
QUEEN A MAN et l’association O CAPTAIN MON CAPITAINE Photographie de Stéphane Bellocq.
Le Temps d’Aimer, ce ne sont pas que des spectacles en salle. Comme tout bon festival, il y a des spectacles de rue et des animations ouvertes à tous. Et dans ce domaine, Biarritz excelle. Arpenter les rues de la ville balnéaire d’un point à un autre, c’est en soi déjà s’exposer à des vues exceptionnelles ou à des découvertes architecturales. La ville est un peu spectacle. Mais surtout, le Festival s’emploie à vous donner un sentiment de communauté. Chaque jour, un joli journal couleur avec les événements de la journée, faisant pour certains l’objet d’un article, et le programme du lendemain est distribué par des bénévoles souriantes qui ne manquent pas de vous reconnaître d’une manifestation à l’autre. Sur les lieux de représentation, des conversations s’engagent et on fait aussi éventuellement des retrouvailles d’une année sur l’autre. On peut enfin être appelé à participer à des expériences dansées.
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C’est le cas cette année avec mon premier spectacle gratuit. Pour cette édition, Le Temps d’Aimer investissait encore de nouveaux lieux de la ville, telle la Villa Natacha, un tantinet excentrée sur les hauteurs de la ville. Pour s’y rendre, on passe devant la Gare du midi, siège de prochains spectacles, mais on dépasse aussi avec un petit pincement au cœur Plaza Berri, ce très beau trinquet où se tient le Tremplin corps et Graphique, un concours pour jeunes chorégraphes lors duquel le vote du public est pris en compte dans les délibérations du jury. Cette année, on sait qu’on ne pourra s’y rendre car il a fallu faire des choix cornéliens.
On arrive enfin à la Villa Natacha, l’ancien parc, aujourd’hui jardin public, d’une maison cossue de style néo-basque avec colombages rouges.
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Christine Hassid. Souffles. Photographie, CdeOtero
Christine Assid : Souffles
Sur une sorte de clairière, des chaises de jardins sont installées en deux arcs de cercle. Une musique de bongos un peu planante joue déjà tandis que des machinistes tendent entre les arbres une bâche plastique de chantier ; de celles très légères et fragiles qui servent à protéger les meubles restés en place pendant les travaux de peinture. Le grand voile translucide une fois tendu, il oscille au gré du vent.
Avant la pièce, la chorégraphe Christine Hassid explique le contexte de la création de Souffles #1, lié à la pandémie et au besoin de rendre la danse visible dans l’espace public. Contrairement aux habitudes de la chorégraphe, qui aime « écrire » ses spectacles, la pièce a largement recours à l’improvisation : les aléas du vent ainsi que les interactions entre les danseurs détermineront le choix aléatoire de 32 courts modules chorégraphiques préétablis.
Sur l’herbe, trois interprètes, deux garçons et une fille, commencent alors à se mouvoir sur la musique enregistrée de Damien Delpech tandis que la grande bâche les occulte, ou les découvre, selon la position de chacun. La chorégraphie est à base de marches ; les danseurs y ajoutent des contorsions d’épaules ou des ondulations des bras et de la colonne vertébrale. On croit remarquer des bribes de passes hip hop (le danseur au top orange). Parfois ils se figent dans des poses statuaires ou se meuvent au ralenti. Deux des interprètes pratiquent de petites courses tandis que le troisième reste au ralenti.
Ils jouent aussi avec le voile. Tirant sur la bâche, le danseur au tee-shirt bleu lui impulse une nouvelle énergie. Soulevée entièrement en l’air, elle ressemble soudain à ces chapelets de nuages à putti des toiles baroques. À un moment, la danseuse entre littéralement dans la voile ondoyante. Elle y laisse une trace de rouge à lèvres…
Les danseurs se touchent relativement peu au début puis à un moment forment une chaîne humaine. Les interactions physiques se multiplieront à la mesure que la musique devient plus percussive.
La bâche est de plus en plus malmenée notamment par le gars au top bleu. Des déchirures apparaissent. Lors de la transe finale, elle est littéralement déchiquetée. Adieu l’effet aérien. Il ne reste plus qu’un espace désolé, pollué visuellement. Un des trois danseurs a disparu dans ce chaos final.
Après les applaudissements, Christine Hassid explique la symbolique assez évidente (pandémique et écologique) de sa pièce avant d’inviter les membres du public volontaires à faire l’expérience de l’improvisation qui a présidé à la création de Souffles #1. On se retrouve à marcher dans tous les sens, puis à se regarder les uns les autres, à courir, à courir « avec bulle de champagne sous les pieds » avant de se figer à l’injonction de la chorégraphe; on danse avec « le sentiment de la gravité » puis « sans le sentiment de gravité ». Une battle générationnelle est organisée, obligeant, après avoir dansé dans sa bulle, à recevoir en retour l’énergie du groupe qui fait face. Puis il faut danser pour ou avec un partenaire, proposer un geste beau puis un geste bizarre. On finit tous couchés dans l’herbe fraîiche, les yeux plantés dans un ciel bleu pollué de lambeaux de bâche plastique.
Souffles #1 est rejoué une seconde fois à la suite. La chorégraphe invite le public à rester pour refaire l’expérience de la pièce après avoir soi-même été initié. La proposition est tentante mais j’ai pris d’autres engagements.
Et me voilà redescendant le pied léger vers le front de mer.
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GIGABARRE du 17 septembre. Richard Coudray, maître de ballet. Photographie ©OLIVIER HOUEIX
Le Dimanche, le ciel est chafouin et on a le sentiment qu’il pourrait bien lui prendre l’envie de gâcher la fête. Cela serait dommage puisque, là encore, le festival se propose d’impliquer le public dans des activités de plein-air. C’est le « le Temps d’Aimer l’Océan » et, en plus de la traditionnelle Gigabarre, il est également possible de participer à un éveil corporel sur la grande plage à partir de 9 heures. À 11 heures, la grand-messe commence sur le promenoir. Richard Coudray, le maître de ballet du Malandain Ballet, propose cette année des exercices ambitieux si l’on considère que la Gigabarre est ouverte à tous : des temps liés en avant et en arrière, des piqués attitudes etc. Pour son mini-ballet loufoque, sur le thème de « la petite sirène au pays de Barbie, reine du plastique », il demande même des piqués arabesques et des pirouettes attitude. Aucun accident n’a été à déplorer et tout le monde a travaillé dans la bonne humeur.
C’est seulement à l’heure du déjeuner que les cieux se sont emballés et qu’il a fallu s’abriter. Les jeunes apprentis danseurs classiques du Centre de formation de Biarritz avaient pu présenter entre temps leur travail sans inconvénients météorologiques.
Et le reste de l’après-midi, on aura pu jouir des spectacles de rue sans cuire au soleil, ce qui est appréciable.
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VIBRA par le chorégraphe ARNAU PEREZ, en collaboration avec DANTZA HIRIAN – ARTEPEAN. Photographie de Stéphane Bellocq.
Arnau Peréz : Vibra
Sur la place Bellevue qui, comme son nom l’indique offre une vue de l’Océan comme mis en perspective par une sculpture contemporaine en métal d’Oteiza, le chorégraphe catalan Arnau Pérez proposait une pièce qui, à sa manière loufoque, n’était pas sans faire écho à la pièce de Christine Hassid.
Deux danseurs en blanc arborent des costumes improbables : vestes larges matelassées et bonnets à oreilles de lapin. L’un des deux porte une sorte de jupe plissée par dessus son pantalon cargo. Les deux danseurs s’avancent dans le public massé et assis sur un côté la place. L’un d’eux s’assoit sur une chaise dans le public. Les deux danseurs désignent tour à tour deux inconnus avant de passer à autre chose …
La chorégraphie commence, dynamique, à base de petits sauts. C’est une succession de twerks facétieux sur une musique percussive. Puis, une voix off démarre une glose (en voix artificielle de serveur internet) sur « les vibrations et la dynamique des lieux où l’on danse » : ceci justifie le titre de la pièce.
La marche des deux danseurs devient robotique. Ils scandent le sol de leurs pieds. C’est sans doute le passage où la tension de l’œuvre s’effiloche. Quelques petites minutes coupées n’auraient pas fait de mal. Les deux interprètes, dans une troisième section, initient enfin une sorte de slow. Ils invitent enfin les deux membres du public désignés au passage au début de leur performance à danser avec eux puis, sans crier gare, ils les assemblent avant de s’effacer. Les deux inconnus se retrouvent seuls au milieu de la place Bellevue et c’est à eux de terminer la représentation. La chute et plaisante et poétique à la fois.

VIBRA, ARNAU PEREZ, en collaboration avec DANTZA HIRIAN – ARTEPEAN. Photographie de Stéphane Bellocq.
Les agapes chorégraphiques trouvent leur conclusion à 17 heures, sur le parvis du Casino.
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Queen a Man : O Captain Mon capitaine
Sur le parvis du Casino, une sorte de petit véhicule à roulettes de vendeur de glaces ambulant, dont l’enseigne arbore lunettes de soleil et moustache, est installé depuis le début de l’après-midi.

QUEEN A MAN et l’association O CAPTAIN MON CAPITAINE Photographie de Stéphane Bellocq.
Sur le papier, la proposition paraît pour le moins fantaisiste. Un groupe de non-danseurs entre deux âges se propose de présenter une parade de majorette sur des tubes du groupe Queen.
Et pourtant, on comprend vite qu’un petit miracle est en train de se produire. Mené par Cécile le Guern (la fondatrice de cette compagnie masculine réunissant des intermittents venus des arts du cirque), le groupe de garçons moustachus parfois légèrement bedonnants et grisonnants, tous plus petits que leur maîtresse de cérémonie, arborant lunettes de type aviateur, jeans, tennis blanches à scratch et, bien sûr, moustaches fournies, parvient à enflammer le parvis du Casino.
Tout fait mouche. De l’adoubement aux bâtons de majorette (qui se transforment à l’occasion en micro de pop star ou en cadre d’écran télé), aux marches en rang serrés sur les tubes ressassés du groupe, en passant par une tendre parodie d’une célèbre interview de Freddy Mercury. Les danseurs sont toujours sur le fil, dans le clin d’œil amusé. Leur maladresse est calculée. Les moments bouffons (par exemple un tea time avec un serveur particulièrement maladroit) succèdent à ceux émouvants ou tendres (tel cette espèce de funérailles d’un danseur porté en catafalque). Chacun des sept garçons incarnera à son tour Freddy Mercury.
On se dit aussi que la parade de majorette va bien aux tubes de Queen souvent très appuyés (voire monotones) au niveau des basses et dont les fioritures orchestrales, souvent en digressions, décourageaient jusqu’ici chez moi l’envie de danser. J’ai certainement changé d’avis depuis.
Mais ce qui est le plus beau, c’est de voir le public (qui déborde largement de la place du Casino) rire, battre des mains, chanter les paroles des chansons tandis que la valeureuse troupe de moustachus continue son numéro.
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À la sortie, ce ne sont pas des photographies de corps que l’on voit mais des instantanés d’un fouillis de choses… Raphaël Gianelli-Meriano s’est penché sur les sacs des danseurs remplis de chaussons, d’oripeaux divers, de snacks et de gourdes. On s’étonne parfois de leur trouver un formalisme presque étudié : hasard ou œil du photographe? Sans doute un peu des deux.






Le week-end dernier s’achevait la trente-troisième édition du Temps d’Aimer la Danse, à Biarritz et désormais dans tout le Pays basque ; l’occasion pour l’amateur de danse de faire des découvertes tout en arpentant les lieux culturels et autres agoras de la ville balnéaire. La direction du festival se défend de rechercher des thèmes pour chaque édition afin de préserver la diversité des propositions et l’étendue de la palette des découvertes. Mais mon esprit d’archiviste prévaut le plus souvent et, à mon corps défendant, les articles me viennent par thèmes.

