Archives de Tag: Le Temps d’Aimer la Danse 2025

Le Temps d’Aimer la Danse. Temporalités (3/3). « Paléochorégraphie »

Le Temps d’Aimer la Danse 2025

Notre voyage entrepris dans les arcanes du Temps à Biarritz continue et s’achève avec deux représentations en quelque sorte …

« paléochorégraphique ».

 

 

 

*

 *                                              *

CCN-Ballet de Lorraine. Static Shot (Chorégraphie Maud Le Pladec, musique Chloé Thévenin et Pete Harden, costumes Christelle Kocher – KOCHÉ). Théâtre Quintaou. Anglet. 7 septembre 2025.

STATIC SHOT par le CCN – BALLET DE LORRAINE, chorégraphe MAUD LE PLADEC, Photographie de Stéphane Bellocq.

Au Théâtre Quintaou d’Anglet, le CCN-Ballet de Lorraine, dirigé depuis peu par Maud Le Pladec, présentait un double programme réunissant une pièce de la chorégraphe directrice, Static Shot, et A Folia de Marco Da Silva Ferreira.

Il peut certes paraître incongru d’accoler cet adjectif de paléochorégraphique, entre le néologisme et le mot-valise (de notre cru), à Maud Le Pladec qui est, depuis qu’elle a collaboré avec Thomas Joly à la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques 2024, la représentation même du « in » en chorégraphie.

A vrai dire, j’ai vu cette cérémonie d’ouverture dans son ensemble comme un grand et fascinant néo-ballet de cour. Le public, trié sur le volet par le prix des billets, était assis sur des gradins de part et d’autres de la Seine devenue scène. Les barges portant les équipes nationales se succédaient à la manière des Trionfi que la famille de Médicis (celle de la reine Catherine qui apporta le Ballet dans la corbeille de ses noces avec le futur Henri II) aimait à organiser sur l’Arno. Une série d’animations jouées, déclamées, chantées et parfois dansées dans des costumes aussi somptueux qu’extravagants, alternait avec quelques merveilles de machinerie sensées émerveiller les cours d’Europe. Dans ce genre de ballet, on l’a compris, la Danse n’était qu’un élément parmi tant d’autres du spectacle.

Et on comprend que Thomas Joly, quand il a vu Static Shot, une pièce créée avec succès en 2021, ait pensé à Le Pladec pour sa cérémonie.

Static Shot est exactement un numéro intégrable dans une fresque fourre-tout. On nous y convie en effet à un défilé de mode, réglé sur un ostinato de percussions, et étiré sur 26 minutes. Les danseurs, vêtus de costumes aux couleurs tonitruantes souvent rehaussés de paillettes, se meuvent de concert à la manière des mannequins avec un chemin immuable en forme de Zeds qui s’entrecroisent. Ils exécutent des petits sautillés de Chorus Line à moins que ce ne soit des Square Dance ou des Irish Jig. Parfois, on leur demande des fulgurances corporelles avec force volutes des bras, très énergiques, des sauts et des passages à genoux. A un moment, les danseurs à plat ventre sur le sol replient leur bras le long du corps, d’abord étirés vers l’avant, en deux mouvements synchronisés tout en poussant des cris. Maud le Pladec utilise des contrepoints chorégraphiques simples mais efficaces pour créer un effet hypnotique.

Cela fonctionne. On a l’impression d’avoir traversé son écran de portable et d’être entré dans un clip vidéo sur-vitaminé.

STATIC SHOT par le CCN – BALLET DE LORRAINE, chorégraphe MAUD LE PLADEC. Photographie de Stéphane Bellocq.

Mais au bout d’un moment le doute s’installe. La pièce ne brille pas par sa variété de mouvements. Les danseurs, singularisés à l’extrême par des costumes tous différents n’ont pas, nous semble-t-il, l’occasion de démontrer leur singularité d’interprète sauf lorsqu’ils se dévêtent avant de reprendre une chorégraphie indifférenciée.

On se souvient en passant que, dans ces proto-ballets qu’étaient les Ballets de Cour, les interprètes n’étaient pas censés être des danseurs professionnels. Les évolutions planimétriques, au sol, avaient donc plus d’importance que les mouvements exécutés. Aujourd’hui, une combinaison de pas basiques aura toujours l’air merveilleux sur des corps parfaitement entraînés. Mais quel intérêt pour les danseurs et pour la Danse tout court ?

 *                               *

Avec La Folia de Marco da Silva Ferreira, on fait ensuite l’expérience du regret des souhaits exaucés.

Car une seule chose différencie cette chorégraphie de celle de Static Shot. Comme elle, elle a recours aux marches de Fashion Week en frusques tonitruantes qui font mal aux yeux et qui distillent l’image quelque peu déprimante d’une Humanité qui passerait sa vie à faire des squats en solitaire afin de se préparer à une énième soirée VIP en tenue artistement dénudée.

Ce qui diffère, donc, c’est que le chorégraphe offre une minute de célébrité à chaque danseur qui se soumet à l’approbation de ses pères rangés en arc de cercle, dans une formation de battle proprette. La singularisation passe souvent par des mouvements putassiers- roulement de popotins, agitation de queue de cheval et exhibition d’abdos – . On a le sentiment d’ingurgiter de force le défilement de toutes les vidéos d’une trend Tik Tok sans possibilité d’éteindre l’écran.

Au milieu de ce fatras racoleur, un joli passage, où le groupe en demi-cercles étagés met ses bras en forme de pétale et semble respirer à l’unisson des pulsations de la musique, laisse quelque espoir au spectateur désolé que je suis. C’est bien peu à sauver sur une longue demi-heure de pensum chorégraphique…

A FOLIA par le CCN – BALLET DE LORRAINE, chorégraphe MARCO DA SILVA FERREIRA. Photographie de Stéphane Bellocq.

On comprend qu’a certains moments de l’Histoire de la Danse, les chorégraphes ressentent le besoin de revenir à une certaine pureté originelle : c’est ce qu’ont fait les Romantiques dans les années 1830, Fokine au prémices du XXe siècle, Balanchine ou Forsythe au cours du XXe siècle. Mais retourner au XXIe siècle à un temps où la danse ne s’était pas encore émancipée des autres formes d’Art est peut-être pousser la logique un peu loin …

*

 *                                              *

Kukai Dantza, Laginkadak (divers chorégraphes). Théâtre du Casino Biarritz. 6 septembre 2025.

KUKAI DANTZA, Laginkadak. Photographie de Stéphane Bellocq.

La veille, au Théâtre du Casino municipal, on était invité déjà à faire un voyage dans le temps avec la compagnie Kukai Dantza dirigée par Jon Maya Sein, chorégraphe de Guipúzcoa et multiple champion de danse basque traditionnelle. Depuis des années, le chorégraphe s’emploie avec sa compagnie à faire basculer dans le présent sa danse ancestrale. Jusque ici, ces tentatives nous ont laissé froid. Dans ses pièces autocentrées, Gauekoak ou encore Yarin, Jon Maya semblait plus cultiver l’entre soi que le partage. Une pièce participative pour sa compagnie, Eta orain zer ?, lors de l’édition 2022 du Festival, portait de belles promesses mais nous a finalement aussi laissé sur le bord de la route. Cette année, le programme du festival annonçait Txalaparta, une création pour 8 artistes sur la musique du xylophone traditionnel basque qui lui donne son nom. Las, un artiste apparemment essentiel au groupe n’était pas disponible et la compagnie a donc présenté Laginkadak, un florilège d’extraits de pièces de chorégraphes ayant créé pour la compagnie et mis en scène par Daniel San Pedro.

De Txalaparta, subsiste une séquence, aux deux tiers de la représentation,  où deux instrumentistes féminines font résonner le xylophone. L’effet combiné de la musique percussive et de l’énergie déployée par les musiciennes est saisissant. Des éclairages bien conçus reflètent la gestuelle des joueuses et créent une chorégraphie fantasmée et fantomatique. On serait curieux de découvrir l’ensemble de la pièce de Jesus Pubio Gamo.

On pourrait en dire autant de nombre d’extraits dansés présenté dans Laginkadak. Il faut jouer a posteriori un petit jeu de piste, la feuille de salle fournie par la compagnie indiquant en vrac le nom des chorégraphes et de leur contribution au répertoire de la Kukai Dantza. Le spectacle suit une mali(g)ne progression. Dans la première section (extraite de Giza de Martin Harriague ?), cinq danseurs (3 garçons, 2 filles en shorts et tee shirt blancs développent une chorégraphie athlétique bien que dénuée de pyrotechnie incluant des ports de bras expressifs, marches à genoux et des portés à bas centre de gravité, parfois au ralenti. La danse est ancrée dans le sol. Les filles semblent souvent à l’initiative. Ici, à part de petits sautillés, l’élément basque de la chorégraphie se montre encore discret. L’arrivée d’un danseur tout de noir vêtu dans la lumière rouge représente une forme de pivot. Il égrène toute la grammaire connue de la danse traditionnelle basque, notamment les pas de grande batterie effectués en espadrilles.

KUKAI DANTZA, Laginkadak. Photographie de Stéphane Bellocq.

Les extraits suivants peuvent alors nous offrir des éclairages contrastés de la même tradition. Un type en jupe rouge entre   avec d’autres compagnons. Ils pourraient tous être des mannequins pour un défilé edgy. On réalise qu’en fait l’homme au kilt porte une version épurée des tonnelets des danses traditionnelles et que ses acolytes arborent tous un détail de costume traditionnel. Le répertoire des danseurs, incluant la batterie, les temps de flèche où la deuxième jambe semble prête à fracasser le front de son interprète, les marches sautillées et les rondes, tout est là. Pourtant, le passage (extrait de Gelajauziak de Jon Maya et Cesc Gelabert ?) sorte de rituel païen sous la direction d’un bonimenteur autour d’un curieux arbre totem, développe une gestuelle étonnamment contemporaine.

L’aller-retour entre le présent et l’intemporel se poursuit ensuite. Il y a dans Laginkadak cette alternance entre danse et musique jouée seule (des chants, le son acidulé de l’alboka ou encore celui plus sourd et enveloppant des cloches de bovins). Les deux instrumentistes, Luis Mari Moreno « Pirata » (accordéon) et Julen Izarra (saxophone soprano) tirent l’ambiance vers le jazz manouche et précèdent un passage pour 4 danseurs en costumes acidulés (Oskara de Marcos Morau ?) qui nous tire presque vers la comédie musicale en technicolor des années 40 avant qu’une section lente en costume blanc ne nous renvoie à un mystérieux jeu de pelotes à l’aube du XXe siècle. Le répertoire des pas basques primordiaux est toujours là, éternellement frais, intemporel.

KUKAI DANTZA, Laginkadak. Photographie de Stéphane Bellocq.

Nous pensons incidemment, une fois encore, à la célèbre formule de William Forsythe : « Le vocabulaire n’est pas, ne sera jamais vieux. C’est l’écriture qui peut dater ». Cette phrase faisant référence au ballet classique, pourrait tout aussi bien s’appliquer à la danse basque illustrée dans Laginkadak.

*

 *                                              *

C’est sur ce Temps, à la fois intimement connecté au passé mais vibrant au présent, loin des vernis factices à la mode qui très vite s’opacifient, que nous nous plaisons à quitter l’édition 2025 du Temps d’Aimer la Danse.

Commentaires fermés sur Le Temps d’Aimer la Danse. Temporalités (3/3). « Paléochorégraphie »

Classé dans Blog-trotters (Ailleurs), France Soirs, Hier pour aujourd'hui, Humeurs d'abonnés

Le Temps d’Aimer la Danse 2025. Temporalités (2/3). Avoir été…

Le Temps d’Aimer la Danse 2025

Ce premier week-end de l’édition 2025 du Temps d’Aimer la Danse était décidément sous le signe du temps qui passe. Une rencontre en deux temps était en effet programmée, à cheval sur le Théâtre du Colisée et du Casino de Biarritz. Le célèbre duo phare de la Jeune Danse française, Claude Brumachon et Benjamin Lamarche, offrait au Festival ce qui sera –peut-être- son ultime création. En préambule, les deux danseurs présentaient une conférence dansée.

*

 *                                              *

Compagnie Sous la peau. Claude Brumachon et Benjamin Lamarche. Une passion dévoilée. Conférence dansée. Théâtre du Colisée. Biarritz. 6 septembre 2025.

Sur le plateau du Colisée, tout un bric-à-brac d’oripeaux et d’accessoires épars, deux chaises accueillent le public. La performance commence par l’entrée des deux compères, en discussion. La Jeune danse a pris de la bouteille. Dans cette conférence dansée qu’on aurait plutôt envie d’appeler confession dansée, Claude Brumachon est celui qui raconte le plus tandis que Benjamin Lamarche illustre le récit par des extraits chorégraphiques. C’est une curieuse expérience pour votre serviteur qui, il faut bien l’avouer, a passé sa vie de balletomane à éviter les salles de spectacles où se produisaient les artistes de la mouvance de Brumachon-Lamarche.

Cette représentation était donc la bienvenue pour se préparer au plat de résistance programmé le lendemain au Casino municipal. Le récit mélange anecdotes personnelles (la rencontre et le coup de foudre mutuel des deux danseurs-créateurs, au Palais Royal, au tout début des années 80) et itinéraire de formation.

Avec beaucoup d’honnêteté et d’humour, Claude Brumachon confesse avoir connu le succès critique avant de savoir vraiment où il allait en tant que créateur. Mais comment s’en étonner ? L’époque était à la déconstruction pour la déconstruction. Elève aux Beaux-Arts de Rouen, n’ayant jamais pensé à la Danse, Brumachon fut repéré par Catherine Atlani qui lui proposa d’apprendre à danser. Une semaine plus tard, alors qu’il ne savait pas, à ses dires, poser un pied devant l’autre, il était en charge d’enseigner l’expression corporelle à des enfants.

Le duo égraine le récit de ses créations et passe parfois, non sans humour, de vieux costumes de productions passées qui, désormais, gênent aux entournures.

Une section est particulièrement intéressante : celle où Brumachon et Lamarche parlent de la création de leur barre au sol et en font la démonstration. Cette alternance d’étirements respirés auxquels succèdent des contractions violentes, d’abord exécutées sur 4 puis sur 2 et enfin sur 1 temps, offre une clé précieuse pour comprendre la gestuelle du chorégraphe. Dans le courant de la conférence-confession, l’évocation des grands succès de Brumachon offre des fenêtres sur l’univers intime du créateur : Texane, par exemple, premier grand succès en 1988, est l’occasion de convoquer la figure glaçante de l’oncle maltraitant qui l’a suscité. L’univers esthétique est également abordé : Brumachon, ex-élève des Beaux-Arts, sera pionnier dans l’intervention des danseurs au sein des musées. On y reconnait enfin la dimension politique : le duo puis la compagnie Brumachon devint à travers le monde l’ambassadeur de la France auprès des différentes cultures dansées, de l’Afrique à la Chine en passant par le Chili où le duo est revenu créer plusieurs fois.

La représentation n’est pas sans longueurs. Certaines « blagues à papa » pourraient être coupées. La section des anecdotes, qui serait intéressante durant une conversation ou bien couchées sur les pages d’une autobiographie, rallonge inutilement la sauce. Quant à l’énumération exhaustive des pays et des compagnies où le duo est allé créer ou remonter ses œuvres, elle est carrément fastidieuse.

Conversations dévoilees. Brumachon-Lamarche. Photographie©Frederique_Jourdaa1

L’évocation du CCN de Nantes, obtenu en 1992, à peu près à l’époque où un Jean-Christophe Maillot quittait le sien à Tours, de guerre lasse, faute de subventions de la DRAC parce qu’on lui avait collé une étiquette conservatrice, offre aussi une fenêtre sur un autre présent, celui de Thierry Malandain.

En 2015, Brumachon-Lamarche durent en effet céder leur place à Nantes après 23 ans de direction et avec ce départ, ressentir le déchirement après tant d’années, faire l’expérience de la fin de la manne des subventions publiques, et avoir le sentiment enfin de n’être plus au centre des préoccupations des décideurs. Il leur a fallu également réapprendre à créer pour des effectifs réduits (celui de l’actuelle compagnie Sous la Peau, basée aux alentours de Limoges) après avoir nourri plus d’une vingtaine de danseurs. Autant de problématiques qui sont sans doute à l’heure actuelle celle du maître de danse de Biarritz. Toutes ces questions se résument en une seule, énoncée par Benjamin Lamarche: « Alors, Continuer ? Arrêter ? ». A cet atermoiement lancinant, Thierry Malandain semble avoir trouvé la réponse. A un membre du public qui lui posait la question il répondait : « arrêter, sans doute… »

On ne peut que le regretter.

*

 *                                              *

Compagnie Sous la peau. Hors Normes. Chorégraphie Claude Brumachon. Théâtre du Casino. Biarritz. 7 septembre 2025.

HORS NORMES. COMPAGNIE SOUS LA PEAU. Photographie de Stéphane Bellocq.

Le jour suivant, au Théâtre du Casino, la Cie Sous la Peau présentait son ultime (?) création. Cette pièce pour cinq interprètes semble en fait être le prolongement de la conférence dansée et forme avec elle une sorte de diptyque.

Sur le plateau, tout un fatras d’objets, vaguement ethniques, nous évoque les décors qu’Isamo Nogushi créait autrefois pour les grands ballets archaïco-psychanalytiques de Martha Graham. Mais on comprend vite qu’il ne faut pas chercher une logique narrative dans l’objet scénique qui nous est présenté. En revanche, quantité de bribes font écho au parcours conté la veille par les partenaires en création.

Certes, il faut oublier la narration. Une  captation d’un extrait de Texane, par exemple, montre bien une confrontation violente entre un homme et une femme sur fond de bande-son lancinante mais l’élément biographique de l’enfance violente de Claude Brumachon, en contact avec l’oncle maltraitant, n’y est pas décelable. Il en est de même pour Folie, une pièce de 1989 commandée à l’occasion du bicentenaire de la Révolution, censée évoquer la marche des femmes des Halles sur Versailles en octobre 1789. Le spectacle illustre plus, une heure durant, la cruauté et la violence de la sujétion que le sanglant événement historique lui servant de prétexte.

Durant Hors Normes, on a pu néanmoins se raccrocher à des planches de salut chorégraphiques tel ce lent  agenouillement avec le buste qui s’étire vers le ciel et les bras projetés en arrière de manière angulaire issu de Folie dont le duo avait fait la démonstration la veille.

Car à la réflexion on retrouve dans Hors Normes quantité d’images extraites d’Une passion dévoilée. La danseuse Fabienne Donnio, qui apparaît au début de la pièce à jardin, comme suspendue la tête en bas, les seins dénudés, n’est pas sans évoquer les corps suppliciés de la peinture baroque ainsi que, peut-être, ceux « humiliés » de Phobos, une création de 2007. A un autre moment, Claude Brumachon se pare d’un grand tapis qui n’est pas sans faire penser au costume pour les Larmes des Dieux (1994), sur le Niger, évoqué la veille durant la conférence.

Claude Brumachon est apparu au début de Hors Normes sur une grande table tournante qui convoque son passé de plasticien et les interventions dansées pionnières que son CCN fit dans les musées.

En termes de gestuelle, les danseurs semblent au départ se partager en deux le vocabulaire du chorégraphe. Brumachon, Lamarche et Donnio, en blanc, utilisent en priorité le respiré démontré lors de la barre au sol de la conférence dansée, tandis qu’Ernest Mandap et Elisabetta Gareri, vêtus de noir, endossent plutôt la geste saccadé. Mandap embrasse d’une manière particulièrement captivante ces évolutions de la geste de Brumachon. Sa danse évolue même vers une respiration scandée qui devient bientôt haka sur fond de musique percussive.

HORS NORMES. COMPAGNIE SOUS LA PEAU. Photographie de Stéphane Bellocq.

La technique des différents interprètes va s’unifier en un tout dans le courant du spectacle à l’instar des costumes. Benjamin Lamarche passe du blanc au noir tandis qu’Ernest Mandap se retrouve sur la table tournante drapé du même imprimé que Claude Brumachon.

A la fin d’Une Passion dévoilée le duo Brumachon-Lamarche nous avait prévenus que leur création comporterait des improvisations, une pratique inhabituelle pour eux. C’est sans doute l’aspect le plus discutable de Hors Normes. Ce détour par le Tanztheater conduit souvent à des répétitions potaches (Elisabetta Gareri chantant à tue tête Bella Ciao) ou des déclarations politiques peu effectives (Lamarche énumère les noms d’espèces d’oiseaux éteintes, en danger ou en diminution tandis que Mandap fait de même pour les métiers du spectacle vivant et que Donnio se lamente à l’unisson sur l’appauvrissement du vocabulaire). Une longue séquence dansée sur un pot-pourri disparate de chansons populaires comportant le mot « danse » dans leurs paroles (de Dalida à Madonna en passant par Stromae) qui a du coûter une fortune en droits de Sacem, épuise la bonne volonté du spectateur. Le coup de grâce est donné avec un interminable échange répétitif entre Claude Brumachon et une des danseuses répétant sur tous les tons « T’as peur ? »

Peut-être en effet y-a-t-il un temps où il n’est plus temps de se renouveler. Les décideurs institutionnels qui demandent à la Danse de toujours coller à l’époque, condamnent souvent les créateurs à  tenter des expériences peu concluantes pour justifier de leur existence. Car ces mêmes décideurs sont aussi prompts à ringardiser qu’à porter –parfois trop- vite aux nues les artistes.

Reste quelques grands classiques des Brumachon qui parleront encore longtemps au public et aux danseurs comme ce duo des Indomptés datant de 1992 et que même des danseurs de formation néoclassique se sont appropriés.

HORS NORMES. COMPAGNIE SOUS LA PEAU. Photographie de Stéphane Bellocq.

Commentaires fermés sur Le Temps d’Aimer la Danse 2025. Temporalités (2/3). Avoir été…

Classé dans Blog-trotters (Ailleurs), France Soirs

Le Temps d’Aimer la Danse 2025. Temporalités (1/3)

Au Temps d’Aimer la Danse, au Colisée, la salle de spectacle dédiée aux formats plus courts, la compagnie Gilles Baron présentait Aïon, un spectacle destiné aux enfants, mêlant la danse (Noémie Jaffro), l’acrobatie (le très élastique et rebondissant Etienne Decorde) et le cirque (le chapiste Elouan Vancassel). La pièce, vue le dimanche 7 septembre devait prendre a posteriori, dans mon esprit porté vers la nostalgie, la force d’un sommaire de mon édition 2025 du Festival.

*

 *                                                    *

Aïon, Compagnie Gilles Baron. Théâtre du Colisée. le 7 septembre 2025.

Aïon traite, comme son nom l’indique, du temps. Au début du spectacle, un vieux magnétophone à bobine, suspendu en l’air, dévoile les prémices de l’histoire. Le héros Soraki (Decorde), voyage à travers l’espace pour sauver sa planète, coincée dans la répétition immuable de la même journée. Au travers de la bande son, il demande à son jeune public d’ouvrir les portes du rêve en leur indiquant les gestes : les deux mains sont d’abord jointes dans la position de l’orant, puis l’une des deux paumes s’insère entre les doigts de l’autre main avant que les deux ne s’écartent. Les petits s’exécutent. Le spectacle est truffé de jolies images développées en dépit de l’économie de moyens : la frontière du monde des rêves est marquée par une simple bâche de chantier translucide ; les dieux du temps se déplacent parfois cachés sous de vieilles carpettes pour un effet très Sacre du Printemps de Nicolas Roerich (une impression visuelle renforcée par le costume intégral du héros qui tire également vers l’esthétique Manga). Les bâtons de sourcier tenus par la danseuse et le chapiste tiennent debout tout seul. On apprécie aussi l’effet combiné de la gestuelle et du texte en voix-off sur Soraki-Decorde qui, bien que couvert de la tête aux pieds par son imposant costume, semble être celui qui conte son aventure. La section de jonglage aux trois chapeaux symbolisant les trois temps des Grecs (Chronos, Kaïros et Aïon) est très poétique.  On regrette néanmoins que passé l’introduction participative, les enfants soient cantonnés dans le rôle du spectateur classique. La résolution de l’aventure, toujours commentée en voix off, n’échappe pas à  la grandiloquence et semble laisser la salle un peu froide. Aïon, avec toutes ses bonnes idées, mériterait d’être un peu retravaillé dans une veine plus interactive pour tenir toutes ses jolies promesses.

Compagnie Gilles Baron. Aïon. Elouan Vancassel, Etienne Decorde et Noémie Jaffro. Saluts.

*

 *                                                    *

La Chambre d’Amour, Thierry Malandain, Peio Çabalette, Jorge Gallardo et François Menou. Malandain Ballet Biarritz. Théâtre de la Gare du Midi. 6 septembre 2025.

Thierry Malandain. Bord de Scène de La Chambre_d’Amour. Photographie Stéphane Bellocq.

Le Temps d’Aïon, le temps cyclique, est justement celui dont on s’approchait le plus quand il s’agit de la dernière création de Thierry Malandain pour la compagnie qu’il a fondé et qu’il nourrit de son génie depuis vingt-cinq ans. Recréation serait le terme le plus adéquat pour La Chambre d’Amour puisque ce ballet n’est autre que le tout premier créé par Malandain après avoir été nommé à la tête du tout nouveau CCN de Biarritz. Représenté pour la première fois le 13 mai 2000, il a été peu vu depuis et, avant de quitter son propre ballet, l’équipe artistique a décidé, comme pour boucler la boucle, de le reprendre.

Il est doublement intéressant d’assister à une telle recréation. Tout d’abord, on peut voir comment des interprètes d’une génération vont rentrer dans le moule créé pour leurs aînés (des créateurs, seul Giuseppe Chiavaro, qui interprétait le premier duo, est encore dans la compagnie mais en tant que maître de ballet). La pièce, créée pour les 14 danseurs de la formation initiale est aujourd’hui dansée avec l’effectif de 22 qu’a atteint le très acclamé Malandain Ballet Biarritz. On peut également observer les permanences et les évolutions du style du chorégraphe durant ce quart de siècle.

Dans les permanences, on retrouve les décors et des costumes créés par le complice de toujours, Jorge Gallardo, un mélange de minimalisme et de poésie. Les costumes sont toujours un compromis entre un temps jadis (les imprimés des robes des filles par exemple) et le temps présent (la coupe des vêtements, ainsi que l’usage de justaucorps chair évoquant la nudité). Le décor unique, offrant une coulisse supplémentaire aux danseurs (ici un mur au motif de flots marins muni de portes qui s’ouvre et se referment en deux panneaux à la fin du ballet) et jouant par moment sur la translucidité, nous place d’emblée en territoire connu. On regrettera simplement que l’effet magique du mur de fond ne bénéficie pas d’éclairages plus aboutis, un imprévu ayant empêché François Menou de faire les ajustements nécessaires à sa recréation des lumières à l’origine conçues par Jean-Claude Asquié, un autre compagnon de la première heure de Thierry Malandain, aujourd’hui disparu.

Dans les permanences chorégraphiques, on retrouve l’alternance entre les mouvements d’ensemble (ici, le groupe est à la fois chœur antique, foule, ou sac et ressac des vagues entre six galets tavelés surdimensionnés qui apparaissent les uns après les autres sur le plateau, poussés par les danseurs) et les soli ou duos que les danseurs interprètent avant de rejoindre le groupe.

LA CHAMBRE D’AMOUR. Photographie Stéphane Bellocq.

On note au passage des figures ou des combinaisons de pas qu’on a aimé dans d’autres pièces. La chaîne de danseurs des deux sexes qui semble s’égrainer entre la diagonale de galets nous évoque celles de Noé sur le banc ou la frise chorégraphique de Nocturnes; le corps de ballet féminin exécute ce piqué en petite seconde qu’on retrouve entre autres chez les princesses du récent Oiseau de feu du chorégraphe.

Pour le reste, les danseurs de la récente génération ont dû être surpris par l’usage quasi sémaphorique des bras et des mains. Le Malandain de La Chambre d’Amour employait en effet une gestuelle plus intriquée : les roulis de poignets et les poses anguleuses des bras sont nombreux. Les filles dansent parfois avec une main sur leur épaule. A la fin du ballet, elles marchent vers le devant de scène en se couvrant les yeux.

Plus inhabituelle encore est la quantité de portés et, qui plus est, de portés « genrés ». Ceux des pièces récentes sont en effet plus subreptices et sollicitent aussi bien les filles que les garçons. Thierry Malandain lui-même reconnait que sa chorégraphie a évolué avec sa capacité à montrer les pas à ses danseurs.

Mais qu’en est-il, passé ces comparaisons, de la Chambre d’Amour ? Pour les habitués du Pays basque, le titre évoque immédiatement une plage à Anglet, au-delà du phare de Biarritz. Une légende lui aurait donné son nom : au XVIIe siècle, deux jeunes amants, Ura et Ederra, qui avaient choisi la plage pour leurs premiers ébats, furent surpris par la marée montante et se noyèrent. Difficile de tirer la matière d’un ballet d’une durée d’une heure de ce fait divers aussi tragique qu’anecdotique.

Pendant toute La Chambre d’amour, on observe des pas de deux ou des pas de trois qui pour certains évoquent une violence exercée sur l’un des protagonistes. Elle ne tarde pas à poindre par exemple dans le duo qui réunit Claire Lonchampt et Mickaël Conte, particulièrement après qu’ils aient été rejoint par Léo Wanner. Les tensions s’accumulent même entre les deux garçons. A un moment, Conte semble faire le geste de couper en deux Lonchampt, couchée au sol, le visage couvert d’un voile. Ce même voile est comme avalé par Wanner avant qu’il ne suive Lonchampt derrière une porte du décor. Un premier duo entre deux garçons, Guillaume Lillo et Julen Rodriguez Flores s’achève par l’un écrasant la tête de l’autre sous un rocher. Ce meurtre minéral se reproduira dans le cours du ballet. Patricia Velazquez subit également des violences. Je crois voir des poignards. Enfin, Irma Hoffren se montre très véhémente en face du sculptural Raphaël Canet…

LA CHAMBRE D’AMOUR. Photographie de Stéphane Bellocq.

Ayant soigneusement, comme à mon habitude, omis de lire la description d’intention, je découvre à posteriori l’argument. Le couple d’ouverture du ballet qui le clôt également (Hugo Layer et Allegra Vianello) représentait Adam et Eve ainsi que les malheureux Ura et Ederra. Les deux garçons n’étaient autre que Caïn et Abel tandis que le trio Conte-Lonchampt -Wanner représentait Othello, Desdemone et Iago : « Bon sang mais c’est bien sûr ! » Irma Hoffren incarnait Didon abandonnée par Enée : « Mais oui… Pourquoi pas… ». Patricia Velazquez était Juliette. Quant à Orphée et Eurydice (Loan Frantz et Laurine Viel), une seule représentation du ballet ne m’a pas permis de deviner les indices chorégraphiques qui les caractérisaient.

Lors de la rencontre avec le public, Thierry Malandain, avec cette franchise candide qu’on lui connait, annonce que le ballet n’avait pas eu de succès à sa création et qu’il n’avait ni beaucoup tourné ni été repris. La musique, créée pour l’occasion par le compositeur basque Peio Cabalette avait été complétée au dernier moment et, dixit Malandain, « la musique contemporaine ne m’a jamais réussi ». Il a néanmoins été décidé de donner à La Chambre d’Amour « une deuxième chance ».

On pourra donc regretter que cette deuxième chance à un moment tellement symbolique n’ait pas donné lieu à la présence d’un orchestre à la Gare du Midi. La partition, qui n’est pas sans évoquer l’impressionnisme musical d’un Ravel ou d’un Debussy, n’évite pas néanmoins l’écueil de la sur-orchestration : les percussions sont parfois très présentes et les cordes apparaissent souvent pléthoriques et alambiquées. Elle voit ces défauts aggravés par l’enregistrement, très plat, diffusé dans la salle. La pâte orchestrale y apparaît trop épaisse. De nouvelles représentations en direct auraient pu être l’occasion de renouveler la prise de son.

Enfin, une subtile réévaluation de la couleur des costumes  aurait pu aider le public à repérer l’individualité des couples emblématiques évoqués sans pour autant briser l’harmonie des ensembles.

LA CHAMBRE D’AMOUR. Photographie de Stéphane Bellocq.

Avec cette Chambre d’Amour, on peut néanmoins mesurer le chemin parcouru par Thierry Malandain à la tête du CCN de Biarritz.

Le temps d’Aïon illustré ici est loin d’avoir été un simple cycle répétitif. Il aura été au contraire proche de l’Aïon Bergsonien : un Temps qui gonfle et s’enrichit en avançant.

Commentaires fermés sur Le Temps d’Aimer la Danse 2025. Temporalités (1/3)

Classé dans Blog-trotters (Ailleurs), France Soirs