Archives de Tag: Adam Cooper

Les Balletos-d’or 2019-2020

Avouons que nous avons hésité. Depuis quelques semaines, certains nous suggéraient de renoncer à décerner les Balletos d’Or 2019-2020. À quoi bon ?, disaient-ils, alors qu’il y a d’autres sujets plus pressants – au choix, le sort du ballet à la rentrée prochaine, la prise de muscle inconsidérée chez certains danseurs, ou comment assortir son masque et sa robe… Que nenni, avons-nous répondu ! Aujourd’hui comme hier, et en dépit d’une saison-croupion, la danse et nos prix sont essentiels au redressement spirituel de la nation.

Ministère de la Création franche

Prix Création « Fiat Lux » : Thierry Malandain (La Pastorale)

Prix Zen : William Forsythe (A Quiet Evening of Dance)

Prix Résurrection : Ninette de Valois (Coppelia)

 Prix Plouf ! : Body and Soul de Crystal Pite, un ballet sur la pente descendante.

 Prix Allo Maman Bobo : le sous-texte doloriste de « Degas-Danse » (Ballet de l’Opéra de Paris au musée d’Orsay)

Ministère de la Loge de Côté

Prix Narration: Gregory Dean (Blixen , Ballet royal du Danemark)

Prix Fusion : Natalia de Froberville, le meilleur de l’école russe et un zest d’école française dans Suite en Blanc de Lifar (Toulouse)

Prix Plénitude artistique : Marianela Nuñez (Sleeping Beauty, Swan Lake)

Prix les Doigts dans le Nez : le corps de ballet de l’Opéra dans la chorégraphie intriquée de Noureev (Raymonda)

Ministère de la Place sans visibilité

Par décret spécial, le ministère englobe cette année les performances en ligne.

Prix Minutes suspendues : Les 56 vidéos cinéphiliques d’Olivia Lindon pendant le confinement

Prix du montage minuté : Jérémy Leydier, la vidéo du 1er mai du Ballet du Capitole.

Prix La Liberté c’est dans ta tête : Nicolas Rombaut et ses aColocOlytes Emportés par l’hymne à l’Amour

Prix Willis 2.0 : Les filles de l’Australian Ballet assument leur Corps En Tine

Prix Le Spectacle au Quotidien : les danseurs du Mikhailovsky revisitent le grand répertoire dans leur cuisine, leur salle de bain, leur rond-point, etc.

Ministère de la Ménagerie de scène

Prix Lionne blessée : Amandine Albisson dans la Folie de Giselle

Prix Sirène en mal d’Amour : Ludmila Pagliero, mystérieuse danseuse du thème russe de Sérénade

Prix bête de scène : Adam Cooper, Lermontov à fleur de peau dans le Red Shoes de Matthew Bourne (New Adventures in Pictures, Saddler’s Wells)

Prix SyndicaCygne  : Le corps de Ballet féminin de l’opéra sur le parvis du théâtre pour une entrée des cygnes impeccable par temps de grève.

Prix Gerbilles altruistes : Philippe Solano et Tiphaine Prevost. Classes, variations, challenges ; ou comment tourner sa frustration du confinement en services à la personne. Un grand merci.

 

Ministère de la Natalité galopante

Prix Tendresse : Dorothée Gilbert et Mathieu Ganio (Giselle)

Prix Gender Fluid : Calvin Richardson (violoncelle objet-agissant dans The Cellist de Cathy Martson)

Prix Le Prince que nous adorons : Vadim Muntagirov (Swan Lake)

Prix L’Hilarion que nous choisissons : Audric Bezard

Prix Blondeur : Silas Henriksen et Grete Sofie N. Nybakken (Anna Karenina, Christian Spuck)

Prix Vamp : Caroline Osmont dans le 3e Thème des Quatre Tempéraments (soirée Balanchine)

Prix intensité : Julie Charlet et Davit Galstyan dans Les Mirages de Serge Lifar (Toulouse)

Prix un regard et ça repart : Hugo Marchand galvanise Dorothée Gilbert dans Raymonda

Prix Less is More : Stéphane Bullion dans Abderam (Raymonda)

 

Ministère de la Collation d’Entracte

Prix Disette : la prochaine saison d’Aurélie Dupont à l’Opéra de Paris

Prix Famine : la chorégraphie d’Alessio Silvestrin pour At The Hawk’s Well de  Hiroshi Sugimoto (Opéra de Paris)

Ministère de la Couture et de l’Accessoire

Prix Rubber Ducky : Les costumes et les concepts jouet de bain ridicules de At the Hawk’s Well (Rick Owens).

Prix Toupet : Marc-Emmanuel Zanoli, inénarrable barbier-perruquier dans Cendrillon (Ballet de Bordeaux)

Ministère de la Retraite qui sonne

Prix de l’Écarté : Pierre Lacotte (dont la création Le Rouge et le Noir est reportée aux calendes grecques)

Prix Y-a-t-il un pilote dans l’avion ? Vello Pähn perd l’orchestre de l’Opéra de Paris (Tchaïkovski / Bach) pendant la série Georges Balanchine.

Prix Essaye encore une fois : les Adieux d’Eleonora Abbagnato

Prix de l’éclipse : Hervé Moreau

Prix Disparue dans la Covid-Crisis : Aurélie Dupont

Prix À quoi sers-tu en fait ? : Aurélie Dupont

Commentaires fermés sur Les Balletos-d’or 2019-2020

par | 4 août 2020 · 7 h 39 min

The Red Shoes de Matthew Bourne : sous les mots, la peau

The Red Shoes. Adam Cooper (Boris Lermontov). Photographie Johan Persson. Courtesy of New Adventures

The Red Shoes. Chorégraphie Matthew Bourne. New Adventure. Sadlers Wells. Représentation du 11 janvier 2020.

Comment passer d’un film sur la danse à un ballet d’après un film sur la danse ? Lorsqu’il s’agit des Chaussons rouges (The Red shoes), la gageure est d’autant plus grande qu’au-delà de la restitution de l’intrigue, des personnages et des acteurs de l’original, il faut trouver un équivalent à la charge esthétique apportée par les réalisateurs, le tandem formé par Michael Powell et Emeric Pressburger, spécialistes de « l’hyper-technicolor » signifiant. Personnellement, j’ai imprimé dans la rétine la montée des marches d’une demeure des hauteurs de Monte-Carlo par Vicky Page (l’héroïne du film) dans une robe du soir en satin bleu Nattier.

Pour son adaptation dansée sur des musiques arrangées de Bernard Herrmann (et non celles du compositeur du film Brian Easdale), Matthew Bourne prend le parti de ne pas trop essayer de s’aventurer sur le terrain mouvant de l’esthétique du film (il n’y aura donc pas de robe bleue ébouriffante) et de mettre l’accent sur la lisibilité de l’histoire et sur la magie de l’envers du décor.

Pour l’histoire, quelques raccourcis intelligents permettent de faire avancer l’action. Il n’y a ainsi pas de « Why do you want to dance? Why do you want to live ?» entre Vicky Page et Boris Lermontov  ni de partition indélicatement subtilisée par le professeur de Julian Craster. Chez la comtesse Neston, une audition a bien lieu, sous l’égide du portrait de Karsavina dans L’Oiseau de feu par Jacques-Émile Blanche. Julian (Harrison Dowzell), sorte de pianiste de société, refuse obstinément les partitions qu’avait préparées Vicky (Cordelia Braithwaite) pour son audition et celle-ci est contrainte de se lancer dans une improvisation très Ruth Saint Denis. Boris Lermontov, resté impassible durant l’épisode, donne négligemment sa carte aux deux jeunes artistes. Le futur destin des deux tendrons de l’histoire est ainsi indiqué, de même que les racines conflictuelles de leur relation à venir.

The Red Shoes. Cordelia Braithwaite (Vicky Page). Photographie Johan Persson. Courtesy of New Adventures

Mais plus qu’à la relecture de l’argument du film, c’est à l’évocation du monde des Ballets russes qu’on adhère. Cet hommage est, comme souvent chez Matthew Bourne, écrit dans une veine un tantinet satirique. L’étoile de la troupe, Irina Boronskaïa (Ludmilla Tchérina dans le film et Michella Meazza sur scène) nous est ainsi présentée dans une délicieuse scène de répétition lumière d’une variation des Sylphides. La danseuse, en habit et chaussures de ville, déambule sur la scène avec son tutu pendu sur un cintre. Elle marque les poses iconiques du ballet en plaçant occasionnellement ses jambes sous la corolle et fourrage négligemment dans les ailes de soie du corset pour simuler le volètement des ailes de son personnage. Michella Meazza est tout à son affaire dans ce passage gentiment second degré. Il en est de même de son partenaire, Ivan Boleslawsky, qui en fait des tonnes dans son solo. Le jeune Jackson Fisch évoque ainsi de manière plausible le cabotinage de Robert Helpmann dans le film. Le personnage de Grischa Ljubov, le danseur-maître de ballet interprété par Léonide Massine dans le film est également bien croqué. Bourne a intégré pour ce rôle à sa chorégraphie certaines poses le menton levé de Massine dans le film. Liam Mower (qui fut le Billy original dans Billy Elliot – The Musical), très belle plastique et danse moelleuse, incarne avec chic ce personnage haut en couleur.

The Red Shoes. Jackson Fisch (Ivan Boleslawsky) et Michela Meazza (Irina Boronskaya). Photographie Johan Persson. Courtesy of New Adventures

Mais pour que l’évocation du film soit vraiment réussie, il fallait que sa transposition scénique et chorégraphique soit servie par une idée forte. C’est le choix de l’envers du décor qui, du point de vue scénographique, hisse le spectacle au niveau des hautes attentes que « Les Chaussons rouges » suscite chez les amoureux du film. Un grand manteau d’Arlequin mouvant, qui figurera toutes les scènes internationales où se déroule l’action, offre parfois des angles de vue rêvés pour les balletomanes, telle cette répétition des Sylphides en perspective cavalière, offrant un fascinant va-et-vient salle-scène. La chorégraphie du ballet original de Fokine est habilement indiquée sur le mode humoristique. La suggestion du répertoire des Ballets Russes de l’après-Diaghilev est d’ailleurs une des principales qualités de ce « Red Shoes » de Matthew Bourne. L’arrivée de la troupe Lermontov à Monte-Carlo est ainsi un pastiche du Train Bleu de Nijinska. Enfin, le ballet qui donne son titre à la pièce, outre le fait qu’il représente, avec son jeu de pendrillons blancs à projections, une évocation juste du délire technicolor et des délicieux effets spéciaux low tech de Powell et Pressburger, offre sans doute aussi le plus mémorable moment chorégraphique de tout le ballet. L’agonie de l’imprudente héroïne, sur fond de cimetière, est une superbe actualisation de la scène de rencontre entre Albrecht et Giselle à l’Acte 2. L’amoureux devenu prêtre ne voit pas la belle suppliciée mais les appels de la malheureuse ont un impact physique sur lui : la main de la danseuse provoque par exemple un détournement de la tête du danseur. Le rapport entre les partenaires est inversé (ce n’est pas le danseur qui manipule la danseuse pour donner l’impression du spectre) mais l’effet est renouvelé.

The Red Shoes. Photographie Johan Persson. Courtesy of New Adventures

Le drame du triangle amoureux Vicky-Julian-Boris occupe surtout le deuxième acte du ballet. Comme il est évoqué par Matthew Bourne, il est nécessairement plus âpre que dans le film. Lorsque Vicky et Julian quittent la troupe, il n’est pas question de grande première à Covent Garden retransmise à la radio. Les deux amoureux échouent dans un minable théâtre de vaudeville du West End où la prometteuse étoile doit se produire aux côtés de deux acrobates entre un duo (très réussi par sa bouffonne drôlerie) de pharaons moustachus et des girls emplumées. On se croirait dans la comédie musicale « Gypsy ». Dans la chambre des jeunes mariés, le désenchantement est palpable, presque pesant. Vicky semble haïr la musique de Julian et le pas de deux qu’exécutent les deux danseurs est sur la corde raide du viol conjugal.

Pourtant, en dépit de toutes ces qualités, Red Shoes n’atteint pas la force corrosive et émotionnelle du Swan Lake de Bourne. Peut-être l’histoire d’amour entre Victoria Page et Julian Craster est-elle traitée d’une manière un peu trop sage et linéaire pour captiver autant que les affres sentimentales du prince névrosé et de son cygne mâle ? Peut-être surtout, Matthew Bourne a t-il été surtout fasciné par la figure du créateur Pygmalion, Boris Lermontov, qui ouvre et clôt la pièce ? Dans sa déclaration d’intention, le chorégraphe semble opposer les deux alternatives amoureuses proposées à Vicky Page : l’amour sentimental et l’éveil charnel, représenté par Julian Craster et l’amour de la danse représenté par Boris Lermontov.

Mais Adam Cooper, le créateur du Cygne de Bourne, qui fait son grand retour chez New Adventures dans le rôle de Lermontov, n’a pas que le dévouement au métier à proposer à l’héroïne. Son attirance pour Vicky apparaît d’emblée beaucoup plus charnelle et, de ce fait, plus poignante. Dans la scène des doutes, très fidèle au film (la robe de chambre de velours rouge porté par Lermontov est la copie exacte de celle du film), Cooper-Lermontov transpire une frustration quasi-sexuelle. En cela, le danseur rejoint l’ambiguïté entre discours et jeu de l’acteur du film, Anton Walbrook. Adam Cooper aurait-il mieux compris « Les Chaussons rouges – le ballet » que son propre créateur ?

The Red Shoes. Adam Cooper (Lermontov). Photographie Johan Persson. Courtesy of New Adventures

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