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A Toulouse. La Sylphide de Bournonville : de la terre aux cieux

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La Sylphide, Acte 2. Ballet du Capitole. Photographie David Herrero.

Aujourd’hui considérée comme la plus authentique des versions de ce ballet, car représentée sans interruption depuis sa création, La Sylphide de Bournonville suscitait des sentiments plus que mitigés chez son créateur. Dans son autobiographie « Ma vie de Théâtre », August Bournonville ne lui fait même pas l’honneur d’un chapitre dédié. Le ballet apparaît comme une digression dans un chapitre sur un autre ballet qui pourtant fit un four, « Don Quichotte aux noces de Gamache » (deux représentations). Si dans l’espace de cette vingtaine de lignes Bournonville vante les mérites de son œuvre – notamment la place de James qui n’est pas qu’un « piédestal » pour la ballerine – et sa longévité au répertoire, il conclut en écrivant : « La Sylphide a été pour moi ce qu’elle a été pour James : un mauvais ange dont l’haleine empoisonnée a exercé son influence sur toute les plantes qui poussaient sur mon chemin, et qui ne marchait pas légèrement sur les feuilles qu’elle écrasait et détruisait ».

C’est que le chorégraphe s’était attiré en créant cette Sylphide une tenace réputation de plagiaire.  Créée en 1836 quand celle de Taglioni date de 1832, la Sylphide suit presque à l’identique le scénario original d’Adolphe Nourrit. Elle en diffère cependant substantiellement dès qu’il s’agit de la musique (le chorégraphe n’avait pu obtenir les droits de la musique de Schneitzhöffer et commanda donc une partition originale au jeune Løvenskiold), de la durée (beaucoup plus resserrée ; certains parleront de concision, car il y a moins de place pour le pur divertissement que dans la version parisienne) et bien sûr de la chorégraphie.

Telle qu’elle se présente aujourd’hui, justement car elle a été créée pour une compagnie qui, à l’époque, ne pouvait rivaliser avec la grande machine qu’était déjà l’Académie royale de Musique, La Sylphide de Bournonville est idéale pour des compagnies classiques de taille moyenne comme le ballet du Capitole qui compte aujourd’hui 35 danseurs avec les supplémentaires.

Le Capitole fait d’ailleurs entrer à son répertoire une production appartenant à sa parèdre bordelaise.

On n’avait vu cette version avec le ballet de Bordeaux que sur le petit écran, lors d’une retransmission à l’époque du second confinement. On avait apprécié alors le décor de l’acte 1, sorte de grange à clairevoie en perspective forcée laissant deviner la forêt, source de rêveries pour le héros principal James, la métaphore des pistils de pissenlits symbolisant la légèreté et la fragilité de la Sylphide (et remplaçant les vols à filins de productions plus dispendieuses) ainsi que la forêt un tantinet fantomatique de l’acte 2. Dans un théâtre, on réajuste parfois son jugement. La clairevoie rend les apparitions de la Sylphide un peu prosaïques puisqu’on voit par exemple la danseuse se placer sur son estrade avant de se matérialiser à la fenêtre. On se dit qu’un petit mécanisme simple pour que les huisseries s’ouvrent sans le concours des mains de l’elfe aurait favorisé l’illusion de l’immatérialité des interprètes du rôle-titre. À l’inverse, lors de la retransmission filmée, on avait été gêné par les rampes à décors posées au sol pendant la scène des sorcières qui ouvre l’acte 2 alors qu’ici cela ne nous a pas marqué et que la lente montée des toiles de la forêt qui s’ensuit nous a paru poétique.

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Globalement, le ballet du Capitole fait honneur à cette Sylphide remontée par la danoise Dinna Bjorn Larsen, qui interpréta jadis le rôle-titre. À l’acte un, on apprécie les très jolies danses de caractère bien réglées et surtout bien accentués. La gigue à la fin de l’acte 1 recueille particulièrement les suffrages de la salle : les garçons y ont du feu et les filles de la grâce. Durant l’acte 2, le corps de ballet féminin, dont les évolutions sont moins développées que dans la version Lacotte-Taglioni, est ce qu’il faut mousseux tout en restant fidèle aux bras plus stéréotypés du style Bournonville.

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La Sylphide. Nancy Osbaldeston dans le rôle d’Effie. Photographie David Herrero.

Lors de la soirée du 21 octobre, la seconde distribution des rôles principaux est néanmoins assez inégale. On est conquis par l’Effie de Nancy Osbaldeston qui a le bas de jambe alerte et spirituel et un ballon conséquent. Elle dépeint une fiancée vive et joyeuse chez qui les doutes sur l’attachement de son promis ne sont que subreptices. On est également séduit par le Gurn d’Alexandre De Oliveira Ferreira qui enlève son petit bout de variation de l’acte 1 avec gusto. Son jeu pourrait cependant être peaufiné. Sa pantomime est expressive mais son positionnement face à James et Effie – il aime la jeune fille mais doit organiser son mariage avec son rival – n’est pas toujours très lisible.

En James, Rouslan Savdenov développe une belle batterie et un haut de corps très Bournonville, surtout à l’acte 1, mais son jeu est quelque peu carton-pâte. Dommage, notamment lors de ses confrontations avec la Sorcière Madge de Simon Catonnet, au regard incandescent, aux colères véhémentes, incarnation à la fois sardonique et poignante du destin. Dans la scène de l’écharpe de l’acte 2, l’interprétation de la pantomime « oh mais j’ai des sous ! » frise même l’effet de comique involontaire.

Et la Sylphide ? Celle de Bournonville est essentiellement différente de celle de Taglioni. Le chorégraphe, formé par son père Antoine et par Auguste Vestris, dieu de la danse, venait d’un monde où les techniques masculines et féminines étaient de même nature avec, de fait, un avantage certain pour les hommes au ballon plus notable que celui de beaucoup de femmes. Filippo Taglioni avait créé la surprise à Paris en créant une danse essentiellement féminine. Il y avait les pointes bien sûr ; mais surtout, il y avait un accent mis sur la simplicité d’effets, sur les équilibres et la technique planée à laquelle Bournonville est resté globalement hermétique toute sa vie. Dans sa Sylphide, le vocabulaire féminin reste très proche de celui des hommes. Il y a de la petite et de la grande batterie : beaucoup de brisés, de cabrioles battues, des chassés-posés-jetés en attitude. Ce que la danseuse n’a pas en ballon, elle doit le compenser par la prestesse et la légèreté des réceptions. Interprété comme il faut, une sylphide  de Bournonville doit ressembler à un colibri insaisissable quand celle de Taglioni est un ange qui passe.

Or, dans le rôle de la Sylphide, Alexandra Surodeeva, qui minaude beaucoup (notamment dans la scène d’introduction avec James enfant), met trop l’accent sur la ligne (qui est belle) et pas assez sur la délicatesse technique. Sa danse est pesante et sonore. Ses remontées sur pointe sont trop sèches donnant une image trop charnelle de son personnage. Pour voir des sylphides, il fallait donc se concentrer sur le corps de ballet et particulièrement sur le duo formé par Tiphaine Prevost et Nina Queiroz : leurs sylphides étaient à la fois ciselées et vaporeuses.

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La Sylphide. Alexandra Surodeeva. Photographie, David Herrero.

Lors de cette première soirée, on s’est donc plus concentré sur le drame bourgeois (Effie, Gurn, la sorcière), une spécialité de Bournonville, que sur la féérie et sur l’aspect métaphorique du ballet.

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La matinée du 22 octobre fut d’un tout autre acabit. Elle commençait pourtant par une déconvenue puisque la nouvelle directrice de la compagnie, Beate Vollack, est venue annoncer avant le lever du rideau que Natalia de Froberville ne pourrait pas danser le rôle-titre. Quel dommage, pensait-on. Avec sa technique facettée, son ballon naturel et sa délicatesse, la danseuse étoile de la compagnie était la candidate idéale pour évoquer Lucile Grahn, la créatrice du rôle.

Mais sa remplaçante, Kayo Nakazato, prévue initialement en troisième distribution aux côtés de Philippe Solano (une autre source de regrets pour nous ; ne pas assister aux débuts de l’ardent interprète) a su nous conquérir. Toute en prestesse et en douceur, on sait, dès la scène d’ouverture derrière le rideau translucide que la ballerine saura trouver le bon ton. Les sauts de Kayo Nakazato sont silencieux et sa batterie est claire. Surtout, sa musicalité est impeccable ; elle semble littéralement dialoguer avec la musique, ce qui aide également à la compréhension de la pantomime : la scène des pleurs à l’acte 1, « Je suis triste… Je suis effondrée – tutti d’orchestre – Mais non ! C’était pour rire ! Viens jouer maintenant », est jouissive.

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La Sylphide. Kayo Nakazato. Photographie David Herrero.

Le cou de la danseuse est libéré et sa tête oscille comme une fleur sur sa tige tandis qu’elle exécute les intriqués petits pas de batterie bournonvilliens. On se reconcentre sur le haut du corps tandis que la veille, on avait les yeux rivés au plateau. Les équilibres de la danseuse sont modulés, flottants, jamais plantés dans le sol.

En James, Ramiro Gómez Samón est à l’unisson. Sa pantomime enflammée rend dramatique sa confrontation avec la sorcière impressionnante de charisme de Jérémy Leydier. Ses variations sont pures comme le cristal et sous tendues d’une énergie fiévreuse.

La scène de l’anneau, à la fin de l’acte 1, dépeint à merveille les tergiversations et l’agitation amoureuse qui traversent James quand la Sylphide l’entraîne vers les bois.

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La Sylphide. Ramiro Gómez Samón (James). Photographie, David Herrero.

Durant ce premier acte, les rôles secondaires viennent également soutenir l’intérêt de l’action. En Gurn, Kléber Rebello nous offre un Gurn tourmenté, qui essaie de faire bonne figure bien qu’écartelé entre les solidarités familiales et son amour pour Effie. Sa courte variation surtout est un plaisir des yeux. Ses posés-jetés en attitude sont aériens et ses réceptions sont d’un moelleux absolu. Sa musicalité est impeccable. Tiphaine Prévost est quant à elle absolument touchante en Effie. À la différence de Nancy Osbaldeston, son Effie semble avoir la prescience de son malheur. La petite pointe d’acidité de son bas de jambe dans ce rôle la distingue de la Sylphide. Son désespoir lorsqu’elle se voit délaissée laisse imaginer ce que pourrait être sa scène de la folie dans Giselle. On est captivé et ému.

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La Sylphide. Kléber Rebello (Gurn). Photographie, David Herrero.

L’acte 2 est le juste prolongement de l’acte 1. Dans son royaume Sylphide-Nakazato, toujours aussi mousseuse, séduit. On note sa charmante pantomime du papillon avec James, chasseur ardent, qu’on n’avait pas comprise la veille. Marlen Fuerte, à qui on avait trouvé la veille une autorité plus digne de Myrtha que d’une première Sylphide, s’intègre désormais parfaitement, avec sa belle ligne noble, dans ce tableau des elfes. On remarque aussi que Nancy Osbaldeston serait finalement une bien jolie Sylphide, avec sa danse très onctueuse. On flotte littéralement dans le bonheur.

La rupture de cette félicité lors de la scène de l’écharpe n’en est que plus dramatique. Dès que James la noue autour des bras de la Sylphide, Kayo Nakazato fait ressentir la douleur de son personnage. Les ailes tombent du tutu. On avait regretté la veille l’absence d’interaction avec ces appendices perdus comme dans la version Lacotte-Taglioni. Ici, elles ne choient que lorsque la Sylphide est exactement au centre de la scène, sur le point de mourir ; il y a des jours où il est dit que tout doit tomber en place. La confrontation finale de James-Gómez Samón avec la vengeresse et implacable Madge-Leydier est saisissante. L’effondrement du héros évoque une crise cardiaque. On se prend à penser que la petite lumière vacillante qui grimpe dans les cintres n’est autre que l’amour conjugué des deux héros et non pas seulement l’âme de la Sylphide foudroyée.

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Ballet de Bordeaux : la jolie Sylphide de Bournonglioni

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La Sylphide à Bordeaux. Acte 1. Copie d’écran.

En attendant – et pour tout dire en n’osant plus trop espérer – la réouverture des théâtres, la saison chorégraphique se poursuit derrière les écrans. Eric Quilleré, directeur du ballet de Bordeaux, comptait poursuivre son travail d’ouverture du répertoire à de solides productions classiques ou néoclassiques en y faisant rentrer la Sylphide d’Auguste Bournonville, l’un des plus anciens ballets du répertoire représenté sans discontinuité avec sa chorégraphie « d’origine » (dans le monde du ballet, c’est une expression qu’il faut toujours mettre entre guillemets). L’entrée au répertoire s’est faite, mais sans public dans la salle. La compagnie a accompli toutes ses soirées devant un parterre et des loges vides. Une retransmission de la dernière était prévue en direct le 29 décembre dernier. On s’est mis devant son écran, les danseurs étaient tous rassemblés sur le plateau dans les décors de la maison de James mais absolument pas en ordre de bataille. Cette déroute allait être expliquée par un commentaire laconique défilant en bandeau. Un cas positif au Covid dans la compagnie  mettait un terme aux modestes joies anticipées du direct. La fin d’année annonçait cruellement les grisailles de la suivante…

Qu’à cela ne tienne, le ballet de Bordeaux a décidé d’assembler les images filmées en préparation de cet événement qui ne fut pas et de les présenter en visionnage unique sur sa page youtube. On a pu ainsi découvrir la jolie production originale créée pour la compagnie par Ramon Ivars (décors et costumes) et Jean-Michel Désiré (lumières).

Lors d’un prologue charmant, James et Effie enfants s’amusent à souffler sur des pistils de pissenlits qui préfigurent les vols de la sylphide (qu’on ne verra pas comme dans la version Taglioni-Lacotte, la machinerie étant limitée à la fuite par la cheminée à l’acte 1) et qu’on retrouvera au moment de l’apothéose funèbre du ballet. Au premier acte, la demeure de James tient plus de la grange, avec ses planches à claire-voie en perspective oblique, que de la maison. Cela donne une double impression des aspirations de James : le désir d’ailleurs (le ciel derrière les planches) et l’envie de s’élever (la perspective forcée).  Pour l’Acte 2, Ramon Ivars emprunte aux semi-transparences prisées jadis par Jürgen Rose pour créer une forêt fantomatique à peine plus matérielle que les sylphides qui la peuplent. Seul petit bémol, on ne goûte guère le changement à vue un peu chiche, avec perches apparentes, qui fait la transition avec la scène des sorcières. Mais peut-être est-ce le fait d’une captation somme toute en devenir.

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La Sylphide, décor de l’acte 2. Copie d’écran.

La chorégraphie de Bournonville est délivrée avec aisance, sans raideur ni affectation par les danseurs bordelais. La batterie des garçons est belle. Niven Ritmanic, dans le rôle du second couteau, Gurn, rôle uniquement mimé dans la version Lacotte-Taglioni, attire le regard dès qu’il pose le pied sur scène. Il enlève son unique variation de l’acte 1 avec une calme et crâne assurance. Riku Ota, James, – à défaut d’avoir beaucoup de présence et de projection dans les passages pantomimes – a lui aussi un ballon impressionnant et une batterie claire comme le cristal. Ses épaulements sont d’une grande justesse.

En termes de style, si les jambes prononcent Bournonville sans accent et si l’élocution est fluide, il semble que Dina Bjørn, la répétitrice de production, n’ait pas insisté sur les bras ; et c’est pour le meilleur. En effet, le plus souvent, quand je vois la Sylphide de Bournonville, j’ai l’impression que tout est centré sur le danseur masculin et que le ballet devrait s’intituler « James ». Or, à l’acte 2 de la production bordelaise, je n’ai pas eu cette sensation. Sans doute le gommage du haut de corps un peu figé de l’école danoise, qui attire l’œil sur le travail des pieds et rend l’idée de volètement moins plausible, y est pour beaucoup.

Ici, les sylphides ont des bras moelleux bien que sans fioritures inutiles. Ils sont très « Lacotte-Taglioni » en somme. Laure Lavisse en première sylphide, qui prenait sa retraite sur cette production, est un parfait exemple des qualités de la troupe dans le ballet.

Avec Vanessa Feuillate, savoureuse, dotée d’un ballon naturel, le titre du ballet – La Sylphide, avec deux majuscules – reprend tout son sens. Sa danse a une qualité mousseuse mais aussi une certaine aura sensuelle. Il y a un parfum à sa danse et ce n’est pas celui du pissenlit. Imaginez plutôt les fragrances à la fois denses et acidulées d’un rosier ancien inerme…

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La Sylphide. Ruki Ota (James) et Vanessa Feuillate (La Sylphide). Copie d’écran.

Seul petit bémol à cette soirée, la réalisation qui s’est faite une spécialité du gros plan à contre-temps. Quantité de détails dramatiques importants passent ainsi à l’as aussi bien à l’acte 1 qu’à l’acte 2. À ce petit jeu de massacre, Alvaro Rodriguez Piñera parvient à tirer son épingle du jeu tant sa Sorcière Marge fait feu de tout bois. C’est Gloria Swanson dans Sunset Boulevard. Mais Effie, la charmante Anna Guého, en souffre davantage. La rencontre dans les bois où elle finit par céder aux avances de Gurn sous les auspices de la sorcière en fait particulièrement les frais.

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Alvaro Rodriguez Pinera (Madge, la sorcière) et Ruki Ota (James)

Mais ce n’est finalement qu’un détail. Telle qu’elle se présente, cette captation de la Sylphide donnera tout de même envie de faire le voyage à Bordeaux lorsque, par des temps meilleurs, la compagnie reprogrammera ce ballet pour un public déconfiné.

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