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Casse-Noisette à l’Opéra : la belle surprise de Noël

En ce 25 décembre, on se rend à l’Opéra Bastille un peu circonspect. La distribution réunit en effet deux danseurs qui sont depuis longtemps dans la compagnie et ont mis du temps à être distingués. Marc Moreau, longtemps resté dans les rangs des sujets a finalement atteint le firmament de la maison alors qu’il avait additionné les prestations décevantes. Marine Ganio, peut-être éclipsée par la promotion éclair de son frère Mathieu, fait partie de ces danseuses qui ont été cantonnées dans les rôles de sujet (en petits groupes ou en pas de deux) et ont peu eu l’occasion de briller sur le devant de la scène. A l’époque Millepied, déjà assez lointaine, il lui fut donné une Lise.

Or le public, c’est la règle, aime la prime jeunesse et les promesses. « L’expérience » allait-elle suffire à soulever une salle de spectacle un jour de Noël ?

La réponse est oui.

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Marine Ganio et Marc Moreau. Clara et Drosselmeyer/Le Prince. 25 décembre 2023

Marine Ganio a les qualités de la maturité artistique pour dépeindre l’enfance. Durant le premier acte, on s’émeut de son agacement face à Fritz (Antoine Kirscher, très bien aussi bien en soldat mécanique qu’en agaçant morveux). C’est une sœur aimante mais excédée. Sa peine est également touchante en poupée dépouillée de ses oripeaux. Sa frustration et son monologue intérieur passent la rampe. Elle construit aussi tout un jeu avec le Casse-Noisette-jouet, le consolant quand les enfants et les adultes le trouvent trop vilain. On se prend même à l’observer en train de continuer à défendre le jouet assise dans le grand Voltaire pendant le menuet Grossvater (joli succès de Chavignier, très drôle en grandpa à entrechats).

Marc Moreau, quant à lui, donne de Drosselmeyer l’image d’un homme encore jeune dont on perçoit le charme sous le bandeau et les cheveux gris. Ceci aide à la lecture de l’histoire. Quand les parrains ont vraiment l’air trop décati à l’acte 1, on a du mal à imaginer que Clara l’idéalise en prince à l’acte 2. Surtout, on apprécie à nouveau sa danse qui, sur l’ensemble de la soirée, a gagné en amplitude et en moelleux. Dans la variation de rencontre, on apprécie bien sûr sa batterie ciselée, toujours un de ses points forts, mais aussi ses retombées propres et silencieuses dans les tours en l’air, une nouveauté car c’était un de ses points faibles depuis au moins deux saisons.

Le pas de deux qui ouvre l’acte 2 est une grande réussite. Les deux danseurs dépeignent une touchante amitié-complicité. Ils maîtrisent parfaitement leur partition. Il y a dans leur pas de deux de très beaux portés aériens qu’on retrouvera aussi dans le grand pas-de-deux final. En termes de jeu, Marc Moreau est tout en nuance : présence qui s’efface doucement avant le cauchemar. Marine Ganio est très crédible en jeune fille terrorisée face aux chauves-souris. Elle ne désarme même pas face aux injonctions de son partenaire revenu lui montrer qu’il s’agit en fait de ses parents. Elle marque sa reconnaissance de Fritz et Luisa (Kirscher et la très talentueuse Hortense Millet-Maurin, une Clara en puissance) en Espagnols.

Dans le grand pas de deux, il n’y a donc aucun doute que les deux danseurs en doré sont les deux héros qu’on suit depuis le début de soirée. Ils font montre de nouveau d’une grande complicité dans l’adage. Moreau domine la variation masculine : batterie, parcours, aucune raideur. La fin à genou, un tantinet brusque, est néanmoins parfaitement en musique. La salle est réceptive. Marine Ganio cisèle ses équilibres et son bas-de-jambe dans sa variation. La coda est bien enlevée. C’est un sans-faute.

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Lors du retour à la réalité, Clara se réveille dans les bras de Drosselmeyer qui la retire du fauteuil pour libérer la place au grand-père épuisé par ses exploits chorégraphiques. Il lui baise paternellement le front avant de partir. Les intentions narratives de Noureev ne nous avaient pas parues aussi claires lors de nos deux précédentes soirées en dépit du bonheur qu’on avait ressenti.

À cela s’ajoute une distribution belle et cohérente : des enfants au jeu de plus en plus naturel, des flocons tirés au cordeau et des solistes du divertissement bien assortis. Dans la danse arabe, Roxane Stojanov, aux développés toujours aussi impressionnants, est bien plus à l’aise aux bras d’Antonio Conforti que dans ceux de Jerémy-Loup Quer. Une histoire s’écrit enfin. Les trois acrobates-chinois sont très énergiques et homogènes. On remarque néanmoins les très beaux tours en l’air de Keita Belali. La Pastorale, qui réunit de nouveau Mathieu Contat, Clara Mousseigne et Bianca Scudamore nous paraît plus harmonieuse.

On aura vécu en somme une bien belle soirée.

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Casse-noisette à l’Opéra : de la fraîcheur sous les frimas

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Casse-noisette. Inès McIntosh et Paul Marque. Soirée du 11 décembre 2023

Neuf ans ! C’est un laps de temps bien long pour reprendre un ballet. La dernière fois que Casse-noisette de Noureev a été joué, Hugo Marchand, aujourd’hui étoile reconnue de la compagnie, faisait ses débuts aux côtés de Mélanie Hurel. Il était coryphée.

Lorsque tant de temps a passé, on peut légitimement se demander si la compagnie, qui n’a plus le ballet « dans les jambes », sera à la hauteur de sa réputation. Après une générale que certains ont pu qualifier d’inaboutie – le ballet n’avait pas été répété sur scène en raison d’une grève des machinistes – et deux annulations, la première effective a donc eu lieu le lundi 11 décembre dernier avec la seconde distribution.

À notre grand soulagement, le ballet de l’Opéra a été à la hauteur de nos souvenirs et donc de nos attentes. À l’acte 1, les élèves de l’École de danse étaient à la fois bien réglés et suffisamment spontanés pour évoquer la surexcitation enfantine propre à la période des fêtes. La scène de la bataille des rats, bien que sous-éclairée (un problème récurrent dans les productions de Noureev passées de Garnier à Bastille), avait de la tension dramatique et la confrontation avec les chevaux-jupons était savoureuse. La valse des flocons brillait par sa célérité. Le corps de ballet féminin rendait limpide le contraste entre les dessins géométriques, évoquant la structure des flocons de neige, et les formations en cercle représentant le blizzard. L’ensemble était facetté. Il y aura néanmoins matière à peaufiner la valse des fleurs de l’acte deux. Les tutus des filles, très « sautillants », ne pardonnent rien et certaines arabesques aux bras de partenaires masculins pouvaient sembler téléphonées.

La distribution des rôles secondaires du 11 décembre, c’est la règle dans ce genre de ballet, est plus inégale. Si on a fort gouté la danse espagnole roborative de Chun-Wing Lam et Luna Peigné, bas-de-jambes spirituels et ballon insolent, on aura trouvé la danse arabe de Roxane Stojanov et Jeremy-Loup Quer plus efficace que sensuelle. Est-ce parce qu’initialement monsieur Quer était censé la danser avec Héloïse Bourdon, comme inscrit sur la distribution ? En tous cas, on n’a pas jugé bon de mentionner le changement en avant-scène avant le spectacle. La Pastorale nous a paru un tantinet sèche. Bianca Scudamore et Clara Mousseigne sont sans doute des techniciennes accomplies, mais on attend de voir un peu plus de subtilité dans l’exposition de cette technique. La danse chinoise a été renommée danse des acrobates. Les altérations se limitent à retirer les calottes  de crane rasé à natte et les moustaches aux danseurs. La chorégraphie, inchangée, a été défendue avec gusto par Antonio Conforti, Léo de Busseroles et Thomas Docquir.

Pour ce qui est des rôles principaux, Inès McIntosh, nouvellement promue première danseuse (un rang qu’elle ne prendra effectivement qu’au 1er janvier) faisait ses débuts dans le rôle de Clara. La danseuse a su donner à son personnage toutes les grâces de l’enfance avec ses joies sans partage suivies de colères aussi soudaines et subreptices qu’une giboulée en bord de mer (sa confrontation avec le Fritz de Chun-Wing Lam autour du Casse-noisette est bien caractérisée). L’épisode des poupées est très réussi. McIntosh passe aisément de l’extrême en dehors à l’extrême en dedans sans pour autant ciller de la pointe de terre. Lam est parfaitement mécanique en soldat et ses adducteurs claquent de manière toute militaire tandis qu’en Louisa, Luna Peigné est à la fois précise et moelleuse en Turc à turban et cimeterre.

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Chun-Wing Lam et Luna Peigné : Fritz et Louisa

Dans la Clara d’Inès McIntosh, on sent néanmoins poindre la jeune fille sous l’enfant. Lorsque les jeunes invités de la fête la dépouillent sans ménagement de ses oripeaux d’automate, elle rend clair le sentiment de son personnage de n’être plus à sa place dans aucun de ces mondes : pas encore adulte mais plus tout à fait enfant. Cela rend son attirance de presque adolescente pour Drosselmeyer plausible. L’adulte avec son  bandeau sur l’œil apparaît lui aussi comme un peu à part. L’adolescente en recherche d’un modèle peut s’identifier à lui. Dans la section du rêve, la transformation du parrain en prince est donc compréhensible.

En Drosselmeyer, Paul Marque n’est pas sans rappeler les photographies de Rudolf Noureev dans le même rôle sans doute à cause de son arcade sourcilière prononcée. Il y a du charme et un petit soupçon de danger chez ce parrain plus âgé qui sait encore, à la différence des autres adultes, s’amuser avec ses pupilles. Dans ses évolutions à la fin de l’acte 1, transformé en prince, Marque parvient à exécuter toute les complications de la chorégraphie pour les jambes avec une belle liberté du haut du corps et du cou. Dans le premier pas de deux, Inès McIntosh donne de l’évolution à son personnage. D’abord intimidée par son tout nouveau partenaire, elle se laisse gagner par l’exaltation et libère le mouvement.

À l’acte deux, dans le Grand pas, le couple fait un très bel adage. Les fouettés arabesques de McIntosh sont limpides. Dans sa variation, Marque domine sa partition. Inès McIntosh se montre peut-être un peu moins libérée dans l’expression de son personnage pour sa variation mais on ne décèle aucune raideur dans sa danse. La coda a de l’élévation et de l’abattage.

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Inès McIntosh et Paul Marque. Grand pas de deux. Saluts

À la fin, dans la rue enneigée, Clara- Inès est très touchante avec son casse-noisette dans les bras dont elle semble regretter l’inertie tandis qu’elle regarde son parrain, mentor fantasque, un peu interloqué de la trouver là, s’enfoncer dans la nuit citadine.

On se dit qu’il y a de bien beaux développements dans la danse et le jeu de Paul Marque, qui n’a pas toujours fait partie de nos favoris, et de grandes promesses chez la nouvelle première danseuse du ballet de l’Opéra de Paris.

La saison des fêtes a commencé.

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