Le Lac des Cygnes, représentations du 30/03 et du 1/04.
Sur la scène de l’Opéra, pour cette reprise du « Lac des cygnes », on croise beaucoup d’animaux sur scène mais pas nécessairement là ou l’on les y attendrait. C’est que finalement, les princesses cygnes sont bien peu … cygnes. Sae Eun Park (le 30 mars) est une bête… à concours sans doute mais elle peine encore à envisager le mythique volatile immaculé. Elle n’est pas un vilain petit canard. Non. Loin s’en faut. Mais il lui manque encore quelque chose. Son Odette, n’est pas charnelle, elle semble vouloir jouer au fantôme. Absente aux autres cygnes, absente à son prince, c’est Giselle qui sort de la tombe et présente ses respects à la reine des Willis. Mais pour rendre ce contresens charmant, une vertu essentielle lui a fait défaut : Sae Park maîtrise fort bien les équilibres mais elle ne les porte jamais jusqu’à la suspension. A l’acte 3, si elle a intégré une grande part des indications qui lui ont été prodiguées par Elisabeth Maurin pendant les démonstrations, si elle esquive le prince avec grâce, elle manque curieusement d’abattage. Le seul moment un peu « lâché » de la représentation ne vient qu’après des fouettés pas assez léchés pour devenir signifiants. Et il découle d’une erreur. Libérée de son pensum rotatif, Sae Eun Park prend de l’avance dans sa diagonale de sauts-de-chat développés arabesque et se retrouve en face du prince bien avant son temps. Les deux garçons, qui connaissent leur affaire, ne se démontent pas. Karl Paquette, Rothbart condescendant et autoritaire, qui vient de ciseler comme jamais il ne l’a encore fait sa variation, semble s’ériger en mûr entre son appeau emplumé et le prince. Mathias Heymann, se fige dans la contemplation d’Odile. Lorsque Park reprend le cours traditionnel de la chorégraphie (la remontée en sautillés-relevé arabesque, qu’elle fait d’ailleurs bien voyager), à aucun moment le public n’aura senti de temps mort.
Mais au bout du compte, le seul vrai animal de la soirée, c’est Heymann, même lorsqu’il précipite la réception de ses pirouettes. C’est lui qui ressemble à un oiseau sauvage se débattant dans le piège d’un braconnier. La scène d’adieu est déchirante ; de sa part du moins. Lorsqu’Odette mime « je vais mourir », Heymann-Siegfried répond, comme si c’était avec des mots et non avec le haut du corps, « Non, je ne peux y croire, je ne peux m’y résoudre! ». Quelle étrange expérience cependant de voir cette coulée ardente se déverser dans le vide…
Le 1er avril, Laura Hecquet, qui rentre pour la première fois sur la scène de l’Opéra en tant qu’étoile, est également une princesse-cygne bien peu cygne. Cela viendra sans doute très bientôt. Mais il lui manque encore un soupçon d’étirement du bout de la pointe dans l’arabesque pour réaliser ce miracle d’abstraction charnel auquel on reconnait les authentiques Odette.
Mais quelle princesse! Digne dans l’adversité, conscience de son fatum « tchaïkovskien », presque indignée de son sort lorsqu’elle le conte, dans une pantomime bien accentuée, à son prince Siegfried.
Chez ce prince, Audric Bezard, la passion et le drame ne s’imposent pas d’emblée. Avec son ballon velouté et son parcours ample, il évoque un de ces « chats-chien » d’appartement, qui viennent saluer tous les nouveaux arrivants avec grâce au lieu d’aller se cacher sous les meubles. Le doute ne s’insinue en lui que lorsqu’il se retrouve seul (ainsi, sa variation lente est exécutée comme si chacun des pas qui la compose était une pensée soupesée). Au 2e acte, il reste aimable et déférent envers sa princesse. Au troisième, ce prince félin joue, fasciné, avec son oiseau de paradis –pour tout dire, c’est à ce moment, où Odile imite le cygne blanc, que mademoiselle Hecquet est la plus crédible en créature à plume. Bezard se laisse entraîner dans le tourbillon de l’enchanteresse. Aux fouettés diaboliquement précis et méthodiquement doublés de sa partenaire, il oppose de non moins impressionnants tours à la seconde. Le moment du parjure est alors pour lui un véritable éclair dans un ciel d’été. A l’acte 4, c’est sa maîtrise de l’adage qui fait merveille. Le dernier pas de deux émeut par l’accord des lignes (Ce même bel accord entre mademoiselle Hecquet et Audric Bezard qui avait déjà gagné mon suffrage dans la Belle au bois dormant) et le jeu des oppositions de tensions … Siegried-Bezard semble vouloir s’échapper par la coulisse tandis qu’Odette-Hecquet est comme aimanté par le groupe des cygnes.
Qu’importe au fond si on n’a pas le cygne, pourvu qu’on ait le sentiment du tragique partagé.
Je n’ai vu aucune de ces distributions mais quel magnifique article, je crois que j’ai tout vu – vos images sont si vives.
La dernière phrase est une merveille et j’y souscris pleinement. Merci pour ce compte-rendu (mais en est-ce encore un ?) si plein de grâce.
Merci, Noor!
Comme toujours, j’ai oscillé entre le rire et l’émerveillement d’un enfant découvrant son premier feu d’artifice à l’heure où habituellement ses parents l’obligent à dormir alors qu’il n’a même pas sommeil; je me suis délectée de ce magnifique carnaval des animaux! et j’ai une tendresse toute particulière pour le chat-chien qui ne se cache pas sous un meuble; une bronchite m’a privée de Laura mais je découvrirai Hannah ce soir!
Nous y étions ce soir aussi. J’espère que vous avez apprécié votre soirée, Shana. CL.
Je suis sous le charme absolu de Hannah et aussi de Yannick, j’écrirais mon article avec mon lyrisme teuton et sans grâce et serait donc ravie de vous lire bientôt! Paquette est monté sur ressort pour cette saison, je l’ai connu plus subtil en 2006!