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Fille incomprise : un argument pour Manon

Pauline Montessu dans Manon, 1830

Pauline Montessu dans Manon, 1830

À l’instar d’autres classiques français comme Les Noces de Figaro ou Les Liaisons dangereuses, cette histoire met en lumière les questions de genre et de classe durant l’Ancien régime.

Ouh ça semble rasoir ! Reformulons : ce ballet à propos de toutes sortes d’interactions sociales ou sexuelles sera dansé par des personnes incroyablement souples portant d’étourdissants costumes d’époque. Et ça, ça n’est jamais barbant.

Le roman de l’abbé Prevost, 1731, continue de laisser les lecteurs perplexes. Son héroïne de la lie aux nues et des nues à la lie est-elle immorale ou amorale ? Une vicieuse croqueuse de diamants prétendant l’innocence ou une innocente désemparée corrompue par les hommes et précipitée dans le vice ? À moins que la proactive Manon ne représente l’horizon très anti-Cendrillon des jeunes filles bien informées d’aujourd’hui?

S’il existe quelque chose comme la « nature féminine », les hommes – du politicien libidineux au zélote exalté – essayent encore de la déchiffrer.

Vous connaissez peut-être les plus célèbres adaptations de ce conte, les opéras de Jules Massenet (1885) et de Puccini (1894). Sir Kenneth MacMillan les connaissait assurément en 1974. Amoureux de cette histoire, sous la pression d’une échéance au Royal Ballet de Londres, il se sentait paralysé par ces deux somptueuses partitions. Comment éviter de faire mimer aux danseurs des arias bien connues ? La solution:  utiliser de la musique de Massenet, quantité de passages savoureux mais pas une note extraite de l’opéra !

ACTE UN (43 minutes)

Scène 1 : un relais de poste non loin de Paris

La première personne que nous découvrons sous une douche de lumière est le corrompu et vénal frère de Manon, Lescaut. Aussi à l’aise avec la racaille qu’avec l’aristocratie émoustillée, il essaye tout d’abord de placer sa maîtresse auprès du riche Monsieur G.M. avant de s’esclaffer quand ses amis mendiants soutirent la montre de cet imbécile prétentieux.

Au milieu de cette assemblée décadente débarque un timide et séduisant étudiant, tellement perdu dans la lecture de son livre qu’il est insensible à toute l’agitation qui l’entoure. Son nom est Des Grieux.

La diligence arrive finalement et Manon avec. Alors qu’elle est encore en train d’essayer de se débarrasser du vieillard qui avait tenté de la séduire durant le voyage, elle se retrouve confrontée à son frère qui essaye de la placer auprès du lubrique G.M. Il n’est pas étonnant que ses parents l’expédient au couvent, les hommes ne semblent pouvoir garder les mains dans leurs poches en sa présence. Est-ce de sa faute ?

Sur une musique très délicate, Manon essaye de s’accrocher à sa liberté, ou tout au moins à son libre arbitre dans le choix de l’un des hommes dégoûtants que son frère encourage dans leurs ardeurs. Pendant ce temps, la maîtresse de Lescaut découvre à foison ses bas. Elle ne verrait aucun inconvénient à postuler pour les miettes.

Mais voici que les yeux de Manon rencontrent ceux de Des Grieux, le seul et unique homme qu’elle désirera jamais. Après tous ces vieux grimaçants et trébuchants, voilà enfin un homme qui sait danser !

À la fin de cette scène, nous sommes gratifiés du premier des glorieux pas de deux que les amoureux de la danse associent à MacMillan : jusqu’à quel point les corps peuvent être portés aux limites du push-me-pull-you? Dans ce ballet, l’enjeu de chacun de ces duos sera de savoir jusqu’à quel point vous pouvez aller sans vous casser une cheville ou un poignet ou tomber la tête la première tout en transmettant une pure émotion. Et chacun de ces duos se terminera avec l’exquise façon qu’à MacMillan d’inventer d’infinies manières pour les amants de redescendre des hauteurs en balayant le sol – tellement délicieusement – avec leurs corps.
Le barbon revient pour constater que Manon s’est enfuie avec son porte-monnaie et sa voiture. Monsieur GM offre encore davantage d’argent à Lescaut pour qu’il retrouve et lui livre cette tentante et fringante créature.

Scène deux : dans l’humble mansarde de Des Grieux. [au moins ce n’est pas une ennuyeuse propriété campagnarde] Des Grieux essaye d’écrire une lettre à son paternel sur l’air du « c’est un ange, stp envoie-moi un peu plus d’argent ». Il est de bonne famille mais n’a pas encore la main sur son héritage.

Amoureuse mais néanmoins lassée de le regarder écrire, Manon entreprend de le distraire – c’est un euphémisme- (ici, consultez l’article de Cléopold sur ce pas de deux qu’il analyse seconde par seconde).

Lorsque Des Grieux s’extirpe finalement de cette étreinte pour aller poster sa lettre, Lescaut entre furtivement en compagnie de Monsieur G.M. qui tente Manon avec toutes sortes de promesses, de joyaux et même une cape doublée de fourrure. Rien auquel une jeune fille puisse décemment résister. Bon, d’accord, le mec à l’air d’avoir développé un bizarre fétichisme des pieds, mais toute ballerine qui se respecte a été vaccinée contre ce genre de cliché depuis une éternité.

Lescaut reste en arrière afin de juguler les légitimes angoisses d’un Des Grieux horrifié et d’essayer de lui faire entendre raison : « Laissons-là dépouiller ce richard ! Nous pourrions tous être riches ! »

ENTRACTE (20 minutes)

ACTE DEUX (46 minutes)

Scène un : Une soirée élégante chez une dame fort louche.

Nous l’avions déjà vue durant la première scène trainant aux côtés de Monsieur G.M. Mais ce n’était pas une dame… ou sa femme. « Madame » est ce qu’on appelle une maquerelle. Ces femmes avec des éventails durant la même scène n’étaient pas des dames mais ses « filles ».

Chez Madame, les épées doivent être laissées à l’entrée ; mais on peut être tenté par toutes sortes de métaphores.

Tirant à sa suite un Des Grieux boudeur et peu disposé à le suivre, arrive Lescaut bien éméché qui entraîne dans son jeu – cul par-dessus tête – son inconditionnellement optimiste maîtresse.

Manon entre sensationnellement parée. Elle est portée en l’air, à la Marilyn Monroe, par un groupe de clients énamourés devant Monsieur G.M., exsudant une fierté malsaine.

La vanité un peu stupide de Manon n’est tout d’abord pas le moins du monde érodée par les regards languissants de Des Grieux. Lorsqu’il parvient enfin à s’isoler avec elle, elle lui dit clairement que si elle l’aime lui, il n’en est pas de même de sa pauvreté.

Elle lui indique quoi faire : tondre G.M. en trichant aux cartes… Des Grieux est mimi, mais il sabote le travail. Les épées sont tirées des fourreaux. À la faveur de cette confusion, les amants s’échappent de nouveau.

Scène deux : de retour dans la mansarde.

Les amants, c’est devenu une habitude, dansent dans tous les recoins de la chambre.

Mais voilà que Manon se rend compte qu’elle a « oublié » de rendre ses bijoux…

Mauvaise idée. G.M. sait où se trouve le nid d’amour et fait irruption escorté par la police et trainant à sa suite un Lescaut menotté et sanguinolent. Il fait arrêter Manon pour vol et prostitution. Pour la première fois de sa vie, l’héroïne doit faire face à l’abjecte cruauté vengeresse à laquelle certains hommes sont particulièrement enclins.

ENTRACTE (20 minutes)

ACTE TROIS (25 minutes)

Scène un : arrivée à la Nouvelle Orléans

Une cargaison d’infortunées prostituées a été déportée à la Nouvelle Orléans. L’amour de Des Grieux ne connaît aucune limite. Il a réussi à embarquer sur le bateau en prétendant être le mari de Manon et paraît même curieusement content en dépit des circonstances.

Même brisée psychologiquement et le crâne tondu, Manon attire malgré elle une attention inhabituelle.

Scène deux : le bureau du geôlier

En voilà une particulièrement dégoûtante. Le geôlier lui donnera des privilèges si elle … Et il la force à le faire. Des Grieux assouvit le désir du public médusé en tuant ce prétentieux pervers.

Scène trois : perdus dans le bayou

En fuite et sans but, le couple s’obstine à s’aimer dans des directions opposées. Des Grieux espère encore, tandis qu’hantée par ses souvenirs, Manon, qui n’est pas faite pour ce genre de vie, meurt d’épuisement dans les bras de son amant désespéré. Elle a été complètement consumée par la force des attentes des autres hommes.

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Girl, misunderstood: a plot summary for “L’Histoire de Manon” coming soon to the Palais Garnier.

Pauline Montessu dans Manon, 1830

Pauline Montessu dans Manon, 1830

Like other 18th century French classics such as Les Noces de Figaro and Les Liaisons dangereuses, this tale highlights issues of gender and class during the ancien régime.
God, that sounds boring. To restate: this ballet about all kinds of social and sexual relationships will be danced out by extraordinarily limber people wearing really spiffy period costumes. And that’s never boring at all…
L’Abbé Prévost’s 1731 novel continues to perplex readers. Is his rags-to riches-to rags heroine immoral or amoral? A vicious man-eater who merely pretends to be innocent or a clueless innocent corrupted by men and drawn into vice? Or does the pro-active Manon now represent the anti-Cinderella outlook for many enlightened girls?

If there is such a thing as “woman’s nature,” men — from randy politicians to religious zealots — continue trying to figure that one out.
You might know of the more famous adaptations of this tale into operas by Jules Massenet [1885] and Giacomo Puccini [1894]. Sir Kenneth MacMillan certainly did in 1974. In love with the story, working on a deadline for England’s Royal Ballet, he felt hamstrung by two gorgeous scores. How could he avoid making dancers mime to well-known arias? Here’s how: use music by Massenet…lots of juicy bits of it, but not one note from the opera!

ACT ONE (43 minutes)
Scene one: at a stagecoach inn near Paris
The first person we see under the spotlight is Manon’s corrupt and venal brother, Lescaut. Equally at ease with riff-raff and raunchy aristocrats, he first tries to pass off his mistress to the rich Monsieur G.M. and then guffaws when his beggar friends make off with the pompous ass’s watch.
Into this decadent scene stumbles a shy and handsome student, so lost in reading a book he’s utterly oblivious to all the commotion. His name is Des Grieux.
The stagecoach finally arrives, with Manon in it. While still trying to fend off the old guy who was trying to pick her up during the voyage, she’s faced with her brother immediately trying to set her up with the lecherous monsieur G.M. No wonder her parents are sending her to a convent, men just can’t keep their hands off of her. Her fault?
To very delicate music, Manon tries to hold on to her liberty, her freedom to at least choose only one of these disgusting men whom her brother encourages. Lescaut’s mistress flashes lengths of perfect thigh. She wouldn’t mind being propositioned by any of the leftovers.
Then Manon’s eyes meet those of Des Grieux, the first and only man she will ever desire. After all those miming and stumbling old farts, here’s a man who really knows how to dance!
At the end of this scene, we are treated to the first of all the glorious pas de deux [duet]’s that all dance lovers associate with MacMillan: how can two bodies be taken to the limit of push-me-pull-you? The point of each of their duets in this ballet will be about how far you can go without breaking your ankle/wrist or fall down head-first while transmitting pure emotion. And each duet will end with the exquisite ways MacMillan will invent for the lovers to float back down off their high: literally ending up sweeping the floor — oh so deliciously — with their bodies.
The old guy returns only to discover that Manon has eloped with his purse and his carriage. Monsieur G.M. offers Lescaut even more money to find and bring him this tantalizingly frisky creature.

Scene two: in Des Grieux’s humble garret [at least it’s in Paris, not at some awful old dull country mansion].Des Grieux tries to write a letter to his father along the lines of “listen, this is a great girl, please send more money.” He’s from a good family, but doesn’t control his fortune yet.

In love, but bored by watching him write, Manon — to put it mildly — distracts him (see here Cléopold’s second by second analysis).

When he finally tears himself away in order to go mail the thing, Lescaut sneaks in with Monsieur G.M., who tantalizes her with all kinds of promises and jewels and even a fur-lined cape. What girl could resist? O.K., the guy seems to have some kind of foot fetish, but ballerinas have been all vaccinated against that old cliché since, like, forever.
Lescaut stays behind in order to rein in the understandable anguish of a horrified Des Grieux. And to try tempt him to listen to reason. “Why not let her suck that bloodsucker dry? We could all be rich!

INTERMISSION (20 minutes)

ACT TWO (46 minutes)
Scene one: an elegant evening chez a most shady lady
We saw her in the first scene, grandly sweeping along with Monsieur G.M. That was no lady.. .and not his wife either. “Madame” is actually what is known as a “Madam.” Those girls we saw with fans in the first scene were not ladies, but prostitutes.
Swords should be left at the door, but other metaphors may enter.
A very drunk Lescaut arrives, dragging along the reluctant and droopy Des Grieux. Lescaut’s ever-optimistic mistress gets caught – sideways – in the fun.
Manon enters, stunningly outfitted, and is carried aloft à la Marilyn Monroe by besotted customers to the creepy Monsieur G.M.’s proud delight.
Manon’s thoughtless vanity cannot at first be worn down by Des Grieux’s lovelorn glances. When he finally gets her alone, she makes it clear that she loves him, but not his poverty.
Manon tells him what to do: fleece G.M. by cheating at cards…Des Grieux may be cute, but he botches the job. Real swords are drawn. Taking advantage of the confusion, the lovers elope again.
Scene two: back at the garret
The lovers dance all over the bedroom as usual.
At one point, Manon realizes that she “forgot” to leave her jewelry behind…
Bad idea. G.M. knows where to find the love-nest and bursts in with a police escort, dragging along a bound and bleeding Lescaut. He threatens to have Manon arrested for theft and prositution. For the first time in her life, she must face the ugliness of the vengeful cruelty of which some men prove most inclined.

INTERMISSION (20 minutes)

ACT THREE (25 minutes)
Scene one: arrival in New Orleans
A shipload of unfortunate prostitutes have been deported to the New World. Des Grieux’s love knows no bounds: he got himself on the ship by pretending to be Manon’s husband and even seems oddly happy despite the circumstances.
Even broken in spirit and with a shorn head alas alas Manon, despite herself, still attracts unwonted attention.
Scene two: the jailor’s office
This one is gross. The jailor will give her privileges if she…and he forces her to do so. Des Grieux acts out the audience’s shock and kills this gloating perv.
Scene three: lost in the bayou
On the run with nowhere to go, the couple once again proves how love does not mean the same thing.  Des Grieux obstinately keeps sweeping his love aloft. Haunted by her memories, Manon — never a fighter to being with — dies of  exhaustion in the arms of her despairing lover. Manon is the epitome of a girl who gets completely burned out by the force of other men’s great expectations.

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