Dimanche 17 juillet, à la Gare du Midi, dans un Biarritz écrasé de chaleur et de soleil comme le reste de la côte atlantique française, nous étions invités à prendre une toute autre température que celle mesurée en degrés Celsius; celle de la santé de la création chorégraphique d’expression principalement néoclassique.

Concours de jeunes Chorégraphes #3. « Distorted Seasons », Jorge Garcia Pérez. © Olivier Houeix
Le Concours de Jeunes Chorégraphes connaissait en effet sa troisième édition. Sélectionnés par un jury de directeurs et directrices de compagnie (cette année Thierry Malandain du CNN Malandain Ballet Biarritz, Eric Quilleré, directeur du ballet de l’Opéra National de Bordeaux, Bruno Bouché, à la tête du CNN/Ballet de l’Opéra national du Rhin, Ingrid Lorentzen, directrice artistique du Ballet national de Norvège et enfin Xenia Wiest, récipiendaire du premier prix lors de la première édition du Concours en 2016 et fondatrice en 2021 de sa propre compagnie, Ballett X Schwerin), les six heureux élus pour participer à cette finale publique pouvaient espérer décrocher 5 prix : 2 « prix du Jury », avec une résidence à la clé pour la saison 2022-2023 (respectivement à Bordeaux et au Ballet national du Rhin), un « prix de Biarritz » de 15000€ financé par la Caisse des Dépôts et Consignations, un « prix des professionnels » (critiques et directeurs de théâtres) et un « prix du public » de chacun 3000€.

Concours de jeunes Chorégraphes#3 . Le Jury : Thierry Malandain, Bruno Bouché, Xenia Wiest, Eric Quilleré et Ingrid Lorentzen. ©Olivier Houeix
L’objectif est de dynamiser la création dans le monde du ballet comme jadis avait pu le faire le concours de Bagnolet qui a distingué la plupart des grands noms de la Jeune danse française entre 1969 et 1988. Le fait que le premier concours et ce troisième aient lieu à Biarritz n’est pas non plus anodin. Thierry Malandain lui-même a couru avec succès les concours (Prix Volinine, Prix de Vaison-la-Romaine, etc.).
Alors qu’en est-il ? Le négatif et le positif sont intimement mêlés.
Négatif ? Le fait que seulement 66 candidats aient postulé quand la notion de « ballet », loin d’être étroitement limitée à l’utilisation de la technique classique, était plutôt recentrée sur la notion de travail de groupe et de volonté de création d’un répertoire. Les candidats devaient envoyer une vidéo avec un minimum de trois interprètes sans limitation de temps.
Le positif ? Bien qu’on n’ait aucune information sur le niveau général des 66 propositions reçues, les 6 sélectionnés pour la finale avaient pour eux une excellente maîtrise de la composition chorégraphique et étaient servis par des danseurs d’une grande qualité technique ; nombre des 6 chorégraphes recouraient notamment la technique des pointes pour les filles.
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Mais toute reluisante qu’elle soit, la médaille a quand même son revers. A-t-on vu des créateurs au travers de ces créations ? Pas assez à mon sens. La plupart des chorégraphes concurrents appartenaient à des écoles et l’originalité de leur univers ne ressortait pas suffisamment.
Le britannique Andrew McNicol, non primé, dans « Of Silence », se repose trop sur une esthétique de lyrisme néoclassique (arabesques penchées, portés décalés, grands battements suspendus) qui s’avère assez datée et qui, le choix musical aidant (des pièces pour cordes et chœurs) verse à la longue dans le précieux voire le grandiloquent. Sa gestion des groupes et son articulation avec les pas de deux est en revanche bien maîtrisée.
Kaloyan Boyadjiev (prix de la Caisse des dépots), lui aussi dans une veine kylianesque, gère mieux la corde lyrique mais son « Sororibus », librement inspiré des trois sœurs de Tchekhov, ne frappe pas par son côté personnel. Ce style chorégraphique avec ses pas de deux à nœuds coulants (on se demande toujours comment les deux danseurs ne restent pas emmêlés), ses bras qui impulsent emphatiquement les girations des corps sur la musique en ostinato d’Arvo Pärt, a un petit goût de déjà vu.
Le cubain Luca Valente, danseur au Zurich Ballet, se montre plus influencé par la gestuelle d’un Marco Goecke, ou même d’un Edward Lock, mains agitées désignant frénétiquement certaines parties du corps ou mimant l’étouffement, gestuelle saccadée, sauts prestes. L’effet est assurément anxiogène, ce qui illustre le propos de sa pièce, « Umbra », explorant l’expérience du « juste après » la mort. A défaut d’être entièrement original, le jeune chorégraphe a le mérite de coller à son sujet. Il remporte le 2e prix et, avec lui, la perspective de créer une pièce pour le Ballet national du Rhin.
C’est l’américain Houston Thomas qui remporte le premier et le sésame pour une création au Ballet national de Bordeaux. Son style est quant à lui complètement dans la ligne de William Forsythe. Trois gaillards et une danseuse en crop-tops égrènent un vocabulaire ultra acrobatique avec ses battements à tout va (certains en flexe avec pied dans la main) accompagnés de déhanchés maniéristes. Les portés intriqués se succèdent à grande vitesse, alternant avec des poses plastiques, presque statuaires. Même une partie de la musique (Pomassl et Johannes Goldbach) a un petit côté Tom Willems. On salue la virtuosité des danseurs… comme on l’a fait ailleurs. Et on passe…
En termes d’originalité de l’univers, on reste donc loin du compte. Notre thermomètre interne reste dans la marge basse…
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Concours de jeunes Chorégraphes #3. « Distorted Seasons », Jorge Garcia Pérez. © Olivier Houeix
Deux pièces se distinguaient heureusement par leur ton plus personnel. Jorge Garcia Pérez, avec son « Distorted Season » (qui utilise notamment des extraits du Max Richter employé par Crystal Pite pour son The Seasons’ Canon), offrait un contraste par l’ancrage de ses danseurs dans le sol et la puissance charnelle de son partnering. Quatre interprètes en costumes croquignolets apparaissent dans des douches de lumière. On comprend vite qu’il s’agit des saisons qui sont bien décidées à ne pas se succéder dans l’ordre attendu. Un beau couple central, en noir et blanc, se retrouve aux prises avec ces saisons distordues. A un moment, la danseuse, au milieu des quatre danseurs colorés, semble être au milieu d’un typhon. On soulève une paupière. On est intrigué. Jorge Garcia Pérez ne recevra pourtant aucun prix. Dommage.
Plus heureuse, Sophie Laplane, seule candidate de cette édition, obtient le prix des professionnels et le prix du Jury. Son « Oh ! Les Mains » n’est pas sans qualités. La pièce s’ouvre par une vision presque perturbante d’un totem constitué d’un danseur masculin enserré au niveau de la taille et de la tête par deux danseuses. Les garçons, gantés de rouge, font osciller les danseuses un peu comme s’ils sonnaient des cloches. Les costumes des demoiselles sont d’ailleurs opportunément dotés de poignées comme ces sacs à pondéreux vendus dans les grandes surfaces de bricolage : un clin d’œil fortuit au partnering développé par la plupart des autres concurrents à ce concours ? Tout n’est pourtant pas très en place et certains gags tombent à plat. La chorégraphe, faute de danseurs, a failli ne pas venir. Ce sont 6 vaillants interprètes du Malandain Ballet Biarritz qui ont pris sur leurs congés pour répéter sa chorégraphie en 6 jours. Gageons qu’avec un peu de rodage, tout cela fonctionne beaucoup mieux.
Pourtant, il faut l’avouer, le moment de grâce sans réserve de ce concours aura été l’improvisation – bien rodée – offerte par le maître de cérémonie, Martin Harriague, lui-même récipiendaire en 2016 du deuxième prix et du prix du public de ce même concours. Prétextant un retard du jury, le danseur-chorégraphe nous a fait un petit résumé impromptu et tendre de sa carrière d’interprète incluant un délicieux pastiche du style gaga, une arabesque en tutu extraite du Casse-Noisette de Thierry Malandain et un solo dansé sur cette même scène lorsqu’il était à la Kibbutz Dance Company.
Un moment de bonheur sans nuage et sans partage avant d’aller faire de nouveau l’expérience de la touffeur estivale sur le parvis de la Gare du Midi.

Concours de Jeunes Chorégraphes de Ballet #3 Finale Martin Harriague ©Olivier Houeix