoile Marchand. Il y a deux ans, François Alu m’avait bien plus convaincant, tant dans l’ironie que dans l’introspection quasi-dépressive. J’ai eu le sentiment que Marchand n’était pas fait pour ce rôle (ça arrive : Jessye Norman n’était pas une Carmen), mais c’est peut-être parce qu’il ne correspond pas à ma conception du violoncelle, que je vois comme un instrument terrien, au son dense et au grain serré, douloureux par éclats.
La soirée se termine avec Mathieu Ganio en Armand et Laura Hecquet en camélia blanc à froufrous dans le pas de deux dit de la campagne. Ce passage, qui n’est véritablement touchant qu’inséré dans une narration d’ensemble, enchaîne les portés compliqués – dont certains se révèlent ici laborieux, d’autant que la robe s’emmêle. Les moments les plus réussis sont ceux du soudain rapprochement amoureux (déboulé déboulé déboulé par terre, et hop, bisou !). Si Ganio est un amoureux tout uniment ravi, Laura Hecquet fait ressentir la gratitude de son personnage face à un amour inespéré pour elle. Sa Marguerite a comme conscience de la fragilité de son existence.
Merci pour votre article, James. C’est très commode de vous lire, j’ai eu mon spectacle ce matin, tout entier, sans avoir à quitter ma chaise! Merci! 🙂