Balanchine-Tchaïkovsky : le pouls d’une compagnie

nycbNew York City Ballet, LEs Etés de la Danse 2016, Théâtre du Châtelet. Programme « Balanchine-Tchaïkovsky ».

Représentation du samedi 2 juillet (matinée)

Lorsque le New York City Ballet vient sur le continent, j’ai personnellement envie de tâter son pouls pour voir à quelle vitesse bat le cœur de la compagnie. Et quand il s’agit du cœur, quoi de mieux que la chorégraphie de Balanchine a fortiori sur la musique de Tchaïkovsky pour en juger? Le programme proposé ici, pour inégal qu’il est, comble néanmoins certaines attentes.

Avec «Sérénade» (1933), on rentre dans le vif du sujet. L’ouverture de la pièce pour cordes de Tchaïkovsky donne des frissons dès les premières notes alors même que la célèbre formation en étoile du corps de ballet reste encore cachée par le rideau de scène. Quand ce dernier se lève, la magie n’opère pas tout de suite. La faute en est aux mains du corps de ballet, un peu pendouillantes et mortes, sorte de retour de syndrome Suzanne Farrell – les immenses danseuses ont cet inconvénient qu’elles sont systématiquement copiées pour des raisons qui sont étrangères à leur essence; un défaut qui, durant la décennie précédente, m’avait paru surmonté. On ne remarque pas non plus de vitesse particulièrement étourdissante dans l’exécution.

Mais c’est Megan Fairchild, qui danse la jumping girl. Le saut est enlevé et suspendu, les retombées silencieuses, les équilibres assurés. Dans la scène de l’ange noir, mademoiselle Fairchild se jette à corps perdu dans les bras du poétique Adrian Danchig-Waring. Sterling Hyltin est la danseuse du thème russe et la fiancée éplorée du final. Sa présence est purement cristalline. Dans la série de piqués arabesque avec raccourci décalé sur le jarret, elle parvient à se suspendre en déséquilibre, défiant littéralement la pesanteur. Zachary Catazaro, en soliste du thème russe a une mâle présence et Rebecca Krohn est un ange noir à la longue ligne sereine, ce qui ne gâche rien.

Sterling Hyltin and Company in George Balanchine’s Serenade. Photo credit Paul Kolnik. Courtesy of Les Etés de la Danse.

Sterling Hyltin and Company in George Balanchine’s Serenade. Photo credit Paul Kolnik. Courtesy of Les Etés de la Danse.

Avec «Mozartiana» (1981), on n’est pas dans la même stratosphère chorégraphique. Il est surprenant de constater combien la majorité des œuvres créées par Balanchine sur et pour Suzanne Farrell sont finalement assez anecdotiques. Au lever de rideau, une ballerine vêtue de deuil est entourée par quatre « réductions » d’elle-même sous la forme de petites élèves. S’ensuit une sorte d’exercice de style souvent plaisant à l’œil mais un peu extérieur. Balanchine se contente de pasticher la danse d’école comme Tchaïkovsky pastiche Mozart et, du coup, ennuie un peu. Beaucoup de travail de main et d’afféteries dans toutes les directions, de la batterie en veux-tu en voilà, des pirouettes prises de toutes les positions… Mais tout cela ne forme pas nécessairement un ballet. Ce défaut se trouve augmenté par l’absence d’alchimie entre Chase Finlay, le Golden boy de la compagnie (jolies lignes, jolie batterie et réceptions silencieuses mais pirouettes constamment décalées de leur axe) avec Sara Mearns (une technique de jambes impressionnante, une arabesque haute, des bras bien utilisés; tout cela séparé par un tronc d’airain sans aucune ductilité). La bonne surprise ? Troy Schumacher dans la Gigue : la batterie est d’une grande clarté aidée par un beau plié – ce qui est requis. Mais, c’est plus inusité, ses bras précis et expressifs et ses beaux épaulements rendent palpitants toutes les petites coquetteries baroquisantes de sa partition chorégraphique.

"Mozartiana". Ici avec Tyler Angle, Maria Kowroski et Daniel Ulbricht. Photo © Paul Kolnik. Courtesy of Les Etés de la Danse

« Mozartiana ». Ici avec Tyler Angle, Maria Kowroski et Daniel Ulbricht. Photo © Paul Kolnik. Courtesy of Les Etés de la Danse

«Tchaikovsky concerto n°2» (créé en 1940 pour ABT sous le nom de «Ballet impérial»), est un ballet à la structure curieuse. Il y a au moins deux « grand final » . Le premier, qui voit l’ensemble des solistes et du corps de ballet (une trentaine de danseurs) exécuter des petites cabrioles à l’unisson fait, en général, exploser la salle en applaudissements de tomber de rideau. Ce passage ne fait pourtant que précéder un très bel adage où le leading man joue avec une théorie de 8 filles et deux 1/2 solistes se tenant par la main qu’il agite tels des rubans.

Contrairement à «Mozartiana», où la virtuosité tourne un peu à vide, il y a dans « Tchaïkovsky n°2 » des surprises et de ces petites incongruités toute balanchinienne qui ravissent. Dans le pas de deux entre les deux solistes principaux, le danseur aide sa partenaire à reculer en sautillés arabesque. L’effet produit est extrêmement dynamique. Plus tard, deux garçons, placés de part et d’autre de la seconde soliste, l’entraînent dans une promenade arabesque en dehors mais, se faisant, exécutent chacun leur tour des grands jetés. Un peu d’humour primesautier au milieu de la difficulté technique ne fait jamais de mal. Le corps de ballet féminin évolue comme une sorte de roulis qui s’ouvre puis se referme sur les solistes. Tyler Angle, parfait partenaire noble, fait oublier qu’il est de plus petite taille que sa ballerine tant il danse étiré. Il nous régale par son sens infaillible des directions et sa souplesse de chat. Teresa Reichlen, longue, précise et élégante sans sécheresse reste ce qu’il faut en retrait pour évoquer la distance de l’étoile. Savannah Lowery, la deuxième soliste, a un joli jeu de jambe. Néanmoins, elle n’efface pas le souvenir de Patricia Delgado qui nous avait régalé dans ce même rôle en 2011 lorsque le Miami City Ballet d’Edward Villella avait pris par surprise le théâtre du Châtelet et le public parisien en renouvelant notre vision de l’interprétation du répertoire balanchinien…

Teresa Reichlen and Tyler Angle in George Balanchine’s Tschaikovsky Piano Concerto No. 2. Photo credit Paul Kolnik. Courtesy of Les Etés de la Danse

Teresa Reichlen and Tyler Angle in George Balanchine’s Tschaikovsky Piano Concerto No. 2. Photo credit Paul Kolnik. Courtesy of Les Etés de la Danse

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