Fille de cristal et poète lunaire…

P1050181Soirée du 13 juillet

Mélanie Hurel, qui avait déjà dansé le rôle-titre de La Sylphide en 2004, a passé par un long purgatoire avant d’obtenir finalement trois dates aux côtés de Mathias Heymann. On peut certes se réjouir mais, étant d’esprit chagrin, je me contenterai de déplorer toutes ces années de demi-emplois  et de chances données au compte-gouttes à des artistes de talent qui, mieux dirigés, auraient été de brillantes étoiles. Le nom de Mélanie Hurel rejoint ceux de Stéphane Phavorin ou de Christophe Duquenne, voire celui d’Alessio Carbone, cantonné, on se demande pourquoi, dans les rôles courts du répertoire. Et ne prononçons pas le nom d’Emmanuel Thibault… Non, Non !

Car Mélanie Hurel fut une délicieuse sylphide au phrasé extrêmement personnel. Ballerine aux qualités minérales, elle eût pu se retrouver hors-sujet dans une chorégraphie qui érige comme règle le plié moelleux et le travail de pointe par quart de ton. Mais Mélanie Hurel, danseuse de cristal, a d’autres armes. Au premier acte, elle fut la plus spectrale des créatures vues lors de cette reprise. Sa rapidité d’exécution alliée au suspendu de certains équilibres sur pointe faisait d’elle une cousine facétieuse de Giselle au IIe acte du ballet éponyme. Son James (Mathias Heymann) donnait vraiment l’impression de rêver tout éveillé. Très en retrait avec Obratzova, le danseur trouvait ici le ton juste. Il dépeignait un James qui a le sentiment de ne pas appartenir à ce monde – et n’était-ce pas le cas des artistes romantiques qui aspiraient à appartenir au grand monde quand ils étaient issus pour la plupart de la petite bourgeoisie?

La Sylphide Hurel ne doutait jamais vraiment de son emprise sur le jeune poète-paysan. Dans la scène du rejet, elle mettait certes sa tête dans ses mains, mais on pouvait imaginer clairement ses jolis yeux, scrutateurs, attendant avec curiosité le moment où James céderait enfin. La fraîche Effie de Muriel Zusperreguy n’avait aucune chance face à ce charmant reflet élusif, ce qui la rendait encore plus touchante.

Au deuxième acte, Mélanie Hurel a continué sur le registre de la prestesse pour évoquer cette créature fuyante qu’est la sylphide. À aucun moment on ne voyait un arrêt dans sa danse. Même ses équilibres avaient une qualité flottante. Ses jupes vibraient comme les ailes irisées de quelque libellule. James-Mathias, sorti de son contexte social, semblait tout à coup être dans son véritable élément. Sa batterie était aiguisée comme les lames d’un couteau. Le garçon lunaire s’était mué en un ardent chasseur de papillon.

Toute cette fougue, cette joie dans un froufroutement étouffé de tulle a enfin pris une dimension tragique lorsque les ailes de la Sylphide sont tombées. Mélanie Hurel nous a offert sans doute la plus touchante mort de cette saison. Elle est la seule qui, dans un dernier port de bras désespéré de la Sylphide a introduit des volutes évoquant le liseron, cette plante grimpante dont elle est couronnée et dont les fleurs se flétrissent au bout d’une journée. La fille de cristal, la libellule irisée, retrouvait in extremis sa condition végétale.

Lorsque, moqué par la sorcière, James-Mathias s’est écroulé au sol, il l’a fait au ralenti, comme si sa chute se faisait depuis les hauteurs vertigineuses de l’astre lunaire. C’est au moins de ces hauteurs que doit avoir lieu l’effondrement désillusionné d’un poète.

3 Commentaires

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3 réponses à “Fille de cristal et poète lunaire…

  1. Noor

    Un fort joli article pour joliment clore la saison… merci encore de tous ces compte-rendus, entre escarboucles et escarmouches, en espérant le meilleur de la saison à venir.

    • Cléopold

      Merci, Noor! Je suis très touché.
      Mais à vrai dire, notre saison n’est pas tout à terminée. Il reste un article à paraître en anglais sur la Sylphide d’Amandine Albisson ainsi qu’un compte rendu sur la série des Don Quichotte du ballet de Vienne. Sans compter bien sûr les Balletos d’or 2013…
      😉

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