Giselle, Ballet de l’Opéra de Paris. Soirée du 8 juin 2016.
Au premier acte, ce qui frappe et séduit dans le couple formé par Ludmila Pagliero et Karl Paquette, c’est la clarté de la pantomime. Melle Pagliero est une Giselle enjouée, presque primesautière. Sa naïveté est pureté de cœur, mais ce n’est pas une petite dinde. Il faut voir les petites agaceries qu’elle destine à Albrecht, comme elle arrange sa robe sur toute la largeur du banc afin de se prévenir, momentanément, des ardeurs de son amoureux. Albrecht-Paquette, quant à lui, sait très bien jouer la badinerie face au jeu de fuite-évitement de sa partenaire (on reste un peu plus réservé sur la réactivité de ses pieds dans les cabrioles. Mais, après tout, Alu est là pour contenter l’œil dans ce département). Pendant la diagonale sur pointe, Ludmila Pagliero a les mains un peu lâchées. Ce qu’elle perd en « grand style », elle le gagne en véracité de sentiments. Sa Giselle a vraiment l’air d’être à la fois comblée d’être enfin autorisée à danser et un peu honteuse de se produire ainsi devant tout le village et l’homme de sa vie. Cet instinct dramatique sert parfaitement la danseuse pendant la scène de la Folie : vidée de son naturel, le visage prenant soudain les accents douloureux d’une piéta, Ludmila-Giselle entre dans une transe qui la porte presque vers les dangereux rivages du verbal. On s’étonne qu’elle ne cède à la tentation de crier pour de vrai. Elle semble s’effondrer et mourir plusieurs fois sous nos yeux. La dernière fois qu’elle se relève, on a le sentiment que ce n’est que sous l’emprise du sortilège de la reine des Wilis.
L’acte 2, commence sous de jolis auspices. Fanny Gorse, qui s’était faite remarquer cet hiver en illuminant le rôle plutôt ingrat de Rosaline de « Roméo et Juliette », se voyait donner sa chance dans le rôle de Myrtha, la reine des Willis. La jolie et longue ballerine nous a offert un bouquet de belles promesses. Après une entrée de piétinés un tantinet prudente, elle développe ses arabesques avec grâce tout en donnant, quand il le faut, du staccato à sa danse pour souligner l’autorité de son personnage. La délicatesse du travail de pieds vient ajouter, par contraste, un très joli vernis spectral à la Myrtha de Melle Gorse dans l’écrin velouté du corps de ballet. Tout cela a grande allure.
Ludmila Pagliero réapparait avec cette allure de madone qui avait été la sienne pendant la folie. La touchante figure rédemptrice semble souffrir encore du souvenir pénible de cet épisode qui a conduit à sa fin tragique. Techniquement, elle dépeint une ombre légère, crémeuse (car tout son travail est très silencieux) gardant néanmoins une consistance charnelle.
Hélas, on a un peu perdu Karl Paquette en route. Partenaire attentif capable également d’accomplir une belle série d’entrechats-six au moment crucial, il peine néanmoins à émouvoir. Est-ce la désagréable impression laissée par son attitude pendant la scène de la folie ? Car était-il nécessaire de poser son doigt sur sa bouche pour tenter d’empêcher Bathilde de confirmer les craintes de Giselle? donnant à Albrecht une apparence sinon de cynique, au moins égoïste. A l’acte 2, il s’affale pourtant beaucoup sur la tombe de Giselle. Mais la mort d’Hilarion nous a paru plus poignante que les larmes de ce prince. L’impression est confirmée lorsque le rideau se ferme sur la clairière aux premières lueurs de l’aurore. Karl Paquette est un prince qui part en remportant ses lys. Toujours mauvais signe….
Oh! je profite de ce billet toujours si limpide pour vous demander s’il y a plusieurs versions de la scène finale. Il me semble me souvenir d’un Le Riche quittant la scène avec sa cape, quand Ganio et Raveau restent seul au centre dans/de leur désespoir. Me trompé-je?
C’est en effet laissé à l’appréciation de l’interprète. Le final a d’ailleurs été remanié plusieurs fois depuis la création en 1841.
Personnellement, je n’avais pas apprécié cette sortie très « adulescente » de Le Riche.
Merci de votre réponse! J’avoue que j’aime l’idée qu’Albrecht sorte du rêve pour continuer sa vie… j’aime l’idée (que Le Riche montrait très très bien) qu’Albrecht « se réveille » du rêve à la fin, et dissocie donc sa vie en deux : d’une part le rêve et la mort, d’autre part la « réalité » et la vie – libre au spectateur de savoir où se trouve le « vrai » réel.
Cependant, le final de Mathieu Ganio m’a tellement bouleversée que je ne saurais en préférer un…
Dans la Version originale du ballet, Giselle disparaissait lentement dans les roseaux. Sa main seule visible désignait Bathilde à Albrecht, venue secourir son fiancé parjure avec Wilfrid. Ça, c’était du retour à la réalité. 😉
Sans rire, Sege Lifar a essayé de rétablir cette scène lors de la création de sa première production parisienne : flanelle totale! Pierre Lacote a prudemment décidé d’omettre cette conclusion dans sa reconstitution de la Giselle 1841.
Merci! Chacune de vos réponses est en soi une mine!
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