Polyphonia (Christopher Wheeldon/ Gyorgy Ligeti) ; Sweet violets (Scarlett / Sergei Rachmaninov) ; Carbon Life (Wayne McGregor/ Mark Ronson, Andrew Wyatt) – Royal Opera House – Représentation du 23 avril
De toute évidence, le spectacle est organisé pour finir en climax. Une sono assourdissante, des musiciens en vogue (le DJ qui a produit Amy Winehouse, etc.), quatre chanteurs – dont un rappeur et l’inusable Boy George –, des lumières chiadées, des costumes design avec accessoires en plastoc noir et jupettes en forme de parapluie. Et puis de la danse. Il est de bon ton – c’est ce que fait Luke Jennings dans le programme du spectacle – de faire de Wayne McGregor un novateur poussant le langage chorégraphique vers de nouveaux horizons, à l’instar de William Forsythe radicalisant Balanchine il y a 20 ans. Il n’est pas sûr, cependant, qu’on puisse acquiescer sans débat. C’est pousser un peu vite dans la tombe le chorégraphe basé à Francfort, dont les dernières créations – notamment Sider, présenté à Chaillot l’hiver dernier – débordent de malicieuse inventivité. Et puis, qu’apporte-t-il de si précieux ? Une chorégraphie atmosphérique ? Un mouvement hystérisé ? Le sexy dans la danse ? Pourquoi pas, mais à quoi bon tout cela ? Chaque nouveau spectacle de McGregor que je vois me fait penser à une mode : irrésistible autant qu’éphémère. Cette année, en tout cas, je passe mon tour : le mouvement, comme écrasé par la rythmique rock, est plus saccadé qu’à l’habitude ; on manque de respiration, sauf – sans surprise – pendant une petite minute de silence dansée par Edward Watson et Olivia Cowley. Voilà donc la grande innovation McGregor 2012 : une danse aplatie par le son, comme il est des plantes écrasées de soleil.
Sweet Violets, de Liam Scarlett, prend sa source dans un fait divers, le meurtre non élucidé d’une prostituée à Camden en 1907. Près de 20 ans après Jack l’Eventreur, l’histoire défraya la chronique. La fascination pour le crime trouve son écho dans les œuvres du peintre Walter Sickert (1860-1942), qui s’y intéressa de si près qu’on crut pouvoir l’y mêler. Faisant fond sur une autre légende associée, qui voudrait que la reine Victoria ait fait interner la maîtresse de son petit fils le prince Eddy, et assassiner une amie qui avait le tort d’en savoir trop, Liam Scarlett construit un ballet narratif assez touffu, sur le trio élégiaque de Rachmaninov. Le ballet débute par la très réussie scène du meurtre (dansée par Meaghan Grace Hinkis et Thomas Whitehead, inquiétant meurtrier). Nous sommes ensuite chez le peintre (Bennet Gartside), chez qui vient musarder Eddy (Ricardo Cervera). Ce dernier papote avec Mary-Jane Kelly, l’employée de Sickert (Laura Morera) et surtout, badine avec Annie (Leanne Cope), l’amie du prince que la police embarque et envoie chez les fous. Marianela Nuñez (Mary le modèle) pose nue pour le peintre. On tremble pour elle quand, au pas de deux sensuel qu’elle danse avec Sickert, se joint un deuxième larron, ami du peintre, que nous reconnaissons pour l’assassin du début. Après, cela se complique : nous voilà au music-hall (autre centre d’intérêt de Sickert), Mary-Jane a mal tourné, et Jack l’Eventreur (glaçant Alexander Campbell) traîne dans les coins sombres. L’histoire navigue entre réalité et fantasme et Liam Scarlett montre pour une troisième fois sa science du pas de deux sexuel. Nous sommes incontestablement dans la lignée du MacMillan de Mayerling, tant pour la virtuosité chorégraphique que pour la sursaturation narrative.
Le plat de résistance était roboratif, mais le meilleur aura été l’entrée. Polyphonia a été créé pour le New York City Ballet en 2001, sur des musiques de Ligeti. Quatre couples sur scène, un piano dans la fosse. La chorégraphie séduit par sa profonde musicalité et son absence d’esbroufe. Sarah Lamb danse avec Johannes Stepanek : n’importe quel tarabiscotage passe, car le mouvement épouse chaque respiration musicale. Ludovic Ondiviela valse avec Yuhui Choe. Dawid Trzensimiech et Itziar Mendizabal dansent Allegro con spirito. On découvre dans l’adagio Yasmine Naghdi et James Hay, et on a tout de suite envie de les revoir souvent. On entend le vent qui souffle dans la grande plaine hongroise.