Archives quotidiennes : 15 juillet 2025

A l’Opéra : Red Carpet d’Hofesh Shechter. Anamnèses

Red Carpet, Hofesh Shechter. Ballet de l’Opéra de Paris. Soirée du 3 juillet 2025.

Il y a parfois des sons ou des rituels qui réactivent une mémoire paresseuse.

Mais si, curieusement, l’évocation du nom William Forsythe me suscite invariablement un florilège touffu d’images éparses extraites de différentes soirées de ses ballets, si,  à celui d’Ohad Naharin, je me trouve invariablement transporté à l’exacte place –trop- haut placée du Théâtre du Châtelet, avec sa fine rambarde rouge barrant l’espace de la scène d’où j’ai découvert Minus 16, lorsque j’évoque le nom Hofesh Shechter, je pense à un rituel… Celui d’avoir sous la main des protections d’oreilles.

Pire ! La possession des nécessaires pare bruits ne me conduit pas au-delà du rebord en velours rouge d’une loge d’entre colonnes à l’Opéra, colonnes défigurées par les cercles métalliques destinés à soutenir de gigantesques enceintes. Ce qui se passait sur scène ? Je ne parviens jamais à m’en souvenir…

C’est grave, docteur ?

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Red Carpet allait-il échapper à  ce constat fatidique ? Assurément, un élément restera. C’est l’immense lustre doré, copie de celui qui orne le Foyer de la Danse, un clin d’œil du chorégraphe au fait qu’il s’agit de sa première création spécialement pour les danseurs de l’Opéra. Pour le reste, l’ensemble de musiciens comme suspendus en l’air a été déjà vu ailleurs. A la réflexion, le grand lustre aussi : il s’agit d’un réemploi de la production Robert Carsen 2004 du Capriccio de Richard Strauss. L’Opéra se montre soucieux de la transition écologique.

Et la danse ? Shechter emploie pour les danseurs, affublés de sequins et paillettes par la maison Chanel, une gestuelle de boîte de nuit. Il y a des marches sur genoux pliés, des bustes qui scandent les percussions de la musique produite par un ensemble de jazz-impro en roue libre. Les bras accomplissent des volutes.

Il faut reconnaître à Hofesh Shechter une science consommée de la gestion des masses. Le groupe, même en restant compact, est doué d’une vie qui dépasse la simple addition de ses interprètes. Des individus peuvent s’en extraire bien que jamais longtemps. Ils forment alors des contrepoints visuels. On comprend que les danseurs apprécient la pratique  de ses chorégraphies. Il s’en dégage un sens de l’écoute du groupe qui doit avoir un effet roboratif.

Pourtant, la transe du début n’est jamais vraiment surpassée par les moments suivants. Une sorte de ronde autour du lustre, descendu au niveau du plateau,  aurait pu être la fin de la pièce, aux alentours des trente minutes. C’est d’ailleurs à l’issue de cette mi-temps du spectacle que la bande-son tonitruante, qui oscille entre le planant d’un James Blake et les crissements du hard rock, a commencé à me porter sur les nerfs et que j’ai ressenti le besoin irrépressible de me protéger les oreilles.

Car Red Carpet s’étire sur une heure ; lancinante.

Est-ce parce qu’on ne va nulle part ? Les scènes plus intimistes sous le lustre ont une atmosphère mystique presque convenue et le lent final en sous-vêtements chair pourrait être la version étirée ad nauseam du deuxième mouvement de Glass Pieces de Robbins.

On n’a pas réussi à s’inventer d’histoire. Si on reconnaît certains danseurs appréciés – la belle Caroline Osmont, son vestiaire assorti au titre de la pièce, Hugo Vigliotti, intense, ou Loup Marcault-Derouard, athlétique en punk a crête-  ils ne parviennent pas, noyés qu’ils sont dans le contre-jour et dans les fumigènes, à incarner des êtres.

On a piqué du nez avant la fin de cette Eucharistie chorégraphique… Impossible anamnèse !

Red Carpet. Salut du 3 juillet 2025.

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