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Cinderella au Royal Ballet : trois pantoufles à mon pied

Yuhui Choe, l'Eté © Tristram Kenton

Yuhui Choe, l’Eté © Tristram Kenton

Le Royal Ballet reprend la Cinderella d’Ashton après une éclipse de plus de dix ans. Au début du spectacle, on se pince : « je ne me souvenais pas du tout de cet aspect-là ». Et pour cause : c’est une nouvelle production ! Les décors, les lumières et les costumes ont été repensés (respectivement par Tom Pye, David Finn et Alexandra Byrne). Certains éléments – l’entêtante musique de Prokofiev, la chorégraphie de Sir Frederick – sont immuables. D’autres, qu’on pourrait croire nouveaux, sont en fait un retour à une tradition perdue : le rôle des deux sœurs de Cendrillon, que je ne croyais dansé que par des hommes, est sur cette série également interprété par des femmes.

La nouvelle production réussit un joli équilibre entre le féérique et le comique : les tenues des sœurs font sourire tout en restant un poil en deçà du « too much », les robes des Saisons, dans des tons acidulés, sont joliment évocatrices. Dès le début, les spots éclairant la salle plantent une atmosphère que, par la suite, les projections vidéo (dues à Finn Ross) feront varier au fil de l’intrigue. Surtout, chaque transformation du décor – notamment le délabrement, préludant à sa disparition, de la maison du père de Cendrillon – est un enchantement à la fois visuel et émotionnel. Le seul bémol qu’on apporterait serait l’escalier un peu trop Broadway de la scène finale.

À l’origine, j’avais prévu de ne voir que deux distributions : celle réunissant Yasmine Naghdi et Matthew Ball (remplaçant Cesar Corrales, 29 mars), puis Francesca Hayward et Alexander Campbell (30 mars). Il eut été trop bête, puisque j’étais encore sur place, de rater la matinée avec Marianela Nuñez et Vadim Muntagirov, le duo-vedette du Royal Ballet à l’heure actuelle (1er avril).

Un effet secondaire de cette triplette est que les coups d’archet de la valse trottent dans votre tête pendant une bonne semaine. En revanche, aucun sentiment de lassitude ne se développe au fil du parcours.

Est-ce à porter au crédit de la musique, de la chorégraphie, de la production ou de l’interprétation ? De leur combinaison réussie, sans doute. En tout cas, chaque ballerine apporte sa touche au personnage de Cendrillon : Mlle Naghdi à travers la précision ciselée de sa danse ; Mlle Hayward via une espiègle vivacité de mouvement ; et Mlle Nuñez par le moelleux de l’attaque, avec des montées et descentes de pointes délicieuses de douceur. Dans un rôle qui requiert moins la prouesse technique que le charme de la caractérisation, les trois danseuses sont quasiment à parité. Il en va presque de même pour les trois Princes (avec un petit avantage de prestance pour Vadream).

Yasmine Naghdi, Photo Tristram Kenton, courtesy of ROH

Yasmine Naghdi, Photo Tristram Kenton, courtesy of ROH

Les trois couples racontent aussi la rencontre de l’âme-sœur, mais avec des accents légèrement différents : pour Naghdi-Ball comme pour Hayward-Campbell, c’est une découverte enchantée qui les révèle à eux-mêmes. Chacun de leur côté, Mlle Nuñez et damoiseau Muntagirov caractérisent adéquatement leur personnage, mais leur partenariat dégage tout de suite un tel sentiment de maîtrise que leur transformation à la fin du conte de fées est un tantinet moins marquée.

Le plaisir sans mélange qu’on éprouve à voir et revoir cette Cinderella tient, aussi, à l’attrait des autres rôles solistes ou semi-solistes. Dans sa composition actuelle, la compagnie a moins de mal à rassembler un pack de ballerines satisfaisant pour la Fée-marraine et les Saisons que ce n’est le cas pour l’ensemble des rôles de fée de Sleeping Beauty. Cependant, ce n’est pas tous les soirs l’extase (avec une notable baisse de régime le 30 mars).

Vadim Muntagirov et Marianela Nunez, photo Tristram Kenton

Vadim Muntagirov et Marianela Nunez, photo Tristram Kenton

Si l’on ne cite que les prestations marquantes, il faut d’abord saluer Yuhui Choe, qui dansait le rôle-titre il y a plus d’une décennie, mais n’a pas été promue Principal à temps, comme on aurait cru. En Été, elle danse languide de sueur (29 mars, on croit voir les gouttes perler de son visage) et en Automne, se fait coupante comme le vent (1er avril). Ashley Dean (29), Sae Maeda (30) et Anna Rose O’Sullivan (1er) incarnent délicatement le Printemps. Pour l’hiver, la palme de la présence glaçante revient à Mayara Magri (1er avril).

Cette dernière apporte aussi une rondeur enveloppante et maternelle au rôle de la Fée-marraine (29). Par contraste, Annette Buvoli (30) et Fumi Kaneko (1er), plus altières, font l’effet de grandes dames par hasard pourvues d’une baguette magique. Dans le rôle du Fou, Liam Boswell (30) et Taisuke Nakao (1er) convainquent davantage que Joonhyuk Jun (29), dont les bras et l’emballement paraissent plus mécaniques qu’organiques.

Et puis il y a la prestation des deux demi-sœurs de Cendrillon. Le duo est aussi comique que chorégraphique, et requiert des trésors de coordination, aussi bien dans les mimiques que dans les figures. La pantomime ayant été allégée de ses aspects les plus camp, les interprètes trouvent facilement le bon équilibre : on n’attendait pas Luca Acri (petite sœur timide) et Thomas Whitehead (grande sœur exubérante) dans le rôle, et pourtant ils sont hilarants (29). De même pour Christina Arestis (l’écrasante) et Kristen McNally (l’écrasée), qui ont à la fois une tête – ça aide à la caractérisation sous perruque enlaidissante et chapeau envahissant – et un solide sens comique (30 mars). Mais le premier avril, c’est Gary Avis qui vole résolument la vedette à son acolyte (toujours Luca Acri), avec des inventions et des ajouts à la drôlerie inénarrable, jusqu’au rideau final.

Gary Avis et Luca Acri, photo Tristram Kenton, courtesy of ROH

Gary Avis et Luca Acri, photo Tristram Kenton, courtesy of ROH

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Sleeping Beauty : les bourgeons et le chêne

IMG_20230121_215506Royal Opera House, représentation du 17 janvier 2023

Sleeping Beauty est probablement une des productions du Royal Ballet que j’ai vues le plus souvent. Après une trop longue interruption des voyages outre-Manche, la revoir aurait pu être un retour aux sources. Mais comme on sait, nul ne se baigne jamais dans le même fleuve : auprès de la lecture moderne de John Neumeier, ou de la vision, plus classique mais torturée, de Marcia Haydée, la version de Monica Mason et Christopher Newton (2006) d’après Ninette de Valois et Nicholas Sergeyev (1946), frappe par son traditionalisme très assumé. Et puis, la forme d’une compagnie change plus vite (hélas ?), que le cœur d’un mortel, et me voilà à découvrir pléthore d’interprètes que je n’avais jamais vues.

C’est, en effet, du côté des filles que le renouvellement des effectifs du Royal Ballet est le plus sensible. Après la soirée de gala dansée par le duo Nuñez/Muntagirov, la deuxième distribution de cette série de représentations fait la part belle à des ballerines encore peu gradées. Et qui ne convainquent pas toutes : les trois premières variations, enlevées de manière quelque peu scolaire, laissent l’amateur sur sa faim, et il faut attendre Sophie Allnatt (fée du chant d’oiseau) et Leticia Dias (dénommée ici fée de la vigne dorée, et qui prend des risques dans la variation violente) pour voir des personnalités affirmées manger la scène. A contrario, Annette Buvoli se montre techniquement fort prudente (je n’ai jamais vu une fée Lilas enthousiasmante à Londres), et fait pâle figure face à une Elizabeth McGorian qui connaît sa Carabosse sur le bout de ses doigts effilés. Les cavaliers des donzelles font joliment unisson dans les sauts, et Gary Avis donne de l’épaisseur scénique au rôle de Cattalabutte.

Anna Rose O'Sullivan, Acte I, Photo Helen Maybanks, courtesy of ROH

Anna Rose O’Sullivan, Acte I, Photo Helen Maybanks, courtesy of ROH

Voilà pour le prologue. Après le premier entracte, la tension monte d’un cran – y compris musicalement, grâce à la direction nerveuse de Koen Kessels – quand déboule Anna Rose O’Sullivan. L’année dernière, la ballerine faisait preuve de son expressivité en Juliet, et on retrouve en Aurore son jeu primesautier ; tout le haut du corps, et jusqu’au bout des doigts, respire la délicatesse. C’est franchement charmant, mais les pirouettes sur le contrôle de sa variation finissent bien vite (à tel point que le chef lance tous les coups d’archet qui en marquent la fin avec un temps de retard), et l’équilibre final de l’adage à la rose est trop rapide pour faire figure de climax chorégraphique.

Au deuxième acte, la frustration laisse la place au contentement : l’Aurore endormie de Mlle O’Sullivan est une vraie apparition, propre à ensorceler Florimund (celui-ci paraît courir sur la trace d’un parfum). Lors de la série de raccourcis à la seconde, les bras de la ballerine cachent un visage qui en est comme strié de rêverie.

Anna Rose O'Sullivan (Acte II), Photo Helen Maybanks, courtesy of ROH

Anna Rose O’Sullivan (Acte II), Photo Helen Maybanks, courtesy of ROH

Steven McRae a dansé le rôle du prince pour la première fois en 2009. Il a depuis, quelque peu perdu en propreté des réceptions (pour quoi je l’admirais sans mélange il y a 14 ans), et gagné en muscle. Cela donne à sa variation lente un côté plus pataud qu’élégiaque. Un instant, on craint qu’il fasse un peu vieux briscard face à Anna Rose, mais il joue si fort l’enivrement amoureux que toutes les interactions entre Aurore et son Désiré (je rebaptise le gars : Florimund, c’est vraiment un prénom à rester célibataire) sont frappées au coin de l’évidence.

Le métier dans le partenariat a du bon : lors du grand pas de deux, les portés-poisson sont amenés si promptement que la prise de risque est chaque fois plus grisante. Steven-j’ai-trente-huit-ans-mais-regardez-comme-je-suis-en-forme termine sa variation par un manège impressionnant d’élévation et un sourire histrionique ; Mlle O’Sullivan livre la sienne comme si elle lovait ses bras dans les sinuosités du violon.

Au cours de la party du 3 acte, le trio de Florestan et ses sœurs est joliment enlevé par David Donnelly, Ashley Dean et Mariko Sasaki. On retrouve Leticia Dias en princesse Florine : elle joue à fond et avec succès la carte du zoziau froufroutant ; en Oiseau bleu, son acolyte Joonhyuk Jun n’est pas aussi incarné (et il va lui falloir apprendre à faire tourner sa ballerine sans la désaxer). Et l’on retrouve aussi avec plaisir Sophie Allnatt, délicieuse d’agaceries griffues envers le chat botté de David Yudes.

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