Roméo et Juliette : chorégraphie de Sasha Waltz (2007) ; musique d’Hector Berlioz (Symphonie dramatique opus 17, 1839). Opéra national de Paris, 12 mai.
Direction musicale : Vello Pähn. Chant : Stéphanie d’Oustrac, Yann Beuron, Nicolas Cavallier. Danse : Hervé Moreau, Aurélie Dupont, Nicolas Paul.
Sasha Waltz a fait des choix curieux pour mettre en images la symphonie dramatique d’Hector Berlioz : le noir et blanc, la géométrie, l’épure de la matière brute. Au bout de 100 minutes de spectacle, on se demande si la froideur – qui semble s’étendre même à la direction musicale et aux couleurs de l’orchestre, sans parler des hideuses coiffes rectangulaires des chœurs – n’est pas voulue.
Tout pourtant dans la partition déborde de passion. Et à part dans la longue scène finale de réconciliation entre les deux familles, qui relève de l’oratorio, l’expression chorégraphique peut y avoir champ libre. Pour les scènes les plus célèbres, la parole a été laissée à l’orchestre : « la sublimité de cet amour en rendait la peinture si dangereuse pour le musicien, qu’il a dû donner à sa fantaisie une latitude que le sens positif des paroles chantées ne lui eût pas laissée, et recourir à la langue instrumentale, langue plus riche, plus variée, moins arrêtée et, par son vague même, incomparablement plus puissante en pareil cas », explique Berlioz. La force évocatrice de la danse pourrait donc bien se lover harmonieusement là-dedans.
Las! Vague ne veut pas dire informe. Sans doute pour tirer l’histoire vers l’universel, Sasha Waltz s’éloigne de la narration sans la quitter tout à fait, et tend vers l’abstraction sans s’y plonger vraiment. On reste donc dans un entre-deux peu satisfaisant. Thierry Malandain, qui s’est lui aussi appuyé sur Berlioz pour son Roméo et Juliette, avait fait le choix de démultiplier le couple mythique en presque autant de paires que compte sa troupe. Son histoire devenait celle de l’apprentissage de l’amour. Elle y perdait en singularité et en émotion, y gagnait en sensualité et variété. Malandain conservait cependant les péripéties auxquels Mercutio, Benvolio et Tybalt sont mêlés. Ce n’est pas le cas chez Waltz, où l’histoire est condensée en signes, véhiculés par la lumière, les changements de l’espace (le sol qui devient mur, sommet inaccessible pour Roméo en peine), une traînée noire sur le corps (le poison), ou les cailloux sous lesquels on commence d’enterrer Juliette. Ça et là, on voit passer une idée d’ami de Roméo, une ellipse de père Capulet (à moins que ce ne soit Pâris ?), une esquisse de début d’intrigue secondaire. Mais rien qui saille vraiment. Le corps de ballet est très présent, mais on peine souvent à dégager son rôle, et au final, le seul – en dehors du trio Roméo/Juliette/Père Laurence –, à avoir droit à une incarnation différenciée est Yann Beuron, qui chante-danse le scherzo de la reine Mab. La scène de fête est vue d’un œil si distancié – on se rue sur le buffet, on danse en laid tutu doré, on sautille jambes parallèles – que ne s’en dégage que de la tristesse.
Le ballet de Waltz est, au moins, l’occasion du très attendu retour sur scène d’Hervé Moreau, danseur souverain qui parvient même à voler des sourires à Aurélie Dupont.