Notre Dame de Paris : jeux d’enfants

P1020329On pourrait résumer le Notre Dame de Paris de Ludmilla Pagliero et de Karl Paquette à leur pas de deux de la cathédrale au deuxième acte : une métaphore de la sortie de l’enfance. Elle (la sensualité « innocente » comme dans sa variation de l’acte 1) est la fille populaire de la classe qui pose les yeux sur le boutonneux bouc émissaire. Lui (Un Quasimodo plus tendineux que déformé, posant jusqu’ici un œil défiant sur le monde des « normaux » -La fête des fous) se méfie d’abord puis tombe en adoration devant sa salvatrice. Il s’exalte un peu trop et lui fait mal au poignet. Elle est émue de son désespoir et, généreusement, se met à son niveau (lorsqu’elle prend les mêmes poses contournées que Quasimodo, elle ne l’imite pas, elle le copie). Car enfin, le rapport s’inverse. Elle tend les mains vers lui, il s’esquive par jeu. La belle est conquise. C’est elle qui est en confiance et il finit tout naturellement par devenir son nid, son berceau.

L’enfance est aussi présente dans le Phoebus de Fabien Révillion (au passage bien plus avantagé par l’uniforme Mondrian que son prédécesseur). Révillion a le corps d’un homme mais le teint sucre d’orge et le regard de l’angelot. Voulu ou pas, ce contraste entre son apparence et les circonstances faisait de la scène de la taverne, avec prostituées à gros mamelons, un moment perturbant.

Rodant autour de ces enfants, seul « adulte » de la distribution, taraudé par ses désirs d’homme encore jeune, Josua Hoffalt avait le jeté à la seconde facile. Mais ce qu’on retiendra surtout, c’est l’agitation de ses mains arachnides faisant écho aux créatures rampantes et visqueuses figurées par l’admirable corps de ballet de l’Opéra pendant la scène de la cour des miracles (rouge sang) et le cauchemar d’Esméralda, avant l’exécution (Noir cafard).

Quasimodo-Paquette sait balancer avec art sa partenaire désarticulée au rythme de la cloche tout en s’approchant du gouffre fumant du fond de scène. Chacun des tintements, lors de ce dernier spectacle à l’Opéra, résonnait à mes oreilles comme le glas de mon été.

Sans le ballet de l’Opéra, malgré des agacements ponctuels en cours de saison, le temps redevient prosaïquement quotidien.

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2 Commentaires

Classé dans Retours de la Grande boutique

2 réponses à “Notre Dame de Paris : jeux d’enfants

  1. Je souscris à chaque ligne.
    A l’origine je n’avais pas envie de voir Notre Dame de Paris, mais la soirée d’hier a donné un sens au mot art – de l’horreur transcendée. J’ai mis un peu de temps à comprendre les intentions de Karl Paquette, mais l’acte II était parfait, émotionnellement noué. L’Esmeralda de Ludmila Pagliero ressemblait à un ange sans ailes – à une mouette engluée dans une marée noire, peut-être. Il était question d’outrage à l’innocence, Josua Hoffalt promenait son inquiétante présence avec une élégance qui ne lui ôtait rien – il me semble que les murs de Bastille ont tremblé quand l’ovation pour lui a déferlé. De façon générale, j’avais rarement entendu de tels applaudissements pour les étoiles, remarquablement servies par l’abnégation du corps de ballet.
    Cette œuvre que je n’apprécie guère a été l’occasion d’un spectacle rare – si imprévisible l’alchimie du théâtre.
    Merci pour votre magnifique compte-rendu !

    • Cléopold

      Heureux que vous ayez tellement bien conclu votre saison à l’Opéra. Et merci pour ce témoignage vibrant.
      Mademoiselle Pagliero a vraiment accompli une très belle saison et atteint une vraie maturité d’interprétation.
      On ne peut que s’en réjouir pour la saison prochaine.