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L’encyclopédie du corps de Sasha Waltz

Vienne. Colonne de la Peste. 1693

Vienne. Pestsäule. 1693

Les Balletonautes se flattent d’avoir des correspondants aux quatre coins de la planète. Certains sont plus actifs que d’autres. Telle cette chroniqueuse viennoise qui vient d’envoyer une lettre après deux ans d’absence.

Cléopold s’est précipité pour l’ouvrir, sûr d’y lire la suite des aventures de Manuel Legris au pays de Sissi. Erreur, un compte-rendu de « Körper » de Sasha Waltz l’attendait dans l’enveloppe !

Cléopold oubliait que l’Autriche est également un fief de la danse contemporaine. Le festival international Impulstanz a lieu chaque été depuis 30 ans. Le Festspielhaus St Pölten programme saison après saison les artistes les plus prisés (Guillem, Bausch, Cherkaoui, Khan, Teshigawara etc). Vendredi dernier, notre correspondante était au Tanzquartier Wien où se côtoient chorégraphes expérimentaux et grands noms de la danse.

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Il y a le corps medium, celui qui s’oublie pour permettre au danseur de s’exprimer. Et puis il y a le corps physique fait de chair, de poids, de peau, de cheveux… C’est ce dernier que Sasha Waltz décortique de A à Z dans « Körper » (« corps » en allemand), pièce créée en 2000 qui sera suivie de deux autres sur le même thème.

SASHA WALTZ :

SASHA WALTZ : « Körper »
© Bernd Uhlig, Courtesy of Tanzquartier Wien

« Körper » fourmille d’images fortes qui font à raison la célébrité de ce ballet. Elles se télescopent entre elles pour former un portrait détaillé de notre enveloppe physique. La pièce est tranchée en deux par l’impressionnante chute d’un mur central qui devient un immense plan incliné. Après cette chute,  les corps s’assemblent et font … corps comme dans le « corps de ballet » classique. Ainsi cet instant bouleversant où un danseur marche lentement sur une vague humaine. Malgré ces deux parties, on ne trouve pas de fil conducteur directement lisible, plutôt des thématiques qui vont et viennent en se chevauchant.

Sasha Waltz nous présente le corps désincarné de l’âme qui l’habite. Membres sortant de trous dans le mur. Formes entassées telles des cadavres. Corps-pancartes demandant d’éteindre son téléphone portable. Corps-meubles qui chutent sur le sol à grand bruit. Corps transformables, monétisés par la chirurgie esthétique. Corps-troncs empilables. Corps soulevés par les plis de la peau. Corps mesurés et comparés. Cet aspect du corps fait frissonner et penser à l’univers carcéral ou aux horreurs de la guerre.

Parallèlement, Sasha Waltz se joue des apparences et manipule notre perception du corps. Les lois de l’apesanteur sont défiées lors du passage culte où une dizaine de danseurs en slips chair sont emprisonnés entre un mur à alvéoles et une vitre et évoluent lentement les uns sur les autres. Ce génial tableau vivant vaut à lui seul le déplacement. Plus tard, deux  danseurs reliés par un tube en tissu, nous présentent un corps absurde où le bas du corps pivote à volonté. Les rires fusent dans le public. Plus galvaudée, l’image d’un danseur à plusieurs bras fait toujours son effet.

SASHA WALTZ :

SASHA WALTZ : « Körper »
© Bernd Uhlig, Courtesy of Tanzquartier Wien

Sasha Waltz aborde également le corps comme support de la communication humaine qui s’extériorise grâce à la bouche (la parole) et aux mains (l’écriture). Elle arme ses danseurs de craies qui leur permettent d’orner le mur et le sol de manifestes ou bien de tracer des cercles parfaits à l’aide du seul bras. Elle fait raconter des histoires de la vie quotidienne, où le récitant montre des parties du corps différentes de celles qu’il nomme. Le langage n’est qu’une convention au regard de l’évidence physique du corps.

Comme la plupart des grandes œuvres, « Körper » n’impose pas de réponse ou de point de vue au spectateur. L’encyclopédie du corps qu’elle propose est multiple et complexe. Certes, on peut s’y perdre ou être dérouté. Mais Sasha Waltz a compris qu’il ne pouvait en être autrement avec un sujet qui touche à l’intime et à la perception de nous-même.

SSASHA WALTZ :

SASHA WALTZ : « Körper » © Bernd Uhlig, Courtesy of Tanzquartier Wien

Körper –mise en scène et chorégraphie de Sasha Waltz ; musique de Hans Peter Kuhn ;  interprétation par la  Compagnie Sasha Waltz & Guests ; scénographie de Thomas Schenk, Heike Schuppelius et Sasha Waltz ; lumières de Valentin Gallé et Martin Hauk ; costumes de Bernd Skodzig ; Présenté le 15 et 16 octobre 2015 au Tanzquartier Wien http://www.tqw.at (Autriche) ; Une coproduction avec le Théâtre de la Ville Paris.

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Roméo et Juliette by Sasha Waltz: We Are All Fools In Love

Romeo et Juliette, Sasha Waltz

May 20, 2012: Aurelie Dupont, Herve Moreau, Nicolas Paul

Last time I wrote, I thought about spinning around and around in circles until dizziness and giggles set in. Well, it is absolutely true that spinning makes you silly, but what happens when an outside force gives you the same feeling? What do you normally do then? If you think waaaaaay back to your very early years, you might remember being wiggly and squirmy when happy (or maybe this was just me, in which case I may be oversharing). I don’t think this ever completely goes away. To this day when something makes us incredibly happy we do little twists or jumps or kicks. Finishing a great book, or during a movie at the big moment, don’t you do a happy dance, even if it’s just a little head bobble? Sasha Waltz understands this, and for that reason, I loved Romeo and Juliette.

Romeo and Juliette are supposed to be, essentially, kids, so while most traditional representations rely on the dancers’ acting ability to portray youth and first love through classical steps, here it didn’t matter too terribly much. The steps were childish happy ones for childish happy characters. Waltz turned giddiness into choreography, and I don’t think you could help but recognize that and see yourself in the characters’ joy. You make those movements yourself when you’re that happy, and so you know exactly how ecstatic the characters are. For that reason, the last pas de deux between the two of them, when the choreography is repeated, but weakly on Romeo’s part and even more exuberantly on Juliette’s, was truly heartbreaking. Instead of having Juliette wake up to a dead Romeo, Waltz gives them a good five minutes of joy upon seeing each other again. They dance like they did the night they fell in love below Juliette’s balcony. She’s so happy their plan worked and has no idea that anything is amiss until Romeo, who has been trying to fight off the effects of the poison to spend just a few more moments with Juliette, grows too weak to lift her and only then does she realize something is wrong. When he dies in her arms, there’s absolutely no hesitation from her when she decides that she can’t live without him. It’s not terribly dramatic, she doesn’t take forever to do it, there’s no big ‘oh happy dagger’ moment because everything has already been said and understood.

Deliberation would be too adult of an action for these two; they’re just children in love who don’t see the point in anything else. He dies, she stabs herself, we (the adults in the audience who do understand the immaturity of their actions) cry. We cry for the characters’ sadness, for children needlessly dead, and, maybe, we cry because we want to feel that level of joy again, even if the price is the same level of sorrow. Through simply wiggling, Sasha Waltz made us relate to and even feel what the characters felt, but we remained ourselves. We cannot escape our own minds and lives completely, but the characters do. They abandon everything and leave us here. I think part of our collective tears was a longing to be kids in love again.

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Hervé Roméo à l’assaut du mur qui glisse

Roméo et Juliette : chorégraphie de Sasha Waltz (2007) ; musique d’Hector Berlioz (Symphonie dramatique opus 17, 1839). Opéra national de Paris, 12 mai.

Direction musicale : Vello Pähn. Chant : Stéphanie d’Oustrac, Yann Beuron, Nicolas Cavallier. Danse : Hervé Moreau, Aurélie Dupont, Nicolas Paul.

Sasha Waltz a fait des choix curieux pour mettre en images la symphonie dramatique d’Hector Berlioz : le noir et blanc, la géométrie, l’épure de la matière brute. Au bout de 100 minutes de spectacle, on se demande si la froideur – qui semble s’étendre même à la direction musicale et aux couleurs de l’orchestre, sans parler des hideuses coiffes rectangulaires des chœurs  – n’est pas voulue.

Tout pourtant dans la partition déborde de passion. Et à part dans la longue scène finale de réconciliation entre les deux familles, qui relève de l’oratorio, l’expression chorégraphique peut y avoir champ libre. Pour les scènes les plus célèbres, la parole a été laissée à l’orchestre : « la sublimité de cet amour en rendait la peinture si dangereuse pour le musicien, qu’il a dû donner à sa fantaisie une latitude que le sens positif des paroles chantées ne lui eût pas laissée, et recourir à la langue instrumentale, langue plus riche, plus variée, moins arrêtée et, par son vague même, incomparablement plus puissante en pareil cas », explique Berlioz. La force évocatrice de la danse pourrait donc bien se lover harmonieusement là-dedans.

Las! Vague ne veut pas dire informe. Sans doute pour tirer l’histoire vers l’universel, Sasha Waltz s’éloigne de la narration sans la quitter tout à fait, et tend vers l’abstraction sans s’y plonger vraiment. On reste donc dans un entre-deux peu satisfaisant. Thierry Malandain, qui s’est lui aussi appuyé sur Berlioz pour son Roméo et Juliette, avait fait le choix de démultiplier le couple mythique en presque autant de paires que compte sa troupe. Son histoire devenait celle de l’apprentissage de l’amour. Elle y perdait en singularité et en émotion, y gagnait en sensualité et variété. Malandain conservait cependant les péripéties auxquels Mercutio, Benvolio et Tybalt sont mêlés. Ce n’est pas le cas chez Waltz, où l’histoire est condensée en signes, véhiculés par la lumière, les changements de l’espace (le sol qui devient mur, sommet inaccessible pour Roméo en peine), une traînée noire sur le corps (le poison), ou les cailloux sous lesquels on commence d’enterrer Juliette. Ça et là, on voit passer une idée d’ami de Roméo, une ellipse de père Capulet (à moins que ce ne soit Pâris ?), une esquisse de début d’intrigue secondaire. Mais rien qui saille vraiment. Le corps de ballet est très présent, mais on peine souvent à dégager son rôle, et au final, le seul – en dehors du trio Roméo/Juliette/Père Laurence –, à avoir droit à une incarnation différenciée est Yann Beuron, qui chante-danse le scherzo de la reine Mab. La scène de fête est vue d’un œil si distancié – on se rue sur le buffet, on danse en laid tutu doré, on sautille jambes parallèles – que ne s’en dégage que de la tristesse.

Le ballet de Waltz est, au moins, l’occasion du très attendu retour sur scène d’Hervé Moreau, danseur souverain qui parvient même à voler des sourires à Aurélie Dupont.

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