Kenneth MacMillan – A National Celebration – Soirée du 18 octobre 2017 – Royal Opera House
En cette seconde partie d’octobre, six compagnies de danse du Royaume-Uni commémorent le vingt-cinquième anniversaire de la mort de Kenneth MacMillan, à travers cinq programmes de danse présentés à Covent Garden (trois dans la grande salle, deux dans un petit studio perché dans les étages). La première soirée réunissait deux piliers du répertoire – Concerto et Elite Syncopations – et une rareté, Le Baiser de la Fée (1960), recréé pour le Scottish Ballet.
Créé en 1966, peu après la prise de fonction de MacMillan à la tête du ballet du Deutsche Oper, Concerto tendait à montrer toutes les capacités de la compagnie berlinoise. L’interprétation du Birmingham Royal Ballet rend justice à cette visée ostentatoire, mais les danseurs de la compagnie n’ont pas le chic désinvolte qui fait passer l’allegro (premier mouvement) comme une lettre à la poste. Pour qu’on soit soulevé de sa chaise, il faut des solistes qui survolent leur partition ; Momoko Hirata et Tzu-Chao Chou sont seulement consciencieux. Lors de l’adage, Tyrone Singleton déploie de jolis trésors d’attention : il faut voir comment il suit des yeux sa partenaire, même lorsque son rôle se réduit à celui d’une barre d’appui. Mais Jenna Roberts ne transporte pas le spectateur bien loin , faute de lyrisme jusqu’au bout des doigts (je veux revoir Marianela !). On reste enfin en manque d’attaque – de la soliste comme du corps de ballet – lors du troisième mouvement du concerto de Chostakovitch, dont la gaieté un rien pompière réclame une interprétation citronnée.
La chorégraphie du Baiser de la fée (1960), réglée sur une partition de Stravinsky (1928) en forme de pastiche de Tchaïkovski, peut être vue aussi bien comme un hommage au classicisme que comme l’annonce des grands ballets narratifs de MacMillan. L’œuvre, recréée par Diana Curry à l’initiative de Deborah MacMillan, n’a pas fait son nid dans le répertoire. Le livret y est sans doute pour quelque chose : cette histoire de jeune villageois sur le point de se marier, mais détourné de son destin par une Fée qui l’ensorcelle d’un baiser, et l’embarque vivre pour l’éternité dans un pays « au-delà du temps et de l’espace », a quelque analogie avec le scénario de la Sylphide ; mais il n’en a pas la tension. Le jeune homme n’est pas tiraillé entre sa Fiancée et la Fée comme James l’est entre la réalité et le rêve, la terre et l’air ; il est juste victime d’un sortilège. Et l’apport au trio d’une gitane diseuse de bonne aventure laisse plutôt perplexe.
La danse soutient l’intérêt, aussi bien dans les ensembles – la fête au village – que lors des parties solistes. Les pas de deux de MacMillan sont toujours irrigués par une intention dramatique qui leur donne sens et tension ; ces qualités – négligées par les épigones du présent, qui font surtout dans l’acrobatie – sont sans conteste présentes dans l’interaction entre le jeune homme et la Fée (même si, faute de livret assez dense, le développement narratif vient au bout du compte à manquer). Et puis, il y a les interprètes du Scottish Ballet, notamment Andrew Peasgood, touchant jeune homme, Constance Devernay en fée pointue (sa partition fait penser à celle, diablement acérée, de l’Oiseau de Feu), et Mia Thompson en piquante gitane.
La soirée se termine par la pochade revigorante qu’est Elite Syncopations. Pour l’occasion, les danseurs du Royal Ballet dansent la plupart des ensembles, mais cèdent la place à leurs collègues des autres compagnies pour la plupart des solos . On découvre ainsi Precious Adams (English National Ballet) dans le Calliope Rag : chic désinvolte, doigts ensorcelants, c’est assez pour vamper la salle. Karla Doorbar et Mathis Dingman (Birmingham Royal Ballet) jouent joliment les ingénus (The Golden Hours) ; Marge Hendrick et Constant Vigier (Scottish Ballet) suscitent les fous-rires (the Alaskan Rag, qui joue sur la différence de taille entre une grande ballerine et un petit partenaire). Dans un rôle où on ne l’attendait pas forcément, Yasmine Naghdi explose en meneuse de revue ; précise mais swing, flirteuse sans en faire trop, elle est la brunette irrésistible qui vole la vedette sans crier gare (Stop Time Rag, puis Bethena, avec un Ryoichi Hirano qui surjoue à plaisir le macho gominé).

Le Baiser de la Fée – Scottish Ballet – Photo Andy Ross, courtesy of ROH