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Le Temps d’Aimer la Danse 2025. Temporalités (1/3)

Au Temps d’Aimer la Danse, au Colisée, la salle de spectacle dédiée aux formats plus courts, la compagnie Gilles Baron présentait Aïon, un spectacle destiné aux enfants, mêlant la danse (Noémie Jaffro), l’acrobatie (le très élastique et rebondissant Etienne Decorde) et le cirque (le chapiste Elouan Vancassel). La pièce, vue le dimanche 7 septembre devait prendre a posteriori, dans mon esprit porté vers la nostalgie, la force d’un sommaire de mon édition 2025 du Festival.

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Aïon, Compagnie Gilles Baron. Théâtre du Colisée. le 7 septembre 2025.

Aïon traite, comme son nom l’indique, du temps. Au début du spectacle, un vieux magnétophone à bobine, suspendu en l’air, dévoile les prémices de l’histoire. Le héros Soraki (Decorde), voyage à travers l’espace pour sauver sa planète, coincée dans la répétition immuable de la même journée. Au travers de la bande son, il demande à son jeune public d’ouvrir les portes du rêve en leur indiquant les gestes : les deux mains sont d’abord jointes dans la position de l’orant, puis l’une des deux paumes s’insère entre les doigts de l’autre main avant que les deux ne s’écartent. Les petits s’exécutent. Le spectacle est truffé de jolies images développées en dépit de l’économie de moyens : la frontière du monde des rêves est marquée par une simple bâche de chantier translucide ; les dieux du temps se déplacent parfois cachés sous de vieilles carpettes pour un effet très Sacre du Printemps de Nicolas Roerich (une impression visuelle renforcée par le costume intégral du héros qui tire également vers l’esthétique Manga). Les bâtons de sourcier tenus par la danseuse et le chapiste tiennent debout tout seul. On apprécie aussi l’effet combiné de la gestuelle et du texte en voix-off sur Soraki-Decorde qui, bien que couvert de la tête aux pieds par son imposant costume, semble être celui qui conte son aventure. La section de jonglage aux trois chapeaux symbolisant les trois temps des Grecs (Chronos, Kaïros et Aïon) est très poétique.  On regrette néanmoins que passé l’introduction participative, les enfants soient cantonnés dans le rôle du spectateur classique. La résolution de l’aventure, toujours commentée en voix off, n’échappe pas à  la grandiloquence et semble laisser la salle un peu froide. Aïon, avec toutes ses bonnes idées, mériterait d’être un peu retravaillé dans une veine plus interactive pour tenir toutes ses jolies promesses.

Compagnie Gilles Baron. Aïon. Elouan Vancassel, Etienne Decorde et Noémie Jaffro. Saluts.

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La Chambre d’Amour, Thierry Malandain, Peio Çabalette, Jorge Gallardo et François Menou. Malandain Ballet Biarritz. Théâtre de la Gare du Midi. 6 septembre 2025.

Thierry Malandain. Bord de Scène de La Chambre_d’Amour. Photographie Stéphane Bellocq.

Le Temps d’Aïon, le temps cyclique, est justement celui dont on s’approchait le plus quand il s’agit de la dernière création de Thierry Malandain pour la compagnie qu’il a fondé et qu’il nourrit de son génie depuis vingt-cinq ans. Recréation serait le terme le plus adéquat pour La Chambre d’Amour puisque ce ballet n’est autre que le tout premier créé par Malandain après avoir été nommé à la tête du tout nouveau CCN de Biarritz. Représenté pour la première fois le 13 mai 2000, il a été peu vu depuis et, avant de quitter son propre ballet, l’équipe artistique a décidé, comme pour boucler la boucle, de le reprendre.

Il est doublement intéressant d’assister à une telle recréation. Tout d’abord, on peut voir comment des interprètes d’une génération vont rentrer dans le moule créé pour leurs aînés (des créateurs, seul Giuseppe Chiavaro, qui interprétait le premier duo, est encore dans la compagnie mais en tant que maître de ballet). La pièce, créée pour les 14 danseurs de la formation initiale est aujourd’hui dansée avec l’effectif de 22 qu’a atteint le très acclamé Malandain Ballet Biarritz. On peut également observer les permanences et les évolutions du style du chorégraphe durant ce quart de siècle.

Dans les permanences, on retrouve les décors et des costumes créés par le complice de toujours, Jorge Gallardo, un mélange de minimalisme et de poésie. Les costumes sont toujours un compromis entre un temps jadis (les imprimés des robes des filles par exemple) et le temps présent (la coupe des vêtements, ainsi que l’usage de justaucorps chair évoquant la nudité). Le décor unique, offrant une coulisse supplémentaire aux danseurs (ici un mur au motif de flots marins muni de portes qui s’ouvre et se referment en deux panneaux à la fin du ballet) et jouant par moment sur la translucidité, nous place d’emblée en territoire connu. On regrettera simplement que l’effet magique du mur de fond ne bénéficie pas d’éclairages plus aboutis, un imprévu ayant empêché François Menou de faire les ajustements nécessaires à sa recréation des lumières à l’origine conçues par Jean-Claude Asquié, un autre compagnon de la première heure de Thierry Malandain, aujourd’hui disparu.

Dans les permanences chorégraphiques, on retrouve l’alternance entre les mouvements d’ensemble (ici, le groupe est à la fois chœur antique, foule, ou sac et ressac des vagues entre six galets tavelés surdimensionnés qui apparaissent les uns après les autres sur le plateau, poussés par les danseurs) et les soli ou duos que les danseurs interprètent avant de rejoindre le groupe.

LA CHAMBRE D’AMOUR. Photographie Stéphane Bellocq.

On note au passage des figures ou des combinaisons de pas qu’on a aimé dans d’autres pièces. La chaîne de danseurs des deux sexes qui semble s’égrainer entre la diagonale de galets nous évoque celles de Noé sur le banc ou la frise chorégraphique de Nocturnes; le corps de ballet féminin exécute ce piqué en petite seconde qu’on retrouve entre autres chez les princesses du récent Oiseau de feu du chorégraphe.

Pour le reste, les danseurs de la récente génération ont dû être surpris par l’usage quasi sémaphorique des bras et des mains. Le Malandain de La Chambre d’Amour employait en effet une gestuelle plus intriquée : les roulis de poignets et les poses anguleuses des bras sont nombreux. Les filles dansent parfois avec une main sur leur épaule. A la fin du ballet, elles marchent vers le devant de scène en se couvrant les yeux.

Plus inhabituelle encore est la quantité de portés et, qui plus est, de portés « genrés ». Ceux des pièces récentes sont en effet plus subreptices et sollicitent aussi bien les filles que les garçons. Thierry Malandain lui-même reconnait que sa chorégraphie a évolué avec sa capacité à montrer les pas à ses danseurs.

Mais qu’en est-il, passé ces comparaisons, de la Chambre d’Amour ? Pour les habitués du Pays basque, le titre évoque immédiatement une plage à Anglet, au-delà du phare de Biarritz. Une légende lui aurait donné son nom : au XVIIe siècle, deux jeunes amants, Ura et Ederra, qui avaient choisi la plage pour leurs premiers ébats, furent surpris par la marée montante et se noyèrent. Difficile de tirer la matière d’un ballet d’une durée d’une heure de ce fait divers aussi tragique qu’anecdotique.

Pendant toute La Chambre d’amour, on observe des pas de deux ou des pas de trois qui pour certains évoquent une violence exercée sur l’un des protagonistes. Elle ne tarde pas à poindre par exemple dans le duo qui réunit Claire Lonchampt et Mickaël Conte, particulièrement après qu’ils aient été rejoint par Léo Wanner. Les tensions s’accumulent même entre les deux garçons. A un moment, Conte semble faire le geste de couper en deux Lonchampt, couchée au sol, le visage couvert d’un voile. Ce même voile est comme avalé par Wanner avant qu’il ne suive Lonchampt derrière une porte du décor. Un premier duo entre deux garçons, Guillaume Lillo et Julen Rodriguez Flores s’achève par l’un écrasant la tête de l’autre sous un rocher. Ce meurtre minéral se reproduira dans le cours du ballet. Patricia Velazquez subit également des violences. Je crois voir des poignards. Enfin, Irma Hoffren se montre très véhémente en face du sculptural Raphaël Canet…

LA CHAMBRE D’AMOUR. Photographie de Stéphane Bellocq.

Ayant soigneusement, comme à mon habitude, omis de lire la description d’intention, je découvre à posteriori l’argument. Le couple d’ouverture du ballet qui le clôt également (Hugo Layer et Allegra Vianello) représentait Adam et Eve ainsi que les malheureux Ura et Ederra. Les deux garçons n’étaient autre que Caïn et Abel tandis que le trio Conte-Lonchampt -Wanner représentait Othello, Desdemone et Iago : « Bon sang mais c’est bien sûr ! » Irma Hoffren incarnait Didon abandonnée par Enée : « Mais oui… Pourquoi pas… ». Patricia Velazquez était Juliette. Quant à Orphée et Eurydice (Loan Frantz et Laurine Viel), une seule représentation du ballet ne m’a pas permis de deviner les indices chorégraphiques qui les caractérisaient.

Lors de la rencontre avec le public, Thierry Malandain, avec cette franchise candide qu’on lui connait, annonce que le ballet n’avait pas eu de succès à sa création et qu’il n’avait ni beaucoup tourné ni été repris. La musique, créée pour l’occasion par le compositeur basque Peio Cabalette avait été complétée au dernier moment et, dixit Malandain, « la musique contemporaine ne m’a jamais réussi ». Il a néanmoins été décidé de donner à La Chambre d’Amour « une deuxième chance ».

On pourra donc regretter que cette deuxième chance à un moment tellement symbolique n’ait pas donné lieu à la présence d’un orchestre à la Gare du Midi. La partition, qui n’est pas sans évoquer l’impressionnisme musical d’un Ravel ou d’un Debussy, n’évite pas néanmoins l’écueil de la sur-orchestration : les percussions sont parfois très présentes et les cordes apparaissent souvent pléthoriques et alambiquées. Elle voit ces défauts aggravés par l’enregistrement, très plat, diffusé dans la salle. La pâte orchestrale y apparaît trop épaisse. De nouvelles représentations en direct auraient pu être l’occasion de renouveler la prise de son.

Enfin, une subtile réévaluation de la couleur des costumes  aurait pu aider le public à repérer l’individualité des couples emblématiques évoqués sans pour autant briser l’harmonie des ensembles.

LA CHAMBRE D’AMOUR. Photographie de Stéphane Bellocq.

Avec cette Chambre d’Amour, on peut néanmoins mesurer le chemin parcouru par Thierry Malandain à la tête du CCN de Biarritz.

Le temps d’Aïon illustré ici est loin d’avoir été un simple cycle répétitif. Il aura été au contraire proche de l’Aïon Bergsonien : un Temps qui gonfle et s’enrichit en avançant.

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Au Temps d’Aimer la Danse 2024 : Mont Ventoux (Kor’Sia). De l’Art du montage

Comme pour chaque édition, le théâtre de la Gare du midi, dont les espaces techniques abritent les salles de répétition du Malandain Ballet Biarritz ainsi que ses bureaux administratifs, est utilisé pour les représentations les plus exigeantes en termes de nombre de danseurs ou bien de scénographie. Le dimanche 8 septembre, le plateau accueillait ainsi le collectif Kor’Sia, cofondée par les chorégraphes Mattia Russo et Antonio de Rosa.

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La compagnie, dont l’ambition est de « créer des dispositifs artistiques, autour du corps, donnant un nouvel accès à des manières d’être et d’être dans le monde », s’attaquait ici à un texte de Pétrarque où l’auteur relatait son ascension, réelle ou symbolique, du Mont Ventoux en 1336.

La pièce n’est pas sans qualités. La scénographie, léchée, présente sur le proscenium une façade en béton à grandes baies vitrées d’une maison moderne. On penserait presque à l’architecture futuro-montagnarde de la villa où Cary Grant vient sauver Eva-Marie Saint dans « North by Northwest » d’Alfred Hitchcock (1959).

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Kor’Sia. Mont Ventoux. Photographie ©CdeOtero

Les rideaux qui occultent l’intérieur de la bâtisse s’ouvrent sur une scène dantesque. Derrière la baie vitrée, évoluant au ralenti, des danseurs et danseuses vêtus de camaïeux de gris et tee shirts transparents ressemblent en effet à une horde de damnés à moins qu’il ne s’agisse de flocons de neige poussés par le vent. Une toile représentant une montagne s’élève lentement dans les airs. La chorégraphie est fascinante et la gestion des flux et des masses de corps diablement maîtrisée. La troupe nous paraît nombreuse quand elle ne compte au final que neuf danseurs.

Dans une seconde section cette fois-ci devant la façade qui a subrepticement reculé, on regarde, hypnotisé, les courses échevelées des danseurs. qui sautent et tourneboulent les uns sur les autres. Ils chutent sur le dos, et se relèvent, s’entremêlent et défont tous les nœuds corporels apparemment inextricables. Les frimas de la première section sont devenus des vagues sous la houle, effet renforcé par longues chevelures qu’arborent certains garçons et filles.

Mais l’image du flux et reflux nous éloigne un peu du sujet du ballet à savoir de « changer de paradigme et de système, retrouver les valeurs fondatrices […] et remettre au centre l’humanité et la nature ». L’esthétique en frise ne nous semble pas embrasser l’idée d’une ascension et installe, plutôt que l’idée de changement, une anxiogène impression de sur-place.

Après un passage précieux avec une preuse en armure qui se dénude entièrement pendant que deux danseurs simulent chorégraphiquement un combat de bélier, on perd le fil puis l’intérêt. La pièce, qui s’éternise, nous paraît pétrie de redite et de poncifs : on n’échappe pas au traditionnel tableau à contre-jour de cyclo et au solo final sur musique de chœur.

Pour revenir à la référence cinématographique hitchcockienne, on aimerait parfois que les créateurs de danse apprennent l’art de la coupure au montage, si central au cinéma, au lieu de présenter, comme c’est la tendance actuelle, des additions de belles gestuelles et de bonne idées qui ne demanderaient qu’un peu de resserrement pour atteindre véritablement leur but et rendre intelligible leur propos.

LE TEMPS D'AIMER 2024 - KOR'SIA - MONT VENTOUX

MONT VENTOUX Collectif KOR’SIA, chorégraphes MATTIA RUSSO et ANTONIO DE ROSA. Photographie de Stéphane Bellocq.

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A Biarritz, Concours de jeunes chorégraphes #4 : convergences

A Biarritz, à la Gare de Midi, en ce dimanche de juin où le ciel était d’humeur chafouine, se tenait la finale de la quatrième édition du concours de jeunes chorégraphes de ballet, organisé par le Ballet de l’Opéra National de Bordeaux et le Centre Chorégraphique National Malandain Ballet Biarritz. Ce concours, avec pour les lauréats l’opportunité de remporter des résidences de création au Ballet de Bordeaux, au Ballet du Rhin et, cette année, au Ballett X de Schwerin en Allemagne ou encore d’obtenir des bourses (dont le très généreux prix de « Biarritz / Caisse des dépôts » : 15000€) est une occasion de tester le pouls de la création d’expression classique au sens large.

Finale Concours de Jeunes Chorégraphes de Ballet #4 © photo Olivier Houeix OHX_7272-2

Finale Concours de Jeunes Chorégraphes de Ballet #4 © photo Olivier Houeix

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Comme pour la troisième édition, il y a deux ans, on remarque et on apprécie le beau sens de la composition dont font preuve les finalistes. Toute cette jeune génération sait, sur ces pièces d’un peu plus d’une dizaine de minutes, pour 4 à 6 danseurs, organiser des entrées et des sorties de scène de manière fluide et créer des effets de masse mouvante avec leurs interprètes. C’est le cas par exemple pour la pièce du Suisse Benoît Favre (Prix du Public : 3000€), 30 ans, Second Nature où les trois couples, qui apparaissent d’abord dans une position statuaire très Rodin, les filles juchées sur l’épaule de leur partenaire, se retrouvent à un moment agglutinés en une sorte de magma mouvant ; une image assez efficace.

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Second Nature. Benoit Favre. Photographie Olivier Houeix.

Dans la pièce du Duo Créatif, réunissant la Tchèque Vera Kvarcakova et le Français Jérémy Galdeano, qui obtient le prix des professionnels (5000€) et la résidence 2024-2025 au CCN – Ballet de l’Opéra national du Rhin, Blíz, on apprécie particulièrement un moment où deux groupes de trois danseurs se lovent les uns sur les autres de part et d’autres d’un carré lumineux projeté au sol. Pour le reste la gestuelle employée est assez conforme à celle déjà observée chez Benoît Favre. Les finalistes utilisent tous une technique « post classique » héritée des expérimentations de William Forsythe dans les années 90 et du lyrisme sombre et acrobatique de Jiri Kylian durant la même période.

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Bliz. Le Duo créatif (Vera Kvarcakova – Jeremy Galdeano). Photographie Olivier Houeix.

Les six danseurs et danseuses en short bardés de cuir de Blíz développent une chorégraphie aux décentrements forsythiens, dansent parfois sur les genoux, oscillent entre souple liane (gracieux ports de bras)  et ballet mécanique à force de brusques changements de position. Le glissé au sol, l’alternance ou la juxtaposition de danses exécutées au ralenti ou très rapidement, les portés « astronaute » (où le partenaire semble flotter sans destination apparente) sont de mise. On remarque aussi une tendance issue de la danse contemporaine à demander aux danseurs de fixer leurs yeux dans le public pour briser la distance.

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Overload. Manoela Gonçalves.Photographie Olivier Houeix.

La  mouture 2024 du concours s’est également montrée particulièrement « à la pointe ». Trois des pièces présentées intégraient des interprètes qui utilisaient la technique des pointes, si attachée au ballet classique. A chaque fois, ces artistes se mélangeaient à d’autres sur demi-pointe : volonté d’opposition de techniques ou difficulté à trouver des professionnels assez avancés dans cette pratique ? Dans Overload, une pièce où les quatre danseurs adoptent des postures anxieuses, Manoela Gonçalves, récipiendaire du Prix jeune public et du Prix ville de Biarritz – Caisse des dépôts oppose une fille en noir sur pointes à une autre sur demi-pointes. La grammaire de la pointe nous semble un peu limitée. La jeune chorégraphe fait faire des piétinés et de lentes promenades arabesque à son interprète. C’est peu ou prou le même vocabulaire de base qu’emploie le très jeune Lasse Graubner, 24 ans, dans I am lost to the world, même s’il se propose courageusement de dégenrer la pointe en faisant danser un garçon au très beau cou de pied et au beau lyrisme. Sa pièce n’est pas sans promesses. Il fait rentrer une fille en nuisette qui marche très naturellement, le dos un peu voûté bien qu’elle porte des chaussons de pointe. Dommage que son ballet tombe à la fin dans ce lyrisme un peu grandiloquent qu’appellent souvent les lieder de Mahler qu’il utilise (le chorégraphe est aussi danseur à Hambourg chez Neumeier, passionné par ce compositeur).

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I am lost to the world. Lasse Graubner. Photographie Olivier Houeix.

Pour périlleux qu’il soit, le choix de Lasse Graubner d’utiliser Mahler était presque rafraichissant tant les autres concurrents usaient et abusaient des montages sonores à base de musique en ostinato et voix off. Ana Isabel Casqhuilho, la gagnante de la Résidence de création à Bordeaux, réunit un peu toutes les tendances observées pendant cette après-midi de découverte chorégraphique. A deriva, dansé notamment par une interprète sur pointes faisant face à une collègue sur demi, développant une belle gestuelle fluide, toute en oscillations des bras et du buste et prompte à la démonstration de la laxité de l’ensemble des interprètes, se pose sur une partition à mouvement perpétuel entrecoupée par la récitation en voix off d’extraits de la Déclaration universelle des droit de l’Homme de 1948.

On se demandera ce que ces beaux corps sanglés de coquets costumes rosés  ont à voir avec ce texte emblématique ainsi qu’avec la déclaration d’intentions du programme parlant d’émotion commune en dépit des différences extérieures.

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A deriva. Ana Isabel Casquilho. Photographie Olivier Houeix.

La déconnexion de la plupart des créations observées avec leur glose de programme nous a paru assez flagrante à l’exception peut-être du ballet de l’Italienne Lucia Giarratana, If you hold him close, you hear soft sweet sounds, qui colle à son sujet. Quatre gaillards en blanc adoptent une gestuelle mécanique, faite d’oscillations brusque du chef au son d’une machine à écrire remplaçant l’ordinateur qui, nous dit une voix off, « is broken ». La chorégraphie mécanique sait montrer également une certaine fluidité. Les danseurs semblent actionner les départs de mouvements de leurs partenaires. Le groupe ressemble parfois à des clusters qui cherchent à se recomposer dans le bon ordre pendant un reboot informatique.

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If you hold him close, you hear soft sweet sounds. Lucia Giarratana. Photographie Olivier Houeix.

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Le palmarès est annoncé après le visionnage de l’aimable film à  Dive, malin et arty, inspiré de la pièce Art de Yasmina Reza et du bleu d’Yves Klein, que Sophie Laplane, lauréate du prix du public et des professionnels il y a deux ans, a réalisé avec les danseurs du Scottish Ballet.

On souhaite à tous les participants une carrière fructueuse lorsqu’ils auront inventé, à force de créations pour des compagnies d’expression classique qui se font hélas de plus en rares, un univers personnel libéré des conventions et automatismes héritées de leur formation.

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Le Temps d’Aimer la Danse 2023 : crépuscules au Midi

Biarritz, Gare du Midi.

Hessisches Staatballett Wiesbaden – Darmstadt : I’m Afraid to Forget your Smile / Boléro. Samedi 16 septembre. Andrés Marín & Jon Maya : Yarin. Dimanche 17 septembre.

À la Gare du Midi, la salle de spectacle principale de Biarritz en termes de jauge, le festival Le Temps d’Aimer accueillait pour son dernier week-end deux spectacles aux tonalités sombres.

Le samedi, la Hessisches Staatsballett Wiesbaden – Darmstadt, une compagnie d’expression néoclassique qui, comme la Beaver Dam Company, présentait plusieurs programmes au festival (celui de la veille comportait d’ailleurs une pièce de Martin Harriague, le précédent artiste associé du Malandain Ballet Biarritz), présentait un double bill.

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Boléro. Hessisches Staatsballett. Photo CdeOtero

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La première pièce, I’m Afraid to Forget your Smile, une création de 2022 par Imre et Marne van Opstal, frère et sœur dans le civil, s’interrogeait sur la notion de perte et de deuil. Dans un espace monacal souligné par deux grands rectangles lumineux, l’un horizontal à jardin et l’autre vertical suspendu en l’air, et par un alignement de bancs à jardin et en fond de scène, des danseurs apparaissent d’abord couchés sur le dos, mimant à l’unisson une marche sonore. Toujours dans cette position, ils finissent par changer leur orientation par quarts de tour. Toujours au sol, ce sont bientôt les poitrines qui font sonner le plateau, puis les flancs. Ces reptations sautées sont d’une grande force et impriment aussi bien l’oreille que la rétine.

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Hessisches Staatsballett. I’m Afraid to Forget your Smile. Photographie ©Olivier Houeix

La compagnie s’appuie sur une troupe d’interprètes aux qualités saisissantes. Durant la deuxième section, un danseur au physique de liane musculeuse, agenouillé sur une demi-pointe, effectue en équilibre un développé 4e devant.

Cependant, il faut bien avouer qu’on reste un peu à l’extérieur d’I’m Afraid to Forget your Smile. Passé la première scène, on retombe dans la succession de soli et duos serpentins, dans les passes à noeuds coulants entre partenaires qui sont attendus désormais dans les chorégraphies post-classiques. Le duo de créateur a travaillé notamment au Nederland Dans Theater et leur travail n’est pas sans évoquer les pièces du duo Léon-Lightfoot. Les bras peuvent être hyperactifs puis en positions contemplatives. Ces poses statiques regardent directement vers la peinture religieuse. On reconnaît des corps de saints suppliciés et des pietà. Les jambes développent derrière l’oreille artistement placées en dedans avec des pieds positionnés de manière tout aussi affectée en serpette.

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Hessisches Staatsballett I’m Afraid to Forget your Smile. Photographie CdeOtero

À l’instar de la bande-son (à la création, les bancs étaient occupés par le chœur) dont on peine à croire qu’elle a été écrite par plusieurs compositeurs, la chorégraphie, finement écrite pourtant, tombe dans la monotonie.

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2023/09/16 WIESBADEN ©Olivier Houeix

Hesisches Staatsballett. Boléro. Photographie ©Olivier Houeix

Boléro, la deuxième œuvre présentée, nous a paru plus intrigante. On apprécie toujours qu’un chorégraphe relève la gageure de faire sienne une partition musicale moult fois illustrée par ses prédécesseurs. Le chorégraphe israélien Eyal Dadon, qui prenait un risque, relève cependant le gant avec les honneurs.

Il offre tout d’abord un Boléro « déstructuré ». La musique de Ravel – enregistrée – apparaît tout d’abord avec des mélodies tronquées. Le rythme passe parfois à l’avant. Certaines phrases musicales sont incomplètes. L’oreille, tellement habituée à ce morceau qu’elle se repose dessus, est perturbée. Sur scène, un grand gaillard, parfois immobile, parfois lancé dans une chorégraphie forsythienne très rapide avec oppositions des directions et épaulements très croisés, distille des éléments chorégraphiques discontinus : une sorte de fibrillation du buste, les bras en l’air poings fermés comme mimant la colère, des marches-sautillements en rectangle sur la scène, des sortes de petites menées reculant en parallèle. Sur la fin, il semble même adopter les oscillations béjartiennes. Le crescendo orchestral ne semble pas appeler une chorégraphie de groupe. Lorsque un deuxième danseur apparaît enfin, c’est sur le tutti d’orchestre sur lequel s’achève le Boléro. Le danseur, un sourire de chorus line aux lèvres, effectue une marche piétinante en parallèle qui n’est pas sans évoquer les Nijinsky ; la Bronislava de Noces (qui fut la première chorégraphe du Boléro en 1925), mais aussi le Sacre, le Faune et même le Petrouchka de Vaslaw.

Mais voilà qu’achevé, le Boléro est repris, cette fois sans omission musicale. Le désormais duo de garçons est bientôt rejoint par tout un corps de ballet. Les propositions chorégraphiques des deux solistes sont reprises, notamment la marche Nijinsky. Le deuxième partie est donc plus « conventionnelle » (même si chacun des danseurs du groupe s’échappe en solo comme des instruments en liberté) mais pas sans puissance. Sur le tutti final, le corps de ballet s’en va. Le soliste, tremblant, reste seul dans le silence. Prêt à recommencer?

On sort donc de la Gare du Midi conquis par l’excellence du Hessisches Staatsballet et sa trentaine d’interprètes. La compagnie est bien représentative de la vitalité de la scène d’expression moderne-néoclassique en Allemagne et en Europe du Nord ; un exemple qu’on aimerait voir suivre en France.

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LE TEMPS D'AIMER 2023 - ANDRES MARIN & JON MAYA - YARIN

YARIN (ANDRÉS MARÍN et JON MAYA). Photographie de Stéphane Bellocq.

Notre deuxième soirée à la Gare du Midi était très différente en termes d’horizons chorégraphiques bien que tout aussi crépusculaire par son ambiance scénographique. Jon Maya, artiste associé au Malandain Ballet Biarritz depuis 2022, spécialiste de la danse traditionnelle basque et directeur-fondateur de la Kukai Dantza rencontrait une figure du Flamenco contemporain, Andrés Marín.

Yarin, la contraction de Maya et Marín, une oeuvre à trois mains (aux deux danseurs-chorégraphes s’ajoute Sharon Fridman), est censée mettre en scène la rencontre entre deux traditions marquées. Mais il se veut surtout une symphonie de noirs, un Soulages chorégraphique (scénographie de David Bernuès), dans l’atmosphère feutrée et japonisante à base de percussions et cordes crissées suggérée par la musique de Julen Achiary, lui aussi sur scène.

Dans de très belles lumières au scalpel, des bribes d’instruments de musique et de corps apparaissent d’abord. Puis les deux danseurs se font face : le chapeau à large bord d’Andrés Marín s’oppose au béret de Jon Maya. L’Andalou entoure le Basque de la grande ceinture traditionnelle, semblant ainsi l’adouber. Puis la sonorisation nous permet d’entendre les talons du danseur flamenco ainsi que le crissement du cuir de ses chaussures. Marín effectue un premier zapateado de jardin à cour aussi sonore que la danse basque en espadrilles de Maya restera silencieuse. Presque tout oppose en effet les deux techniques : Le flamenco est ancré dans le sol tandis que la danse basque est aérienne (petits sautés attitudes, grands temps de flèches et entrechats six). Même les claquements de doigts des deux interprètes s’opposent. Lors d’une sorte de dispute les claquements susurrés de Maya contrastent avec ceux crépités de Marín.

LE TEMPS D'AIMER 2023 - ANDRES MARIN & JON MAYA - YARIN

YARIN (ANDRÉS MARÍN et JON MAYA). Photographie de Stéphane Bellocq.

Si vous avez le sentiment de lire un catalogues d’images, c’est certainement parce que c’en est un.

Car si dans les déclarations d’intention de la brochure on peut lire que « Yarin est racine, Yarin est rencontre, Yarin est dialogue », on peine à trouver déceler une quelconque rencontre. Chacun des interprètes semble rester sur son quant à soi. On assiste plutôt à un jeu de chiens de faïence qui dure indéfiniment, sans développements ni résolution…

Et au bout d’un moment, à la mi-temps du spectacle, on se lasse de toute cette esthétique léchée et froide qui vous invite à rester à l’extérieur.

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Il est regrettable que le Temps d’Aimer la Danse se soit achevé sur ce spectacle, car le festival, caractérisé par un sens du partage, est exactement à l’opposé de cette démarche excluante.

Mais nous y reviendrons d’ailleurs dans un prochain article…

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A Biarritz, le Temps d’Aimer : la belle parenthèse [1]

 » La Pastorale  » Photographie Olivier Houeix

C’est un parfait week-end de l’été indien. Biarritz et son décor hétéroclite est écrasée de soleil. La mer bat allègrement les rochers et elle est tolérablement chaude. C’est pourtant l’ombre qu’on est venu chercher, celle des salles de spectacle. Les plaisirs qu’on n’ose plus espérer, on essaye de ne pas trop les envisager… Et pourtant, après une belle marche sur la corniche et un bon coup de soleil à l’arrière du col du tee-shirt, on se retrouve devant la façade sans prétention du Colisée, la salle accueillant les représentations de petit format au Temps d’Aimer la Danse qui fête cette année sa trentième édition.

Les consignes sanitaires sont assez strictes : masque et gel hydro-alcoolique sont de rigueur. Mais au moins, on a des voisins avec lesquels on sait que l’on partage l’excitation des retrouvailles.

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Jour 1 : Appropriations

Le festival du Temps d’Aimer ne prétend pas jouer sur les thématiques. À l’image de la ville, il se veut divers et éclectique. Mais, on ne se refait pas, je n’ai pu m’empêcher de créer la mienne. La Compagnie l’Octogonale, constituée de Jérôme Brabant et de Maud Pizon, deux danseurs-pédagogues, avec son A Taste of Ted, propose un spectacle à la fois drôle, tendre et érudit qui semble d’emblée se mettre en frontispice de la suite de la soirée, constituée d’œuvres de Thierry Malandain, un chorégraphe féru d’Histoire.

Le principe de A Taste of Ted est simple ; il s’agit de poser un regard sur un célèbre couple de l’avant-garde dansée du premier tiers du XXe siècle, réunissant Ruth Saint Denis et Ted Shawn, dans un dialogue entre des reconstitutions de fragments de leurs danses conservées sur des films et les souvenirs enregistrés en voix off des choréologues-danseurs reconstructeurs et interprètes contemporains de ces danses. La pièce débute par le récit cocasse de l’apprentissage d’une pièce méconnue de Ted Shawn. Les deux danseurs, dans l’incapacité d’emprunter ou de copier le vieux film sur lequel elle était conservée, ont dû l’apprendre et la répéter dans la salle de lecture de la New York Public Library for the Performing Arts sous les yeux médusés des autres étudiants-chercheurs. Dans leur récit, les deux acolytes ne s’interdisent aucune irrévérence sur leur sujet. Les questions qui font mal ne les effraient pas. Ruth Saint Denis et Ted Shawn étaient spécialistes des danses « primitives » leur permettant de porter les oripeaux de différentes époques ou de différentes nations. Leur démarche serait-elle possible aujourd’hui ? Sans doute subiraient-ils les foudres de la Cancel Culture pour crime d’appropriation culturelle. À un moment, Jérôme Brabant, malicieusement, dit en substance à sa partenaire, « je pense que, moi qui suis exotique parce que je suis né à la Réunion et du XXIe siècle, j’ai plus le droit de danser cette danse chinoise créée par des Américains au XXe siècle que toi, qui es de la métropole », ce à quoi Maud répond « Au fait, les kimonos qu’on porte, c’est pas plutôt japonais ? ». La pièce, captivante dans son va-et-vient entre souvenirs personnels et reconstitutions dansée nous interroge également sur la pérennité de l’avant-garde ; de toutes les avant-gardes.

Les reconstitutions dansées présentées ne sont pas toujours flatteuses pour les deux monuments de la danse pionnière américaine que sont Ted Shawn et Ruth Saint Denis. On soupçonne même les deux danseurs de discrètement forcer le trait. La nature même de Jérôme Brabant, subtilement dégingandée, contrastant avec l’allure plus statuesque de sa partenaire, favorise d’emblée des situations comiques. Le pianiste et créateur musical Aurélien Richard, qui les accompagne au piano à queue, se prête aussi, avec délectation, à ce jeu de la dérision tendre. On rit donc de cette première danse reconstituée à la New York Public Library, avec ses conventions de film muet ou encore de cette danse égyptienne où les danseurs épousent les conventions angulaires de la peinture antique. On s’esclaffe enfin lors de la danse « chinoise en kimono » où les deux interprètes, à force d’agiter leurs éventails, finissent par évoquer des dindons. Le destin de l’avant-garde n’est-il pas de devenir le ringard du lendemain ?

Pourtant, ce qui fait mouche dans A Taste of Ted, c’est que, finalement, la danse a le dernier mot. Pour l’ultime reconstitution, les deux danseurs revêtent des costumes indiens – bracelets de cheville à clochettes et autres colliers de cauris. Et soudain, les principes de François Delsarte suivis par Saint Denis et Shawn vous sautent à la figure au son des talons martelant la scène sous l’impulsion du piano à queue utilisé comme un tambour. On comprend tout à coup ce que l’héritage des pionniers a pu apporter à la danse d’hier mais aussi à celle d’aujourd’hui.

« A Taste of Ted ». Maud Pizon et Jérôme Brabant. Photographie © deOtero

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Plus tard dans la soirée, à la Gare du Midi, on en voyait la concrétisation et l’aboutissement dans Beethoven 6, une réduction de la superbe Pastorale de Thierry Malandain, créée l’an dernier. Resserrée autour de la 6e symphonie du compositeur, sans décor, le ballet, avec son Perpetuum mobile de cercles, de rondes et enroulements, avec son écheveau de corps sans cesse miraculeusement démêlé, ses lacets de nymphes évoquant le faune de Nijinsky, lui-même suiveur de François Delsarte, montrait à quel point la modern dance a pu infuser et revivifier la danse classique puis néoclassique. Le panthéisme de la pièce convoquait aussi l’ombre tutélaire de la mère de tous les modernismes chorégraphiques occidentaux, Isadora Duncan. On peut toujours compter sur Thierry Malandain pour, avec du vieux, faire de l’intemporel.

En première partie de soirée, il présentait justement une pièce « historique », puisqu’elle n’avait plus été dansée depuis 1997, l’année où Malandain avait démarré le Centre Chorégraphique National à Biarritz. Le ballet, Mozart à 2, pourrait se présenter comme le In The Night du chorégraphe puisque, sur des pièces pour piano et orchestre de Mozart, ses six pas de deux déclinent les rapports de couple dans un lent crescendo vers l’harmonie.

Le danseur qui ouvre le ballet par une chorégraphie athlétique et nerveuse (Arnaud Mahouy), n’est ainsi pas sur la même page que sa douce et mutine partenaire, Clémence Chevillote. Raphaël Canet, séduisante brute, gifle la sienne qui lui rend sans plus attendre la monnaie de sa pièce (Nuria Lopez Cortés, aussi forte dans ses interactions avec son partenaire qu’elle est délicate dans ses solos). Dans le duo interprété par Mickaël Conte (le premier, car il remplace un de ses camarades au pied levé), l’homme semble encore dans son monde ; ses solos sont élégiaques (monsieur Conte fait de ses tours attitudes décentrés se terminant en écart des moments de poésie intériorisée). Cependant la petite musique des sentiments commence à se faire entendre entre lui et sa très belle partenaire, Irma Hoffren. L’alchimie se fait plus évidente et joyeuse entre Giuditta Banchetti et Michael Garcia. Leur duo pourrait s’appeler « La Découverte ». Caresses au sol, remontée glissée du garçon en seconde position au sol… On s’émerveille toujours de la fantaisie de Malandain dans ce genre de passage à terre. À un moment, la jeune fille s’accroche dans un angle géométrique à son compagnon placé en position de pont. Le couple semble alors faire un jeu de Tetris ; comme pour vérifier une dernière fois sa compatibilité. Avec le duo entre Joshua Costa et Patricia Velasquez, on approche de la plénitude du couple. La simplicité de dessin de la chorégraphie, l’abandon et la confiance dans les portés, inscrits dans la chorégraphie mais magnifiés par les deux danseurs en dépit de leur différence de taille, parle d’harmonie et de partage.

Mais l’acmé, on la trouve dans le dernier pas de deux entre Mickaël Conte et Claire Lonchampt (qui fait son retour sur scène après une longue absence). À un moment, perchée sur la cuisse de son partenaire pendant une sorte de promenade, la belle danseuse ressemble littéralement à une déesse tutélaire de l’amour partagé.

On est groggy. Les lumières du plateau scintillent, les danseurs sont dans une forme époustouflante, la salle est pleine et les applaudissements crépitent. On avait douté que cela puisse exister encore

Mozart à 2. Claire Lonchampt et Mickaël Conte. Photographie Olivier Houeix

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