Humains, trop humains ?

cygne-rougeLe Lac des Cygnes  – Opéra-Bastille, soirée du 28 décembre 2016

Germain Louvet, nommé Étoile du ballet de l’Opéra de Paris à l’issue de la représentation du Lac du 28 décembre – pour sa deuxième prestation en Siegfried –, est de la lignée des princes longilignes. Ses jambes, presque trop graciles, font par éclat penser à celles d’un jeune poulain – lors des raccourcis seconde, notamment. En dehors de cela, rien de moins animal ni de plus humain que ce danseur. On peut trouver, parmi ses condisciples, celui qui semble un corps mu par l’esprit de manière seulement intermittente, un autre dont la danse est un rêve éveillé, ou encore un troisième dont le regard convoque d’insondables mystères. Rien de tout cela chez Louvet, qui est tout uniment présent, volontaire, tranchant. Sans secret ? Oui, mais pas sans présence : au contraire, le danseur sait remarquablement habiter une simple marche (début de l’adage de l’acte I) ou étirer jusqu’au bout des doigts un port de bras.

Pas de doute, c’est bien un prince – et pas une figure freudienne – qui est devant nous. Il imite les pas que lui enseigne son précepteur sans hésitation aucune, et on n’a jamais vu un Siegfried refuser ses prétendantes – les six malheureuses de la danse dite des Fiancées à l’acte III – de manière aussi abrupte. Cette clarté d’intention se manifeste également dans un certain empressement lors de la méditation qui clôt le premier acte. Bien des pas en sont pris comme en accéléré, presque sans respiration ; j’ai eu l’impression que ce n’était pas faute de technique – comme il arrive, par exemple, quand un danseur précipite un posé-renversé – ni  par défaut de sens de l’adage, mais par choix délibéré, pour marquer une quête, une tension. Je ne suis pas sûr d’adhérer à cette conception, mais elle marche, parce que Germain Louvet meuble intelligemment ses micro-temps d’avance, ralentit après avoir accéléré, rétablissant de manière inattendue l’équilibre musical. Cette habileté à retomber sur ses pattes lui sert aussi dans les variations plus virtuoses ; tout n’est pas parfait, mais rien n’est arrêté, grâce à une jolie science (ou bien est-ce un art ?) des pas de liaison.

J’ai déjà trouvé par le passé Ludmila Pagliero bien plus convaincante en jeune fille qu’en créature ou en esprit. C’est toujours le cas, mais cela n’enlève à la qualité de son Odette : la danseuse incarne une princesse emprisonnée dans un corps d’oiseau ; on sent l’élégance un rien précieuse, l’aisance en toutes occasions, percer sous le froufrou des bras en arrière. En Odile, elle fait preuve d’attaque, compensant des tours attitude un peu incertains par de très jolis équilibres, pour finir par une grisante provocation dans la diagonale de relevés arabesque/pas de bourrée qui clôt la coda.

On comprend que nos deux personnages principaux font bien la paire. Le partenariat marche – on est à égalité de noblesse – ; les lignes sont pareillement belles et étirées – comme on voit notamment lors de la partition gémellaire du quatrième acte. Tout cela est bel et bon, même si pour le Lac, ma préférence va à des interprétations plus tripales et poétiques.

Dès 19h29, comme Stéphane Lissner et l’essentiel de la direction du Ballet prenaient place dans la salle, on pouvait se douter qu’une nomination était dans l’air. Le plaisir d’assister à un tel événement ne s’émousse pas, d’autant qu’il a réservé un moment amusant – le danseur tardant à faire sien son nouveau statut, Karl Paquette le pousse en solo sur le devant de la scène. Il reste à la nouvelle Étoile à faire son chemin et toutes ses preuves. À part ça, Stéphanie Romberg fait une moue impayable quand son fils l’informe du choix d’une inconnue pour fiancée. Je ne souhaite à personne de devenir la bru de cette reine-là.

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