Archives quotidiennes : 3 décembre 2019

Un argument pour Raymonda

Rudolf Noureev. Raymonda. Captation filmée 1984. Capture d’écran.

RAYMONDA: Chorégraphie de Rudolf Noureev (1983), d’après le ballet original de Marius Petipa (1898). Musique d’Alexandre Glazounov. Paris, Opéra Bastille, du 3 au 31 décembre.

Bien avant qu’il ne s’avère être le plus célébré des chorégraphes du XIXe siècle, Marius Petipa dut quitter sa ville de naissance Marseille et parcourir l’Europe comme danseur indépendant. Puis, il décrocha un poste permanent en Russie. Une fois achevée la fameuse trilogie avec Tchaïkovski – La Belle au bois dormant, Casse-noisette et le Lac des cygnes – Petipa continua à produire ses ballets d’une soirée en utilisant une formule éprouvée : un décor exotique (souvent un de ceux qu’il avait connu en vrai, durant ses voyages forcés, et dont il avait assimilé, dans toutes ses fibres, les danses locales) ; un dramatique triangle amoureux (pareil qu’à l’opéra, na !) ; et un très attendu ballet blanc (que les anglo-saxons appellent « scène du rêve ») où l’héroïne – la femme idéale – est diffractée indéfiniment par un corps de ballet de ballerines toutes revêtues d’un tutu identique.

En 1961, alors en tournée en France, l’immense danseur Rudolf Noureev déserta, préférant le Monde à la Russie soviétique. S’il laissa tout derrière lui, il garda dans son esprit et dans son corps, tel une mémoire-valise pleine à craquer, tous les grands ballets narratifs de Marius Petipa. Parmi ces joyaux datant de la Russie tsariste, certains n’avaient été que rarement vus à l’étranger. Raymonda en trois actes était de ceux-là.

Cette histoire, située à l’époque des Croisades, tourne autour d’une princesse française qui se trouve écartelée entre l’amour d’un séduisant chef guerrier arabo-mauresque et celui d’un « bel et preux chevalier » au service du roi de Hongrie. Les noms des personnages principaux masculins – Abd-el-Rahman, Jean de Brienne et André II – sont pris dans l’Histoire [même s’ils ne furent pas contemporains], tandis que l’argument – ainsi que l’héroïne – sont pure invention et prétexte à la danse.

Tout en respectant les parties subsistantes de la chorégraphie originale, Noureev ajoutait toujours quelque chose en plus dans ses propres productions : beaucoup plus de danse pour les hommes que cela n’était d’usage à l’époque de Petipa (et même à l’Ouest à l’époque de Noureev). Ici, tout particulièrement, il développe le rôle du chef sarrasin – un simple mime dans la production originale – pour en faire un protagoniste majeur dont la séduisante gestuelle est plus inspirée par la technique de la modern dance américaine, que Noureev avait appris à aimer, que par la couleur locale à la Petipa tellement appréciée au XIXe siècle.

ACTE UN : (1 heure et 10 minutes)

Versailles. Salles des croisades. Marguerite de France mène les Hongrois à la croisade.

Scène 1 : quelque part en Provence, France, début du XIIIe siècle.

Un mariage arrangé se prépare. La vieillissante Comtesse de Doris a irrévocablement fiancé sa nièce à un chevalier français au service d’André II, roi de Hongrie. Mais la comtesse est perturbée par les amis de sa nièce, un joyeux quartet de jeunes troubadours : Henriette, Clémence et leurs petits amis Béranger et Bernard.
La comtesse se fend d’une longue pantomime, battant sa coulpe. Comment ces enfants peuvent-ils rester si légers alors que la cité est assiégée ? Ces fol d’Arabes se pressent aux portes. Elle mime les pré-requis indispensables : quand la ville est en danger, une mystérieuse dame blanche (regardez vers la gauche dans la direction indiquée par ses poings) « revient toujours de l’autre monde pour nous protéger… sauf lorsque nous nous sommes montrés trop frivoles et oublieux de nos devoirs. » Les quatre APLV adeptes du flirt ne sont pas du tout impressionnés par ce sombre karma.

La nièce de la comtesse, Raymonda, paraît en-fin et se montre si légère sur ses pieds qu’elle peut pirouetter et cueillir des roses sans se ramasser. Elle est à la fois intelligente et innocente. Le roi de Hongrie lui remet un parchemin qui lui annonce le retour imminent d’un de ses chevaliers et déroule une tapisserie représentant un superbe cliché de prince charmant. Raymonda se montre convenablement enchantée par ce mirage de prince que sa tante et le roi de Hongrie ont choisi pour elle.

La comtesse danse, tout comme les quatre amis de Raymonda. Tout est pour le mieux quand soudain…

Abderam, le guerrier sarrasin, celui là même qui assiège la cité, fait irruption, offrant joyaux, esclaves et – ouh là là – lui même; tout un pactole qu’il dépose aux pieds d’une Raymonda stupéfaite.

Versailles. Salles des croisades. Rencontre de Richard Coeur de Lion et de Philippe Auguste. Détail.

Scène 2 : le rêve

Raymonda, touchant distraitement du luth, est désormais perplexe. Ses quatre amis dansent autour d’elle, espérant la distraire. Dans l’espoir de détourner leur attention, elle danse avec son voile nuptial mais préférerait bien qu’on lui fichât la paix.

Epuisée par cette journée émotionnellement éprouvante, Raymonda a décidément besoin de faire un petit ronron. Mais au lieu d’écraser, elle commence à rêver de :

La dame blanche, qui désigne la tapisserie.

Et soudain IL apparaît :

Jean de Brienne, chevalier à l’éclatante armure, tout habillé de blanc, qui sort de la tapisserie et qui – littéralement – lui met cul par-dessus tête. Il est vraiment l’homme de ses rêves. Du moins le croit-elle.

Ses amis réapparaissent, maintenant parés de costumes argentés, et une flopée de danseurs habillés de noir et de blanc dansent une fugue incroyablement compliquée : c’est la Valse fantastique. Cet intermède s’est avéré être une des plus complexes, des plus inventives et des plus enthousiasmantes additions au répertoire du corps de ballet.

Henriette, Clémence, Raymonda et Jean de Brienne dansent chacun à leur tour.

Mais, pour son plus grand choc, Raymonda voit son amoureux de rêve se métamorphoser en un sulfureux Abderam.

Réveillée par ses amis, l’héroïne réalise qu’elle est écartelée entre deux idéaux masculins opposés.

ENTRACTE (20 minutes)

ACTE DEUX : (40 minutes)

Versailles. Salle de Croisades

Abderam, prêt à offrir la paix en échange de la main de Raymonda, sort le grand jeu : une fabuleuse tente bédouine, des numéros de danse exotique, son corps et son âme sur un plateau… Tout ce qu’elle peut désirer. Mais Raymonda, bien que titillée, reste imperturbable, la têtue…

Absolument frustré et brûlant de désir, Abderam décide de kidnapper la récalcitrante donzelle. Mais voilà que soudain, qui croyez-vous va faire son apparition, en chair et en os et serré dans d’immaculés collants blancs ? Jean de Brienne, bien sûr, fraîchement débarqué de la Croisade ! Les deux hommes se défient en duel… La lice est suivie d’un combat à l’épée. Devinez qui est vaincu? …

ENTRACTE (20 minutes)

ACTE TROIS (35 minutes)

Appartement de Rudolf Noureev à Paris, quai Voltaire

Les festivités du mariage :

Ici, le ballet atteint son apogée en se resserrant sur ses essentiels. Une czardas hongroise, menée par la comtesse et le roi, est suivie par de diverses et délicates variations sur ce thème : des solos, un quatuor de garçons, des danses de groupe. L’acmé est atteint avec un envoûtant solo pour Raymonda [son septième de la soirée] – la musique consiste dans les vibrations du piano saupoudrées de l’intervention des cordes – une orchestration très surprenante en 1898. Ruisselante de lourds joyaux et claquant des mains avec une autorité toute neuve, cette princesse fiancée est désormais prête à devenir reine.

Tandis que le ballet court à sa fin, vous désirerez peut-être lever votre calice de vermeil et porter un toast en l’honneur de ce si joli couple [A moins que comme moi, vous ne regrettiez – ce qui m’arrive le plus souvent – qu’Abderam n’ait pas été invité à ces célébrations].

Rudolf Noureev avec Michelle Phllips dans « Valentino », film de Ken Russell

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A plot summary for RAYMONDA

Rudolf Nureyev filmed in Raymonda (1984). Screen shot.

RAYMONDA: Choreography by Rudolf Nureyev(1983), inspired by Marius Petipa’s original ballet (1898) Music by Alexander Glazunov Paris, L’Opéra Bastille. In repertory from December 3rd to the 31st, 2019

Way before he actually turned out to be the most celebrated choreographer of the 19th century, Marius Petipa first had to leave his native Marseille and wing it all over Europe as a hired dancer. Then he landed a permanent post in Russia. Once done with the famous trilogy with Tchaikovsky — Sleeping Beauty, The Nutcracker and Swan Lake – Petipa went on to produce full-length ballets where he used a tried and tested formula: an exotic setting (often one he had experienced during his enforced travels, where he had absorbed the local dance forms into his bones); a dramatic love triangle (like most operas, duh); and an acclaimed “dream scene” (which the French call a ballet blanc) where the heroine – the ideal woman — is infinitely refracted by a corps of ballerinas all clad in identical tutus.
In 1961, while on tour in France, the great dancer Rudolf Nureyev defected, choosing the world over Soviet Russia. If he left a few material possessions behind, in his head and body he carried out an overstuffed memory-suitcase of all of Petipa’s evening-length story ballets. Among these jewels that dated back to the Tsarist era, some had been rarely seen abroad, such as…the full-length “Raymonda.”
This story, set during the Crusades, revolves around a French princess who finds herself torn between the love of a dishy Arabo-Mauresque chieftain and that of a “verry parfit gentil knight” [as Chaucer was wont to say] in the service of the King of Hungary. The male characters’ names — Abd-el-Rahman, Jean de Brienne, and André II – are indeed taken from history but lived during different eras, alas. The plot – and the heroine – are pure invention let fly as a pretext for dancing.
While respecting what original choreography had survived, Nureyev would always add one thing to all of his productions: much more dancing for the men than was the norm in Petipa’s time (or even in “the West” of Nureyev’s own lifetime). Here, in particular, he expanded the role of the Saracen chief – more of a standard mime in the original production – into a major protagonist whose slinky moves are clearly more inspired by the modern dance techniques that Nureyev had learned to love than by that “Petipa local color” once so beloved in the 19th century.

ACT ONE : (1 hour 10 minutes)

Versailles. Salles des croisades. Marguerite de France mène les Hongrois à la croisade.

Scene 1: somewhere in Provence, France, early in the 13th century.

An arranged wedding is in preparation. The aging Countess de Doris of Provence, without issue, has betrothed her niece Raymonda to a French knight in the service of André II, King of Hungary. But the Countess gets distracted by her niece’s friends, a jolly quartet of joyous young troubadors: Henriette and Clémence and their boyfriends Bernard and Béranger.
The Countess does a long pantomime, beating her breast. How can these kids be so silly when in fact the town is under siege? Crazed Arabs are pressing against the gates! She mimes the back-story: when the town is in danger a mysterious white lady (look up to the left, the direction towards which she shakes her fists) “always returns from the other world to protect us…unless we have been too frivolous and forgotten our duties.” Our future heroine’s four flirty BFFs are not impressed by all this gloomy karma.
The Countess’s niece, Raymonda, fi-na-lly, appears and proves so light on her feet she can spin while plucking up roses. She is bright and innocent. The King of Hungary hands her a scroll which heralds the imminent return to France one of his knights…and unfurls a tapestry depicting a gorgeous cliché of a prince-handsome. Raymonda is suitably delighted by this manly mirage that her aunt and the king have chosen for her.
The Countess dances, as do Raymonda’s four friends. Everything is perfect but suddenly…
Abderam, the Saracen (i.e. Arab) chieftain, the one who has been besieging the city, bursts in. Offering jewels and slaves and –ooh-la-la!– even himself, he throws all that he has at the feet of the astounded Raymonda.

Versailles. Salles des croisades. Rencontre de Richard Coeur de Lion et de Philippe Auguste. Détail.

Scene 2: The dream.

Raymonda, picking at her lute, is now perplexed. Her four friends dance about and hope to distract her. Hoping to distract them, she dances with her wedding veil, but she would rather be left alone.
Exhausted by this emotionally demanding day, Raymonda definitely needs to take a nap. But instead of really checking out she starts to dream of:
The White Lady, who points to the tapestry and suddenly HE appears:
Jean de Brienne, a knight in shining armor all dressed in white, who descends from the tapestry and –literally—sweeps her off her feet. He is truly the man of her dreams. Or so she thinks.
Her friends reappear, now dressed in silvery costumes, and a swarm of dancers dressed in black and white dance an incredibly complicated fugue: this is the Valse fantastique. This interlude proves one of Nureyev’s most complex, inventive, and exhilarating additions to the beautiful repertoire of the corps de ballet.
Henriette, Clémence, Jean de Brienne and Raymonda each dance in turn.
To her shock, Raymonda’s dream lover morphs back into the smoldering Abderam.
Awakened by her friends, Raymonda realizes that she is torn between two utterly opposite dreamboats.

INTERMISSION (20 minutes)

ACT TWO: (40 minutes)

Versailles. Salle de Croisades

Abderam, willing to offer peace in return for the hand of Raymonda, pulls out all the stops: a fabulous tent, wild and exotic entertainment, his body and soul…anything her heart could desire. But Raymonda, albeit quite titillated, persists in remaining demurely unmoved.
Completely frustrated and bursting with desire, Abderam decides to kidnap the reluctant maiden. Then all of a sudden, who should appear in the flesh but the real Jean de Brienne, replete with gleaming white tights, freshly back from the Crusades! The two men duel…a joust is followed by a swordfight. Guess who loses?

INTERMISSION (20 minutes)

ACT THREE : (35 minutes)

Appartement de Noureev à Paris. Quai Voltaire.

The Wedding Festivities:

Here the ballet reaches its climax by being reduced to essential shapes and patterns. A Hungarian czardas, led by the Countess and the King, is followed by delicately different and difficult variations: solos, a chorale for four men, a love duet, group dances. The highlight is an atmospheric solo for Raymonda [her seventh!] — the music’s essence consists of a trilling piano backed by a few plucked strings—an orchestration so pared down that the score was deemed shockingly modern in 1898. Dripping with weighty jewels and clapping her hands together with newfound authority, this princess-bride is certainly ready to become a queen.

As the ballet roars to its end, you may yearn to hoist your gilded chalice aloft and drink to the health of the adorable couple. [Unless you find yourself regretting – as I often do – that no one thought to invite Abderam to the party].

Rudolf Noureev avec Michelle Phillips dans « Valentino »,  film de Ken Russell

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