English National Ballet, London Coliseum, soirée du 20 janvier 2018
Le Jeune Homme et la Mort peut-il traverser le Channel ? A priori, oui – les œuvres sont faites pour voyager, et Roland Petit a bien créé sa Carmen à Londres – mais j’avais des doutes. Le livret de Cocteau, les décors de Wakhévitch, les costumes de Karinska, et le souvenir de Babilée ne sont-ils pas consubstantiellement liés à Paris ? Ou bien au contraire, cette création de 1946 est-elle suffisamment puissante pour transcender ses origines ? La production de l’English National Ballet ne permet pas de trancher. Elle est peut-être un peu trop léchée – l’atelier ne fait pas trop miteux, et la salopette du peintre est bien proprette. Mais c’est surtout l’interprétation d’Isaac Hernández qui peine à convaincre. Le danseur, peu crédible en peintre torturé, fait de sa partie une succession de sauts de bravoure, là où l’on devrait sentir impatience, angoisse et désespoir. Il danse joli dans une œuvre où il ne faut pas faire joli ; il est constamment sur le temps alors que musique et mouvement ont été conçus indépendamment. Begoña Cao a beau faire tout ce qu’elle peut pour sadiser sa gentille victime frisée, ça devrait sentir la Gauloise sans filtre, et ça respire le mentholé.
La Sylphide de Bournonville pose à la compagnie de Tamara Rojo un problème similaire : l’esthétique précieuse et précise du chorégraphe, consciencieusement préservée par le ballet national du Danemark, est-elle exportable ? Pour le spectateur parisien, cette version pâtit incontestablement de la musique d’Herman Severin Løvenskiold, parfois si lourdement flonflon qu’elle a un effet antidramatique (notamment au moment où James passe le voile empoisonné autour des bras de l’être ailé). La narration, très linéaire, et la pantomime un rien surannée – que s’approprient bien les danseurs de l’ENB –, composent un ensemble au charme désuet. Mais le style Bournonville est plus à l’aise dans une bonbonnière à l’italienne (la vieille scène du théâtre de Copenhague ou celle de Covent Garden) que dans le grand auditorium à la décoration pompière du Coliseum. Alors que comme l’explique très bien Johan Kobborg, « less is more » chez Bournonville, ici, les danseurs donnent l’impression de devoir au contraire en faire plus pour remplir l’espace. C’est visible notamment chez Aaron Robison, James à la chevelure rebelle, qui avale ses variations forte – avec propreté et élévation – mais sans s’adresser à personne sur scène. De son côté, Jurgita Dronina fait trop humaine en Sylphide : elle compose une toile pleine là où voudrait une dentelle aérée. En première sylphe, Precious Adams régale de quelques développés suspendus – sans doute trop hauts pour August, mais bien jolis – et par moments, mais pas tout le temps dans l’acte blanc, le corps de ballet féminin a le maniérisme qu’il faut. À un de ces moments-là, j’ai trouvé la réponse à mes questions : oui, tous les ballets peuvent s’acclimater ailleurs ; il leur faut juste un port d’attache qui leur convienne.