
Behind the Light. Cristiana Morganti. Photographie ©Antonella Carrara
Théâtre des Abbesses, 6 mars 2023.
D’emblée on comprend qu’elle ment. Arborant une triomphante tignasse, Cristiana Morganti nous promet de nous révéler très vite de quoi parle ce Behind the Light, afin qu’en substance on n’en sorte pas essoré de perplexité. Sous-entendu, (si j’entends bien) comme dans certaines pièces contemporaines. Cette révélation à venir, promise d’entrée de jeu puis renvoyée dans l’instant qui suit à « après une petite danse » est comme la colonne vertébrale de ce spectacle fait de digressions de tout ordre qui visent à retarder voire faire oublier l’échéance de la dite révélation.
En vraie artiste et bête de scène – Vingt ans passés chez Pina – l’italienne Cristina Morganti, cinquante-cinq ans, sait manipuler son public avec charme et talent. C’est le sel même de sa pièce. Les ruptures musicales, les tours de passe-passe « du coq à l’âne », les reprises surprise pour s’assurer que l’on suit, les loufoqueries, les confidences et les connivences avec un public qui se devrait d’être idéalement instruit de la geste à la fois contemporaine et classique. Confère une excellente parodie de Giselle.
Car si Cristiana s’épanche, en anglais, en français et en italien, sur le désastre de sa vie pendant et post Covid ( le travail avorté, spectacle annulé, la rupture, la mort, la maladie) elle nous parle aussi à travers son expérience, de la danse et des danseurs. L’âge des articulations, la prise de poids, les bobos, les exigences des programmateurs, de l’institution, des techniciens, des services de presse.
Behind the Light est un spectacle hérissé de piques mais qui résonne aussi de grands cris et de rires. Cristiana possède un grand souffle de vie et une résilience rageuse, réjouissante et quasi cathartique. Elle n’est pas moins avare d’autodérision qui nous entraine avec joie dans ses délires et qui est aussi une autre forme de manipulation lui permettant de se faire pardonner un certain manque de véritable cohésion chorégraphique et dramaturgique.
A mi chemin, elle propose que l’on passe à la partie « échange avec le public » d’habitude venant à la fin du spectacle. Une femme lève la main. Quand Cristiana lui donne la parole, celle-ci crie : j’adore ! Cristiana la remercie. Mais bon, ce n’est pas une question. Il y en aura deux auxquelles elle réussira à répondre tout en trouvant une transition habile à la suite de son spectacle. Une zumba d’enfer, une danse assise sur une chaise mimant sur la musique d’Adam la niaiserie de l’ingénue Giselle. Une vraie réussite.

Behind the Light. Cristiana Morganti. Photographie ©Antonella Carrara
Mais encore ? De quoi parle justement ce spectacle ? Comme prévu, elle ne nous le dira pas. Elle nous dévoile cependant une partie peut être essentielle de la réponse dans un dernier ‘sketch’ où assise sur une chaise dans une robe de satin noire, elle explique par le menu tout ce qu’elle ne peut plus faire à moins d’être accusée de plagiat de Pina Bausch. Vingt ans, ça marque. Dans son précédent one-woman-show de 2017, Jessica and me, elle nous livrait ses années passées à Wuppertal, sa vie sous Pina.
Aujourd’hui, sur ce ring dépouillé, on sent la danseuse/interprète encore pétrie de Pina se débattre comme pour se délivrer de ce fantôme légendaire. Elle y parvient en partie grâce à la diversité des personnages qu’elle enchaîne à un rythme d’enfer. On était chez Pina assez vite cantonné à un seul rôle.
Et elle touche parfois à la grâce, comme dans ce dialogue entre deux danseuses dont l’une exhorte l’autre à plus de discipline et qu’elle mène seule sous forme de récitatifs empruntés aux opéras de Mozart.
A la fin, dans une ultime rupture, la fulgurante danseuse et comédienne s’efface progressivement jusqu’au noir total. La scène blanche paraphée durant un peu plus d’une heure de toutes ses danses et ses délires nous fait l’effet d’une ardoise vierge. L’espoir d’un vrai nouveau départ ?
François Fargue.