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Balanchine au Royal Ballet : staccatovisme

Royal Ballet. Balanchine : Three Signature Works. Représentation du 29 mars 2015.

Toujours sevré de représentations des authentiques chefs d’œuvres de George Balanchine à Paris, j’ai traversé la Manche une seconde fois cette année pour assister au programme « Three Signature Works » par le Royal Ballet. Pensez ! Sérénade, Le Fils prodigue et Symphony In C. Tchaïkovski, Prokofiev et Bizet dans une même soirée. Pourtant, mis à part l’émotion musicale –les trois œuvres scintillent sous la baguette de Fayçal Karoui qu’on regrette de ne pas voir plus souvent diriger à l’Opéra- on est sorti du Royal Opera House assez perplexe.

Dans le programme rouge maison, quatre pages sont consacrées à une interview-hommage de la répétitrice du Balanchine Trust Patricia Neary, bénéficiaire de première génération du legs que Balanchine fit de ses ballets à ses danseurs et dont c’est le départ en retraite officiel. L’infatigable maîtresse de ballet, qui s’était retirée de la scène en 1968 et remontait déjà les œuvres du maître de son vivant, devrait donc être l’assurance même de la bonne tenue des représentations.

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Pourtant, dès l’ouverture de rideau sur Sérénade quelque chose ne fonctionne pas : les lumières sont acides de même que le corps de ballet. Les positions sont atteintes brusquement et les demoiselles en tutu romantique bleu sautent sur leurs pointes plutôt que d’y monter. Cette interprétation staccato de la chorégraphie brise le romantisme clair de lune du ballet. Est-ce pour cela qu’on n’adhère pas non plus à la distribution soliste ? Claire Calvert, qu’on aurait plutôt vu dans la Jumping Girl (Leticia Dias s’y montre plutôt convaincante) paraissait un peu compacte en ange de l’Elégie et ses lignes semblait peu assorties à son long partenaire, Lukas Bjørneboe Brædsrød. Le début de leur pas de trois avec la première soliste nous a même paru un peu pataud : Marianela Nuñez, qui avait pourtant fait une jolie entrée « du retard » sur l’Andante, s’était au préalable emberlificotée dans ses épingles lors de la pâmoison clôturant le premier tableau, nous faisant sortir un peu plus encore du ballet. Pour tout dire, son pas de deux avec Matthew Ball sur le Tempo di valse ne nous avait pas bouleversé non plus, les portés nous ayant paru brusques.

Serenade : Marianela Nunez et Matthew Ball

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Royal BAllet : les compagnons de beuverie.

Pour le Fils prodigue, l’interprétation staccato pouvait paraître plus pertinente. Et de fait, l’entrée de Leo Dixon, quoiqu’un peu minérale dans les réceptions de sauts, rend bien l’impression d’énergie dépensée de manière incontrôlée propre à la jeunesse. L’entrée de la chenille des sbires au début du deuxième tableau fait également son petit effet. Les huit danseurs martèlent allégrement le plateau et accentuent les cassures géométriques des corps. Au bout d’un moment cependant, ce parti pris expressionniste lasse et on a plutôt l’impression d’assister à la Table verte de Kurt Joos qu’au Fils Prodigue de Balanchine. La pantomime du Fils est outrée et on se demande ce qui le sépare par essence de ses compagnons d’agapes décadentes. Tout se gâte enfin à l’entrée de Fumi Kaneko qui, dans la Sirène, tient plus du ressort comprimé dans une boite que de la liane toxique. Les développés à la seconde sont fixés violemment en l’air et les poses lascives entre la courtisane et le Fils ressemblent plus à cet exercice consistant à faire rentrer des ronds dans des carrés.

Devenu complètement hermétique au déroulement du ballet, on assiste sans émotion à la marche du fils repentant. Il manque encore à Leo Dixon cette souplesse de chat pour ce passage où Balanchine se tourne résolument vers l’esthétique de la peinture baroque. Mais il n’est pas sûr qu’on lui ait appris le rôle dans ce sens. Plutôt qu’un saint martyr en clair-obscur, on assiste encore et toujours, sous une lumière froide, à une démonstration de pantomime un peu crue qui, on l’entend bien autour de nous, provoque des petits rires réprimés dans le public.

Le Fils prodigue : Fumi Kaneko et Leo Dixon

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Pour Symphony In C, on n’est pas tant gêné par les éclairages violents, qui font scintiller les strass des costumes. Dans l’Allegro Vivo, le corps de ballet a du ressort et tant pis si Mayara Magri danse les mains à la fois mortes et écartées. Son partenaire, William Bracewell, est à la fois preste et élégant. Melissa Hamilton, quant à elle, rend pleinement justice à l’Adage aux équilibres. Ses lignes sont très belles, particulièrement ses arabesques penchées. Elle transmet au public cette impression de sérénité aux bras de Ryoichi Hirano, partenaire noble et plein d’autorité. On s’étonne simplement de l’option prise lors des pâmoisons de la ballerine rattrapée in extremis par son partenaire. Les bras du danseur se referment sur la taille de la ballerine comme des pinces, ajoutant une touche spectaculaire mal venue à un passage qui devrait être juste suspendu. On s’étonne de cette faute de goût chez un partenaire sans cela au parfait. La réponse vient a posteriori d’une vidéo de répétition publiée par le Royal Ballet. Dans cette-ci, Mathew Ball rattrape Marianela Nuñez exactement de la même disgracieuse manière. Il s’agit donc d’une option voulue par les répétiteurs.

Symphony in C : Melisssa Hamilton et Ryoichi Hirano

La fin de la représentation est satisfaisante. Dans l’Allegro Vivace, les solistes aux sauts de basque, Sae Maeda et Taisuke Nakao, ont du ballon et du moelleux dans leur réception. Le Final est joliment introduit par Meaghan Grace Hinkins et Leo Dixon qui ont la vélocité requise pour lancer ce grand ballabile final qui réunit toute la distribution.

Même si la soirée s’achève sur une note ascendante, on reste globalement déçu. La dérive staccatiste dans l’interprétation des ballets de Balanchine, apparue il y a une dizaine d’années, d’abord au New York City Ballet, dessert décidément beaucoup l’œuvre de ce chorégraphe de génie. La vitesse, oui ; mais pas au prix du legato.

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Sleeping Beauty : les bourgeons et le chêne

IMG_20230121_215506Royal Opera House, représentation du 17 janvier 2023

Sleeping Beauty est probablement une des productions du Royal Ballet que j’ai vues le plus souvent. Après une trop longue interruption des voyages outre-Manche, la revoir aurait pu être un retour aux sources. Mais comme on sait, nul ne se baigne jamais dans le même fleuve : auprès de la lecture moderne de John Neumeier, ou de la vision, plus classique mais torturée, de Marcia Haydée, la version de Monica Mason et Christopher Newton (2006) d’après Ninette de Valois et Nicholas Sergeyev (1946), frappe par son traditionalisme très assumé. Et puis, la forme d’une compagnie change plus vite (hélas ?), que le cœur d’un mortel, et me voilà à découvrir pléthore d’interprètes que je n’avais jamais vues.

C’est, en effet, du côté des filles que le renouvellement des effectifs du Royal Ballet est le plus sensible. Après la soirée de gala dansée par le duo Nuñez/Muntagirov, la deuxième distribution de cette série de représentations fait la part belle à des ballerines encore peu gradées. Et qui ne convainquent pas toutes : les trois premières variations, enlevées de manière quelque peu scolaire, laissent l’amateur sur sa faim, et il faut attendre Sophie Allnatt (fée du chant d’oiseau) et Leticia Dias (dénommée ici fée de la vigne dorée, et qui prend des risques dans la variation violente) pour voir des personnalités affirmées manger la scène. A contrario, Annette Buvoli se montre techniquement fort prudente (je n’ai jamais vu une fée Lilas enthousiasmante à Londres), et fait pâle figure face à une Elizabeth McGorian qui connaît sa Carabosse sur le bout de ses doigts effilés. Les cavaliers des donzelles font joliment unisson dans les sauts, et Gary Avis donne de l’épaisseur scénique au rôle de Cattalabutte.

Anna Rose O'Sullivan, Acte I, Photo Helen Maybanks, courtesy of ROH

Anna Rose O’Sullivan, Acte I, Photo Helen Maybanks, courtesy of ROH

Voilà pour le prologue. Après le premier entracte, la tension monte d’un cran – y compris musicalement, grâce à la direction nerveuse de Koen Kessels – quand déboule Anna Rose O’Sullivan. L’année dernière, la ballerine faisait preuve de son expressivité en Juliet, et on retrouve en Aurore son jeu primesautier ; tout le haut du corps, et jusqu’au bout des doigts, respire la délicatesse. C’est franchement charmant, mais les pirouettes sur le contrôle de sa variation finissent bien vite (à tel point que le chef lance tous les coups d’archet qui en marquent la fin avec un temps de retard), et l’équilibre final de l’adage à la rose est trop rapide pour faire figure de climax chorégraphique.

Au deuxième acte, la frustration laisse la place au contentement : l’Aurore endormie de Mlle O’Sullivan est une vraie apparition, propre à ensorceler Florimund (celui-ci paraît courir sur la trace d’un parfum). Lors de la série de raccourcis à la seconde, les bras de la ballerine cachent un visage qui en est comme strié de rêverie.

Anna Rose O'Sullivan (Acte II), Photo Helen Maybanks, courtesy of ROH

Anna Rose O’Sullivan (Acte II), Photo Helen Maybanks, courtesy of ROH

Steven McRae a dansé le rôle du prince pour la première fois en 2009. Il a depuis, quelque peu perdu en propreté des réceptions (pour quoi je l’admirais sans mélange il y a 14 ans), et gagné en muscle. Cela donne à sa variation lente un côté plus pataud qu’élégiaque. Un instant, on craint qu’il fasse un peu vieux briscard face à Anna Rose, mais il joue si fort l’enivrement amoureux que toutes les interactions entre Aurore et son Désiré (je rebaptise le gars : Florimund, c’est vraiment un prénom à rester célibataire) sont frappées au coin de l’évidence.

Le métier dans le partenariat a du bon : lors du grand pas de deux, les portés-poisson sont amenés si promptement que la prise de risque est chaque fois plus grisante. Steven-j’ai-trente-huit-ans-mais-regardez-comme-je-suis-en-forme termine sa variation par un manège impressionnant d’élévation et un sourire histrionique ; Mlle O’Sullivan livre la sienne comme si elle lovait ses bras dans les sinuosités du violon.

Au cours de la party du 3 acte, le trio de Florestan et ses sœurs est joliment enlevé par David Donnelly, Ashley Dean et Mariko Sasaki. On retrouve Leticia Dias en princesse Florine : elle joue à fond et avec succès la carte du zoziau froufroutant ; en Oiseau bleu, son acolyte Joonhyuk Jun n’est pas aussi incarné (et il va lui falloir apprendre à faire tourner sa ballerine sans la désaxer). Et l’on retrouve aussi avec plaisir Sophie Allnatt, délicieuse d’agaceries griffues envers le chat botté de David Yudes.

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